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Les délinquants, Delincuentes, Juan Fortuny, 1957
C’est une production de Marius Lesœur, marchand forain qui s’était relancé dans le cinéma. Sa production est très abondante, et on n’y compte guère de films inoubliables. C’est une sorte de Benezeraf, mais en pire[1]. Spécialiste des films fauchés, il a fait dans le film noir, puis dans le fore et le porno. La plupart du temps ce sont des films bricolés avec des vedettes de seconde catégorie. Sa plus belle réussite est sans doute Sursis pour un vivant, avec des vrais acteurs et un vrai budget. A la fin des années cinquante il fait dans le polar de seconde catégorie et embauche Victor Merenda et Frédéric Dard qui participent ensemble ou séparément à huit films développés sous la houlette de Marcel Lesœur. En voici la liste :
Les souris dansent, Juan Fortuny, 1956
Pas de grisbi pour Ricardo, Henri Lepage, 1957
Sursis pour un vivant, Victor Merenda, 1957
Les délinquants, Juan Fortuny et Victor Merenda, 1957
8 femmes en noir, Victor Merenda, 1958
Un mundo para mi, Jose Antonio de la Loma, 1959
Le bourreau attendra, Robert Vernay et José Antonio de la Loma, 1961
Le cave est piégé, Victor Merenda, 1962
Sur ces sept films le nom de Frédéric Dard apparait seulement dans 8 femmes en noir, dans Le bourreau attendra et dans Sursis pour un vivant. Pour les autres films il est assez difficile de savoir qui a fait quoi, il y a plusieurs noms, qui comme dialoguiste, qui comme scénariste, Lesœur se couvrant censément du nom de A.L. Mariaux. Ces films sont aussi – ce qui est sans doute original pour l’époque – des coproductions franco-espagnoles. Le cinéma est en effet très sous-développé en Espagne à cette époque, et sans doute Lesœur y a-t-il vu la possibilité de pénétrer un marché facile. On sait qu’à cette époque également Frédéric Dard fréquente l’Espagne, Le bourreau pleure se passe sur la Costa Brava, et peut être l’idée de ce roman qui lui vaudra grâce à l’appui de Boileau et Narcejac le Grand Prix de la Littérature policière lui est-elle venue en y travaillant sur les films de Lesœur. Etant donné la qualité générale de ces films, il est aussi possible et assez compréhensible que Dard n’ait pas voulu leur associer son véritable patronyme. Notez que le bourreau attendra est adapté du premier épisode de Kaput, Le boulevard des allongés, et que le troisième Kaput, Pas tant de salades est dédicacé à Marius Lesoeur. ce qui laisse entendre que c'est dès 1956 que Dard travaille avec ce producteur curieux.
Marius Lesœur ne s’embarrassait de rien, il utilise tout ce qui passe à sa portée pour faire tourner sa boutique. Par exemple dans le cas qui nous concerne, il va jusqu’à repiquer l’affiche de The big caper, un très bon film noir dont nous reparlerons bientôt, sans doute parce qu’il trouve que les acteurs de ce film sont plus glamour que ceux qu’il a embauché pour le sien ! Sur Les délinquants, on ne sait pas trop ce que Frédéric Dard a fait, ni même s’il a été payé ! Mais que ce soit dans l’histoire elle-même ou dans les dialogues on le retrouve tout de même… un peu.
Andres est un jeune voyou dont le père, surnommé El caïd, est en prison pour une longue peine. Entre temps il a du mal a existé et se sert de la renommée de son père pour dominer une petite bande de jeunes délinquants. Parmi ceux-ci il y a Mario qui comme lui est amoureux d’Anita, une jeune voyelle délurée qui ne rêve que de plaies et bosses. Mais un soir dans le cabaret tenu par la mère d’Andres, l’accorte Mercedes, Mario se fait piéger par la police au moment où il vole le portefeuille d’un marin américain. La police va le faire chanter et lui proposer de collaborer en échange de son impunité. Antoine, un gangster marseillais vient proposer à la bande un coup facile à réaliser. En vérité il va se servir de ces jeunes un peu décervelés pour ne pas se mouiller lui-même. Il s’agit de voler un riche trafiquant tandis que celui-ci est en train de négocier avec Antoine. Le coup va se passer facilement. C’est de l’argent vite gagné. Mais tandis qu’Anita veut elle aussi monter une affaire en dévalisant un receleur, le père d’Andres revient. En vérité il a purgé sa peine et ne veut plus entendre parler d’une vie de hors-la-loi. Cela ne plait guère à sa femme qui l’a attendu si longtemps, ni même à son fils qui ne vie que dans l’admiration de ce père qu’il n’a pas connu et qu’il prend pour un héros. Le lâche Mario prenant pour argent comptant ce que raconte Andres va rapporter à la police qu’El caïd va reprendre du service et monter un coup fumant. La police se mettant en mouvement, El caïd va mourir sous les yeux de son fils qui va enfin comprendre qu’il s’est mis dans une situation inextricable et qui va décider de changer d’attitude et de se ranger du côté de la loi. Mario mourra également, tué par Antoine qui lui-même sera descendu par la police.
La police fait chanter le faible Mario
On trouve dans ce film beaucoup de liens avec l’œuvre cinématographique de Frédéric Dard, à commencer par le personnage d’El caïd qui renvoie en creux à celui du Caïd dans En légitime défense. Il est en effet assez incongru et particulier de nommer un truand le caïd ou el caïd, c’est un surnom qui ne s’est jamais porté dans le milieu. Du reste la trame des deux films repose sur un personnage faible qui va être obligé de se dépasser pour retrouver le chemin du respect de la loi. Egalement la description du monde de la nuit barcelonaise ressemble assez à celle d’En légitime défense. Mais il y a aussi cette idée d’une bande de jeunes où, pour s’y faire admettre, il faut faire preuve d’un soi-disant cynisme. Et là on retrouve dans le personnage d’Anita celui de Josépha que Dard mettra en scène dans Les mariolles, porté à l’écran par Gérard Oury sous le titre de La menace[2]. Vous remarquerez qu’il s’agit d’une introduction à la jeunesse délinquante qui va faire le succès l’année suivante de Marcel Carné avec Les tricheurs. C’est dans l’air du temps, dans la continuité des films américains comme La fureur de vivre de Nicholas Ray ou Crime in the streets de Don Siegel. Evidemment cette manière de tirer l’histoire vers une morale très convenue n’est pas très dardienne, cependant, c’est un peu celle qu’on trouve dans En légitime défense lorsque Pierre Lambert se met sous la protection de fait de la police.
Andres est amoureux d’Anita
Il semble que dans l’Espagne franquiste le film ait été perçu comme audacieux et transgressif (voir la coupure de presse ci-dessus) quoiqu’il soit bien rappelé in fine que le respect de la loi est incontournable pour le bien-être de tous. Peut-être que l’idée de coproduction franco-espagnole était destinée à rompre l’isolement politique de l’Espagne aussi bien sur le plan culturel que sur le plan politique. Mais le film ne semble guère avoir retenu l’attention de la critique en France et en Belgique où il a été distribué, sans doute passait-il par de petits circuits pour atteindre des salles de second ordre. C’est une forme très particulière de cinéma populaire. De la réalisation il n’y a pas grand-chose à dire. Bien qu’il soit filmé en écran large, le film n’arrive jamais vraiment à utiliser l’espace, et les décors barcelonais ne sont pas utilisés correctement. Fortuny utilise des plans américains trop nombreux et trop statiques pour donner un vrai rythme à l’ensemble. La plupart des scènes ressemblent au mieux à du théâtre filmé.
Antoine, un gangster marseillais, vient proposer une affaire à la bande
L’interprétation est un mélange franco-espagnol de comédiens de second ordre et de seconds rôles vieillissants comme Ginette Leclerc ou Raymond Bussières qui font ce qu’ils peuvent face au manque de professionnalisme évident de leurs partenaires. Christine Carrère dans le rôle d’Anita est assez mauvaise, et surtout elle manque de glamour, son physique ne laisse pas entendre qu’elle attise la rivalité entre deux jeunes mâles. Mario Beut incarne le sombre Andres, hésitant entre une approche plus romantique et sentimentale de la vie, et la chimère du grand banditisme, mais toujours sans convaincre. L’ensemble des comédiens reste livré à lui-même. Parmi eux on remarque cependant Robert Berri dans le rôle d’Antoine, il a une présence réelle – ce qu’on avait déjà remarqué dans Les amants maudits[3].
El caïd est revenu
Il y a des scènes qui devraient susciter l’émotion, comme par exemple celle qui permet à Mercedes de trouver le cadavre de son mari qu’elle a tant attendu. Ou encore cette scène qui se veut pathétique entre le fils qui dénigre son père et celui-ci qui désespère de lui inculquer quelques éléments de morale primaire. Mais c’est surjoué et Raymond Bussières agite des bras pour compenser je pense son manque de conviction dans ce rôle moralisateur. Les scènes de cabaret sont vraiment très étranges, une sorte de galerie de monstres à la Fellini, avec un présentateur qui imite le chant des oiseaux, ou ce danseur qui fait des mines de chatte sur la scène et encore ce vieux chanteur vieillissant déguisé en torero. Le film dérape dans ces moments-là vers un burlesque teinté de surréalisme un rien crasseux et misérable. Juan Fortuny qui parfois signait Jean Fortuny ou John Fortuny avait également signé Ce soir les souris dansent, toujours pour Marius Lesœur. Il n’a pratiquement réalisé que des films de troisième catégorie dont El pobrecito Draculin ou le curieux L’homme à la tête coupée toujours pour le même producteur !
Il explique à son fils que la vie de gangster n’a pas d’avenir
On serait bien en peine de trouver quelque excuse à ce type de cinéma. Néanmoins, il faut souligner l’importance du travail de Daniel Lesœur, le fils du producteur, qui depuis quelques mois exhume cette filmographie invisible, et le remercier. Certes ce n’est pas du bon cinéma, ça va de soi, mais il est intéressant pour nous de le connaître, aussi bien parce que Dard y a participé, que parce qu’il s’agissait d’un cinéma populaire qui touchait des couches de population de basse extraction.
Andres ramène son père mort
Antoine est reparti avec le butin
[1] On trouvera une bonne introduction à l’œuvre de Marius Lesœur ici : http://www.nanarland.com/acteurs/acteur-mariuslesoeur-marius-lesoeur.html
[2] http://alexandreclement.eklablog.com/la-menace-gerard-oury-1960-a114844968
[3] http://alexandreclement.eklablog.com/les-amants-maudits-willy-rozier-1952-a118093452
Tags : Marius Lesoeur, Frédéric Dard, Film noir, Robert Berri, Ginette Leclerc, Barcelone
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