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Live by night, Ben Affleck, 2017
Le premier film de Ben Affleck était déjà une adaptation de Dennis Lehane, Go baby gone, il y a une dizaine d’années. On a considéré à juste titre que cette œuvre était tout à fait prometteuse. Puis, dans le genre néo-noir, il réalisa The town en 2010, un très bon film noir d’après un ouvrage pourtant assez moyen de Chuck Hogan. En 2017 il revient une fois de plus à Dennis LeHane et à Boston, avec une thématique qui mêle des histoires de mafieux à quelques obsessions sur la corruption et la difficile cohabitation des différentes ethnies dans la communauté. Dennis Lehane est un écrivain assez appliqué et parfois un peu démonstratif dans les messages qu’il tente de faire passe, et parfois on perd de vue le fil de l’intrigue et les personnages dans sa volonté de mêler petite et grande histoire. En tous les cas Ben Affleck nous affirme qu’il portait ce projet depuis 2012, et donc qu’il lui tenait à cœur.
Joseph Coughlin est le fils d’un policier de haut rang. Mais il a choisi le crime comme moyen d’existence. Individu plutôt libre, il refuse de rentrer dans les bagarres entre la mafia italienne et les gangs irlandais qui tentent de s’approprier le marché de l’alcool prohibé. Joe préfère vivre du braquage des banques ou du braquage des parties de poker. Nous sommes en 1926. Mais Joe est un bandit romantique et il s’est amouraché d’Emma qui se trouve être en même temps la maîtresse d’Albert White, un boss de la mafia irlandaise. Pescatore, le chef de la mafia italienne, va se servir de cela pour faire chanter Joe. Celui-ci refusant le marché, Pescatore va faire savoir à White que sa maîtresse le trompe. Le très susceptible White va se venger et se propose de tuer à la fois Joe et Emma. Mais in extremis Joe va être sauvé par son propre père et partir en prison pour plusieurs années pour un braquage qui a mal tourné. Supposant qu’Emma a été tuée par White, Joe va se rapprocher de Pescatore pour se venger. Il va se mettre au service de la mafia italienne un peu à contre cœur. Il va s’occuper de l’approvisionnement en alcool de Boston à partir de la Floride. Il s’installe à Ybor et se met en relation avec des Cubains, un frère et sa sœur, Graciella, dont il va tomber amoureux. Mais si le shérif est dans la main de Joe, celui-ci va se heurter au Ku Klux Klan qui veut lui aussi sa part du gâteau. Mais l’ennemi principal de Joe est R.D. le propre beau-frère du shérif qui se met à le rançonner. Pour s’en débarrasser Joe va faire du chantage sur le shérif en lui montrant des photos de sa fille Loretta qui, soi-disant partie à Los Angeles pour faire du cinéma est tombée dans la turpitude et la drogue dure. Dans le même temps il va tenter de monter un casino, en prévision de la fin de la prohibition. Il va liquider ensuite R.D. mais le shérif Figgis entre temps a récupéré sa fille, et celle-ci s’est mise à prêcher contre le vice et donc contre le futur casino. Joe doit renoncer, mais ce n’est pas du goût de Pescatore qui décide de le remplacer par son propre fils. Joe a pourtant de la défense, il va réagir et il va liquider purement et simplement toute la bande de Pescatore. Entre temps il a appris qu’Emma n’est pas morte en 1927. Il va aller la voir, et se rendre compte que celle qui fut son premier grand amour ne l’a peut-être jamais aimé. Il s’en va retourner vers Graciella avec qui il a un fils, et comme il a décidé de se retirer du banditisme, il sa se consacrer avec elle à construire des logements pour les nécessiteux. Tout pourrait bien se terminer, si Loretta ne s’était suicidée de désespoir en se tranchant la gorge. Cela va déclencher la folie meurtrière de Figgis qui va tenter d’assassiner Joe. Celui-ci va l’abattre, mais dans la fusillade, Graciella est mortellement blessée. Dès lors Joe ne se consacrera plus qu’à son fils.
Le braquage de Laurence va mal tourner
C’est la règle du genre du néo-noir de construire des histoires touffues qui se déroulent sur plusieurs années et qui s’appuient sur une analyse particulière de l’histoire. On reconnait les thèmes souvent traités par Lehanne comme la relation au père, les conflits familiaux, ou encore la difficulté des différentes ethnies à faire des Etats-Unis autre chose que la juxtaposition de communautarismes opposés. Il y a donc un côté militant dans cette histoire : un appel à l’ouverture vers les autres et une critique de la mafia comme image du capitalisme sauvage. C’est bien dans la lignée des films de Ben Affleck. Le fil conducteur est le portrait, l’évolution, d’un jeune bandit qui a choisi cette voie contre les ambitions de son père, et son passage fatal d’une forme de délinquance joyeuse et ludique au grand banditisme et aux activités mafieuses. Joe est un romantique contrarié qui n’exerce la violence que pour se prouver qu’il en est capable, mais au fond il court après d’autres rêves bleus. L’évolution de Joe se fait en passant de Boston à la Floride où les possibilités de se faire une place au soleil sont plus nombreuses que dans le Nord et où les relations sociales paraissent plus simples. La prohibition est le contexte politique dans lequel les caractères se forment et se crispent, le puritanisme est présenté ici comme l’expression d’une ethnie particulière, les WASP qui se sentent dépossédés de la maîtrise du pays par ceux qui sont venus un peu après eux : les catholiques, les hispanisants, les juifs et les noirs qui peu à peu s’émancipent.
Joe se débrouille pour être au rendez-vous d’Emma
Le scénario est suffisamment dense pour qu’on s’intéresse au film jusqu’à la fin. Cependant, il faut bien reconnaître que la réalisation n’est pas tout à fait satisfaisante. Il y a un aspect trop bien léché en ce qui concerne la reconstitution. On y a mis des moyens, peut-être trop. Et cela semble avoir effrayé un peu Ben Affleck qui a du mal à donner un rythme soutenu à l’ensemble. Dans The town, les scènes d’actions étaient remarquablement bien tournées, ici c’est assez plat, même quand il s’agit de braquer une banque et de poursuites en voitures. Tout semble un peu trop propre. Les costumes sont trop bien repassés et les automobiles n’ont pas un grain de poussière sur leur carrosserie. Même les noirs semblent prospères. Or nous sommes, vers le dernier tiers du film, au moment de la Grand dépression, et cela ne se voit pas, tout semble continuer comme avant. Si on avait donné un peu plus de corps à la misère, cela aurait peut-être mieux fait comprendre pourquoi le désarroi poussait les gens vers les prédicateurs d’apocalypse. On retrouvera Emma qui s’est retirée du monde et qui, ayant abandonné son mode de vie clinquant, balaie tranquillement devant la porte de son immeuble. Mais elle est toujours aussi pimpante et toujours aussi bien maquillée.
Joe va tomber amoureux de la belle cubaine, Graciella
Il y a pourtant de très bonnes scènes, comme au début du film quand Joe se balade dans les rues populaires de Boston, ou les prêches de Loretta qui rappellent un peu la folie d’Elmer Gantry. Les décors sont aussi très bien choisis. Ce qui ne va pas, c’est la photo façon carte postale : que ce soit Boston et encore plus la Floride, l’usage de la lumière lisse l’ensemble des comportements individuels qui en deviennent anodins. Le règlement de comptes final, à la manière du Parrain, arrive cependant à échapper à cette présentation un peu plate d’une réalité violente. On appréciera aussi sans doute ce portrait grimaçant du Ku Klux Klan, à la fois comme un ramassis de cinglés et de personnes apeurées par un monde qui est en train de se bouleverser. Mais tout cela manque de continuité, de fluidité.
Le Ku Klux Klan s’oppose violemment aux entreprises de Joe
L’autre problème qui a été souligné est celui de l’interprétation. D’abord Ben Affleck. Alors qu’il a le premier rôle, il se met curieusement en retrait. Cet excès de modestie qui n’existait pas dans The town, nuit à la crédibilité de l’ensemble. Il est en outre étrangement maquillé et ne se sert pas suffisamment de sa haute taille et de sa prestance physique. Les femmes sont plutôt pas mal. Sienna Miller est la belle Emma avec beaucoup de malice et de subtilité. On la verra regretter sans le dire vers la fin du film d’avoir songé un peu trop à s’amuser, et pas assez à construire quelque chose. Elle Fanning est excellente dans le rôle de Loretta, particulièrement quand elle exprime ses doutes quant à l’existence de Dieu. Zoe Saldana est un peu moins intéressante dans le rôle de Graciella. Elle joue trop de son physique et fige ses sourires. Quelques bons seconds rôles masculins éclairent le film : Chris Cooper dans celui du shérif Figgis qui culpabilise d’avoir laissé sa fille partir vers Hollywood, royaume de la turpitude, ou l’extraordinaire Matthew Maher dans celui de R.D., l’allumé du Ku Klux Klan, à qui il donne beaucoup d’énergie. On reconnaitra au passage Titus Welliver dans un petit rôle, et on remarquera qu’il est de tous les films réalisés par Ben Affleck.
Loretta prêche maintenant la lutte contre le vice
Le film qui a eu un budget de 65 millions de dollars et auquel Leonardo Di Caprio, en tant que producteur, a apporté sa caution est d’ores et déjà un échec à la fois critique et commercial. Il ne couvrira pas ses frais. On ne sait pas si cela ralentira la carrière de metteur en scène de Ben Affleck qui jusqu’ici n’avait connu que des succès. En attendant, il pourra toujours se consoler en continuant à incarner Batman dans une série de films à succès, même si elle n’a guère d’intérêt par ailleurs. Shutter Island adapté de Dennis Lehane avait été un très gros succès critique et commercial. D’autres romans de Lehane avaient aussi été portés à l’écran avec succès. Mais il est possible que le caractère très touffu des derniers romans de Lehane soit maintenant un obstacle à des adaptations cinématographiques satisfaisantes.
Joe va régler ses comptes
Tags : Néo-noir, Ben Affleck, Mafia irlandaise, Prohibition
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