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Strictly criminal, Black mass, Scott Cooper, 2015
Les histoires véridiques des grands gangsters sont des sources inépuisables pour le film noir. Dépassant les limites de la décence en matière de violence, ils intriguent par un sorte de dimension surhumaine, voir par l’incompréhension qu’ils suscitent quant à leur motivation. Mais par ailleurs les biopics ne sont que très rarement des réussites, aussi bien parce que le scénario a du mal à s’émanciper de son modèle qu’il traîne comme un boulet, que par les difficultés qu’il y a à reconstituer une vérité disparue. De Scott Cooper, on avait bien aimé Les brasiers de la colère, un petit film noir, sans prétention, réalisé en 2013 avec un très bon Christian Bale. L’histoire était bien menée, le rythme vif. Mais il avait été un échec commercial important.
James Bulger est contacté par son ami d’enfance
C’est donc l’histoire vraie de James J. Bulger, petit gangster irlandais de Boston qui va devenir un des plus grands truands de la ville, grâce à la complicité du FBI. En effet il est l’ami d’enfance de John Connelly qui a un poste de responsabilité au sein du service. Ce dernier a la lumineuse idée de se servir de James Bulger comme indicateur pour atteindre la mafia italienne et démanteler ses réseaux. D’abord réticent au motif qu’il n’est pas une balance, Bulger va accepter, car dans cette association insolite, il comprend tout de suite qu’il va pouvoir poursuivre ses activités criminelles en étant protégé par la police fédérale. Cette idylle ne durera pourtant pas, le FBI et le nouveau procureur vont en effet mettre à jour le peu d’efficacité des tuyaux fournis par Bulger dans la lutte contre la grande criminalité. D’autant que la collusion entre Bulger et Connelly fait jaser : ce dernier commence à mener un train de vie qui dépasse ses moyens. Bref la chute n’est pas loin. Finalement Bulger sera arrété après de longues années de cavale à l’âge de 81 ans, et il purge aujourd’hui sa peine pour une vingtaine de meurtres qu’il aurait commis ou commandités.
James Bulger n’hésite pas à mettre la main à la pâte
C’est donc la trame très traditionnelle de l’ascension et de la chute d’un caïd. Mais à vrai dire le premier défaut de ce film est que Bulger est profondément antipathique, et ses douleurs manifestées au moment de la mort de sa mère ne le rendent guère plus humain. Le personnage de Bulger avait déjà été utilisé au cinéma dans Les infiltrés de Martin Scorsese pour construire le personnage de Frank Costello interprété par Jack Nicholson. Le film de Scorsese était déjà un assez mauvais remake des Infiltrés de Andrew Law, un très bon film hongkongais. Mais ce qui semblait plus original ici était de montrer comment un truand plutôt rusé arrivait à retourner des policiers du FBI qui pensaient se servir de lui. C’est cet aspect qui est d’ailleurs le plus intéressant dans le film. Mais il y a une autre dimension qui est celle un peu ronronnante d’une amitié d’enfance entre un flic et un voyou. Cela donne lieu à des scènes improbables, on veut bien que John Connelly soit un peu limité sur le plan de la réflexion, mais tout de même il n’est guère crédible qu’il ait pu être manipulé par Bulger. Et donc il vient tout de suite que si Connelly veut travailler avec Bulger, c’est qu’il a d’autres motivations, peut être celle de s’enrichir en vendant lui-même ses services à Bulger sous couvert d’obtenir des renseignements. D’autres points ne sont pas explorés qui auraient pourtant été intéressants, par exemple les relations entre les deux frères Bulger, l’un est sénateur, l’autre voyou, mais le premier fait comme s’il n’avait rien à voir avec le second et joue les offusqué dès que Connelly indique qu’il va devoir couvrir son frère pour éviter un désastre annoncé. Le défaut majeur est donc une grande paresse dans l’écriture du scénario qui se contente d’empiler les scènes de violences des activités délictueuses de Bulger sans faire progresser l’histoire d’un pouce.
James se moque gentiment des flics avec qui il travaille
La mort du fils de Bulger était là pour donner une base psychologique au caractère psychopathe du caïd irlandais, mais ça ne reste pas très approfondi. Le bon côté des choses est de situer le film à Boston, ville à la fois très high-tech et gangrénée par les différentes mafias dont la mafia irlandaise. C’est aussi à Boston que se passait le très bon The town de Ben Affleck, mais avec une autre tenue. Sensée se passer à la fin des années soixante-dix et au début des années quatre-vingt, la reconstitution est un peu pénible et assez fausse. Malgré les moyens investis, ce n’est pas l’esprit de l’époque, mis à part les voitures bien entendu. Mais glissons sur cette difficulté. Le projet est hésitant, probablement parce qu’il s’appuie sur trop de références, il est en effet à la fois inspiré par les films de Scorsese, on a cité Les infiltrés, et on peut y ajouter Les affranchis et Casino mais sans leur côté flamboyant, et par des films asiatiques comme Les infiltrés qui s’occupent bien moins de réalisme et appuient plutôt sur le côté extravagant des personnages.
L’enterrement de sa mère est le début de la fin pour James
L’interprétation de Johnny Depp, acteur transformiste s’il en est, n’est pas mauvaise, un peu froide toutefois, mais le maquillage outrancier destiné à la vieillir et à le faire passer pour un chauve, plombe le film – ce maquillage est d’ailleurs un problème en soi parce qu’il donne par moment un côté guignolesque à Bulger. On note que Johnny Depp avait déjà incarné un gangster ayant existé, puisqu’en 2009 il était John Dillinger dans Public ennemies de Michael Mann, un film a succès, mais maniéré et de peu d’ampleur sur le plan artistique. Joe Edgerton dans le rôle de Connelly en fait sans doute un peu trop dans l’expression de sa naïve mauvaise foi. On notera l’absence de personnages féminins. Par contre les seconds rôles sont presque tous très bons, que ce soit Kevin Bacon dans le rôle du supérieur hiérarchique de Connelly, ou David Harbour dans le rôle d’un agent du FBI fasciné par la personnalité de Bulger. Les seconds couteaux de Bulger sont aussi très bien, Jesse Plemons ou Rory Cochrane.
Le procureur est de plus en plus réticent pour couvrir les turpitudes de Connelly
Sur le plan cinématographique, on notera une grande incapacité à saisir le décor de la ville de Boston comme un personnage important du film. Mais cela provient du scénario qui multiplie les dialogues inutiles et donc en vient à enfermer les personnages dans des tête-à-tête trop nombreux avec les gros plans qui vont avec. Tout semble se passer dans des bureaux, des pièces étriquées où on ne respire pas. Et comme le film développe des scènes d’action ou de meurtres très nombreux, il s’ensuit une allure saccadée. Rien ne nous sera épargné, ni la fête de la Saint Patrick, ni les relations de Bulger avec les membres de l’IRA à qui il offre des armes, ce qui est sensé donné une coloration ethnique à cette histoire de gangsters. Les luttes de clans avec les Italiens de la mafia ne sont pas approfondies, à peine suggérées.
Le vrai James Bulger
Bref si le personnage de Bulger est suffisamment riche pour engendrer un film intéressant, Black Mass est plutôt raté. Il ne restera ni dans la carrière de Johnny Depp, ni dans celle de Scott Cooper.
« Quelque part en France, Reunion in France, Jules Dassin, 1942Les passagers de la nuit, Dark passage, Delmer Daves, 1947 »
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