• Le médaillon, The locket, John Brahm, 1946

    Le médaillon, The locket, John Brahm, 1946

    C’est un des films fondateurs du cycle classique du film noir. Mais cette fois John Brahm a fait des infidélités à la Fox et à son producteur fétiche Robert Bassler. Si dans ses précédents films John Brahm avait beaucoup insisté sur l’aspect psychologique des personnages, ici, c’est carrément à la psychanalyse qu’il va faire appel. A l’évidence ce film va servir de modèle à Spellbound d’Alfred Hitchcock qui sera tourné deux ans plus tard. C’est le portrait d’une femme psychopathe qui trouve les raisons de l’être dans des traumatismes d’enfance enfouis depuis longtemps, et donc c’est par conséquent un discours sur l’irresponsabilité du criminel.

     Le médaillon, The locket, John Brahm, 1946 

    Norman va tirer Nancy d’un mauvais pas 

    John Willis va épouser de manière imminente la belle Nancy Monks. Mais juste avant la cérémonie, il reçoit la visite d’un docteur en psychiatrie, Blair, qui va le mettre en garde contre son épouse. Il lui raconte qu’elle a été mariée avec lui dans un passé assez proche. Le premier flash-back va décrire les circonstances de cette rencontre. Mais il va déboucher sur un second flash-back, c’est que le docteur Blair avait eu aussi la visite d’un ancien amoureux de Nancy, Norman Clyde, un artiste peintre qui avait couvert un crime, ce qui avait conduit à la condamnation et à l’exécution d’un innocent. Il révèle qu’en réalité Nancy est une voleuse, attirée par les diamants et les médaillons. Mais quand Clyde a enfin la preuve matérielle que Nancy est une voleuse et une criminelle, il est trop tard, elle le quitte. Malgré la foule de détails que Clyde fournit au docteur Blair celui-ci le traite comme un malade mental et refuse de voir la vérité. Pendant la guerre il va s’expatrier en Angleterre, et c’est au milieu des bombardements qu’il va avoir la preuve lui aussi que sa femme est une voleuse. Mais celle-ci arrive à le faire interner, puis après avoir divorcé avec lui, elle rencontre le riche John Willis. Blair est très convaincant, mais John Willis ne veut rien savoir. C’est pendant la cérémonie du mariage que Nancy va finir par craquer. En effet la mère de John lui a offert un médaillon semblable à celui qu’elle avait été accusée d’avoir volée. Dès lors elle va sombrer dans la folie et sera sans doute internée

     Le médaillon, The locket, John Brahm, 1946 

    Nancy nie toutes les évidences 

    Le scénario a été écrit à partir d’une histoire de Norma Barzam. Celle-ci était mariée à Ben Barzam, et comme son mari, elle connut les pires ennuis au moment de la chasse aux sorcières. Blacklistée, elle travailla sous différents prête-noms, et pour des scénaristes divers et variées. Elle représentait la gauche américaine de cette époque, c’est-à-dire un courant culturel offensif qui prônait ouvertement la lutte des classes et la fin du capitalisme. Ce positionnement politique va être particulièrement prégnant ici, moins sans doute dans la thématique que dans la manière de la traiter. En effet, si Nancy est bel et bien une psychopathe, elle doit cela à un traumatisme d’enfance lié aux oppositions des classes sociales : sa mère était gouvernante chez une personne très riche qui avait de très nombreux domestiques. Mais Nancy s’était liée d’amitié avec la fille de la maison. Tenue à l’écart par la mère, elle recevra comme cadeau de la part de la fille un médaillon de valeur, orné d’un diamant. Mais la mère l’accusera de l’avoir volé, et elle congédiera Madame Monks et Nancy. C’est donc bien de haine de classe dont il s’agit. Egalement il est évident que Nancy souffre de dédoublement de la personnalité, tant elle semble sincère lorsqu’elle se dit amoureuse. Mais si la psychanalyse est manifestement le background de l’histoire, il est étonnant de voir que le psychanalyste est lui-même incapable d’analyser correctement la situation : comme ses collègues qui sont déjà passé par là, il se refuse de voir vraiment ce qu’est sa femme. Même quand le doute l’effleure, il traite Clyde comme un malade mental. Il y a donc aussi une opposition entre hommes été femmes qui est intéressante : les femmes manipulant les hommes qui apparaissent ainsi bien plus sentimentaux et qui restent accrochés à leur rêve quoi qu’il leur en coûte. Ils préfèrent croire qu’ils vont protéger une faible femme, alors que ce sont eux-mêmes qui doivent être protégés ! 

     Le médaillon, The locket, John Brahm, 1946

    Norman Clyde essaie de dissuader le docteur Blair d’épouser Nancy 

    Sur le plan cinématographique, ce qui est le plus remarquable sans doute est l’emboîtement des différents flash-backs. Cela peut sembler un peu répétitif, relevé d’un procédé, mais en réalité c’est ce qui fait progresser l’histoire, comme si au fur et à mesure que le film se déroule, on dévoilait une nouvelle couche de la personnalité de Nancy. Le passage qui se situe en Angleterre est filmé d’une manière différente : les scènes qui se trouvent aux Etats-Unis sont propres, claires, bien dessinées, celle qui au contraire sont tournées sous les bombardements sont très sombres, figurant l’effondrement d’un monde. Parmi les scènes remarquables, il y a le mariage avec John, la descente de l’escalier, bien sûr, mais aussi la traversée de la foule agglutinée sur le passage de Nancy. C’est dans ce genre de travelling que John Brahm excelle, il a une science innée du mouvement. La profondeur de champ, le changement d’angle en continu, ressemble tout à fait à la scène finale de Hangover square quand George joue son concerto. Pour le reste évidemment on retrouvera les éléments traditionnels du film noir, l’escalier à spirale, les rayures, les ombres et les lumières. La scène du mariage a été tournée dans la maison même où Alfred Hitchcock a réalisé Notorious. Mais je ne sais pas qui a le premier eu cette idée. Mon instinct me ferait plutôt dire que c’est Hitchcock qui s’est inspiré de John Brahm, ce qui ne veut pas dire que j’ai raison, le film d’Hitchcock étant distribué quelques mois avant celui de John Brahm.

     Le médaillon, The locket, John Brahm, 1946 

    Nancy va faire interner le docteur Blair qui a découvert la vérité 

    Bien que la patte de John Brahm soit évidente sur ce film, il y a cependant des changements très importants dans l’habillage : d’abord on note que la photographie est de Nicholas Musuraca, ce qui donne une plus grande netteté ; ensuite, on remarque la présence d’Albert S. D’Agostino, le grand chef décorateur du film noir, qui était aussi le décorateur de Notiorious, ce qui explique sans doute l’utilisation des mêmes lieux dans les deux films. Il y a un gros travail sur les contrastes entre les Etats-Unis et l’Angleterre, et cela tient pour beaucoup aussi aux détails des décors. J’aime particulièrement la maison moderne des Bonner, avec sa rambarde aux formes douces qui favorisent les images en profondeur, puisqu’on peut passer directement au rez-de-chaussée, sans descendre les escaliers !

     Le médaillon, The locket, John Brahm, 1946 

    Blair a du mal à convaincre John de ne pas épouser Nancy 

    La distribution laisse cependant des sentiments mitigés. Laraine Day dans le rôle de la roublarde Nancy n’est pas tout à fait convaincante : elle a un sourire trop mécanique pour signifier qu’elle s’en fout un peu de ce qu’on pense d’elle, qu’elle a des ressources pour détourner toutes les suspicions. Mais enfin, elle n’est pas mal dans l’ensemble. Il lui manquait sans doute quelque chose, et ne fera pas une grande carrière au cinéma. Elle s’orientera assez rapidement vers la télévision. C’est sans doute cela qui manque dans le film de Brahm, une actrice un peu plus glamour – ce qu’Hitchcock arrivait à avoir – on aurait bien vu dans ce rôle la jeune Ingrid Bergman par exemple ! Brian Aherne qui incarne le docteur Blair n’était pas un acteur très connu. Pas qu’il soit mauvais acteur, il tient sa place, mais enfin il a un physique assez peu glamour. Le plus intéressant est sans aucun doute Robert Mitchum. Il apporte une touche de modernité dans le jeu : il est vrai qu’il incarne un peintre un peu bohème. Il en était à ses débuts, c’est l’année suivante qu’il accédera au grand premier rôle dans Out of the past. Bien qu’il joue le rôle un peu du niais de service qui gobe tout ce que sa fiancée lui dit, il est excellent, avec une présence incroyable. Les autres interprètes sont assez ternes, à l’exception toutefois de la jeune Sharyn Moffett qui est Nancy jeune, quand elle a dix ans. Il est vrai que c’était une habituée des rôles d’enfant.

     Le médaillon, The locket, John Brahm, 1946 

    Le médaillon offert par la mère de John va réveiller tous les tourments de Nancy 

    L’importance de ce film ne fait aucun doute, malgré les petites réserves que nous avons faites essentiellement sur l’interprétation. C’est aussi bien une nouvelle étape dans la carrière de John Brahm, que l’ouverture de nouvelles approches thématiques du film noir.

    « A deux pas de l’enfer, Short cut to the hell, James Cagney, 1957Le cercle noir, The stone killer, Michael Winner, 1973 »
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