• Le déporté, Deported, Robert Siodmak, 1950

     Le déporté, Deported, Robert Siodmak, 1950

    Le crime organisé a été une source presqu’inépuisable de sujets pour le film noir. Ce film s’inspire plus ou moins vaguement du personnage de Lucky Luciano et donc sur le mythe complètement erroné selon lequel celui-ci aurait rendu des services décisifs dans la lutte des Américains contre les puissances de l’Axe. Lucky Luciano qui logeait dans le même hôtel que Siodmak à Naples, lui aurait même fait des propositions pour qu’on lui donne un petit rôle. C’est donc une première vision positive de la mafia qui sera véhiculée ici. La particularité de ce film est qu’il a été tourné en Italie parce que les studios à cette époque de contrôle du marché des capitaux avaient souvent de l’argent bloqué dans les pays européens, ou même au Mexique. Et donc en tournant dans les pays où se trouvaient des fonds, les studios américains étaient doublement bénéficiaires : d’une part ils utilisaient des fonds bloqués dans le pays, et d’autre part ils réalisaient leurs films à des coûts bien plus bas qu’aux Etats-Unis. C’était intéressant à une époque où déjà la télévision commençait à concurrencer sérieusement les films en salles. 

    Le déporté, Deported, Robert Siodmak, 1950 

    Vittorio arrive à Naples 

    Vittorio Sparducci, après avoir purgé cinq ans de prison pour un hold-up, est expulsé des Etats-Unis vers l’Italie, il débarque à Naples. Mais la police le surveille car il a la réputation d’être un dangereux malfaiteur. L’inspecteur Buccelli lui demande ce qu’il a fait des 100 000 dollars que personne n’a jamais retrouvés. La belle Gina se débrouille pour l’amener à Bernardo un ancien complice de Vittorio qui lui réclame la moitié des 100 000 dollars. Sous la menace ses affaires sont fouillées. Mais Vittorio ne les a pas, et il estime que ces 50 000 dollars c’est le paiement pour ses cinq années de prison. Pour l’empêcher de nuire, la police l’exile de nouveau en Toscane, à côté de Sienne où il retrouve les membres de sa famille, son oncle et sa tante qui l’accueillent à bras ouverts. Là il va faire la connaissance avec la misère de l’Italie à la sortie de la guerre. Il rencontre la belle comtesse di Lorenzi dont il tombe amoureux. Celle-ci a perdu son mari à la guerre, et ne s’en console pas. Elle se dévoue à distribuer de la nourriture aux plus nécessiteux. Vittorio va l’aider. Cependant il a un autre plan que de faire le bien, il espère faire rentrer son argent en faisant venir de l’aide alimentaire et médicale qu’il dit vouloir distribuer gratuitement, mais en réalité il se propose de piller les entrepôts avec l’aide de Caruso, un petit combinard du marché noir. Cependant Bernardo et Gina se débrouillent pour suivre Caruso et espèrent eux aussi mettre la main sur le magot. La comtesse fait donner une fête en l’honneur de la nourriture qui va être distribuée. A la dernière minute Vittorio va annuler l’opération avec Caruso, sans doute parce qu’il sent que c’est dangereux, mais aussi parce qu’il a mauvaise conscience. Le fourbe Caruso ne se plie pas aux directives de Vittorio. Il va tout de même faire le coup aidé de quelques malfrats de bas étage. Vittorio qui se doutait de cette trahison va se retrouver dans les entrepôts pour empêcher le pillage. Cependant Bernardo intervient et menace de tuer Vittorio. Mais la police a suivi le mouvement. Sous la direction de Buccelli, elle va boucler tout le monde. Dans la bagarre Bernardo sera tué. La foule en liesse acclame Vittorio. Cependant celui-ci devra être de nouveau expulsé vers Rome où Buccelli plaidera sa cause. La comtesse partira avec lui. 

    Le déporté, Deported, Robert Siodmak, 1950 

    La comtesse di Lorenzi a perdu son mari à la guerre 

    Cette histoire simplissime et très prévisible brode sur le thème du bandit au grand cœur qui cherche à se racheter une conduite après avoir trop longtemps suivi la mauvaise pente. Cette voie du rachat passe aussi par une volonté d’ascension sociale avec la séduction de la belle comtesse qui est exactement l’inverse de ce qu’il est : dévouée, cultivée, raffinée. Elle comprend très bien que Vittorio au fond est un bon garçon et que s’il a été un voyou, c’est parce qu’il y était poussé par la misère. Il y a en effet dans le film une analyse assez complexe des rapports de classes. Et finalement on comprend que le plus fort n’est pas le gangster aux larges épaules, mais la comtesse qui le protège. Il n’empêche si la comtesse n’est pas une femme prédatrice, il est évident que c’est elle qui mène le jeu au gré de ses pulsions sexuelles. Du reste Vittorio apparaît plutôt handicapé avec les femmes. Gina aussi le manipule, et les deux fois elle le mène facilement à Bernardo. La misère de l’Italie à la Libération n’est pas seulement une toile de fond pour une intrigue policière c’est aussi un message politique qui indique que les Américains sont finalement bien bons d’aider ces pauvres Italiens. C’est le sens des acclamations de la foule vers la fin quand Vittorio parait au balcon. Cette idéologie douteuse est renforcée par l’admiration que tous les personnages que Vittorio croise, professent à l’endroit de l’Amérique. On sait d’ailleurs que le vrai Lucky Luciano participa au développement du marché noir lors de son arrivée à Naples, avant de monter un vaste réseau de contrebande de cigarettes. Et il ne semble pas qu’il ait eu les états d’âme de Vittorio. 

    Le déporté, Deported, Robert Siodmak, 1950 

    Les enfants pillent les camions de nourriture 

    L’histoire est plutôt bancale, et cela ne s’anime que dans la deuxième partie. Toute la première partie reste du niveau de la romance, un misérable pas tout à fait repenti, mais presque, tombe amoureux d’une princesse au grand cœur. Par contre on retrouve des éléments du film noir comme Siodmak en a écrit la grammaire. Les ombres portantes qui semblent évoluer plus rapidement que les hommes, les arcades et le sens de l’architecture. Par exemple le long travelling quand Vittorio se dépêche d’aller voir Caruso pour le dissuader de commettre le cambriolage, avec le point lumineux blanc qui se trouve juste au-dessus de la tête de Vittorio. L’entrée en gare du train qu’attendent Vittorio et Buccelli. Et puis toujours cette facilité à prendre de la profondeur de champ dans les décors naturels des vielles rues des villes italiennes qui se trouvent ainsi opposées à l’architecture moderne de l’établissement de la douane. Il y a aussi un sens de la foule, aussi bien dans les scènes de fête que lors de l’acclamation de Vittorio. Le repas familial donné en l’honneur de Vittorio est également remarquable. 

    Le déporté, Deported, Robert Siodmak, 1950 

    Vittorio va voir Caruso pour annuler l’opération 

    Les producteurs ont mis du temps avant de se fixer sur Jeff Chandler pour interpréter Vittorio. Avant lui Dana Andrews avait été sollicité. Et puis ensuite le rôle fut proposé à Victor Mature et à John Garfield pour finalement échoir à Jeff Chandler qui commençait à peine à percer. C’est un acteur assez curieux, très grand, les pommettes hautes, l’air renfrogné, il a un jeu assez monolithique. Mais ça n’est pas gênant. Les cheveux prématurément blancs, il mourra très jeune des séquelles d’une opération du dos. Son dernier rôle aura été pour Merrill’s marauders, un film de guerre de Samuel Fuller. Märta Torén lui donne la réplique en comtesse di Lorenzi. Bien que d’origine suédoise, on l’appelait la nouvelle Ingrid Bergman, elle a un petit d’air d’Alida Valli. Elle est plutôt enthousiaste, mais sans rien apporter de plus. Elle aussi décédera très jeune, à 31 ans, sans avoir eu le temps de vraiment construire une carrière. Elle avait été mariée au scénariste et réalisateur Leonardo Bercovici[1] qui fut blacklisté. Chandler et Torén étaient les deux seuls acteurs américains, du moins venant des Etats-Unis, tout le reste de la distribution fut choisi sur place, notamment Claude Dauphin qui incarne très proprement un policier italien !  

    Le déporté, Deported, Robert Siodmak, 1950 

    Caruso veut piller les entrepôts avec ses hommes 

    Ce n’est pas un grand film, mais ce n’est pas le désastre que certains ont dit. A cause de ses qualités cinématographiques, il se laisse voir agréablement. Il y a des scènes étonnantes de vérité, les enfants mendiant, éventrant les sacs de riz, poursuivant les Américains pour obtenir quelque chose en échange. On peut le regarder aussi comme une belle leçon de cinéma dans la dernière demi-heure où le rythme est très intense. Ce film est un peu oublié dans la filmographie de Siodmak.

    Le déporté, Deported, Robert Siodmak, 1950 

    L’inspecteur Buccelli intervient avec les carabiniers 

    Le déporté, Deported, Robert Siodmak, 1950 

    Buccelli accompagne Vittorio à Rome



    [1] On le retrouve comme scénariste sur Kiss the blood off my hands, ou le magnifique Portrait of Jennie.

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