• Mad dog Coll, Burt Balaban, 1961

     Mad dog Coll, Burt Balaban, 1961

    Si le film de gangsters est pour partie un sous-genre du film noir, il faut le resituer dans la culture américaine en général. Certes les bandits ont toujours exercé une certaine fascination dans la transgression des règles établies. Mais après la vague des films de gangsters des années trente, et peut-être plus encore dans les années soixante, c’est bien plus qu’une fascination dont il s’agit dans les portraits de ces héros pourtant très négatifs. Il semble s’agir plus d’une célébration quasi-religieuse des individus qui au fond ne valent pas un coup de cidre, mais qui osent. Le cinéma s’applique donc à dresser un catalogue plutôt morbide de tous les tueurs psychopathes qui ont jalonné l’histoire sanglante des Etats-Unis. Le plus souvent, pour ne pas dire quasiment tout le temps, les films de gangsters mettent en avant un individu hors norme, c’est-à-dire qui n’a pas la même capacité que nous de raisonner sur le bien et le mal. Au-delà de la morale un peu bêtasse selon laquelle le crime ne paie pas, ou encore qu’il faut éliminer les mauvaises graines qui pourrissent la vie des honnêtes citoyens, il y a une interrogation pour savoir en quoi ces psychopathes sont encore une partie du genre humain. Vincent Coll est un de ceux-là. Il a réellement existé, mais ce n’est pas très important parce que le scénario est une fantaisie sans rapport avec le vrai Vincent Coll. Dans la réalité, Coll ne tua pas des enfants accidentellement pour se tirer d’un piège qu’avait fomenté Dutch Scultz, mais il les tua dans une affaire d’enlèvement plutôt sordide. De même, ce n’est pas la police qui a tué Vincent Coll. Elle l’avait arrêté, puis jugé, il sera acquitté, faute de preuves, mais à sa libération, ce serait Lucky Luciano qui l’aurait fait assassiner au motif qu’il balançait un peu trop à la police, et que surtout Maranzano l’aurait payé pour abattre Luciano[1] ! Burt Balaban qui dans sa vie de réalisateur n’a pas fait grand-chose, avait vu son nom associé à un excellent film de mafia, Murder Inc. qu’on attribue le plus souvent à Stuart Rosemberg[2]. Et en effet dans la mise en scène il y a entre les deux films de très grandes différences stylistiques qui ne peuvent pas seulement être attribuées aux manques de moyens de Mad dog Coll. C’est un film assez peu connu et très peu commenté, du moins de ce côté ci de l’Atlantique. Il vaut pourtant le dérangement. 

    Mad dog Coll, Burt Balaban, 1961 

    Vincent Coll qui a connu une enfance difficile, son père était violent, commence avec ses amis Rocco et Joe Clegg à racketter dans son quartier. Il fait la connaissance d’une violoniste, Elizabeth, avec qui il entame une relation faite de hauts et de bas, Elizabeth ayant du mal à s’habituer à sa violence. Il commence à viser plus haut et vole les livraisons d’alcool de Dutch Schultz. L’inspecteur Darro l’a à l’œil, mais il n’a pas d’argument pour le coincer. Mais Dutch Schultz tarde à réagir. Entre temps, Coll à s’intéresser à une autre fille, Clio qui est plus ou moins strip-teaseuse et qu’il fait teindre en blonde. Cependant la guerre avec Schultz va finir par prendre de l’importance. Schultz lui envoie un tueur réputé, mais le tueur se trompe de cible, et c’est finalement Coll qui tue ce dernier. Schultz, après qu’une tentative d’entente avec Col ait échoué, lâche ses chiens et promet une récompense de 50 000 $ pour celui qui éliminera Coll. Les hommes de Schultz tentent de piéger Coll qui se promène sur les quais avec Clio, et pour se dégager de l’embuscade, Coll tire dans le tas et tue deux enfants.  Dès lors Coll va être traqué à la fois par la police et par les hommes de Schultz. Repéré dans un hôtel minable, il est dénoncé, mais il tue le policier qui était venu l’arrêter. Coll va tenter de faire chanter Schultz en enlevant son complice Lucky Harry. Il obtient ainsi 25 000 $. Darro va mettre la pression sur Joe Clegg et celui-ci qui ne supporte plus la folie de Coll, va le vendre, d’autant qu’il aimerait se marier avec Elizabeth qui est passée de Coll à Joe Clegg. La police va piéger Coll dans une pharmacie et finalement l’abattre dans une fusillade.

    Mad dog Coll, Burt Balaban, 1961

    Coll se sert de la violoniste pour passer de l’argent au nez et à la barbe des policiers

    Si on ne s’attarde pas trop à expliquer la violence et la folie meurtrière de Coll, on a le portrait d’un jeune homme ambitieux qui en s’attaquant à la société dans son ensemble, va dépasser ses propres limites dans un jeu où il ne peut que perdre. C’est sans doute cela qui rend le portrait de ce psychopathe intéressant. Rien ne peut l’arrêter, rien ne peut le convaincre de vivre bourgeoisement et de s’amender. Schultz est peut-être un gangster, mais c’es avant tout un homme d’affaire qui veut gagner de l’argent et accumuler. Coll n’est intéressé par rien, l’argent il s’en fout, il lui brûle les mains, et même les femmes ne sont que des objets auxquels il n’arrive pas vraiment à s’intéresser. Il n’est préoccupé que par écrire son histoire sanglante pour la gloire de la presse à sensation. Evidemment les circonstances l’entraînent dans un délire qui s’aggrave de plus en plus, au point de tuer pratiquement sans raison, le film suggérant qu’il prend sa revanche sur son propre père, en tuant Lucky Harry, il croit reconnaitre son géniteur. Autour de cette folie, se greffe une bande d’amis d’enfance qui l’accompagnent sans trop se poser de questions. Mais on comprend que ce sont des Irlandais, plutôt pauvres qui cherchent à se faire une place au soleil. 

    Mad dog Coll, Burt Balaban, 1961 

    Dans la fusillade deux enfant sont morts 

    C’est un film noir, en ce sens qu’il joue sur les ambiguïtés et ne présente que des personnages peu sympathiques. L’opposition entre Schultz et Coll, semble être démarqué d’une relation filiale qui a mal tourné. En vérité Schultz et Coll étaient à peu près de la même génération, plus avancés dans une guerre fratricide que dans la logique du meurtre du père. En vérité il va se nouer des relations très compliquées entre les membres de cette curieuse famille. Qu’est-ce qui attire ces filles chez des voyous un peu déjantés ? C’est une question que semble poser plus la mise en scène que le scénario lui-même. On peut supposer par exemple qu’Elizabeth se jette dans les bras de Clegg, parce que Coll la dédaigne, plus encore, il est assez certain que c’est bien Elizabeth qui pousse Clegg à trahir son ami. Clio comme Elizabeth vise le mariage. Mais elle aussi sera déçu – dans la vraie histoire de Coll, il était marié et sa femme ne le trahira pas. Ce refus du mariage par Coll pose plusieurs questions, est-il normal pour préférer sa vie de bâton de chaise à une vie plus sûre où il pourrait enfin jouir un peu de la vie. Clio qui accepte de se teindre en blonde, qui se fait traiter comme une pute, voire la scène om il lui donne des pièces d’or, n’obtient strictement rien en échange. Dans le portrait de Coll, il y a la description d’un asocial, un solitaire. Il ressemble un peu d’ailleurs à Raven de This gun fort hire[3]. Il a le même profil un peu fragile, et il s’attarde sur un chat quand il se retrouve enfermé dans une cave pour fuir la police. Il en a la même froideur. 

    Mad dog Coll, Burt Balaban, 1961

    Clegg a du mal à suivre Coll dans sa folie meurtrière 

    La conduite du récit s’appuie d’abord sur une sorte de flash-back qui va justifier la conduite délinquante de Coll, soutenu par la voix off et mélancolique que Clio. La réalisation procède d’un manque de moyens assez flagrant, bien que ce ne soit pas un film de série B. il y a beaucoup de plans rapprochés, sans pour autant que les angles de prise de vue soient multipliés. Il y a assez peu de scènes d’extérieur, à part la scène de la fusillade sur le port. Il y a quelques scènes excellentes, celle du port, mais aussi la scène finale dans la pharmacie. Si c’est clairement un film noir, dans la manière de filmer on trouve assez peu les tics habituels, même si ici et là, quand Darro tente de coincer Coll avec la violoniste, on retrouvera un jeu d’ombre plus traditionnel. Mais nous sommes maintenant en 1961 et la lumière n’est plus la même, moins stylisée, versant plus dans le réalisme. Balaban utilise d’ailleurs un écran plus large que d’ordinaire, 1,85 : 1. Il y a une façon plutôt elliptique de tourner les scènes où on voit des voitures arriver, comme dans le garage, ce qui donne un rythme très soutenu. Les décors sordides de l’hôtel puis de la cave où se réfugie Coll sont plutôt bien exploités. Il y a une scène étrange quand Coll demande à Elizabeth de lui jouer du violon, mais on ne sait s’il apprécie la musique ou s’il n’a fait que tester son emprise sir la jeune fille. 

    Mad dog Coll, Burt Balaban, 1961

    Darro tente d’amener Clegg a trahir Coll 

    Le film a été construit autour de l’acteur John Davis Chandler qui incarne Vincent Coll. C’était sa première apparition à l’écran, il a un physique assez étrange, et je crois bien que ce soit ici son seul et unique premier rôle. Son jeu fait un peu penser à celui de Richard Widmark dans Kiss of death où il incarnait le sinistre Udo qui poussait une infirme dans les escaliers. Mais sa prestation n’aura pas le même succès. Il devra se contenter au cinéma de seconds rôles de drogué ou de psychopathe. Mais on ne peut pas lui reprocher grand-chose. Derrière il y a Jerry Orbach dans le rôle de Joe Clagg. Il est ici excellent, comme toujours. On reconnaîtra Telly Savalas dans le rôle vraiment secondaire de l’inspecteur Darro. Il a de la présence, mais ce n’est qu’un faire-valoir. Pour les yeux exercés des cinéphiles, on reconnaitra Gene Hackman dans un tout petit rôle de flic en tenue, il aura deux répliques ! Les filles ne sont pas à la fête. Si Brooke Hayward tient son rang dans le rôle ambigu d’Elizabeth la violoniste, Kay Doubleday est beaucoup plus pâle dans le rôle de Clio. 

    Mad dog Coll, Burt Balaban, 1961 

    Coll vient racketter Schultz 

    Certes ce n’est pas un chef-d’œuvre, et on peut regretter que le scénario soit trop sommaire. Et il est vrai qu’on a vu des tas de films sur des tueurs psychopathes, mais c’est un bon film noir, intéressant dans son approche bien au-delà du manichéisme habituel. Donc vous pouvez y aller, vous passerez un excellent moment. 

    Mad dog Coll, Burt Balaban, 1961

    Les policiers abattent Coll 

    Mad dog Coll, Burt Balaban, 1961

     

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