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Le sentier de la vengeance, Gun fever, Mark Stevens, 1958
J’aime bien Mark Stevens pour sa capacité à faire des films passionnants avec des bouts de ficelle. Il avait cette particularité d’avoir renoncé à une carrière d’acteur dans des films de série A pour devenir un auteur complet dans le domaine de la série B. s’il est très connu pour ses rôles dans le film noir, The dark corner, The street with no name, ce n’est que depuis quelques années qu’on réapprécie l’ensemble de sa carrière, grâce évidemment au numérique qui permet de voir des films qui n’étaient même pas ou si peu arrivés jusqu’en France. Mais revisiter l’œuvre de Mark Stevens n’est pas seulement de la maniaquerie, c’est non seulement intéressant du point de vue cinématographique, mais c’est aussi capital pour comprendre par exemple en quoi le western italien n’a pas innové vraiment. Les films de Mark Stevens anticipe ce côté un peu glauque et un peu noir du western spaghetti, y compris dans ces relations psychanalytiques entre les protagonistes.
Trench tente de retenir son fils en lui donnant de l’argent
Simon accompagne des criminels dans leurs pillages. Mais au bout d’un moment, il en a assez et décide de les quitter. Cette rupture n’est pas simple, parce que le chef de la petite bande est son propre père. On retrouve ces personnages quelques années plus tard. Simon fait maintenant équipe avec Luke, tous les deux ont gagné suffisamment d’argent sans être riches en extrayant de l’or. Ils vont pouvoir s’établir en Arizona. Trench lui continue ses méfaits et incite les indiens à la rébellion parce que cette situation lui permet de voler impunément. Luke retrouve sa famille qui tient un relais de diligence, tout se passe bien, sauf que c’est justement ce relais que Trench a décidé d’attaquer avec les indiens. Ils massacrent la famille de Luke, et laisse celui-ci pour mort. Simon arrive à ce moment-là et sauve son ami qu’il aide à enterrer des reste de sa famille. Simon et Luke vont chercher à se venger et surtout ils ont compris qu’un blanc malveillant manipulait les indiens. Trench veut partir avec Amigo, son bras droit, en Californie. Pour cela il a besoin d’un guide. Il pense que ce sera Whitman, un métis qui est marié avec Tanana, une belle indienne sioux. Mais Amigo tue Whitman et il est tué à son tour par Luke. Dès lors Simon qui a aidé Tanana à enterrer Whitman, et Luke, guidés par Tanana vont partir à la poursuite de Trench. Ils le rattraperont après avoir traversé le territoire des Indiens. Trench après avoir poignardé Simon va tenter de tuer Luke, mais Simon l’abattra et on comprend qu’il pourra partir vivre sa vie avec la belle indienne.
Simon et Luke ont gagné un peu d’argent pour s’établir dans l’Arizona
Il y a donc une reprise du thème de Backlash le très bon western de prestige de John Sturges qui avait été en 1956 un très grand succès commercial avec cette histoire de haine difficile entre un père chef de gang et un fils voulant plus ou moins rester dans les clous de l’honnêteté. Mais évidemment comme on l’a dit un peu plus haut, les moyens ne sont pas les mêmes. La bande de Trench est réduite à deux ou trois protagonistes, la ville traversée est quasiment vide d’habitants – il est dit que cette ville est à l’abandon et que tout le monde s’en va. Mais il y a un autre thème derrière l’affrontement père-fils, c’est celui de l’amitié entre Luke et Simon. Cette amitié n’est pas facile car Luke va répudier Simon dès lors qu’il comprend que celui-ci a menti en ne lui disant pas que Trench était son père. Enfin il y a un dernier thème, c’est celui des rapports entre les blancs et les autochtones. Sans être pro-indien, le film tente d’équilibrer les relations entre les colons et les amérindiens. Non seulement on comprend que les Indiens se laissent un peu trop influencer, mais également que si on les traite bien, avec humanité, on n’a pas de problèmes avec eux. C’est plus ou moins le sens de la relation entre Simon, timide et peu dégourdi avec les filles, et Tanana qui pourtant a été mariée avec un métis. Mais enfin, comme elle est croyante et que son mariage a été béni par le curé du coin, tout va bien. C’est d’ailleurs le personnage le plus curieux du film. Non seulement elle s’éloigne rapidement du souvenir de son mari assassiné, mais c’est elle qui prend l’initiative des relations avec Simon. Elle représente en quelque sorte une liberté sexuelle que comprend mal l’homme blanc, Simon, engoncé dans ses principes étriqués. Parmi les aspects intéressants de ce film, il y a, comme toujours chez mark Stevens, une violence très dure, surtout si on se situe dans les années 50. Par exemple Luke tue l’abominable Amigo sans état d’âme et certainement pas en respectant une sorte de code de l’honneur qui ne le concerne en rien. De même il reniera son ami Simon parce que celui-ci lui a menti par omission, il le rejettera, alors même qu’ils ont traversé ensemble une longue période de difficultés.
Simon découvre que toute la famille de Luke a été assassinée
La réalisation est d’abord adapté à l’étroitesse du budget, et donc on aura droit à de longues scènes venteuses qui transportent des broussailles, mais qui surtout permettent de masquer la pauvreté des décors. Tout est par ailleurs misérable : des maisons et de leur intérieur, jusqu’aux habits que portent les différents protagonistes. Ils sont tous sales et mal rasés… comme dans un western italien ! mais paradoxalement Mark Stevens joue très bien de cette médiocrité matérielle qui lui permet de mieux faire ressortir les difficultés des hommes de l’Ouest encore à la fin du XIXème siècle. Le film est très dense, et bien qu’il dure 1h20 seulement, le rythme est volontairement assez lent. Les scènes d’action n’interviennent que quand cela est nécessaire, et par exemple les attaques des indiens sont très elliptiques, alors qu’à cette époque, c’était plutôt l’idée que de rallonger la sauce sur cette question. Cette volonté d’escamoter la cruauté des indiens dans leurs exactions, permet ainsi que refermer l’histoire sur un double drame : celui de la nécessité pour Simon de tuer son père, et la rupture programmée entre Luke et Simon. Simon et Luke deviennent des frères dans leur idéal de vengeance. Mais cette vengeance les amènera à s’opposer finalement. La réalisation utilise les gros plans et les tête-à-tête rapprochés. C’est une manière d’exacerber les sentiments et les ramener à leur violence initiale. L’ensemble, tourné en noir et blanc, donne justement un aspect film noir au film. C’est sans doute là qu’il se distingue des westerns spaghetti qui dans l’usage de la couleur et le plus souvent de l’écran large vont verser plutôt dans la parodie.
Amigo a tué Whitman
L’interprétation, toutefois assez réduite, est évidemment organisée autour de Mark Stevens dans le rôle de Luke qui, comme à son habitude, serre les mâchoires et rumine sa vengeance. John Lupton dans le rôle de Simon est assez fade, assez peu expressif, on comprend qu’il se soit diriger ensuite vers des rôles décoratifs à la télévision. Plus intéressant sont les rôles secondaires, et d’abord Aaron Saxon dans le rôle de Trench. Certes il cabotine pas mal, mais il a une présence indéniable. Et puis il y a son alter ego, Larry Storch dans le rôle du cruel Amigo. Et puis il y a Jana Davi dans le rôle de Tanana. Actrice d’origine Sri lankaise, elle est apparu à l’écran sous des tas de noms différents, notamment sous celui de Maureen Hingert. Elle était abonnée à des rôles de belles indiennes. Ici elle est excellente. Le reste de la troupe est faite des parents de Luke qui disparaissent assez rapidement de l’écran, et de quelques comparses du malfaisant Trench.
Simon aide Tanana à enterrer son mari
Sans être un film d’une exceptionnelle importance, il vaut tout de même le coup d’être redécouvert. Il y a une vraie atmosphère et pas mal d’idées de mise en scène. On appréciera cette volonté de se tenir à distance entre le film noir et le western.
Trench poignarde dans le dos son propre fils
« En marge de l’enquête, Dead reckoning, John Cromwell, 1947Les mains qui tuent, Phantom lady, Robert Siodmak, 1944 »
Tags : Mark Stevens, western noir, Jana Davi, John Lupton
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