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Les enquêtes de Philip Marlowe, Raymond Chandler, Gallimard, 2013
Raymond Chandler et sa créature de papier, Philip Marlowe sont des piliers de la construction du roman noire américain. Bien qu’il soit influencé manifestement par Dashiell Hammett, Chandler a produit, dans un cadre déjà codifié, une musique particulière. Il a peu écrit, seulement sept romans, mais c’est deux de plus que Dashiell Hammett. Ayant commencé sa carrière d’écrivain assez tardivement, il mettait beaucoup de temps à peaufiner ses intrigues, et puis il avait travaillé pour Hollywood, et on sait ce que ça coûte.
Pour moi qui suis tombé tout petit sur les livres de Chandler, livres que j’ai lus et relus, c’est une opportunité des relire dans une traduction plus complète et dans leur ordre chronologique. Et ça se dévore toujours aussi bien. Les années n’ont pas de prise sur ses romans, et je dois dire qu’un seul des romans de Chandler vaut bien toute la production actuelle de la Série noire.
Il y a beaucoup de choses dans ces romans. Bien sûr le personnage de Philip Marlowe, à la fois le double de Chandler et le nouveau chevalier blanc d’un monde en décomposition rapide. La mélancolie aussi dans une ville clinquante et vouée à la marchandise, au paraître et au crime. Mais il y a encore bien autre chose. D’abord les intrigues de Chandler sont très soignées, et il maintient une forme de suspense jusqu’au bout. Parfois les solutions sont un peu trop alambiquées comme dans La petite sœur. Mais ce n’est guère important.
Au-delà de ces intrigues il y a la conduite de l’histoire. Ecrite à la première personne du singulier, du point de vue singulier de Marlowe, elle nous précipite tout de suite et sans traîner dans l’action. Chandler ne tourne pas autour du pot. Marlowe plonge sans trop savoir où il va dans une histoire qui le plu souvent le dépasse. C’est presque le hasard qui guide ses pas. Dans Adieu ma jolie¸ c’est une espèce de géant fortement imbibé qui va l’obliger quasiment à s’occuper d’une affaire qui ne le concerne pas vraiment et qui ne lui rapportera rien d’autre que des coups.
Sur cette photo on reconnaitra Raymond Chandler, le second debout en partant de la gauche, Dashiell Hammett, le dernier debout et à droite, et devant, assis, le second en partant de la droite le grand Horace McCoy
Beaucoup d’autres traits de style ont été relevés, d’abord l’humour, ou plutôt la dérision. C’est cette ironie qui permet à Marlowe de tenir le choc et d’encaisser. Il maintient toujours la distance avec son sujet. Cela se traduit par des dialogues souvent magnifiques, enlevés.
Et puis il y a cette façon de nous inciter à regarder au-delà des apparences dans un monde où règne l’hypocrisie des conventions sociales. Les riches ont le plus souvent un cadavre dans le placard, les policiers sont aussi souvent corrompus et brutaux, notamment ceux de Santa Monica qui est ici dissimulée sous le nom de Bay City.
Le Los Angeles de Raymond Chandler
L’écriture des romans a occupé Chandler entre 1939 et 1958. Il y a donc une unité de ton assez visible. Cependant, quand on lit les romans en continu, on se rend compte que des changements importants interviennent dans la vie de Marlowe, comme dans l’organisation de la vie américaine. C’est qu’en effet, la Seconde Guerre mondiale a eu lieu, et on en a eu des échos plus ou moins assourdis dans plusieurs épisodes de la saga de Marlowe. Et puis ensuite, l’Amérique reprend sa marche en avant vers la consommation à outrance et l’accumulation des richesses.
Raymond Chandler a été, comme on le sait, plutôt maltraité par la Série noire et Gallimard, les romans avaient été tronqués et les traductions saturées d’un argot parisien de mauvais aloi. La réédition récente de l’ensemble des romans mettant en scène le détective Philip Marlowe est une tentative de se racheter un peu. Mais décidément Chandler n’a pas de chance avec Gallimard. Contrairement à ce qui avait été fait pour Hammett, les traductions n’ont pas été refaites, elles ont été seulement bricolées. Et on a retenu les traductions de Boris Vian pour deux des romans. On peut aimer ou non Boris Vian, ce n’est pas le problème, mais à l’évidence ses traductions ne sont pas bonnes. Quand il s’agit de Chandler, préserver les traductions de Boris Vian n’a aucun intérêt, c’est une faute de goût justement parce que le but serait plutôt de nous livrer une traduction la plus fidèle au texte possible.
Omnibus a aussi publié l’intégrale des nouvelles de Raymond Chandler. Certes ça ne vaut pas les romans, mais c’est doublement intéressant, à la fois parce que ça nous permet de comprendre l’origine des romans, qui sont toujours un recyclage d’une ou de plusieurs nouvelles, et parce que ces nouvelles sont la matrice d’un style en devenir.
« Légitime violence, Serge Leroy, 1982Jim Thompson, Le criminel, The criminal (1953), Fayard noir, 1981 »
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