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Où est passé Tom ?, José Giovanni, 1971
C’est un film assez curieux dans la carrière de José Giovanni, aussi bien sur le plan politique que sur le plan artistique. Après Dernier domicile connu qui fut un grand succès critique et public, et qui avait établi sa réputation de réalisateur, José Giovanni a bifurqué vers autre chose. D’abord il a fait une adaptation assez réussie d’Un aller simple[1] d’Henry Edward Helseth qui avait été porté à l’écran une première fois par Robert Siodmak[2], avec à la clé un échec commercial important. Puis il choisit d’adapter un ouvrage de Bill Reade, alias Alan White, Où est passé Tom ? C’est très curieux parce que cet ouvrage compliqué est plutôt gauchiste, en tous les cas très critique par rapport à la dictature du général Franco. On dit très curieux parce que dans sa jeunesse José Giovanni se laissa entraîner dans les jeux mortifères de la collaboration, ce qui le mena d’ailleurs au seuil de le guillotine. Ce film va donc être à l’opposé des idées de l’extrême droite, comme si José Giovanni liquidait de cette manière son passé sulfureux. Il est vrai que ce tournant avait déjà été amorcé avec Le rapace, une autre adaptation d’un ouvrage de la Série noire de John Carrick. Ce film avec Lino Ventura fut le premier grand succès de José Giovanni en tant que réalisateur. Mais José Giovanni adopte aussi un point de vue particulier en choisissant une voie minimaliste pour la réalisation. Il n’adosse pas son projet sur un gros budget et n’emploie pas des acteurs connus. Nous sommes au début des années soixante-dix, époque où on remet en question les canons de la réalisation cinématographique et où on préfère la sobriété aux paillettes et au glamour. La manière de filmer rappellera d’ailleurs le tout premier film de José Giovanni en tant que réalisateur, La loi du survivant – film aujourd’hui encore invisible alors qu’à sa sortie il avait bénéficié de critiques très bonnes. Où est passé Tom ? eut encore moins de succès que Un aller simple. Et jusqu’à l’automne dernier, il était devenu invisible, je me désespérais de le revoir un jour. Mais Canal + a eu l’excellente idée de le ressortir pour une diffusion simple, c’est cette version qui circule en ce moment, il n’y a pas de DVD ou de Blu ray à ma connaissance. Notez que l’adaptation du roman est très fidèle, José Giovanni respectant toujours les ouvrages qui n’étaient pas les siens mais qui l’avaient inspiré.
Tom Coupar est un homme riche qui travaille au sein d’une ONG qui se fixe comme but de faire libérer des hommes politiques. Cette structure privilégie l’action non violente et diplomatique avec des succès mitigées toutefois. Une des membres du directoire fait par de son insatisfaction et va leur présenter un homme qui a été cruellement torturé par le dictateur Anton Caras. Réduit à l’état de légume, il est cloué dans un fauteuil à roulettes. Cette image choque profondément Tom. Par hasard il va rencontrer une jeune femme, Alexandra, qui va l’initié au tir. Peu après il va prendre la décision d’abattre Anton Caras. Pour l’approcher, il va d’abord se faire embaucher dans une entreprise d’extraction de la bauxite qui se trouve juste en face de la forteresse où Caras non seulement habite, mais retient prisonniers de nombreux opposants qui survivent dans des conditions précaires. Tom va s’approcher de Caras à l’occasion d’une corrida où il a la surprise de retrouver Lucie qui semble-t-il a eu aussi la même idée que lui. Mais Lucie se fait arrêter par les services de sécurité de Caras. Voyant cela Tom en profite pour descendre dans l’arêne et pour abattre Caras d’une balle dans le cœur. Dans la confusion qui s’ensuit, Lucie va parvenir à échapper à ceux qui l’ont arrêtée. Tom de son côté est parvenu à prendre une automobile et à s’enfuir. Au passage il arrive à récupérer Lucie. Ils ont maintenant les policiers à leurs trousses. Mais, alors qu’ils sont arrivés à semer leurs poursuivants, Ils vont avoir un accident, Lucie est morte Tom continue sa fuite. Il arrive au bord d’une plage où il se réfugie pour dormir à l’intérieur d’un bateau. A son réveil il est cerné par la police, un enfant l’a dénoncé. La police l’emmène à la forteresse où il va rencontrer les prisonniers pour lesquels il s’est battu. Il sera torturé et plongéé dans l’isolement. Ces camarades d’infortune l’aideront du mieux qu’ils peuvent. Alors qu’un des gardiens de cette sinistre bâtisse va tenter de l’étrangler, Tom va renverser la situation et tuer le gardien en l’étranglant, puis après avoir bouclé quaisment toute la garnison, il s’évadera, tentant d’inciter les autres prisonniers à faire comme lui. Mais la plupart ne le suivront pas dans cette nouvelle aventure parce qu’ils pensent qu’en restant ils pourront mieux témoigner à la face du monde de l’inanité de ce régime, seul l’un d’entre eux l’accompagnera.
Tom s’ennuie dans les réunions de l’association
Le sujet est très touffu, et le traitement y rajoute des dimensions un peu inattendues. Globalement on pourrait dire qu’il s’agit d’une réflexion sur l’engagement politique et sur la violence. Peut-on combattre une dictature violente sans user de la violence ? Le film qui vise Franco et l’Espagne sans le dire, ne tranche pas, bien que de temps à autre il indique qu’une violence incontrôlée contre un régime violent pourrait amené à une même forme de dictature. Cette réflexion était déjà à l’œuvre dans Le rapace tourné en 1968. Evidemment quand on sait que José Giovanni durant l’Occupation a été du mauvais côté de la barrière et a usé lui-même d’une violence inconsidérée, on peut comprendre ces deux films comme la reconnaissance d’une erreur de jeunesse. C’est d’autant plus vrai que très souvent quand José Giovanni faisait le bilan de sa jeunesse violente, il soulignait que cette violence était aussi une haine de soi. On peut donc voir Où est passé Tom ? comme une liquidation de son passé. On sait que celui-ci a été ressorti et analysé assez complètement par Frank Lhomeau[3]. Mais il semble bien que Giovanni ait changé profondément en la matière. On ne saurait reconnaître ici des positions d’extrême-droite. Bien au contraire, c’est pratiquement le développement des thèses d’extrême-gauche dont il s’agit là et qui auraient pu être mises en images par un Costa-Gavras par exemple – rappelons nous qu’en ce début des années soixante-dix ce cinéaste connaissait un succès populaire important avec des films combattant la dictature de gauche ou de droite avec des films comme Z, L’aveu ou L’Etat de siège. Yves Boisset était aussi dans cette veine. Sans doute l’époque y était aussi pour beaucoup, on pouvait en effet faire des films politiques qui remplissent aussi les salles. Les années quatre-vingt verront la disparition de ce genre et sans doute cela était-il lié aussi avec la disparition des illusions sur les régimes dits communistes à l’Est de l’Europe, mais aussi en Chine et à Cuba.
Lucie amènera en plein conseil d’administration une victime de Caras
Cependant Giovanni introduit une dimension très intéressante dans cette histoire très politique et qui est passée complètement inaperçue à l’époque. C’est le portrait de Tom Coupar. Celui-ci est en effet d’abord un homme qui s’ennuie et à ce titre il cherche une cause à défendre. De là provient son ambiguïté. Tom est un solitaire, mais il va tomber amoureux d’Alexandra, sans que rien d’ailleurs ne se passe entre eux. Encore qu’en réalité celle-ci va lui rendre sa virilité en lui montrant comment on se sert d’un fusil ! Le symbole est sans doute lourd, mais il fonctionne ici parfaitement. Cette virilité passe par l’exercice de la violence et par l’assassinat du dictateur Caras. Il y a d’ailleurs dans ce film le portrait de deux femmes énergiques et courageuses qui sera opposé aux prisonniers trop passifs ou même à Tom qui mettra pas mal de temps à se convertir à la violence politique. Au début du film c’est un homme plutôt doux et tranquille qui aime l’escalade et la nature, mais les circonstances vont le transformer en un homme d’action efficace. Ce sont en fait les femmes, Lucie et Alexandra, qui vont révéler la vraie nature de Tom. Il y a donc comme sous-thème une analyse des rapports compliqués entre les hommes et les femmes. Ce n’est que progressivement que Tom va découvrir le courage, comme si cette vertu était finalement plus naturelle chez les femmes. Ce courage il le découvre dans l’escalade, c’est-à-dire dans un affrontement avec la nature et avec lui-même. Dans ces figures inversées, c’est comme si les femmes étaient naturellement plus politiques que les hommes.
Alexandra apprend à Tom à se servir d’un fusil
Le portrait du cruel Caras est aussi tout à fait intéressant. Mélancolique, il apparaît mauvais par destination plus que par conviction politique. Quand il enterrera son père, il ne manifestera rien d’autre que son vide affectif. Dans sa confrontation avec Zagra, il va tenter de justifier son rôle en prétendant que tous les hommes sont mauvais, tout autant que lui, la preuve c’est le propre frère de Zagra qui l’a vendu. Mais ce dernier ne réagit pas à cette annonce. Les gardiens de la forteresse sont à l’unisson de Caras. Ils s’exercent à être mauvais et à tourmenter les prisonniers pour tromper leur ennui. Ils se testent eux-mêmes, l’un d’entre eux va tenter d’étrangler Tom en tressant une corde avec des lambeaux de couverture. Pourquoi fait-il cela ? Sans doute pour se tester lui-même et se prouver qu’il peut se livrer à cet acte de cruauté sans que sa conscience en soit ébranlée. Cette forteresse est comme un monde à part, isolée de ce qu’est la vie, la société sur laquelle elle prétend régner. Et d’ailleurs dès que Caras s’en éloigne, il est abattu par Tom, mais il l’aurait pu être par quelqu’un d’autre.
Tom fuit dans la montagne au risque de se tuer
La manière de filmer de Giovanni se trouve d’abord dans l’opposition entre l’agitation des êtres humains et la nature. Les paysages sont empruntés aux Pyrénées. C’est une approche presque documentaire de la montagne et de ses difficultés. La grandeur de cette nature est opposée aux mesquineries des chasseurs, comme de ces gens friqués qui sont là par désœuvrement. Il va donc donner beaucoup de champ à sa photo, rapetissant de fait les silhouettes humaines. Il prend son temps. Il est vrai que Giovanni était amateur d’escalade depuis son plus jeune âge. Mais c’était aussi une manière de filmer les grands espaces comme pour se débarrasser les miasmes de la grande ville qui ne lui avait apporté que des déconvenues, sans parler des longues années de prison qu’il avait dû faire après avoir échappé de peu à la guillotine. Les décors sont dans l’ensemble très bien choisis, y compris la forteresse qui sera filmée dans sa densité moyenâgeuse. Les lieux de détention des prisonniers sont tout à fait étouffants, et la fosse dans laquelle on enfoui Tom est effrayante dans ce qu’elle représente de solitude. Le début du film est situé à Genève qui comme on le sait est un lieu décisif pour les tractations diplomatiques. La photo de Pierre-William Glenn, photographe à la mode à cette époque, est tout à fait dans le ton de ce naturalisme recherché.
Caras tente d’amadouer Zagra en lui dévoilant qu’il a été trahi
Comme dans La loi du survivant, Giovanni s’attarde aussi sur les bêtes qui peuplent la montagne, les torrents, les dangers qui guettent. La corrida est aussi filmée dans toute sa cruauté, des corps qui chutent, des spectateurs qui applaudissent à ces rites de mort. Il n’y a pas de leçon véritable à en tirer, juste un constat et peut être aussi une forme de poésie un peu baroque dans une sorte de bain de sang. Mais dans ces expositions, Giovanni n’en rajoute heureusement jamais. On peut regretter que certaines scènes de poursuite en voitures soient un peu trop longues et manquent d’ampleur, mais enfin ce n’est pas un point vraiment fondamental.
Tom abat Caras
L’ensemble est filmé sans effet, un peu à la manière de ce qu’il avait fait dans La loi du survivant. Ce minimalisme se traduit dans le jeu des acteurs qui reste assez sobre. C’est sans doute pour cela que Giovanni a choisi Rufus. C’est un excellent comédien qu’il avait déjà employé dans Un aller simple, et avec qui il partageait le goût de la montagne. Rufus est très bon dans le rôle de cet homme toujours un peu en décallage d’avec la réalité mais qui compense tout cela par un vrai courage. Il n’a rien de glamour, mais après tout Michel Constantin n’en avait pas plus dans La loi du survivant. Rufus tient donc le film de bout en bout. Il est le porte-voix de José Giovanni et de ses doutes. Derrière il n’y a pas de grands noms, mais quelques fidèles, d’abord Alexandra Stewart dans le rôle d’Alexandra. Puis le toujours excellent Paul Crauchet dans le rôle de Zagra. Si Jean Gavin dans le rôle de Caras ne présente rien de singulier – il sera meilleur l’année suivante dans La course du lièvre à travers les champs – par contre Lucie Arnold dans le rôle de Lucie est tout à fait remarquable. Elle tournera souvent avec José Giovanni. Tout comme Philippe March dans le rôle du professeur, ce sont un peu de la même famille.
Lucie est morte dans l’accident
La police cerne Tom
La musique de François de Roubaix est comme souvent remarquable et ajoute des isgnifications supplémentaires au film, elle lui donne un ton particulier. Si ce film n’est pas un chef d’œuvre, ni même le meilleur de José Giovanni, il mérite d’être redécouvert car il a du cœur dans sa sobriété même. Comme je l’ai dit ce film n’a eu aucun succès, il n’a été que peu vu aussi à la télévision. Il est sorti dans l’indifférence aussi bien de la critique que du public, la performance de Rufus n’a même pas été saluée. Cet échec après celui d’Un aller simple l’année précédente va emmener José Giovanni a changé son fusil d’épaule et à revenir vers des productions moins éthérées, avec le support de vedettes populaires au top de leur carrière, Belmondo, Delon, ou encore Gabin, et aussi avec de plus gros budgets. Je fais toutefois remarquer que ce film obtient une très bonne note sur IMDB, 7,4/10 ce qui est très bien.
Tom va être malmené
Les prisonniers aident Tom
Tom a tué son tourmenteur
Tom délivre les prisonniers
https://www.youtube.com/watch?v=N2aPNLA-9jg
« Le fin mot de l’histoire, Get a load of this, James Hadley Chase, [1942], 1989Une robe noire pour un tueur, José Giovanni, 1981 »
Tags : José Giovanni, Rufus, Alexandra Stewart, film noir, thriller politique
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