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Paiement cash, 52 Pick-up, John Frankenheimer, 1987
Frankenheimer fait partie de ces cinéastes qu’on redécouvre de loin en loin. Sans que sa filmographie soit homogène et toujours excellente, elle n’en recèle pas moins quelques perles, notamment les films qu’il a tournés avec Burt Lancaster, et quelques films noirs et néo-noirs qui valent le détour. Ici il porte à l’écran un roman d’Elmore Leonard, auteur prolifique autant que surestimé selon moi, qui dans les années quatre-vingts est apparu comme nouveau dans l’écriture des romans noirs. En effet, il ne se perd pas dans les détails psychologiques et s’intéresse plus à l’action, le plus souvent brutale et sanglante. Ses romans ont été très souvent portés à l’écran, avec quelques réussites dans le western comme Hombre ou 3 h 10 pour Yuma. Il y a cependant une unité relative dans son travail : c’est principalement la confrontation d’un homme ordinaire avec une violence qui d’abord le dépasse mais qui ensuite le force à agir et à ramener un semblant d’ordre dans le chaos social. Il a donné des sujets aussi bien pour Charles Bronson (Mister Majestyk) que pour Clint Eastwood (Joe Kidd), et c’est lui qui est encore à l’origine du film de Quentin Tarantino, Jackie Brown.
Harry Mitchell est un entrepreneur prospère qui travaille dans la métallurgie et qui, on le comprend, s’est élevé dans la société à la force du poignet. Sa femme est également très en vue dans les élections locales. Ils ont une aisance matérielle certaine : ils possèdent une très belle maison également. Mais Harry s’est amouraché d’une jeunesse, Cini, et il a trompé sa femme. Cela n’aurait rien d’extraordinaire, si, alors qu’il s’apprête à rompre avec elle, il n’allait être soumis à un chantage par trois demi-sel qui ont des ambitions qui les dépassent un peu. En effet, ils se sont servis de Cini pour tourner des vidéos compromettantes et ils menacent de tout dévoiler. Ils veulent beaucoup d’argent. Harry avoue sa faute à sa femme et décide de payer pour ne pas nuire à la carrière de celle-ci. Mais le trio a les yeux plus gros que le ventre, et dans une espèce de surenchère qu’ils ne semblent pas vraiment maitriser, ils vont tuer Cini et accumuler des preuves accablantes prouvant la culpabilité d’Harry qu’ils veulent rançonner de 100 000 dollars tous les ans. Après avoir vu de ses yeux le meurtre qu’ils ont filmé, et en dépassant le moment de l’accablement, Harry va tenter de réagir. Comme le trio est aussi un peu fait de branquignoles, Harry va rapidement remonter la filière et les retrouver dans un quartier un peu glauque où ils font commerce de pornos et de putes. Dès lors, Harry va s’arranger pour les monter astucieusement les uns contre les autres, notamment en les appâtant avec 52 000 $ - d’où le titre du film. Bobby va éliminer Leo, puis Alan va à son tour tuer Bobby. Pour continuer à faire chanter Harry, il va franchir un nouveau palier, kidnapper Barbara et la droguer. Mais Harry vaincra très finalement Alan et retrouvera sa femme. Non seulement il utilisera la fourberie, mais aussi son savoir-faire de mécanicien et de bricoleur pour liquider cette bande bien peu sympathique.
Harry Mitchell est un petit entrepreneur prospère
Le film est assez proche du livre, sauf qu’il a été dépaysé de Detroit à Los Angeles. Detroit était plus logique puisque c’était à l’époque une ville industrielle. Il y a dans cette histoire un petit côté prolétaire mâtiné de rêve américain qui est d’ailleurs assez fréquent chez Elmore Leonard. Et sans doute on comprend mieux que Harry ait eu la tête tournée par sa réussite matérielle. Il y aura d’ailleurs une scène pathétique quand il avoue à sa femme qu’il a eu une liaison. Elle lui demande l’âge de sa rivale et il lui annonce piteusement 22 ans. Ce qui fait craquer le maquillage de son épouse.
Harry avoue à sa femme qu’il l’a trompée
Les affres que subit Harry, sont son chemin de croix : il a pêché et doit se racheter, non seulement aux yeux de sa femme qu’il a trahie, mais aussi à ses propres yeux. Il paye quelque part son trop grand amour des choses matérielles. Trop préoccupé par l’accumulation de signes extérieurs de riches, une maison, une automobile de collection, une maitresse jeune et jolie, il a négligé la seule chose qui a de la valeur : la famille. D’ailleurs dans un geste un peu fou, à la fin du film il sacrifiera sa belle voiture de collection ! Le point de vue moral est d’autant plus présent que les voyous qu’Harry doit affronter sont complétement dégénérés, à la violence et au meurtre ils ajoutent la turpitude sexuelle et la drogue. Ce sont des délinquants crasseux qui ne voient guère plus loin que leur action immédiate, condamnés de multiples fois par le passé, ils sont sans morale et n’hésitent pas à se trahir pour arrondir leur pelote. Ils traficotent dans les commerces du sexe, prostitution, sex centers. Alan qui paraît le chef de ce trio d’abrutis est une sorte de cinéaste raté. C’est lui qui filme les turpitudes du trio, comme s’il se prenait pour un vrai réalisateur et qu’il prenait sa revanche sur un système qui l’a rejeté. On a l’impression que cette bande évolue dans les rebuts d’Hollywood. Mais s’ils sont des victimes d’un système mercantile et clinquant, ils sont d’abord des prédateurs. Le trio ressemble sur le plan psychologique à cette bande de délinquants que Burt Lancaster affrontait dans Le temps du châtiment déjà en 1961, mais à cette époque John Frankenheimer pariait sur les possibilités de rédemption, alors qu’ici la seule solution est devenue l’élimination. L’évolution de Frankenheimer est donc le reflet de celle de la société américaine, et en effet c’est au cours des années 80 que le monde occidental, en même temps qu’il basculait dans la mondialisation et la déréglementation économique, durcissait son discours face aux délinquants qui, dans les années soixante-dix étaient présentés d’abord comme les victimes d’une société injuste.
Harry assiste à l’assassinat de Cini
Je ne sais pas trop si c’est ce point de vue moralisateur qui plombe le film, comme si Frankenheimer doutait de la pertinence de son propre discours, mais l’ensemble parait assez artificiel et assez peu subtil. Les relations entre Barbara et Harry sont filmées de telle sorte qu’on a l’impression que tout cela ressort non pas de la faute d’Harry, mais de l’attitude de sa femme qui tarde à lui permettre de faire amende honorable. Frankenheimer a toujours aimé filmer les scènes d’action. Ici on en trouve quelques-unes, mais sans doute pas assez. Il y a les poursuites automobiles, ou encore la manière dont les comparses d’Alan se font éliminer, ou cette très bonne scène dans laquelle Harry doit affronter le redoutable Bobby. Il y arrivera d’ailleurs, mais, signe des temps, grâce à l’aide de sa femme ! Le film se déroule comme suit : dans le premier tiers Harry constate les dégâts de son inconduite, puis dans le second il met en place une redoutable mécanique, et enfin dans le troisième tiers il règle ses comptes. Probablement cela est un handicap pour le bon fonctionnement du film : Harry réagit trop tardivement. Mais enfin il y aussi une très bonne utilisation des décors urbains et particulièrement des zones déshéritées de Los Angeles. Rien que cela ça vaut le détour, ce sont des lieux assez peu souvent filmés. Cet aspect du film est très réussi.
Harry a maîtrisé le sinistre Bobby
La distribution est très bonne pour un film bourré de testostérone. Roy Sheider qui était un acteur très solide est très bien, quoique sa coupe de cheveux soit un peu bâclée. Dans le rôle d’Harry, qui est un ancien de la Guerre de Corée, il bout d’impatience d’agir – et nous aussi d’ailleurs nous sommes impatients de le voir passer à l’action alors que ça traine un peu tout de même. C’était un acteur comme on sait très physique. Ann Margret interprète Barbara. Elle était à cette époque en perte de vitesse, ici elle est pathétique dans le rôle d’une épouse vieillissante qui est en train de perdre ses charmes et qui tremble de perdre aussi son mari. Le trio de gangsters un peu abruti est très bien aussi, quoi que dans le rôle de Leo Robert Trebor en fasse peut-être un peu trop. Mais après tout ces gangsters à la mie de pain sont présentés comme des personnages extravagants qui ne savent pas très bien ce qu’ils font. On remarquera dans le rôle d’une prostituée, la très belle Vanity, une chanteuse à succès qui avait joué un rôle dans le lancement de la carrière de Prince.
Alan kidnappe Barbara
Si le film se laisse voir, il est assez vite oublié aussi, et on peut le considérer comme une œuvre mineure aussi bien dans la carrière de John Frankenheimer que dans celle de Roy Sheider. Le film a été produit par la firme Cannon qui a cette époque avait été rachetée par Menahem Golan et Yoran Globus. Ils avaient misé avec un certain succès sur les films d’action, engageant Charles Bronson, Sylvester Stallone ou Jean-Claude Van Dame. Mais rapidement le filon s’épuisa et la firme en faillite fut rachetée par MGM. En attendant, 52 pick-up, n’a eu aucun succès public.
Harry a gagné la partie
« Le mystère de la plage perdue, Mystery Street, John Sturges, 1950Live by night, Ben Affleck, 2017 »
Tags : John Frankenheimer, Roy Sheider, Film noir, Los Angeles, Elmore Leonard
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