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Les tueurs de la lune de miel, Honeymoon killers, Leonard Kastle, 1969
C’est ce qu’on appelle un film-culte, un film qui n’existe qu’en un seul exemplaire et qui étonne par la façon dont il est filmé et mis en scène. Inspiré de faits réels, le film raconte la saga criminelle de Martha Beck et de Raymond Fernandez. Une infirmière en chef qui se sent un peu seule répond sous l’insistance de son amie à des lettres qui lui sont envoyées par un inconnu, Raymond Fernandez, à la suite de son inscription sur un site de rencontres. En vérité Raymond est un escroc qui drague les femmes seules pour leur soutirer de l’argent. Mais Martha et Raymond tombent amoureux l’un de l’autre, si bien que Ray lui avoue son curieux métier. Mais Martha admet tout cela, et ce d’autant plus qu’elle se fait virer de son travail par un directeur pointilleux. Dès lors elle va accompagner Raymond à travers l’Amérique pour aller à la rencontre de proies plus ou moins faciles à plumer, parfois d’ailleurs ils doivent renoncer. Dans un premier temps Raymond et Martha ne sont pas des assassins, mais de simples escrocs qui abandonnent leurs victimes une fois qu’ils les ont dépouillées. Cependant les circonstances vont les pousser à commettre des meurtres violents. C’est d’abord Martha qui empoisonne une des conquêtes de Raymond, mais ensuite il faudra tuer à coups de marteau, et là on ne se trouve plus dans la même catégorie de crimes. Cependant Martha est jalouse des relations que Raymond entretient avec ses victimes, et ce d’autant qu’il lui fait des mensonges qu’elle a du mal à supporter. Elle finira par les livrer tous les deux à la police après qu’ils aient assassiné une femme et sa petite fille.
Martha s’ennuie dans son métier d’infirmière en chef
C’est le même principe que Landru, le but est de ne s’attaquer qu’à des femmes qui paraissent assez nanties et qui sont seules, vaguement désespérées et sans appui. Sauf que s’ajoute ici l’idée du bonheur dans le crime. Si au départ Raymond n’est qu’un petit escroc, il va trouver une certaine jouissance dans le crime : il en aimera que plus Martha ! Quoiqu’on en dise, c’est une histoire d’amour fou. Car si le prétexte des meurtres est l’argent, une manière de vivre sans travailler, en réalité c’est aussi le moyen d’unir le couple dans un lien quasiment indissoluble. Ce couple est d’autant plus extraordinaire qu’il est physiquement improbable. D’un côté on a Raymond, gigolo de supermarché aux cheveux gominés, qui entretient sa forme et soigne son physique. De l’autre, Martha, est une femme très forte qui passe son temps à manger sans tenir compte de son apparence physique. Certes au début on a l’impression que Martha est seulement la femme dévouée de Raymond, mais rapidement on comprend qu’ils sont tous les deux très attachés l’un à l’autre.
Ray épouse des femmes seules pour les dépouiller
Le film est, au-delà d’un portrait de deux psychopathes, aussi une image de la misère affective de la population américaine, coincée, isolée derrière un mode de vie sans attrait et sans plaisir. Les portraits de victimes sont à la fois cruels et touchants. Des êtres abandonnés qui cherchent à se raccrocher contre toute évidence à des illusions. Janet qui pourtant est très près de ses sous, va finalement confier toute sa fortune à Raymond, non pas parce qu’elle est généreuse, mais parce qu’elle veut croire qu’elle a trouvé en Raymond l’âme sœur. Martha n’est pas cynique, elle a sous ses allures rugueuses et ses manies de tueuse un cœur de midinette. Raymond est l’amour de sa vie, quoi qu’il fasse, quoi qu’il lui fasse faire.
Ray et Martha se font passer pour frère et sœur
Lors de sa sortie, le film fut considéré comme violent et très audacieux. Bien entendu, aujourd’hui cela parait assez prude, on ne verra qu’un seul meurtre en direct. Il faut se rappeler que nous sommes en 1969, l’année de la sortie de La horde sauvage, un autre film qui marqua les esprits par sa violence cette fois vraiment très crue et matérialisée à l’écran par des images sanglantes. Dans cette période très particulière qui avait des airs de révolution, le cinéma avait fait sauter les verrous de la bienséance et abordait de front le problème de la violence sous toutes ses formes. On voit bien dans le film que nos deux tueurs s’opposent à des formes de vie plus policées, ils sont la subversion des valeurs ordinaires. Bien sûr ils ont le vague désir de se fixer et de vivre une vie ordinaire… une fois qu’ils auront réuni l’argent nécessaire. Mais on ne croit pas une minute qu’ils sont mus par cette volonté : c’est bien le crime qui les soude, et si Martha les dénonce à la police ce n’est pas seulement à cause de sa jalousie, c’est aussi pour éviter le face à face avec Raymond dans une vie trop ordinaire. On remarquera que nos deux « héros » ne sont jamais opposés à la vie ordinaire, on ne les verra pas confrontés ni à la police qui vient les arrêter, ni même à un tribunal. C’est à peine si on aura une image de Martha en prison quand elle est séparée de Raymond et qu’elle lit une de ses lettres amoureuses. Le film est relativement sobre, puisque dans la réalité Martha et Ray auraient assassiné une bonne vingtaine de personnes.
Martha a peur que Ray ne l’abandonne
Curieusement la manière minimaliste de filmer – le budget est réduit à sa plus simple expression – donne une esthétique singulière au projet de Leonard Kastle. Non seulement les gros plans sont très nombreux, mais il utilise aussi une caméra portée à l’épaule qui évite de se poser la question du cadre, et donc qui intègre des plans découpés en dehors de toutes les normes établies en la matière. D’ailleurs il n’y a que très peu de plans d’extérieur, et pourtant ça ne ressemble jamais à du théâtre, sans doute parce que la caméra ne pose pas de problème de déplacement aux acteurs. Cette façon bien peu académique de filmer cerne au plus près les motivations et les sentiments des deux amants. Elle les traque dans tous les coins, sans leur laisser de répits. C’est le seul film de Leonard Kastle, mais quel film ! Certains ont regretté qu’il n’ait fait qu’un seul film, mais il n’est pas certain qu’il aurait pu en faire un second de cette qualité. Il y a une sorte de spontanéité halluciné qui n’est pas ordinaire. Leonard Kastle était un metteur en scène d’opéras, un compositeur, aussi librettiste. C’est lui qui a écrit le scénario. Nous sommes à la fin des années soixante où on pense que n’importe qui peut faire un film ou de la musique pour peu qu’il ait du cœur et des idées. Je pense par exemple à Chappaqua suite de Conrad Rooks qui date de 1965, ou encore à The cool world de Shirley Clarke qui date de 1963. C’est une manière de réinventer le cinéma sans se préoccuper de son histoire antérieure.
Leur combine étant éventée, ils doivent repartir pour New-York
L’interprétation est exceptionnelle. Shirley Stoler est Martha, elle joue remarquablement de son physique renfrogné et manifeste ses sentiments changeants vis-à-vis de Raymond. Elle impressionne évidemment, présentant même une certaine noblesse de comportement. On la reverra plus tard dans d’autres films comme Voyage au bout de l’enfer de Cimino, mais elle semblera au fil du temps rentrer dans le rang. Raymond est incarné magistralement par Tony Lo Bianco qui fera ensuite carrière dans des petits rôles de gangster ou de policier, on le vit dans les années soixante-dix, chez Friedkin, Lumet ou Robert Mulligan. Dans les années quatre-vingts, il ne tourna presque plus que pour la télévision. Bien entendu le film est centré sur le couple, exclusivement, ce qui ne veut pas dire que le reste de l’interprétation est sans importance, au contraire tous les seconds rôles, essentiellement des femmes vieillissantes, sont choisis avec un soin particulier par des acteurs de second rang, inconnus, mais combien efficaces.
Janet est un parti prometteur
Il reste de ce film des scènes mémorables, comme la dispute que Raymond et Martha ont au bord de la mer et qui pousse celle-ci à se noyer, Raymond étant obligé d’aller la secourir tandis qu’une femme qui devait épouser Raymond les contemple effarée. Ou encore le meurtre de Janet Fay à coups de marteau bien maladroits. Etant donné son budget exsangue, on parle de 150 000 $, le film de Kastle fut certainement un des projets les plus rentables ! Originellement il avait été prévu pour la télévision. Il parcourut le monde entier, obtint des prix et la reconnaissance critique dans tous les pays.
Pour la petite histoire, on rappellera qu’à l’origine c’est Martin Scorsese qui devait mettre en scène ce film, mais il se fit virer au bout de deux journées de travail, et c’est là que Kastle s’improvisa réalisateur ! Egalement alors que la véritable histoire est située à la fin des années quarante, ici ce sont les années soixante qui servent de décor.
Quoi qu’il en soit le film tient bien la route et se revoit avec grand plaisir près de cinquante années après.
Les vrais « héros » de cette histoire d’amour
« The Sugarland express, Steven Spielberg, 1974Meurtres dans la 110ème rue, Across 110th Street, Barry Shear, 1972 »
Tags : Leonard Kastle, serial killers, Shirley Stoler, Tony Lo Bianco, Martin Scorsese, film noir
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