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Le crime ne paie pas, Gérard Oury, 1962
Gérard Oury avant de devenir l’auteur de comédies à succès appartenu à l’univers de Frédéric Dard. Il a été acteur dans Le dos au mur, et il a mis en scène La menace d’après un ouvrage de Frédéric Dard, Les mariolles. Ce film avait connu un succès estimable, sans qu’il soit un triomphe[1] On trouve aussi son nom au générique d’Un témoin dans la ville. Jusqu’à ce film à sketches, Le crime ne paie pas, il n’a pas obtenu de francs succès. Il va donc changer de registre et s’éloigner du film noir. Il monte en 1962 ce film en coproduction avec l’Italie, et avec une distribution de grande qualité. Le film est en outre inspiré d’une bande dessinée célèbre écrite par Paul Gordeaux. C’était une époque où France-Soir était le journal le plus lu de France il tirait à des millions d’exemplaires. Deux bandes dessinées verticales encadraient la partie distraction du quotidien : d’un côté les amours célèbres et de l’autre le crime ne paie pas. San-Antonio dessiné par Henry Blanc trouvera à s’y faire une petite place entre les deux. L’entreprise se développe donc sous la bannière d’une culture populaire alors en pleine expansion. Le film se compose de quatre histoires qui reflètent le crime à travers les âges. On passe ainsi de la Venise du XVème siècle à l’affaire Clovis Hugues qui a réellement existé, à l’affaire Feynairou qui s’appuie là encore sur un fait divers qui s’est passé dans les années 1880, et enfin on en arrive au XXème siècle avec une histoire cette fois inventée par Frédéric Dard. L’ensemble est assez plaisant quoique manquant un peu de profondeur, Gérard Oury insistant sur l’ironie hasardeuse qui fait capoter les crimes parfaits les mieux conçus. La cause de ces désordres est le plus souvent la jalousie.
L’homme de l’avenue est le titre de la partie scénarisée par Frédéric Dard, partie dont il tirera un roman intéressant, légèrement différent du film du moins dans la tonalité. C’est une histoire originale qui ne s’appuie pas comme dans les autres sketches sur un fait divers plus ou moins véridique. Le point de départ est celui d’un homme, Robert Williams officier anglais du SHAPE, qui veut rejoindre amis et sa famille pour le réveillon du jour de l'an, mais sur sa route il va croiser un homme qui se jette littéralement sous les roues de sa voiture. Bien que le choc ne soit pas violent l’homme décède. Après les constats d’usage, Robert Williams qui culpabilise tout de même un peu propose à la police de prévenir la femme de Marsais. En chemin il croise Hélène, justement la cause de la dispute entre les époux Marsais, mais Lucienne Marsais n’est pas chez elle. Du fait de la violente dispute, elle s’est retrouvée à se saouler dans un bar chic d’où le barman n’arrive plus à la faire partir. Bon âme, notre officier du SHAPE va la récupérer et la ramener chez elle. Comme elle est dans un état d’ivresse avancé, il n’arrive pas à lui annoncer la mort de son mari. Mais il reçoit un pneumatique signé de Philippe Marsais, adressé à Lucienne Marsais, qui dit qu’il est hospitalisé après un accident sans gravité. Comment un homme mort pourrait-il avoir adressé un pneumatique à sa femme ? Devant cette énigme, Robert Williams va mener en quelque sorte l’enquête, notamment en pistant l’assistante de Marsais qui est aussi sa maîtresse. Celle-ci qui n’est pas au courant de la mort de son amant le cherche également. Lorsque Williams lui annoncera la triste nouvelle, elle avouera qu’ils avaient manigancé un faux accident de façon à avoir un alibi. Pensant que Lucienne Marsais se mettrait à boire, ils avaient empoisonné les glaçons de façon à faire croire à un suicide et il songeait ensuite déposer une ampoule de poison cassée à côté de son cadavre. Plus de peur que de mal, Lucienne Marsais a utilisé les glaçons pour tenter de sortir de son ivresse.
A partir de ce scénario Dard va écrire un roman. Le point de départ est une vieille idée qu’il avait utilisée dans Ne raccrochez pas, un ouvrage signé Yvan Noé[2] : à savoir l’alibi qui provient d’un accident de voiture provoqué. Le roman diffère du film parce qu’il est plus centré sur l’organisation du réveillon du jour de l’an et l’attente de cette fête. C’est un peu le pendant de l’obsession dardienne de la nuit de Noël. Dard en effet a souvent traité de la nuit de Noël, aussi bien dans ses romans – Le monte-charge – que dans les articles qu’il écrivait pour des journaux lyonnais. Robert Williams a hâte de retrouver sa famille et ses invités, mais il est sans cesse retardé par les nécessités qui découlent de l’accident. Le héros est dans le roman un américain, et non un anglais, ce qui semble lui donner un peu plus de prestige. Comme le roman est écrit à la première personne, il aborde un ton plus mélancolique et plus intimiste. Dans le film il ne semble guère se préoccuper de son retard, il ne prend même pas la peine de téléphoner pour s’expliquer. Mais il est vrai qu’il ne s’agit que d’un sketch qui dure à peine plus d’une demi-heure, et donc qu’il n’y a guère de place pour les digressions. Frédéric Dard avait sans doute plus de liberté pour l’écriture du roman que pour celle du film. L’écriture est excellente, à la fois précise et sèche, mais aussi avec cette capacité de créer une atmosphère ouateuse avec une grand économie de mots. Toutefois ce n’est pas ce qu’il a publié de mieux sous son nom dans la collection « spécial police ».
Robert Williams vient de renverser un passant qui semble s’être jeté sous sa voiture
Le film est proprement réalisé. Trop souvent vu comme un réalisateur de comédies au succès facile à l’aide de bons comédiens, Oury est rarement salué comme un bon technicien. Et pourtant, ici sa maîtrise saute aux yeux. Tourné en écran large, il a bénéficié de moyens très importants. Oury utilise parfaitement la profondeur de champ et donne de l’emphase à l’ensemble des quatre histoires. Pour L’homme de l’avenue, il utilise un noir et blanc très contrasté qui donne un aspect très film noir tout en conservant le brillant des films plus modernes. Il réussit également à utiliser les décors de Paris et de sa banlieue alors que la plupart des scènes se passent la nuit. Le rythme est très soutenu, on peut sans doute déplorer l’insistance des scènes qui marquent l’extrême ivresse de Lucienne.
A la morgue
Comme dans les autres sketches l’interprétation est très bonne. Le rôle principal est tenu par Richard Todd, acteur britannique qui tentait à cette époque de faire une carrière internationale. Il est très bien dans la manifestation de cet étonnement qu’éprouve un officier anglais un peu raide lorsqu’il se trouve confronté à la société française. On apprécie assez lorsqu’il dit « Je suis intelligent, enfin, pour un Anglais » ! Ça c’est du Dard tout craché ! Le rôle de Lucienne est dévolu à Danièle Darrieux dont c’est la deuxième apparition dans une histoire de Frédéric Dard, la première c’est dans Les bras de la nuit[3]. Mais il y a d’autres acteurs, à commencer par Louis de Funès qu’on retrouve encore une fois dans une histoire de Frédéric Dard. Il n’a qu’un petit rôle, mais il lui donne du punch, surtout lorsqu’il s’efforce de parler anglais ! Perrette Pradier joue le rôle d’Hélène, la maitresse de Marsais, elle aussi est proche de l’univers de Frédéric Dard, elle avait tourné dans Les scélérats sous la direction d’Hossein, et également dans Le jeu de la vérité. Elle est très bien. Il y a encore Michel Lonsdale dans le rôle sinistre et glacé d’un employé de la morgue. Et Christian Marin qui deviendra un des subalternes de Truchot dans la série des « Gendarme de Saint-Tropez ».
Le barman demande à Robert d’évacuer madame Marsais
La manière de construire le film utilise un procédé assez astucieux : Marsais qui participe directement à l’histoire de L’homme de l’avenue apparait dans les autres sketches, dans un rôle passif, il assiste à la projection des trois premières parties avant d’aller se créer un alibi pour le bon déroulement du quatrième sketch, un peu comme s’il apprenait des leçons pour son crime futur ! C’est lui qui est le début – il entre dans le cinéma où on projette Le crime ne paie pas – et il boucle le film en étant le sujet principal du dernier sketch. C’est une forme de prise de distance d’avec son sujet et donc une manifestation ironique sur le hasard et ses destinés.
Lucienne a trop bu
Le film a été un bon succès commercial, bien que sa sortie ait été programmée au mois de juillet 1962. Il a également réalisé de très bons scores en Italie et à l’étranger. C’est un film très agréable à regarder, le sketch L’affaire Hugues avec Michèle Morgan est sans doute le meilleur des quatre, bien que l’ensemble soit assez homogène. Mais ce n’est pas une contribution majeure de Frédéric Dard au 7ème Art.
Robert demande des comptes à Hélène
Lucienne s’est collé de la glace pour dissiper son ivresse
[1] http://alexandreclement.eklablog.com/la-menace-gerard-oury-1960-a114844968
[2] Editions de l’Arabesque, 1958. Si on connait assez bien les détails de la « collaboration » entre Dard et Marcel G. Prêtre, on ne sait presque rien des relations entre Dard et Yvan Noé. On en est donc réduit à des hypothèses. Mais certains des ouvrages signés Yvan Noé sont bien trop proches du style et de la thématique de Frédéric Dard pour que l’on pense qu’il a écrit encore une fois des ouvrages qu’un autre à signé. Par ailleurs Yvan Noé est crédité d’être le scénariste d’un film signé Victor Merenda, Le cave est piégé, film dont le scénario est probablement de Frédéric Dard.
[3] http://alexandreclement.eklablog.com/frederic-dard-les-bras-de-la-nuit-fleuve-noir-1956-les-bras-de-la-nuit-a117220592
Tags : Frédéric Dard, Gérard Oury, Danièle Darrieux, Louis de Funès, Richard Todd, Film noir
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Commentaires
1richard sewellSamedi 28 Octobre 2017 à 18:40Can you suggest a source that shows these strips and gives details of the illustrator(s)?thank you Richard SewellRépondreNo, there is none. only few books published in the collection "J’ai lu" that can be found on the site Priceminister at very modest prices. You can type "Le crime ne paie pas", Paul Gordeaux.
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