• Les cheveux d’or, The lodger, Alfred Hitchcock, 1927

      Les cheveux d’or, The lodger, Alfred Hitchcock, 1927

    L’histoire de Jack l’étrangleur, tueur en série qui défraya la chronique à la fin du XIXème siècle, a été portée à l’écran un nombre incalculable de fois. Dans le quartier de Whitechapel de nombreux meurtres de prostituées, ou autre, sont commis. Le tueur éviscère ses victimes mais aussi présente la particularité d’envoyer des messages à la presse et à la police pour se faire de la publicité. L’identité de ce meurtrier n’a jamais été connue, et en outre, on ne sait pas combien de meurtres ont été commis par le même homme, il semblerait que seulement cinq de ces meurtres soient de la même personne, ils auraient eu lieu entre le mois d’aout et le mois de novembre 1888. Cette affaire connut une renommée internationale et a alimenté les soupçons les plus divers. Certains ont même avancé que si on n’avait pas trouvé le meurtrier, cela prouvait qu’on le cachait, ou qu’on ne voulait pas divulguer son nom. Il aurait été un membre de la famille royale, ou un aristocrate. D’autres ont avancé qu’il s’agissait forcément de quelqu’un qui maîtrisait l’art chirurgical, vu la manière dont les corps étaient découpés. Si on remet cette histoire dans son contexte, on voit qu’elle coïncide avec le développement d’une presse de masse, et aussi avec l’émergence d’un roman populaire de type anglais. Jack the ripper est une des pièces maitresses de la littérature populaire anglaise et de la littérature de détection, comme Sherlock Holmes ou Dr Jeckill et Mister Hyde.  

    Les cheveux d’or, The lodger, Alfred Hitchcock, 1927

    C’est cette histoire jamais résolue qui va être le support d’un roman à succès de Marie Belloc Lowndes, The lodger. Paru en 1913 en Algleterre sous forme de feuilleton, il sera un succès dans le monde entier, mais curieusement il ne sera traduit en français qu’en 1994. Un peu comme si les Français n’avaient pas le goût pour ce type d’histoire. Ce roman va faire l’objet de cinq adaptations cinématographiques :

    1. Les cheveux d'or  (The Lodger) d’Alfred Hitchcock (UK, 1926) avec Ivor Novello

    2. Meurtres, The Lodger, de Maurice Elvey (UK, 1932) avec à nouveau Ivor Novello

    3. Jack l'éventreur (The Lodger) de John Brahm (USA, 1944) avec Laird Cregar

    4. L'étrange monsieur Slade (Man in the Attic) de Hugo Fregonese (USA, 1953) avec Jack Palance

    5. Jack l'éventreur (The Lodger) de David Ondaatje (USA, 2009) avec Alfred Molina.

    Cette dernière version est modernisée, détachée de son contexte victorien, elle n’a aucun intérêt. Trois d’entre elles sont intéressantes a des titres divers : celle d’Hitchcock, celle de John Brahm, un des piliers du film noir de la période classique, et celle de Fregonese. Celle de Maurice Elvey a la particularité d’être un remake sonore du film d’Hitchcock toujours avec le même acteur, Ivor Novello, mais elle est plutôt mauvaise du point de vue cinématographique.

    Il y a bien sûr bien d’autres adaptation du thème de Jack l’éventreur, on en compte environ une trentaine, tantôt elles versent dans l’analyse psychologique du criminel, tantôt vers les difficultés de l’enquête proprement dite. Parfois elles innovent en avançant des hypothèses hardies sur l’identité de ce criminel en série. Loulou le chef d’œuvre de Pabst traite aussi de Jack the ripper puisque l’héroïne ira jusqu’à Londres pour se faire poignarder. Cet étrange tueur en série a permis aux théories du complot les plus folles de se développer, par exemple dans Murder by decree, film de Bob Clark qui date de 1979, inspiré d’un ouvrage de Stephen King, Sherlock Holmes et le docteur Watson vont découvrir que les crimes de Jack the ripper cache une machination qui mêle à la fois la famille royale, la franc-maçonnerie et le gouvernement ! Tous les délires sont permis. 

    Les cheveux d’or, The lodger, Alfred Hitchcock, 1927    

    La presse s’est emparée de l’affaire 

    En vérité notre sujet n’est pas l’histoire de Jack l’éventreur, ni même Alfred Hitchcock pour lequel, à quelques exceptions près, j’ai assez peu de goût, ni non plus les tueurs en série, mais John Brahm qui a apporté une contribution importante et novatrice au cycle du film noir classique, mais comme il a adapté lui aussi The lodger, nous allons faire un détour par quelques-unes de adaptions de ce roman. En même temps cela nous permettra de comprendre peut-être un peu mieux les racines du film noir dans ce qu’il peut avoir de gothique, et ce qu’il doit à l’image projetée de l’Angleterre à l’époque victorienne. 

    Les cheveux d’or, The lodger, Alfred Hitchcock, 1927    

    Mrs Bunting reçoit un curieux locataire 

    Jack the riper sévit à Londres dans le quartier de Whitchapel. Sept jeunes femmes aux boucles blondes ont été assassinées de la même manière, et chaque fois le tueur laisse un triangle dans lequel il signe the avenger. La panique gagne, une fille semble avoir aperçu le tueur, il serait grand et masquerait son visage avec une écharpe. Daisy Bunting qui est plus ou moins fiancée avec le policier Joe Chandler, est en même temps mannequin. Elle vit bien sagement chez ses parents qui louent des chambres dans leur maison. Un soir de brouillard arrive Jonathan Drew qui veut louer une chambre. D’emblée le personnage apparaît comme mystérieux. Mais tandis que Daisy est presqu’officiellement fiancée à Joe le policier chargé de trouver le tueur en série, elle se trouve attiré presqu’inexorablement par Jonathan qui semble avoir beaucoup de choses à cacher. Cette attirance est réciproque, on le voit rapidement au cours d’une partie d’échecs. Ce curieux locataire sort cependant la nuit sans faire de bruit, les Bunting commencent à avoir peur et Joe devient franchement jaloux. Rapidement il soupçonne Jonathan d’être le criminel en série, tandis qu’au contraire la belle Daisy ne peut pas croire une minute à sa culpabilité. Finalement sur de vagues intuitions, Joe fouille la chambre de Jonathan et découvre qu’il cache dans un sac un revolver, mais aussi un plan de la ville où il a répertorié tous les meurtres déjà exécutés. Jonathan explique qu’en réalité il enquête par lui-même parce que sa jeune sœur a été une des premières victimes de Jack the riper, et que la police reste impuissante. Joe ne veut rien savoir. Pris de panique, il s’enfuit, alors qu’il est menotté. Daisy tente de l’aider, mais la foule le poursuit, et il ne doit la vie qu’à Joe, le policier, qui entre temps à compris qu’il s’était trompé puisque le vrai tueur a été arrêté. Cela finira très bien et Daisy, fille modeste de basse extraction, elle se mariera avec Jonathan qui se révélera être un riche héritier.

    Les cheveux d’or, The lodger, Alfred Hitchcock, 1927     

    Daisy est intriguée 

    Il est extrêmement difficile de juger un tel film, 90 ans après sa sortie en salles. Nous n’avons plus beaucoup l’habitude du cinéma muet, de ses tics et de ses normes d’expression, même si on sait qu’il y a des films muets d’une toute autre tenue. Si on le commente et si on le revoit encore c’est essentiellement pour une forme de passion archéologique des racines du film noir. Le scénario est assez faiblard. Essentiellement parce qu’il ne sait pas choisir entre une comédie amère sur la tendance adultérine des femmes et le récit policier. Même chose pour ce qui concerne l’ambiance, on pense d’abord que le film se centrera sur le brouillard londonien si propice au crime et au mystère. En vérité peu de scènes ont ce caractère fantastique et l’essentiel de ce film bavard quoique muet se passe en vase clos. Curieusement Jack the riper est absent, il n’est même pas décoratif. Mais peu importe tout cela. Nous sommes en 1927, et plusieurs éléments propres au film noir classique apparaissent ici. D’abord l’importance de la presse et des journaux qui diffusent les nouvelles et qui affolent les populations. Pour Hitchcock c’est une manière de prouver sa modernité que de montrer des rotatives qui tournent très vite, ou des salles de journalistes besogneuses. Le développement d’une culture populaire est manifestement en marche. Si le thème général est le soupçon, tout le monde se méfie de tout le monde, ce film est parfaitement misogyne : non seulement les filles blondes en général sont insouciantes, mais on dirait qu’elles cherchent l’aventure. Daisy n’a aucun scrupule à changer de partenaire en un clin d’œil et elle fait confiance contre toute vraisemblance à Jonathan. C’est seulement une chance qu’elle ait eu raison ! ça n’a rien à voir avec une réflexion sérieuse et une conduite raisonnée. 

    Les cheveux d’or, The lodger, Alfred Hitchcock, 1927    

    Jonathan et Daisy sont séduits l’un par l’autre 

    Il y a aussi une forme expressionnisme qu’Hitchcock devait sans doute à ses visites aux studios allemands, du moins c’est ce qu’il dit dans ses entretiens avec Truffaut[1]. Le jeu des ombres est intéressant, notamment l’entrée de Jonathan chez les Bunting, apparaissant dans l’encadrement de la porte       avec son écharpe autour du cou. Ou encore cette manière de filmer les escaliers qui sera reprise ad libitum par tous les metteurs en scène du cycle classique du film noir, et par Hitchcock lui-même dans le bien nommé Suspicion. Evidemment à cette époque la caméra restait très statique et le sens du mouvement ne pouvait apparaître que dans le montage. On ne saurait donc reprocher à Hitchcock ce que les avancées de la technique ne lui permettaient pas. De même les séquences sont parfois bleutées, ou couleur sépia. Cela selon les lieux et les moments. Ce n’est pas du meilleur effet, mais c’était très fréquent et était censé faciliter la compréhension. La scène qui voit s’affronter Jonathan et Daisy lors d’une partie d’échecs aura une très longue postérité, on la retrouvera entre autres dans The Thomas Crown affair de Norman Jewison.

     

    Les cheveux d’or, The lodger, Alfred Hitchcock, 1927

    Jonathan ne peut cacher ses sentiments 

    Il est aussi très difficile de juger les prestations des acteurs. Le film était fait pour Ivor Novello, grande vedette du cinéma britannique. Bien qu’Anglais, il s’était donné un pseudonyme exotique. Il avait curieusement débuté sa carrière en France dans L’appel du sang. Homosexuel notoire, acteur de théâtre d’abord, il joue ici les jeunes premiers romantiques un peu rêveur.  Il est très expressif, assez peu outrancier pour un acteur du muet. Malkom Keen qui joue le flic Joe est moins intéressant, trop caricatural, et justement quand on compare le jeu des deux acteurs, on se rend compte que tous les acteurs du muet n’étaient pas forcément grimaciers. June joue la belle Daisy. Son vrai nom était June Tripp. Elle est très bien, mais elle abandonna rapidement le cinéma pour se marier avec un baron ! Il semblerait qu’elle ait par la suite mené une vie de bâton de chaise, divorçant, se remariant, etc. Devenant même citoyenne américaine ! C’est dire. J’aime bien aussi le couple Duning incarné par Mary Ault et Arthur Cherney. 

    Les cheveux d’or, The lodger, Alfred Hitchcock, 1927    

    Joe est persuadé que Jonathan est l’assassin 

    Hitchcock disait que c’était son premier vrai film. Nous n’y voyons pas grand-chose d’important. Les producteurs trouvaient le film mauvais et demandèrent de le remonter. Ce qui fut fait et finalement le film eut un succès conséquent qui permit d’en refaire un remake parlant en 1932, toujours avec Ivor Novello. Mais celui-ci avait bien vieilli entre temps, et il est bien moins intéressant, l’histoire étant complétée si je peux dire en faisant de l’assassin le frère jumeau du héros.

     

     


    [1] Truffaut/Hitchcock, edition definitive, Ramsay, 1984.

    « Un homme est passé, Bad day at Black Rock, John Sturges, 1955L’étrange Mr. Slade, Man in the Attic, Hugo Fregonese, 1953 »
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