• Police spéciale, The naked kiss, Samuel Fuller, 1964

     Police spéciale, The naked kiss, Samuel Fuller, 1964

    A réexaminer la carrière de Fuller, on a l’impression qu’il marche toujours à contre-temps, autrement dit que le meilleur qu’il donne est quand il revient en arrière, vers les formes anciennes du film noir ou du western. The naked kiss est un film noir à l’ancienne, d’une grande violence. Très ramassé et rythmé, approfondit l’idée de fatalité pour une personne, Kelly, qui pourtant semble avoir tous les moyens possibles pour se défendre dans la vie. Bien qu’il n’y ait aucune scène audacieuse, c’est un film qui sent le soufre, non pas ce qu’il montre, mais parce qu’il suggère. Dans la première partie des années soixante, il est au mieux de sa forme, il a des idées originales pour tout ce qu’il fait, et, tandis que tout le monde se met à la couleur, il persiste dans le noir et blanc. La seule concession qu'il fera à la manière moderne de filmer sera dans l’utilisation de l’écran large, 1,85 :1. 

    Police spéciale, The naked kiss, Samuel Fuller, 1964 

    Le maquereau de Kelly vient de recevoir une raclée de la part de Kelly 

    Kelly, jeune et belle prostituée, quitte New York après avoir donné une raclée mémorable à son maquereau. Elle erre de ville en ville pour exercer son curieux métier, jusqu’au jour où elle s’arrête à Grantville. Repérée par le policier de l’endroit qu’elle séduit, elle couche avec lui pour de l’argent, puis décide de changer sa vie. Plutôt que de suivre le conseil de Griff, d’aller se prostituer chez Candy, elle va se faire engager dans l’hôpital local qui s’occupe des enfants handicapés. Elle est très dévouée, et semble avoir trouver sa voie. L’hôpital est financé par le milliardaire local, Grant, son arrière-grand-père à fonder la ville, et ce dernier donne une réception pour fêter son retour. Il va tomber amoureux de Kelly qui elle aussi l’apprécie pour sa culture, sa distinction, ses manière raffinées. Rapidement ils vont former le projet de se marier, et Kelly semble vivre un conte de fée. Entre temps elle s’est affrontée avec Candy la mère maquerelle de l’endroit qui tente de débaucher une de ses condisciples pour son business de prostitution locale. Altruiste, elle aide ses copines qui sont dans des situations difficiles, par exemple pour éviter l’avortement à une jeune femme enceinte. Même si elle ne croît pas trop en elle, Kelly va accepter de se marier. Griff qui est jaloux, tente bien une nouvelle fois de la faire partir de la ville, sans succès. Mais alors que les préparatifs du mariage sont bien avancés, Kelly va surprendre son futur mari dans une position délicate avec une petite fille qui peut avoir 7 ou 8 ans : c’est un pédophile. De colère autant que de dépit, elle le tue d’un coup de téléphone bien appuyé sur le crâne. Elle va être arrêtée, ayant elle-même téléphoner à Griff. Elle semble devoir être condamnée assez facilement parce qu’elle apparaît aux yeux de la ville comme une femme vénale qui a voulu profiter de l’argent de Grant. Mais curieusement au fur et à mesure que les preuves s’accumulent contre elle, Griff semble croire de moins en moins à sa culpabilité. Il va donc l’aider à retrouver la petite fille qui était avec Grant et l’innocenter. Elle quittera la ville. 

    Police spéciale, The naked kiss, Samuel Fuller, 1964 

    A Gratville, Kelly fait la connaissance du policier Griff 

    De nombreux thèmes sont développés ici. D’abord cette idée de rédemption, Kelly va se racheter de ses turpitudes en s’occupant des enfants les plus démunis. On apprendra qu’elle-même ne peut pas en avoir. Mais cette rédemption est illusoire, et son passé va la rattraper. Il y a ensuite le thème de la petite ville idyllique qui cache ses turpitudes derrière une morale apparente et surannée. Tout semble bien propre, mais le flic Griff couvre un réseau de prostitution sous l’autorité malveillante de la vieille et méchante Candy. Cependant, tout reste ambigu. Et c’est Griff pourtant qui veut à plusieurs reprises chasser Kelly de la ville qui va la tirer du mauvais pas dans lequel elle s’est mise. Grant est un homme très riche et raffiné, mais il cache aussi des vices terribles puisqu’il s’en prend aux petites filles. Plusieurs auront été assassinées. Le riche Grant est un pédophile, comme si son vice était la contrepartie de cette richesse qu’il n’a pas méritée mais qu’il a héritée de sa famille. Rien n’est fait non plus pour cacher les louches tentations des jeunes filles qui veulent gagner de l’argent en vendant leur charme. Le plus souvent elles n’ont pas de raison véritable de le faire, si ce n’est la cupidité et le goût de la turpitude. Et puis par-dessus tout, The naked kiss est le portrait d’une femme forte qui sait affronter la vie et qui se bat en ne comptant que sur elle-même. On remarquera au passage que Kelly ne peut s’extraire de sa situation qu’en abandonnant ses illusions, le riche est cultivé Grant n’étant qu’une crapulé décérébrée, loin de l’humanité des collègues de Kelly qui se dévouent avec constance aux enfants. Des bribes des films de prison de femmes sont recyclées ici, avec de belles images en noir et blanc de Kelly derrière ses barreaux. 

    Police spéciale, The naked kiss, Samuel Fuller, 1964 

    Kelly est devenue très dévouée pour les enfants handicapés 

    Fuller avait le sens du spectaculaire, c’est le moins qu’on puisse dire, et la scène qui ouvre le film est une scène d’anthologie. Qu’on se moque ou pas de l’histoire, il faut voir ce film au moins pour ce moment où nous voyons Kelly qui donne une raclée carabinée à son souteneur, dans la bagarre elle perdra sa perruque, car elle a été rasée, puis une fois sa tâche accomplie, elle la remettra sur le sommet de son crâne, se remaquillera et quittera la scène. Au moins ça on ne l’a pas vu avant et on ne l’a plus vu après. C’est filmé d’une manière sobre et rapide, avec des champs-contre champs, puis saisi dans des plans larges. Fuller joue aussi beaucoup de l’émotion, un des passages les plus forts est sans doute ce moment où les enfants handicapés chantent L’oiseau bleu sous la direction de Kelly. Bien sûr il y a quelques clins d’œil sans importance, par exemple lorsque Kelly passe devant le cinéma de la petite ville, on remarque qu’il s’y joue Shock corridor. Mais dans m’ensemble c’est plutôt sobre. Même la déception de Kelly lorsqu’elle a tué son ex-futur mari et qu’elle regarde toutes ses richesses auxquelles elle aura renoncé. Car en effet, comme le lui suggérait Grant, elle aurait pu fermer les yeux sur ses tares, mais avide de perfection, elle ne peut pas le supporter.  Quelques plans suffisent à Fuller pour nous le faire comprendre : l’escalier monumental de la maison familiale, les tableaux et le riche mobilier.

     

    Police spéciale, The naked kiss, Samuel Fuller, 1964

    Griff tente de chasser Kelly de la ville 

    Le film est fait pour Constance Towers qui trouve en Kelly sans doute le rôle de sa vie. Certes elle avait été utilisée par John Ford dans deux de ses films, The horse soldiers et Sergeant Rutledge, on l’avait vue également dans Shock corridor, mais jamais elle n’eut un rôle d’une telle intensité. Elle fera l’essentiel de sa carrière à la télévision. Très grande, énergique, les rôles de jeune femme fragile qui sont si nombreux à l’écran ne peuvent que lui être interdits. Elle est excellente de bout en bout, qu’elle soit enragée ou désespérée. Elle s’est même rasée la tête pour le rôle ! Anthony Esley est Griff, l’ambigu policier de Grantville qui est à la fois attiré par Kelly et qui n’arrive pas à s’avouer qu’il est amoureux d’elle, malgré tout. Il est très bien. Plus contestable est sans doute le choix de Michael Dante dans le rôle du vicieux Grant. Pas qu’il soit mauvais acteur, il a trop peu à faire pour être mauvais, mais surtout parce qu’il a une mauvaise tête et qu’on voit tout de suite, avant même de savoir quoi que ce soit de lui, qu’il est un criminel en puissance. Les autres rôles sont bien distribués, que ce soit les enfants, ou les collègues infirmières, avec une distinction pour cette vieille peau de Candy, la mère maquerelle locale, incarnée brillamment par Virginia Grey. 

    Police spéciale, The naked kiss, Samuel Fuller, 1964 

    Dans sa prison, Kelly se morfond, désespérant de prouver sa bonne foi 

    Il reste des séquences remarquables de sobriété et d’efficacité comme par exemple quand Kelly cherche à reconnaître le témoin de l’assassinat de Grant et que défilent devant la fenêtre de la prison toutes les petites filles blondes de la ville qui ont 7 ou 8 ans. Ce ne sont pas les angles de prise de vue qui étonnent ici, mais plutôt la durée qui fait naître rapidement le désespoir chez Kelly. C’est un film fauché, mais sans doute cette absence de moyens permet de mieux faire ressortir l’efficacité de la mise en scène. Il y a un soin étonnant dans les rapports que Kelly entretient avec sa propriétaire ou avec l’infirmière en chef qui lui permet d’exercer avec talent son nouveau métier. Ce sont des femmes âges, en quelque sorte des mères de substitution. La dernière scène montre Kelly quittant la ville à laquelle elle ne pardonne sans doute pas, elle traverse la foule qui est venue la saluer parce qu’elle a mis fin aux crimes d’un pédophile, puis elle s’en va par une rue vide et déserte vers sa destinée. Si la fin évite le mélodrame, l’ensemble reste sombre et pessimiste

    Police spéciale, The naked kiss, Samuel Fuller, 1964 

    Griff demande à Kelly de se calmer si elle veut faire parler la petite fille 

    Le film a été un bon succès commercial et critique. C’est justifié. Plus de cinquante ans après il se revoit encore très bien, et on y retrouve des petits détails intéressants de mise en scène ou de décor. C’est sans doute un des Fuller que je préfère pour sa sincérité et son empathie qui va bien au-delà du thème éculé de la rédemption d’une prostituée qui a pris le mauvais chemin. Après ce film Fuller va rester plusieurs années sans tourner, et il va aller de difficulté en difficulté, multipliant à la fois les projets et les échecs commerciaux. 

    Police spéciale, The naked kiss, Samuel Fuller, 1964

     

     

    Kelly doit quitter la ville

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