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Pas de credit pour les caves, Cash on Demand, Quentin Lawrence, 1961
La Hammer n’a pas produit que des films gothiques, sous-genre où elle excellait et dans lequel elle rencontrera la renommée internationale, inspirant d’ailleurs une partie du cinéma de genre italien. On lui doit aussi des films noirs, des thrillers, des polars avec la révélation de réalisateurs qui comme Terence Young montreront des aptitudes à faire de bons films d’action. Elle développa ainsi une ligne assez fournie où la critique sociale est assez évidente. Ces films plus ou moins noirs sont très différents de ce que les Américains ou les Français pouvaient faire à la même époque. Très anglais, il y a souvent une forme de théâtralité qui domine, mais aussi une forme de désespérance ironique. Ce sont souvent des petits films, je veux dire des films à petit budget, assez courts, moins d’une heure et demi. Ce sera le cas ici. The Gold Inside de Jacques Gillies est à l’origine une pièce de théâtre comme les Anglais en faisaient beaucoup dans les années 40-50, avec beaucoup de rebondissements et de surprises pour le spectateur. C’était un théâtre assez populaire. Et il me souvient que Frédéric Dard, fort du succès obtenu par l’adaptation de La neige était sale de Georges Simenon, avait l’ambition au début de sa carrière de développer cette ligne en France pour faire revenir le public dans les salles de théâtre, ce sera pour partie, et jusqu’à la fin de sa vie, son travail avec Robert Hossein à la scène. Il pensait que c’était un remède pour combattre la concurrence du cinéla et de la télévision. La pièce de Jacques Gillies avait été d’abord filmée par Quentin Lawrence pour la télévision, et sa bonne réception avait encouragé la Hammer à en faire un film. La distribution changera sensiblement et le rôle d’Harry Forcyde sera donné à Peter Cushing, vedette maison de la Hammer. Néanmoins, ce film arrive assez tard et au début des années soixante, comme en France, le cinéma anglais est frappé d’une nouvelle vague qu’on estampillera Free Cinema par ses revendications de filmer au plus près des décors naturels et d’utiliser des dialogues bien moins ampoulés, plus directs, afin de sortir le cinéma anglais de sa théâtralité.
Harry Fordyce est le directeur d’une agence bancaire provinciale, particulièrement maniaque
Deux jours avant Noël, Harry Fordyce, directeur d’une petite agence bancaire dans une ville de province, montre toute sa maniaquerie en torturant son personnel. Il s’en prend particulièrement à Pearson, son adjoint qu’il accuse de malversation à propos d’une petite erreur de caisse qui a d’ailleurs été réparée. Lorsque la banque ouvre, un colonel Gore-Hepburn prétend être là pour vérifier la sécurité de la banque. Il torture un peu le directeur de l’agence, lui démontrant qu’il y a des failles dans son système de sécurité. Mais rapidement il explique à Fordyce qu’il est là en fait pour dévaliser sa banque, qu’il est un faux enquêteur d'assurance. Il annonce à Fordyce que sa famille a été kidnappée et donc qu’il a intérêt de suivre ses indications s’il ne veut pas voir sa femme et son fils cruellement assassinés. Pour preuve, il passe un coup de fil à sa femme et tend le téléphone au directeur de l’agence qui entend effectivement une voix de femme tourmentée, il reconnait sa femme. Il n’a pas le choix et il va aider Gore-Hepburn à voler les 93 000 £ qui ont été déposées dans le coffre de la banque. Fordyce cache le plus possible ce qu’il fait à ses employés, ceux-ci, particulièrement méfiants, vont en fait téléphoner à la compagnie d’assurances pour vérifier l’identité de Gore-Hepburn. Mais le colonel réussit à s’enfuir avec l’argent, indiquant à Fordyce qu’il devra attendre une heure pour retrouver sa femme et son fils avant de prévenir la police sous peine de représailles.
Fordyce menace de licencier Pearson pour une erreur bégnine
Mais en réalité Pearson a déjà alerté la police, ayant découvert que le vrai inspecteur des assurances se trouvait ailleurs, à Manchester. Lorsque la police arrive, Fordyce convainc Pearson de le couvrir et excuse le personnel de la banque d'avoir contacté la police comme un chèque égaré. Les policiers sont disposés à croire à la fable que Fordyce leur a servie. Mais l’inspecteur Mason a de son côté déjà arrêté le colonel Gore-Hepburn et lui a passé les menottes, il a également récupéré les valises d’argent. Mason soupçonne qu'il a dû avoir une aide interne pour le vol, et une liasse de billet que le faux colonel avait glissé dans la poche du manteau de Fordyce l’accuse. Un appel rapide établit que la famille de Fordyce n'a jamais été menacée. Fordyce tente de convaincre la police que le colonel l'a trompé ; par exemple, en lui ordonnant à un moment donné de se tenir près de la fenêtre et de s'éponger le front, comme signal à un associé supposé à l'extérieur. Une fois de plus, la police doute de son innocence. Mais Gore-Hepburn qui est un criminel bien connu de la police va valider la version du directeur de l’agence qu’il s’agit d’une supercherie montée à l’aide d’un magnétophone pour récupérer la voix de la femme de Fordyce. Fordyce est finalement considéré comme innocent et la police le laisse partir. Sachant que sa femme et son fils sont en sécurité, il a changé d'avis sur ses collègues qui l'ont aidé. Il se rend au commissariat de police avec eux pour parler à sa femme et à son fils. Il montre enfin un peu de chaleur à Pearson comme s’il regrettait les mauvais traitements qu’il lui a infligés dans le passé.
Pearson introduit le colonel Gore-Hepburn qui vient inspecter la banque
Il y a beaucoup de chose dans cette histoire, d’abord un hold-up astucieux organisé sans violence, simplement à partir d’une supercherie. Le faux colonel a bien étudié le caractère de Fordyce, il sait que c’est un homme raide qui respecte la hiérarchie, et il joue habilement de cette disposition à la soumission. Il vient naturellement une admiration pour ce grand voleur qui monte des plans habiles en manipulant ses victimes et qui évite la violence. Toute une partie du film va tourner autour de cet affrontement entre le faux colonel et le raide Fordyce. Cet affrontement est la transposition d’ailleurs de l’affrontement entre Fordyce et Pearson qu’il a menacé de licenciement. Au fond celui-ci reçoit la monnaie de sa pièce. Derrière sa raideur, il cache une sentimentalité qui lui fait perdre les pédales quand il se met à croire au kidnapping. On glisse ainsi de la mécanique d’un hold-up intelligent à la description d’une société figée dans ses hiérarchies. Le premier quart du film est consacré à la position de Fordyce dans la société, et à la façon dont il se plait à humilier ses subordonnés, pensant qu’il doit conserver cette distance compassée pour être efficace. En vérité il semble avoir peur de se rapprocher d’eux. Le plus curieux est évidemment la difficulté que Pearson a à se rebeller, c’est à peine s’il regimbe à son futur possible licenciement.
Le colonel oblige Fordyce à l’aider à dévaliser sa banque
En même temps Fordyce réalise une prise de conscience en ce sens qu’il se rend compte qu’il n’a rien, pas d’amis, pas de but dans la vie. Juste sa femme et son fils, il est complètement fermé à la vie sociale. Quand il croit encore que sa femme et son fils risquent leur vie, il va demander de l’aide à ses subordonnés, les suppliant de l’aider. Il semble même leur demander pardon de les avoir si mal traités, d’avoir abusé de son autorité en recouvrant cette conduite malveillante du souci d’efficacité. De tous les personnages c’est bien Fordyce qui est le plus antipathique, on ne peut pas vraiment détester le colonel qui semble se moquer de tout, et même de se retrouver en prison ! Mais il n’est pas méchant, et il va s’efforcer de dédouaner le directeur de l’agence bancaire de tout soupçon. Gore-Hepburn prend tout le monde pour des imbéciles, y compris et surtout la police. Il porte un regard sévère sur tous, mais il le teinte d’une ironie assez mordante, jouant le plus souvent la comédie, comme s’il voulait bien plus s’amuser que de prendre de l’argent. Ce n’est pas un hasard s’il dit à Fordyce qu’il devrait s’intéresser un peu plus à ses subordonnés, par exemple à Sanderson, qui joue aux échecs en compétition.
Le faux colonel félicite Miss Pringle pour le petite fête de Noël
La banque en elle-même est un personnage. C’est un univers clos qui semble exister comme une famille de substitution. Le fait d’ailleurs que le lieu de l’action soit si étroit renforce cet aspect d’un cocon où tout le monde connait et tolère plus ou moins les petites manies des uns et des autres. Le fait qu’à l’origine ce soit une pièce de théâtre aide à développer cet aspect singulier. Les employés se cotisent pour s’offrir une petite fête de Noël, mais au début de l’histoire, Fordyce ne veut pas participer. Etant revenu ensuite sur ses propres règles de comportement, il finira par accepter de se joindre à eux. Du moins le promettra-t-il. Face à la police, les employés de la banque accepteront de mentir pour sauver de la prison leur supérieur, bien qu’ils soient parfaitement au courant de son sale caractère. Ils le protègent comme dans une famille on protège un de ses membres un peu tordu. Et de cela Fordyce va se rendre compte, au point de changer de comportement vis-à-vis de ses subordonnés et même de sourire. Le film date de 1961, mais, le décor, la manière dont l’agence est filmée donne un aspect suranné, vieille Angleterre, comme si celle-ci restait à l’abri de la modernité galopante qui allait submerger la planète. Tout participe à cette mise en perspective d’une Angleterre éternelle mais un peu poussiéreuse. Par exemple, les costumes, dans l’affrontement entre Fordyce et Gore-Hepburn, ce sont deux hommes bien polis, bien élevés, qui s’affrontent. A ce niveau se joue une lutte qui passe par le dialogue. On menace, mais d’une manière tranquille et polie.
Fordyce aide le colonel à emballer l’argent
La mise en scène se joue facilement de ces images d’Epinal de la vieille Angleterre. Bien sûr dans le film noir anglais, on avait déjà dépassé ces conventions, montrant des lieux sordides où se réglaient des comptes d’une manière brutale et vicieuse. Mais ici le fait que l’action se passe dans une banque de province aide à faire passer cette critique de la raideur de la vieille Angleterre. Bien que ce soit très dialogué, et que les entrées et les sorties de scène soient réglées comme au théâtre, avec des portes qui s’ouvrent et qui se ferment, la mise en scène arrive à surmonter cet obstacle. Si les mouvements de caméra sont peu nombreux, c’est compensé à la fois par un cadre bien travaillé, et par un montage assez vif qui permet de jouer en évitant assez bien la multiplication des champs-contrechamps. Bien sûr on voit que c’est du studio, et particulièrement quand on filme des scènes censées se passer au bord du trottoir ou dans la rue. Mais ces scène sont assez peu nombreuses et sont là surtout pour aérer un peu le récit.
Pearson tente de joindre la compagnie d’assurances sans succès
L’interprétation est excellente, elle évite assez bien la lourdeur du théâtre filmé en retenant les effets trop appuyés des acteurs. Très anglaise. D’abord Peter Cushing qui sort de ses habituels rôles de vicieux ou de médecin qui combat le démon dans les films gothiques de la Hammer. Dans ce rôle du sinistre Fordyce, il est très bon. André Morell est lui aussi très convaincant dans le rôle du faux colonel Gore-Hepburn. Il manie parfaitement à la fois ce style sucré et séducteur et cette violence latente qu’il met en scène pour faire céder son adversaire. Il est assez peu connu en France, acteur de théâtre, il fit aussi des apparitions dans des films comme Ben Hur de William Wyler, Barry LIndon, et surtout le jubilatoire The Great Train Robbery de Michael Crichton. Malgré la consonance de son nom, il était bien anglais et s’appelait Cecil André Mesritz. C’est un acteur qui donne toujours beaucoup de densité à ses rôles, sans tomber dans le cabotinage. N’oublions pas aussi l’excellent Richard Vernon dans le rôle de Pearson. Il était déjà dans la première version de la pièce filmée. C’est un acteur discret mais très efficace. On le connait peu en France, bien qu’il ait joué dans des films célèbres comme le médiocre Goldfinger ou le très curieux et sulfureux The Servant de Joseph Losey.
La police a arrêté le colonel
Ce n’est pas un chef-d’œuvre bien entendu, mais c’est un très bon film noir cependant, intelligent, caustique, bien rythmé. Sa ressortie récente en Blu ray accompagne la réappréciation de la production de la Hammer en dehors de ses films gothiques. Quentin Lawrence retournera à son travail pour la télévision, notamment en travaillant sur des séries comme The Avengers.
L’inspecteur Mason a découvert de l’argent dans la poche de Fordyce
Avant de partir à la police, Fordyce remercie Pearson
« Duccio Tessari, La mort remonte à hier soir, La morte risale a ieri sera, 1970L'escalier dans le film noir »
Tags : Quentin Lawrence, Peter Cushing, André Morrell, Richard Vernon, Hammer, film noir, hold-up
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