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Les frissons de l’angoisse, Profondo rosso, Dario Argento, 1975
Après le nouveau succès d’Argento avec 4 mosche de velluto grigio, il va passer à un exercice de style bien moins personnel. Il s’implique dans Le cinque Giornate, un film sur la révolution de 1848 qui vit le peuple de Milan se soulever contre l’occupant autrichien. Ces cinq journées sont bien entendu une date clé dans l’histoire de la formation de la nation italienne, mais elles accompagnaient les révolutions qui avaient lieu au même moment dans toute l’Europe. Ce n’était pas du tout un projet que devait réaliser Argento, au départ c’est Nani Loy qui devait s’y coller avec Ugo Tognazzi dans le rôle principal. Mais les deux s’étant désisté, c’est Argento, également producteur, qui va le prendre en charge. Le sujet historique est traité à la façon d’une comédie, avec Adriano Celentano dans le rôle principal. Il reste complétement atypique dans la carrière du réalisateur. Si le succès de ce film fut assez net en Italie, à l’international il sombra dans l’indifférence totale, particulièrement en France où je crois qu’il n’est même pas sorti. Certains ont voulu y voir une sorte d’exercice de style entre le western spaghetti et Wild bunch de Peckinpah[1]. C’est bien exagéré. Luigi Cozzi et Dario Argento ont bien participé à l’écriture ou à la réécriture du scénario initial, mais ça reste un projet assez peu personnel, un véhicule pour Adriano Celentano qui a cette époque était une grande vedette de la chanson et du cinéma. La critique italienne, la seule qui se soit vraiment intéressée à ce film, fut féroce, même si l’idée de présenter la révolution de 1848 du côté du petit peuple qui ne s’y croit pas vraiment impliqué est intéressante en elle-même. Malgré le peu d’intérêt artistique qu’on doit constater en ce qui concerne ce film, malgré quelques avancées formelles, on retiendra qu’Argento, quoiqu’on en dise, avait bien la fibre de la critique sociale, ce qui se remarquait moins dans ses gialli, mais qui ici est complètement évidente. Le faible succès de ce film va inciter Argento à prendre une nouvelle orientation. Cette fois, avec Profondo rosso, il prend vraiment le temps de travailler en amont du tournage. C’est du reste, à ce moment-là, son film le plus long. Le tournage prendra également son temps.
La voyante Helga Ulmann donne une conférence sur la voyance
Profondo rosso va être incontestablement un vrai tournant dans la carrière d’Argento. Si en trois ans il s’est taillé une belle réputation de réalisateur à succès, il n’en a pas fini d’évoluer, aussi bien du point de vue thématique que du point de vue formel. L’affiche originale annonce la couleur si je puis dire, elle répète celle de Vertigo d’Hitchcock, un homme qui tombe dans une sorte de puits sans fond, mais dont la spirale peut tout aussi bien représenter l’œil et le regard. Il va de soi que le titre italien, qu’on peut traduire par Rouge profond, est bien plus parlant que le titre français. Remarquez que David Hemmings est cet acteur avec des yeux plutôt globuleux qui était déjà la vedette d’un film célèbre, Blow up d’Antonioni, où le regard et la photo jouaient un rôle décisif. Profondo roso est le genre de film qui est tellement dense, aussi bien sur le plan thématique que sur le plan esthétique, qu’on pourrait facilement écrire un livre entier sur lui, plan par plan.
Helga a perçu un bruit dans son appartement
Marc est un pianiste de jazz anglais qui a vécu aux Etats-Unis et qui maintenant vit à Rome. Ailleurs, dans un théâtre, la voyante Helga Ulmann donne un conférence, mais elle doit s’interrompre parce qu’elle a vu quelque chose qui la trouble. Après la répétition qui a lieu dans une église, Marc revient dans son quartier où il retrouve son ami Carlo, un homosexuel alcoolique également pianiste. Il tente de le modérer, mais c’est peine perdue. Comme ils traversent la place vers le Blue bar, ils entendent un hurlement. C’est Helga qui est en train de se faire assassiner dans l’immeuble même où loge Marc. Celui-ci quitte Carlo et se précipite dans les étages. Il arrive trop tard, Helga expire dans ses bras, mais par la fenêtre, il a le temps d’apercevoir un homme avec un chapeau et un imperméable sombre. La police arrive sur les lieux, ainsi que la journaliste Gianna qui ouvertement drague Marc. Après l’interrogatoire de la police il va demander à son ami Carlo s’il n’a pas aperçu le meurtrier lui aussi. Marc est persuadé avoir vu quelque chose de décisif, mais il ne sait pas quoi. A l’enterrement d’Helga dans le cimetière juif, il retrouve Gianna qui lui propose de mener l’enquête avec lui. Mais il s’y refuse. Il va par contre rendre visite à la mère de Carlo qui elle aussi habite le même immeuble. Celle-ci qui a l’air un peu dérangée ne sait rien du tout. C’est à peine si elle sait où se trouve son fils. Celui-ci est en vérité ivre mort chez son petit ami. Grâce à ses réflexions et à son dialogue avec Gianna qui le bat au bras de fer, Marc tombe sur une petite contine pour enfants dont il achète le disque et qui le mène à un livre sur une villa dite de l’enfant qui hurle. Il va chercher à rencontrer Amanda Righetti qui a écrit un livre sur cette maison. Mais avant qu’il n’arrive à la joindre, elle est assassinée d’une manière sauvage après avoir été atrocement ébouillantée, elle a le temps de tracer sur la vapeur d’eau sur le rebord de la baignoire le nom du criminel.
Marc Daly va au Blue Bar retrouver son ami Carlo
Dès lors avec Gianna les détectives amateurs vont chercher cette villa mystérieuse. Ils vont la trouver à partir d’une plante rare qui sert d’ornement à cette maison baroque. Mais il lui faudra faire le tour des pépiniéristes de la ville. Cette maison rococo de grand style est maintenant inhabitée, un peu délabrée. Marc va rencontrer le gardien, tandis qu’il parle avec lui, une étrange petite fille rousse l’observe derrière ses volets. Le gardien lui confie les clés et il va explorer la maison. En navigant à travers les nombreuses pièces, il va découvrir, en grattant le mur, un dessin d’enfant qui manifestement représente un meurtre. Pendant ce temps le professeur Giordani qui en relation avec Marc va visiter la maison d’Amanda et découvre grâce à de la vapeur d’eau l’inscription qui accuse le coupable. Mais alors qu’il tente de communiquer avec Marc par téléphone, l’assassin intervient et le tue. Marc continue son enquête et retourne interroger la petite Olga, il découvre qu’elle a reproduit le dessin qu’il a découvert sur le mur. Il se demande si elle a pu pénétrer dans la maison, mais elle assure qu’en réalité elle a recopié un dessin qu’elle avait trouvé dans les archives du lycée où elle est scolarisée. Marc est obsédé par la maison, il va découvrir qu’une fenêtre a été murée, et en organisant une brèche dans le mur il découvre une pièce où gît un squelette. Mais il reçoit un coup derrière la tête, il est assommé. Quand il se réveille la maison brûle et Gianna est à son côté. Ils décident alors d’aller explorer les archives du lycée. Mais tandis que Marc est sur le point de trouver ce qu’il cherche, Gianna qui a perçu un bruit s’est éloignée et se fait poignarder à son tour. Marc va alors tomber sur Carlo qui tente de le tuer avec un revolver, mais il est abattu par la police qui intervient précipitamment. Gianna va être sauvée. Mais Marc n’en a pourtant pas fini parce qu’il sait qu’au moment du meurtre d’Helga, Carlo était avec lui et ne peut donc être le coupable de ce meurtre. Il décide de retourner dans l’appartement de la voyante pour tenter de comprendre ce qui l’avait troublé. Et là il se rend compte que le tableau qu’il avait cru voir était en réalité l’image du tueur qui se reflétait dans un miroir ! Derrière lui cependant la mère de Carlo arrive pour le tuer, elle explique que c’est elle qui a tué son mari qui voulait la faire interner. Après une courte lutte, elle va avoir son collier coincé dans l’ascenseur et en mettant l’engin en route, Marc va procéder à la décapitation de la meurtrière !
Il arrive trop tard pour sauver Helga
La première remarque qu’on peut faire c’est qu’il s’agit, au-delà d’une histoire de meurtres en série, d’une critique de la modernité, y compris dans le développement des pratiques homosexuelles qu’une fois de plus Argento met en scène. Carlo est en effet victime de la folie de sa mère, et c’est bien la domination de celle-ci sur son père et sur lui qui l’a induit à devenir homosexuel et à se méfier des femmes. Mais Marc est très ambigu. D’abord parce qu’il est ami avec Carlo et qu’il semble vouloir le protéger. On les voit se promener dans les rues de la ville comme un vieux couple. Et puis ils jouent du piano à quatre mains en y prenant manifestement plaisir. Dans une sorte d’inversion des valeurs traditionnelles, Marc apparait comme faible face à Gianna qui non seulement le bat au bras de fer, mais qui en outre le drague ouvertement, elle veut le mettre dans son lit. Elle y arrivera après avoir vaincu les réticences de l’objet de son désir, réticences qu’autrefois on attribuait à des femmes un peu prudes ! Cet aspect des relations sexuelles dans ce film n’est pratiquement jamais mis en avant par la critique. Certes beaucoup voient la critique de la modernité dans l’utilisation de l’architecture, mais beaucoup moins dans l’évolution des mœurs. C’est d’ailleurs Gianna qui conduit la petite Fiat dans laquelle Marc est obligé de se tenir recroquevillé, aplati sur un siège défoncé. Cette réticence à parler d’inversion des valeurs traditionnelles vient du fait que cela renverrait à une lecture « réactionnaire » du film.
L’enterrement a lieu dans le cimetière juif
La critique de la modernité est plus facile à percevoir dans les décors utilisés où sont opposés l’architecture et la statuaire mussolinienne, et les formes plus rococos ou baroques des périodes précédentes et qui représentent un sorte d’âge d’or disparu. Helga, la mère de Carlo et Marc lui-même vivent dans un immeuble moderne qui ouvre sur de vastes espaces vides. Quand Marc pénètre dans la maison de l’enfant qui hurle, il casse les murs pour construire des passages entre des mondes, ceux du passé et de la mort, et ceux d’aujourd'hui et de la vie, on a l’impression qu’il est là pour la faire revivre. Mais il n’aura pas le temps d’y parvenir, elle brûlera avant que les criminels soient mis hors d’état de nuire, comme s’il était trop tard. De même Amande Righetti qui a écrit un livre sur cette maison pour en garder la mémoire, vit dans une maison ancienne, au bord de nulle part, mais bien peu moderne. On pourrait dire encore que cette défense d’un monde traditionnel se voit dans la conférence d’Helga qui se tient dans un théâtre à l’ancienne, rouge sang, il s’y défend une forme de vérité par delà la rationalité matérielle. Helga sera assassinée, et le professeur Giordani aussi. Comme si on voulait faire disparaître ces rebuts d’un autre monde le plus rapidement possible. Ce théâtre est de même nature que celui que nous avions vu dans Quatre mosche de velluto grigio. En même temps il annonce que la vie n’est qu’une pièce de théâtre où chacun joue un rôle pour lequel il est plus ou moins fait. Il introduit un effet de distanciation d’emblée avec son sujet.
Amanda vient de trouver une poupée pendue
Mais en dehors de ce dialogue entre le passé et le présent, il y a cette maison de l’enfant qui hurle qui devient un personnage à part entière, ce que ne peuvent pas devenir les immeubles modernes. Faites de structures tarabiscotées, de volutes et d’ellipses, la maison appelle Marc. Elle dialogue avec lui. Elle est saturée de bruits étranges et chante presque puisque c’est une comptine qui a mis Marc sur sa piste. Cette maison compliquée recèle des pièces très différentes dans leur couleur. Certaines pièces sont bleutées, froide comme un tombeau, d’autres au contraire sont sombres et mystérieuses. Il faut avoir de bons yeux pour la comprendre. Il faut aussi la mériter Et Marc sera obligé de s’y reprendre en plusieurs fois pour en pénétrer le mystère, risquant de se casser la figure en l’escaladant. Cette maison n’est pas la même vue de l’extérieur et vue de l’intérieur, comme elle change d’aspect le jour et la nuit. Elle est vivante ! C’est pourquoi l’assassin voudra la détruire, parce qu’elle contient la mémoire des crimes qui s’y sont déroulés et reste comme un reproche vivant.
Un pépiniériste va mettre Marc sur la piste de la maison de l’enfant qui hurle
Outre les problèmes d’identité sexuelle, récurrents chez d’Argento depuis ses premiers films, il y a une discussion constante sur l’art en général, et plus précisément ce qu’il montre et ce qu’il ne montre pas. La peinture tient un rôle important, pivotal. Non seulement les tableaux qui meublent le couloir de l’appartement d’Helga et mentent puisqu’un miroir produit une image qui peut être confondu avec eux, mais Argento reconstitue le tableau d’Edward Hopper de 1942, Nighthawks, en le rebaptisant Blue Bar. Contrairement au tableau initial, le Blue bar ne va pas vraiment représenter la solitude, on le verra se remplir, puis on verra Carlo et Marc jouer du piano à quatre mains devant un public abondant. En passant d’une forme statique et endormie, à une vision enfiévrée, Argento démontre une fois de plus la supériorité du cinéma sur la peinture, d’autant que le cinéma amène la musique avec lui pour renforcer les visions qu’on peut avoir d’un lieu particulier. Jean-Baptiste Thoret souligne aussi dans ce film l’importance de la peinture de Giorgio De Chirico, aussi bien dans al mise en scène des rêves et de la solitudes, que dans la gestion même de l’espace urbain[2]. Même si certains passages sont contestables, la musique joue également un rôle majeur ici, et plus généralement dans l’œuvre d’Argento. Elle sert à renforcer l’identité de la maison, avec la contine, puis celle de Marc avec le piano qui hésite entre un jazz sophistiqué et une musique plus populaire.
La fille du gardien espionne Marc
Revenons à l’intrigue, elle nous présente un couple de détectives amateurs, comme nous en avons vu dans les trois précédents gialli d’Argento, qui tant bien que mal va tenter de percer le mystère de la mort d’Helga. La police est une fois de plus hors jeu, l’institution est faible face aux individus, et le commissaire chargé de l’enquête est une caricature qui fait attention de ne pas salir son beau costume, la police pense à faire grève au milieu du bordel ambiant. Tout cela est traditionnel chez d’Argento. Mais à partir de là on va bifurquer vers des formes plus sophistiquées qui troublent la linéarité de l’histoire. D’abord la petite fille Olga, personnage emprunté à Bava – la jeune actrice, Nicoletta Elmi, qui l’incarne, avait d’ailleurs joué dans Dellito del ecologia et dans Gli orrori del castello di Norimberga – elle est l’enfant qui représente le mal et non pas l’innocence. Rouquine, elle aime à torturer les lézards. Le rapprochement avec The exorcist de William Friedkin me parait évident. Ensuite la maison de l’enfant qui hurle est présentée comme peuplée de fantômes. C’est comme si la société dans son ensemble avait obligé les enfants à sortir de leur état d’innocence.
Marc explore la maison qui n’est plus habitée depuis longtemps
Parmi les éléments environnementaux qui définissent l’identité du film, il y a des objets, les intérieurs sont soignés, surchargés, comme l’appartement du professeur Giordani. Mais ce qui frappe ici ce sont ceux qui rappellent l’enfance. Les poupées, l’automate au visage poupin qui marche vers Giordani pour l’assassiner, ou encore les billes qui rappellent non seulement la forme de l’œil, mais qui évoquent le destin inexorable vers lequel on roule. Ces billes sont empruntées d’ailleurs dans leur mouvement comme dans leur symbolique au Mario Bava de Cinque Bambole della luna d’agosto. Comme on le voit les emprunts d’Argento à ses prédécesseurs sont bien plus discrets que dans sa trilogie animalière, les oiseaux de la maison d’Amanda ont la même allure que ceux d’Hitchcock. La prééminence de la vision sur les autres sens, y compris l’intelligence est représentée par les yeux globuleux de Marc, mais aussi par cette façon de montrer seulement les yeux de l’assassin. En fait les assassins sont deux, comme dans L’ucello dalle piume de cristallo où le mari devenait le complice actif de sa femme totalement folle, simplement par amour. Ici c’est le fils qui se lance dans le crime pour, en quelque sorte, protéger sa mère. Mais les visions d’Helga sont aussi comme un œil intérieur, un autre regard. Et puis Argento utilise à nouveau cette caméra subjective qui prend le point de vue de l’assassin, cette fois c’est bien moins appuyé.
En grattant le mur il découvre un dessin qui représente un crime
Dans Profondo rosso, Argento adopte une forme de discontinuité du récit, passant d’un protagoniste à l’autre, comme s’il oubliait parfois que l’assassin rôde et va tuer à nouveau, mais aussi en mêlant des temporalités et des rythmes différents à l’enquête lente et difficile s’oppose l’agitation de la vie moderne, la salle de rédaction par exemple où travaille Gianna, ou les locaux de la police où il est impossible de s’entendre. Si les décors sont très soignés comme on l’a déjà dit, la mise en scène l’est tout autant. Il y a de beaux angles de prises et vue et un montage qui allie habilement les plans rapprochés et les plans plus large, mettant l’accent sur ce que les personnages ressentent, la peur. Il utilise parfaitement la profondeur de champ, et il est capable d’user de la verticalité dans les prises de vue dès lors qu’il s’agit de présenter les immeubles où se sont déroulés des crimes sanglants. Mais surtout ce qui frappe ce sont les couleurs. Argento revient ici à une chromatique qui respecte beaucoup plus l’approche du giallo à la Bava, surtout de Sei donne per l’assassino. Donc si le rouge est très présent, la scène d’ouverture sur la conférence dans le théâtre est saisissante, il fallait beaucoup d’audace pour utiliser autant de rouge profond pour signifier cette folie. Argento va aussi utiliser aussi les bleus dans l’appartement d’Helga notamment, et même le jaune vif du taxi. En contrepoint on aura des gris et des beiges qui donnent encore plus d’importance aux couleurs primaires.
Le professeur Giordani voit s’avancer une marionnette mécanique
Une des particularité de ce film est que les meurtres, s’ils sont sauvages, sont tous très différents, l’un est étranglé, l’autre voit sa figure fracassée contre le bord d’une table, une femme est ébouillantée, Gianna sera poignardée, etc. Le film s’ouvre d’ailleurs sur le meurtre du père sous les yeux de l’enfant. Les meurtres ne sont pas tout à fait filmés directement. Le premier meurtre est filmé comme une ombre sur le mur, puis, on voit le couteau ensanglanté tomber auprès des chaussures d’un jeune garçon. Ou alors on filme les mains gantées de l’assassin pour suggérer une menace, ce sont les mains d’Argento qui sont utilisées. Ce qui est caché et suggéré devient donc aussi important que ce qui est montré, on n’a plus besoin de détaillé longuement le meurtre. Ce sera fait une seule fois pour la noyade d’Amanda Righetti.
La petite Olga a reproduit le dessin que Marc avait trouvé sur le mur
Il n’y a pas grand-chose à redire à l’interprétation. David Hemmings est l’acteur adéquat pour rappeler tout ce que doit Argento à Antonioni. Il est bon dans ce rôle d’un homme fragile guetté par le doute. Les femmes sont cependant meilleures. Le film s’ouvre sur un numéro vraiment exceptionnel de Macha Meril dans le rôle d’Helga la voyante. Je crois qu’elle n’a jamais trouvé un autre rôle de cette importance, de cette intensité dramatique. Mais le scénario fait qu’elle quitte rapidement le film puisqu’elle est assassinée et enterrée. Et puis il y a la très dynamique Daria Nicolodi dans le rôle de Gianna la journaliste dragueuse et effrontée. C’était son premier film avec Dario Argento, mais elle allait devenir indispensable au metteur en scène qui va vivre une longue liaison avec elle, elle sera la mère d’Asia Argento, et participera à l’écriture de plusieurs des film suivants de Dario Argento. Clara Calamaï est la mère tueuse et folle. Dario Argento l’a choisie comme un symbole de la période mussolinienne. A cette époque elle était une grande vedette et on se souvient d’elle aujourd’hui surtout dans Ossessione, l’adaptation de Visconti du roman de James Caïn, The postman always rings twice , sorti en 1943. Ce sera son dernier rôle. Les acteurs masculins sont moins intéressants, Gabriele Lavia incarne Carlo, l’alcoolique pianiste, il est assez lourd, même s’il est vrai qu’il n’est jamais très simple de jouer les hommes ivres si on n’est pas en état d’ébriété. Passons sur Eros Pagni qui interprète le commissaire Calcabrini, le rôle veut qu’il soit lourd, et il l’est !
Marc a compris qu’une fenêtre a été murée
La musique est assez moyenne quoi qu’on en dise et malgré la volonté d’Argento d’en faire un partenaire à part entière. Elle est due à la fois Giogio Gaslini et au groupe de rock progressif Goblin. La ritournelle qui rythme le film, notamment lors de la visite de la maison, est entêtante à souhait, mais souvent cela dérape, passant du jazz au rock sans qu’on comprenne bien pourquoi. Argento s’est disputé d’ailleurs avec son musicien qui ne comprenait pas toujours ce qu’il voulait faire. A la place de The Goblins, Argento aurait aimé avoir plutôt The Pink Floyd. Cela traduit beaucoup d’incertitude au niveau de la bande son. Cette bande son se présente aussi comme intégrant les bruits de la vie moderne qui apparaissent bel et bien comme une agression, c’est net dans les scènes qui utilisent la maison d’Amanda.
Avec Gianna, Marc explore les archives du Lycée Leonardo Da Vinci
Le film reçu un accueil critique très négatif. Mais il triompha dans les salles en Italie et aux Etats-Unis. La France où il sorti deux ans après l’Italie, dédaigna lui rendre hommage, et les entrées y furent médiocres, à mon sens il faut y voir l’emprise de la critique de type Nouvelle Vague sur les distributeurs pour qui le cinéma italien se confondait largement avec le cinéma « auteuriste » comme on dit. Argento était encore plus considéré comme un pestiféré que Bava ! Mais depuis, avec le temps, ce film a été reconnu comme un grand film et c’est heureux. On en trouve facilement de belles copies de ce film, notamment l’édition Blu ray de Wild Side qui contient de nombreux bonus, avec des interviews de Dario Argento et de Luigi Cozzi, mais également une interview de Macha Méril plus inattendu puisqu’elle parle du travail de direction d’acteur de Dario Argento.
Carlo veut tuer Marc
Ultime rencontre avec le tueur
« Quatre mouches de velours gris, 4 mosche di veluto grigio, Dario Argento, 1971En librairie le 3 novembre 2022 »
Tags : Dario Argento, David Hemmings, Daria Nicolodi, Macha Meril, giallo
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