-
Pleins feux sur l’assassin, Georges Franju, 1961
Dans ce film peu connu de Franju, on notera d’abord le nom de Robert Thomas qui est l’auteur de la pièce 8 femmes en noir qui a donné naissance au film de Victor Merenda sur lequel Frédéric Dard a travaillé. Pleins feux sur l’assassin repose du reste sur le même principe éculé des Dix petits nègres d’Agatha Christie. Robert Thomas aurait écrit les dialogues avec Boileau-Narcejac dont nous avons rencontré le nom très souvent en explorant la cinématographie de Frédéric Dard et celle supposée être de lui. Le film a été produit par Jules Borkon qui avait été le producteur de Les salauds vont en enfer, Toi le venin et Les yeux sans visage.
Micheline arrive en Bretagne avec Jean-Marie
Le vieux comte de Keraudren, Chevalier de l’Ordre de Malte, se meurt et décide de se cacher dans son immense et luxueux château pour attendre la fin. Le comte ayant disparu, le notaire convoque ses héritiers qui sont sept cousins. Mais l’homme de loi prévient, si selon son médecin le comte est sans doute mort, on ne peut pas le déclarer décédé sur le plan juridique puisqu’on n’a pas découvert le cadavre. Il leur signale que le comte si on ne le retrouve pas avant ne sera officiellement mort pour la justice que dans cinq ans. Ce qui veut dire que l’héritage attendra. Entre temps et comme il faut payer pour l’entretien du château, les cousins décident de monter un spectacle « son et lumière » pour attirer des visiteurs et financer ainsi l’attente. Mais à partir de ce moment-là, les cousins vont commencer à disparaître les uns après les autres. C’est d’abord Henri qui est électrocuté, puis c’est André qui y passe, suivi bientôt de sa cousine Jeanne dont il était secrètement amoureux. La peur commence à s’installer et les héritiers se tirent naturellement la bourre, mais Jean-Marie, aidé de la pétillante Micheline, se transforme en détective et va monter un plan très compliqué pour piéger l’assassin.
Jean-Marie doit rejoindre ses cousins et donne rendez-vous à Micheline
Comme on le voit, c’est un scénario sans aucune originalité, un exercice de style. C’est obligatoirement et quoi qu’on en dise un film mineur de Franju, même si ici et là il peut étonner par des trouvailles intéressantes et inattendues. Pour le considérer comme un grand film, il faudrait avoir en tête uniquement la forme, et encore, même dans la manière de filmer il y a beaucoup à redire. Mais c’est la perversité de la gloire post-mortem que de croire qu’un cinéaste célèbre n’a pu faire que des chefs d’œuvre, tandis que de son vivant Franju était considéré seulement comme un petit maître. C’est un film choral, avec des portraits individuels comme des idéal-types : on aura droit à la jeune fille folle, la nymphomane, l’avare, etc. mais le personnage principal c’est le château. On sait que Franju mit très longtemps à trouver « son » château qu’il voulait comme une célébration poétique de la Bretagne dont il était originaire. C’est en effet un très beau château de La Bretesche qui ressemble à une île qui a été choisi. Certaines scènes d’intérieur ayant été tournées ensuite au château de la Goulaine. Cependant l’application dans la manière de filmer fait rapidement ressembler le film à un dépliant touristique. Ce sentiment est d’ailleurs renforcé par la surcharge des scènes du spectacle « son et lumière ». Ces dernières apparaissent comme un dérivatif, une manière de combler l’insuffisance du scénario. Mais on peut supposer que c’était là une manière de donner un air de modernité à l’ensemble.
Tous les cousins sont réunis sous la houlette du notaire
Du reste le film court après l’idée de modernité : c’est notamment le couple Jean-Marie-Micheline qui va la représenter. Ils arrivent en effet dans une décapotable rutilante qui, je le suppose, était l’image d’une France en voie de modernisation rapide. On verra rien de la Bretagne profonde de cette époque, à peine au début nous verrons une femme âgée et toute de noir vêtue se débattre avec sa volaille. La modernité est aussi représentée par les instruments qui permettent la mise en œuvre du spectacle. Ce qui aujourd’hui ne peut guère surprendre. Les femmes sont présentées comme étant sur le chemin de l’émancipation. Elles portent des pantalons, conduisent des voitures et prétendent même décider en lui et place des hommes. La pétulante Micheline n’en fait qu’à sa tête sous le regard admiratif de Jean-Marie, mais la belle Edwige drague ouvertement le palefrenier qui l’envoie pourtant promener, n’étant pas habitué à être choisi par une femme.
L’ingénieur explique comment le son et lumière est conçu
Mais à côté de ça, on retrouve des traces du savoir-faire de Franju. Par exemple dans son attention aux animaux. C’est le cheval qui n’est pas bien traité, et ce sont surtout les oiseaux qui ont un comportement très particulier. Bien avant Hitchcock et son film Birds, Franju filme des oiseaux agressifs, Jeanne sera renversée dans les escaliers par un hibou, et des corbeaux se suicident en apparence dans la haute tour du château. Peut-être que Franju avait lu l’ouvrage de Daphné du Maurier ? Ce savoir-faire est très présent aussi dans cette manière de filmer les escaliers en colimaçon. Franju tente aussi de donner un peu de légèreté et de l’humour : par exemple l’ecclésiastique qui fait de la radiesthésie, ou encore l’enterrement très rythmé et presque joyeux accompagné par la chanson de Brassens, Les funérailles d’antan. Mais on ne peut pas dire que ce soit dans ce registre qu’il soit le plus à l’aise. C’est d’ailleurs le seul film de Franju qui va dans ce sens. La très belle photo est signée Marcel Fradetal, un vieux complice de Franju avec qui il a travaillé sur pas moins de 4 longs métrages, dont le magnifique Judex, et 7 courts métrages.
Des bruits de pas dans le château
Dans un film choral, la distribution doit être soignée. Ici les acteurs sont bons, car Franju dirigeait toujours très bien, mais ils manquent de charisme et de notoriété. Pierre Brasseur, dont c’était la troisième apparition dans un film de Georges Franju, a seulement un petit rôle, il n’apparait que quelques brefs instants, le temps de mourir dès le début du film. Le film conducteur c’est Jean-Marie, incarné par Jean-Louis Trintignant. Il est très bon et sauve quelque part le film de l’ennui. Dany Saval est la pétulante Micheline. Elle était spécialisée à cette époque dans les rôles de jeunes filles drôles et délurées. Les autres acteurs n’ont rien de remarquables. Pascale Audret est la fragile Jeanne, Marianne Koch qui tournera ensuite avec Sergio Leone, hérite du rôle de la sulfureuse Edwige. Rappelons qu’à cette époque il était assez fréquent de présenter les Allemandes comme des femmes très chaudes et décomplexées dans le choix des hommes qu’elles prétendaient croquer. On trouve ça dans de très nombreux San-Antonio. Les autres acteurs ne font que passer. Y compris Lucien Raimbourg, le cousin de Bourvil, qui est toujours très juste dans ces rôles de vieux bougons, rusés et fourbes. Philippe Leroy-Beaulieu qui fera par la suite une belle carrière en Italie est aussi très bien dans le rôle d’André. Mais il meurt assez rapidement, comme Gérard Buhr qui est le premier à se faire occire. Plus étonnant est sans doute le danseur Jean Babilée dans le rôle de Christian. Mais on n’y trouvera rien à redire.
Micheline et Jean-Marie explore le château
Le film n’aura aucun succès, ni critique, ni public. Si Les yeux sans visage avait eu un faible succès en France, il avait eu tout de suite une reconnaissance internationale qui compensait. Ce ne fut pas le cas de Plein feux sur l’assassin. C’est un film qu’on exhume maintenant parce qu’il est signé Franju. Il se trouve maintenant en Blu ray. Au moins le numérique sert-il à cela : on peut produire et diffuser un film dans une bonne qualité avec des coûts assez bas. Ce qui nous permet de voir et de revoir des films anciens sur lesquels on était passé sans doute un peu vite dans le temps.
Jean-Marie guette
Comme je l’ai laissé entendre tout au long de cette chronique, ce n’est pas un très bon film, surtout pour Georges Franju dont on attend un peu plus. Mais peut-être me laissé-je abuser par le peu de goût que j’ai manifesté pour les formes héritées du roman de détective à la manière d’Agatha Christie. Il se voit évidemment sans déplaisir, ne serait-ce que par le rappel de ce qu’était le cinéma de ces années-là, et nous laisse le temps d’apprécier la rigueur de la mise en scène comme le château dans lequel le film est tourné, cependant il laisse une impression de vide qui ne se dissipe pas.
Jean Marie a coupé la sous-ventrière du cheval d’Edwige
Pour terminer, notez que, la même année, Trintignant participa à un autre film du même type, Le jeu de la vérité de Robert Hossein, film soi-disant écrit par Robert Chazal, qui connut un succès public plus important cependant.
Tags : Georges Franju, Boileau et Narcejac, Jean-Louis Trintignant, Agatha Christie
-
Commentaires