• Pizza connection, Damiano Damiani, 1985

     Pizza connection, Damiano Damiani, 1985

    Dans le poliziottesco, Damiano Damiani c’est le haut du panier, le seul réalisateur de ce genre qui fut reconnu de son vivant comme un très bon réalisateur. Ce qui n’est pas faux. Il a été un des premiers à s’attaquer à la mafia non pas comme une simple organisation criminelle, mais du point de vue politique, présentant le crime organisé comme le résultat d’une politique capitaliste orientée vers le profit. Avant de tourner Pizza connection Damiano Damiani avait réalisé les premiers épisodes de la série télévisée, La piovra, qui avait déjà Michele Placido comme vedette, toutefois dans un rôle de policier intègre. Cette série a eu un succès dans le monde entier… sauf en Sicile où elle est détestée, considérée comme trop simpliste, comme une vision des gens du Nord sur ce phénomène qui ronge cette magnifique île depuis des décennies. C’est d’ailleurs en référence à la série télévisée que l’affiche parle de la piovra. Les Siciliens n’aiment pas trop parler de la mafia. Andrea Camilleri, le grand auteur de romans noirs qui mettent en scène le commissaire Montalbano, évite le plus possible d’en parler, et la considère comme une simple toile de fond sur laquelle le crime ordinaire prospère. Ce film décrit la situation qui régnait dans les années quatre-vingts en Sicile quand Toto Riina avait instauré une sorte de terreur dans toute l’île pour en prendre le commandement et unifier la mafia. Mais il faut noter qu’il anticipe clairement ce qui va se passer au début des années quatre-vingt-dix avec la mort du juge Falcon. En effet la débauche de violence qui sera mise dans le film pour éliminer le procureur Santa Lucia est semblable à l’explosion qui détruira le juge Falcone et une partie de sa suite. 

    Pizza connection, Damiano Damiani, 1985 

    Ognibene vient demander à Mario d’aller à Palerme

    Ognibene contacte Mario, un homme qui tient une petite pizzeria à New York. Il désire l’envoyer à Palerme pour une mission très importante qui le ferait grimper dans la hiérarchie. Mario accepte, mais d’abord il doit tuer un de ses concurrents qui voudrait bien lui aussi devenir important. Mario va se retrouver à Palerme, il va voir sa famille, et notamment son frère Michele. Celui-ci travaillait dans une poissonnerie, mais il a été témoin d’un meurtre et sans trop en dire toutefois, il parle aux policiers. Il va être renvoyé. Mais il est amoureux de la jeune Cecilia qui a à peine quinze ans. Mario va tenter d’embaucher Michelle pour se servir d’un revolver. Celui-ci refuse. Cependant il va apprendre que Cecilia est prostituée par sa mère. Mario intervient et accepte de payer 20 millions de lires pour libérer Cecilia, mais en échange il va demander à son frère de commettre un meurtre. Celui-ci va accepter. Il s’agit de tuer dans un premier temps un homme de l’escorte du procureur Santa Lucia, un nommé Mancuso. Cependant au dernier moment Michele va renoncer et Mario devra faire le travail à sa place. La suite doit conduire à l’assassinat de Santa Lucia. Mais Michele prévient la police et tente de faire échouer l’attentat. Mario est furieux, il doit changer ses plans. Il dit à son frère que l’attentat n’aura pas lieu. En vérité il va le monter d’une autre manière, et ce sera une attaque sanglante au bazooka. Mais la mafia a enregistré le message de Michele. Alors que tout s’est bien passé pour la mafia, Ognibene comprend que c’est le frère de Mario qui a parlé. Mario n’a plus le choix, il abat Ognibene et un tueur qui l’accompagnait et monte une mise en scène pour faire croire que c’est le tueur qui les accompagnait qui a tué Ognibene. Il rentre à New York avec les félicitations de la mafia, tandis que Michele va récupérer Cecilia après avoir refusé l’argent de son frère. Mais le répis de Mario ne pourra pas durer, deux tueurs sont envoyés dans son restaurant pour l’abattre, tandis qu’il téléphone à son frère.

     Pizza connection, Damiano Damiani, 1985

    Vincenzo trouve de la drogue pour le fils d’Amanda 

    Le thème pourrait être la lutte féroce entre la mafia et la justice représentée par le procureur Santa Lucia, avec la démonstration de l’emprise de l’organisation sur les hommes qu’elle emploie. Mais en réalité il faut le lire comme une transposition du mythe biblique d’Abel et de Caïn. Toute l’intrigue tient sur cette opposition entre un frère ambitieux et qui veut apporter quelque chose à sa famille et le cadet qui non seulement ne fait rien pour sortir de sa condition, mais qui en outre amène avec lui le malheur par son inconstance. Même si Damiani n’a pas de sympathie pour la mafia, il est évident qu’il penche du côté de Mario, car non seulement Michele n’a pas de nerfs et passe son temps à changer d’avis, mais en outre, il agit d’une telle façon inconsidérée qu’il est bien à l’origine de la mort de son frère. Il y a donc une inversion des rôles par rapport à la parabole biblique. C’est l’irrésolu Michele qui au bout du compte est le criminel. Le père étant absent – comme dans la Bible d’ailleurs – c’est donc bien d’une lutte entre deux frères pour l’hégémonie dans la famille. On voit bien que Damiani a choisi, contrairement à ses habitudes, de sortir du manichéisme anti mafia. On va se rendre compte que la plupart des personnages sont louches, voire antipathiques. Le juge Santa Lucia qui mène la croisade contre la mafia, est d’abord motivé par le fait que son père lui-même était un magistrat corrompu. Et donc en quelque sorte, il veut prendre sa revanche sur son destin qui le travaille tant. Contrairement au commissaire qui le protège et qui se veut pragmatique, il ne veut jamais de compromis, comme les hommes de la mafia d’ailleurs ! 

    Pizza connection, Damiano Damiani, 1985

    La mafia a les moyens d’écouter les magistrats et les policiers 

    Le deuxième aspect remarquable, c’est la complexité de l’opération criminelle qui va être montée. On va chercher un pizzaïolo dans le Bronx, on le fait venir à Palerme, on monte des diversions pour leurrer la police. C’est astucieux, quoiqu’assez peu réaliste, je crois que les mafiosi n’avaient pas à cette époque besoin de la main d’œuvre extérieure, par contre on sait que le système judiciaire était complètement gangréné. Ici c’est ce qu’on verra avec le collègue du procureur Santa Lucia qui le vend à la mafia et permettra ainsi son assassinat. A l’époque glorieuse des Corleonais, et au moins jusqu’au milieu des années quatre-vingt-dix, la justice et la police étaient sous le contrôle plus ou moins discret de la mafia. Il semblerait que cela ait un peu changé après la mort de Falcone et surtout après la défaite des Corléonais. Le film de Damiani est très crû, si ce n’est pas forcément le plus sanglant, il y a une violence de tous les instants. D’abord cette jeune fille qui est prostituée par sa mère pour payer les doses de son frère. On remarque que les Siciliennes sont des femmes extrêmement bouillantes, loin du cliché de la femme soumise à son mari. La scène où Mario séduit la femme de l’avocat est particulièrement éloquente à ce sujet, même si elle est tournée très discrètement. Et c’est assez vrai qu’à Palerme et sur la côte, les femmes sont très libres. C’est moins vrai dans l’arrière pays. Cette crudité dans la présentation de la vie palermitaine, est également très prégnante dans la description des quartiers pauvres qui pourtant ne sont pas sans poésie : on comprend facilement que pour un jeune homme pressé, travailler pour la mafia est une promotion et une voie d’avenir pour peu qu’on en ait le courage. 

    Pizza connection, Damiano Damiani, 1985

    Mario se rend compte qu’il est suivi 

    Ce film fait partie aussi bien de la longue kyrielle d’histoires relatant les querelles mortelles entre frères que de celle qui nous conte la décomposition de la famille non seulement dans sa réalité concrète, mais aussi comme idéal. On trouve souvent cela dans les films traitant de la mafia, comme si les activités criminelles de celle-ci dévoilaient la réalité profonde de la famille en tant qu’institution. Par exemple en ce qui concerne la lutte mortelle de deux frères à l’intérieur de la mafia, il y avait The brotherhood de Martin Ritt en 1968, film qui n’eut aucun succès, produit et joué par Kirk Douglas. Puis evidemment The Godfather II, de Coppola en 1974, un chef d’œuvre et un film d’une noirceur terrible sur la question de la famille puisque Michael Corleone fera assassiner son frère après s’être séparé de sa femme et de ses enfants pour rester dérisoirement seul à la tête de son empire. Dans le cas de Pizza connection, on ne sait pas trop ce qui se passe, à savoir si c’est la décomposition de la famille comme institution qui ruine les idéaux mafieux, ou au contraire si c’est simplement l’opposition « naturelle » entre d’un côté la loi et l’ordre et de l’autre le crime qui démontre la vacuité de cet idéal. Bien sût cette remise en question de la famille est une apologie de l’individualisme et Michele ne pense plus qu’à une chose, vivre loin de sa famille avec Cecilia, et pour cela il est près à sacrifier son frère aîné. Celui-ci n’est pas pour autant très pur, il tentera d’embarquer son jeune frère dans le crime parce qu’il pense que c’est une garantie qu’il ne sera pas trahi ! Mais il se trompe complètement. Et il aura cette réflexion amère sur le caractère de Muchele en remarquant qu’il a une âme de balance. Damiani n’est pas Kazan, et il se gardera bien de faire l’éloge de la délation, sans pour autant masquer les manipulations de Mario. 

    Pizza connection, Damiano Damiani, 1985

    Mario a deviné qui était la cible 

    L’excellence du savoir-faire de Damiani est de tout les instants. D’abord évidemment dans le choix des décors, que ce soit à New York ou à Palerme, on retrouvera les oppositions entre les immeubles riches et cossus et les espaces plus laborieux, que ce soit le marché, ou les logements décrépis qui sont pourtant la marque d’un passé glorieux. C’est très nerveux, et le rythme est très soutenu, souvent par un découpage méticuleux qui accroit la tension, notamment entre les deux frères. Les scènes d’action sont peu nombreuses, mais très rapides et bien menées. J’aime bien les travellings qui servent à utiliser les couloirs sans trop savoir ce qu’on va découvrir, notamment quand Michele se retrouve tout seul dans l’appartement vide où il vient chercher Cecilia. Damiani a toujours eu un très grand sens de l’espace et aime comme souvent les réalisateurs italiens les longues perspectives. La photo de Sebastiano Celeste est très bonne, mais s’adapte tout à fait au style de lumière demandée par Damiani qui aime utiliser les ocres et les teintes bleutées, au détriment des verts et des rouges. Sans doute est-ce une meilleure approche de la Sicile. 

    Pizza connection, Damiano Damiani, 1985

    Mario est obligé d’abattre Mancuso à la place de son frère

    L’interprétation est emmenée par Michele Placido qui est toujours très bien, digne dans le crime. Il est Mario. C’est un spécialiste du film de mafia, des deux côtés de la barrière d’ailleurs. Il a même été policier avant de se tourner vers la carrière d’acteur, et cerise sur le gâteau, sa biographie le dit descendant d’un bandit célèbre. Il sera aussi réalisateur. Le rôle de son jeune frère Michele est tenu par le très pâle et inconsistant Mark Chase. Certes le rôle le veut un peu, mais il est très mauvais, on a envie de lui mettre des baffes tout le long du film, et cela ne vient pas seulement de l’ambiguïté de son rôle. C’est du reste le seul rôle qu’il interprètera au cinéma. Les autres acteurs sont tous bons, voire très bons comme Ida Di Benedetto dans le rôle de la mère de Cecilia.pn reconnaitra quelques habitués du poliziottesco comme Tony Sperandeo dans le rôle du crapuleux Vincenzo. On note que Michele a besoin de se détacher de sa famille y compris en trahissant son frère, comme Cecilia a besoin de s’éloigner de sa mère qui la livre sans vergogne à la prostitution. 

    Pizza connection, Damiano Damiani, 1985

    Michele constate les dégats de l’attaque au bazooka 

    Il y a des scènes très marquantes, comme l’attaque du procureur à coups de bazooka, avec des images de guerre et de dévastation, ou alors la mort du concurrent de Mario dans le sexshop. La visite de Mario à la casse quand il s’agit de se débarrasser de la voiture utilisée pour assassiner Mancuso. Et bien sûr les affrontements entre les deux frères, avec le ton méprisant que prend Michele pour s’adresser à son ainé qu’il finira par exaspérer. 

    Pizza connection, Damiano Damiani, 1985

    Mario abat Ognibene 

    Si ce n’est pas le tout meilleur de Damiani, c’est un très bon poliziottesco, agréable à regarder qui génère beaucoup d’émotion. C’est solide et bien fait. Le titre ne doit pas égarer le spectateur qui chercherait à y voir un traitement de l’affaire de la pizza connection qui était plutôt une affaire de trafic de drogue sur le territoire des Etats-Unis. 

    Pizza connection, Damiano Damiani, 1985

    Deux tueurs abattent Mario dans son restaurant à New York

    « Bersaglio altezza uomo, Guido Zurli, 1979Les bas-fonds de San-Francisco, Thieves’ highway, Jules Dassin, 1949 »
    Partager via Gmail

    Tags Tags : , , ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :