• Paul Roussenq, Vingt-cinq ans de bagne, La manufacture de livres, 2016

     Paul Roussenq, Vingt-cinq ans de bagne, La manufacture de livres, 2016

    La littérature de bagnards a produit des œuvres étonnantes qui sont sans cesse rééditées et qui semblent à l’épreuve du temps, alors même que le bagne est une institution qui est tombée en désuétude depuis des décennies. Parmi les bagnards célèbres qui ont publié, il y a Clément Duval et bien sûr Alexandre Jacob dont j’avais parlé sur ce blog[1]. Paul Roussenq est un peu moins connu. Ce sont tous des anarchistes épris de liberté, des fortes personnalités qui ont survécu à l’enfer du bagne. Pierre Fourniaud qui dirige La manufacture de livres aime bien les histoires de bandits, de bagnards, voire de tatoués, de ces marginaux qui ne se laissent pas réduire par l’appareil de normalisation sociale. Il s’est donc fait une spécialité de ce type de publications. Il a doublement raison, d’abord parce que ces destins exceptionnels racontent des histoires incroyables de lutte pour la survie et pour la liberté, de courage et de mort. Ce qui est bien plus intéressant tout compte fait que la littérature intimiste dont nous abreuvent les prix littéraires.

    Mais ensuite, il y a si on peut dire le style. N’oublions pas le style car très souvent cet aspect est négligé quand on parle de cette littérature. En effet tous ces voyous et bagnards sont à quelques exceptions près des individus autodidactes, venant le plus souvent de milieux défavorisés, ils utilisent la langue qu’ils connaissent souvent matinée d’argot et de formules populaire. En ce sens ils appartiennent à ce que Poulaille appelait la littérature prolétarienne. Dans cet ensemble on rencontrera des stylistes de première grandeur, Alphonse Boudard, Auguste le Breton, voire même Alexandre Jacob. Certes ils ne finiront jamais à l’Académie Française ni dans la Pléiade, et pourtant combien il est plus passionnant de les lire que de se taper une œuvrette de Jean d’Ormesson qui sent un peu l’antimites. Si tous n’ont pas forcément une conscience de classe très développée, ils sont pourtant l’antithèse de la bourgeoisie et les porte-paroles quelque part du peuple. C’est un aspect souvent négligé quand on fait la recension de ce type d’ouvrage, mais il est pourtant décisif. Car ce style direct, comme un coup de poing à l’estomac est très souvent efficace et rarement ennuyeux.

    La plupart de ces auteurs pratiquent un art de  l’invective, une écriture brutale qui se moque des fioritures. Et pourtant malgré cela on comprend pour peu qu’on s’y attarde que pour eux l’écriture est bien plus essentielle et sérieuse que pour les écrivains de salon ou du commerce. C’est une chose grave. Une question de vie ou de mort.

    Voilà comment écrit Roussenq :

    « Société bourgeoise, société pourrie dans sa morale, dans ses mœurs et dans ses lois. Son bagne et à son image. Les manitous de ces bagnes, ses garde-chiourmes voleurs, ivrognes et assassins, sont des déchets du régime – ou plutôt le gratin crapuleux de ce régime – au même titre que les forçats qui sont sous leur férule. Loin de les amender, ils les contaminent : c’est ça le relèvement des condamnés ! »

     Paul Roussenq, Vingt-cinq ans de bagne, La manufacture de livres, 2016 

    Paul Roussenq est un irréductible. Issu du prolétariat agricole du sud de la France, il est né en 1885, il quitte le domicile familial très jeune et va fréquenter les milieux anarchistes qui à l’époque sont encore politiquement très actifs. Condamné pour des faits mineurs, vol et vagabondage, il va se retrouver dans les bataillons disciplinaires. Sa haine de l’armée et sa révolte contre l’autorité imbécile le fera finalement condamner à 20 ans de travaux forcés pour avoir mis le feu à sa literie. Au bagne, en accumulant les peines et les punitions, il restera 24 ans, la moitié de ce temps il le passera au cachot et enchaîné. Les campagnes menées en métropole contre le bagne finiront par attirer l’attention sur son cas, il sera mis fin à sa peine. Mais dans un premier temps il devra rester à Saint-Laurent du Maroni, pour ensuite être autorisé à revenir en France. En 1934 il publie Vingt-cinq ans de bagne. Il continue à militer pour le socialisme dans les rangs anarchistes et se fâchera avec les communistes lors de son retour de l’URSS. Mais les anarchistes sont à cette époque en perte de vitesse dans les luttes prolétariennes. Pendant la guerre, pacifiste intransigeant, il sera une fois de plus  interné par le gouvernement de Vichy à Sisteron où il rédigera ses mémoires qui seront publiées en 1957 sous le titre de L’enfer du bagne. En 1949, usé par les maladies qu'il a contracté au bagne, il mettra fin à ses jours.

     Paul Roussenq, Vingt-cinq ans de bagne, La manufacture de livres, 2016 

    Une exécution au bagne de Saint-Joseph 

    En rappelant rapidement ce parcours, on voit le parallèle qu’il y avec Alexandre Jacob. Tous les deux rentreront en guerre avec l’institution corrompue et corruptrice du bagne. Tous les deux seront soutenus par Albert Londres et par leur mère pour obtenir leur élargissement, puis tous les deux se suicideront sans rien renier de leurs idées. Ce sont deux personnages emblématiques d’une révolte jusqu’au-boutiste. Paul Roussenq critiquera violemment Albert Londres, car si ce dernier a fait énormément pour discréditer le bagne dans l’opinion française, il a en tant que journaliste approximatif raconté un peu n’importe quoi, faisant passer notamment Roussenq pour une sorte de fou furieux.

    Revenons à l’ouvrage proprement dit. Roussenq a bien moins écrit que Jacob qui n’a pas publié grand-chose de son vivant[2], mais il a édité en 1934 ces Vingt-cinq ans de bagne qui ont contribué par la force de leur témoignage à la campagne pour la fermeture des bagnes. son ouvrage est rédigé comme une somme de petits articles, un peu comme un dictionnaire où sont développés tel ou tel aspect de la vie des bagnards. Il montre évidemment que ceux qui sont chargés de punir et de garder les criminels sont par leur nature et par leur fonction encore plus criminels que les bagnards.

     Paul Roussenq, Vingt-cinq ans de bagne, La manufacture de livres, 2016

    Roussenq critique le bagne à la fois parce qu’il est un reflet hypocrite du capitalisme, un système d’exploitation meurtrier, et aussi parce qu’il ne remplit pas sa mission de « régénération et d’amendement » des condamnés. En effet les bagnards sont traités comme des sous-hommes, et d’ailleurs peu en sont revenus, soit qu’ils meurent durant l’accomplissement de leur peine, soit que la relégation les empêche de revenir en France. Car Roussenq admet bien volontiers que « les bagnards ne sont pas des anges », mais le système vise d’abord à les broyer et à les éliminer comme des humains inutiles pour la machine à fabriquer du profit. Plusieurs fois sous sa plume reviendra l’idée de produire des peines adaptées aux délits, mais il ne croît pas à la réforme des bagnes et pense que le bagne ne disparaîtra pas qu’avec le capitalisme. Il oppose du reste le système pénitentiaire français au système qu’il croit en vigueur en Russie. Mais cette vision un peu idyllique  de la Russie communiste ne durera pas. Quelques temps après avoir fait publier sous forme de brochure Vingt-cinq ans de bagne, il effectuera un voyage en Russie et rompra avec les communistes. Il y a tout de même une note d’espoir dans cet ouvrage sombre : Roussenq rend hommage à tous ceux qui de loin l’on aidé à sortir de cet enfer en faisant des recours, en alertant l’opinion publique, aussi en soutenant sa pauvre mère.

    Le texte de Vingt-cinq ans de bagne  a été maintes fois réédité. L’édition présente est illustrée de documents et se termine par la reproduction d’une longue poésie en alexandrins, L’enfer du bagne. L’ensemble est à la fois le portrait d’un homme révolté contre l’institution, et celui d’un système coercitif et mortel. 

    Liens 

    Le lien suivant permettra de mieux connaitre la personnalité de Paul Roussenq http://www.bagnedeguyane.fr/archives/p80-20.html

     

    Et celui-ci mène à une interview de Frank sénateur qui a assuré la réédition du texte de Roussenq

    http://www.atelierdecreationlibertaire.com/alexandre-jacob/2015/03/dix-questions-a-franck-senateur/

     



    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/marius-jacob-heros-de-roman-selon-del-pappas-a114845188 et http://alexandreclement.eklablog.com/marius-jacob-heros-de-roman-selon-del-pappas-suite-a114845186

    [2] On trouve les écrits de Jacob réunis maintenant en un seul volume chez L’insomniaque dans une très belle édition.  

    « Kaput réédité dans l’édition originaleSerpico, Sydney Lumet, 1973 »
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