• The Shield, série créée par Shawn Ryan, 2002-2008

     The Shield, série créée par Shawn Ryan, 2002-2008

    Je ne suis pas trop amateur de séries télévisées, même si elles se trouvent dans le champ du noir, sans même parler des séries polardières françaises que je n’arrive jamais à suivre. Mais il y a quelques exceptions. The shield est une série télévisée qui date du début des années 2000 et qui comprend 7 saisons, et 88 épisodes. Cette série créée par Shawn Ryan a renouvelé complètement le « film noir », tant sur le plan de la thématique que sur le plan de la manière de filmer en utilisant les nouvelles possibilités offertes par le format. C’est une vision originale de Los Angeles qui nous est livrée ici, mais cette fois elle est complètement noire. Je me demande si on peut faire plus noir dans le genre. D’autres séries se passent à Los Angeles, notamment Bosch, adaptée de l’œuvre de Michael Connelly. Cette dernière est plus récente, et parle encore d’un nouveau Los Angeles. Moins noire, plus propre, sans aucun doute, même si on y trouvera des similitudes nombreuses. J’ai vu The shield au moment de sa sortie en France en 2002. En fait j’y étais tombé dessus par hasard, en zappant tout simplement, ce que je ne fais pratiquement qu’une fois tous les dix ans ! Et ça m’avait soufflé. J’ai donc revu, dix ans après son achèvement, l’intégralité des sept saisons dans la continuité, et j’en pense toujours le même bien. Certains l’ont qualifiée de chef d’œuvre, ce n’est pas exagéré.

     The Shield, série créée par Shawn Ryan, 2002-2008 

    Dans l’épisode 1 de la saison 1, Mackey abat le policier Terry Crowley 

    Dans un quartier pourri de Los Angeles, Farmington, the barn est une ancienne église désaffectée qui héberge un nouveau poste de police. Le but est de tenter de faire baisser la criminalité, et notamment la lutte entre les gangs. A l’intérieur de cette équipe, la strike team, est chargée d’aller directement au contact, et on lui laisse un peu la bride sur le coup pour se débrouiller. Le leader de cette Strike team est l’inspecteur Vic Mackey. Policier violent, il a du mal à se faire une place. C’est pour cela que le chef-adjoint Gilroy l’a choisi. Mackey va former une équipe soigneusement sélectionnée, avec Shane Vendrell, Curtis Lemansky et Ronnie Gardocki qui lui sont fidèles. A cela l’ambitieux capitaine, David Aceveda, va adjoindre Terry Crowley, un agent fédéral chargé de surveiller la strike team et si possible de l’éliminer en dénonçant ses malversations. Car la strike team use de moyens peu orthodoxes, ils subtilisent de l’argent et de la drogue aux dealers, exercent un chantage éhonté sur la racaille. Aceveda a comme but de prendre le pouvoir d’abord sur the barn, et ensuite de progresser sur le plan politique. Pour cela il doit évincer aussi bien Gilroy que Mackey et sa bande. C’est ce qui l’amène à introduite Crowley au sein de l’équipe de Mackey. Mais ce dernier est au courant des manœuvres de son coéquipier, et le tue lors de l’arrestation d’un dealer, faisant passer ce meurtre pour une sorte d’accident, Crowley aurait été tué par le dealer qui lui-même a été abattu. C’est là le point de départ d’une longue descente aux enfers qui durera 7 saisons et donc sept ans. En effet les ennemis de Mackey relancent l’enquête en permanence, ce qui l’oblige à se défendre de plus en plus difficilement et à inventer des solutions plus ou moins scabreuses pour s’en sortir. Mais Mackey n’est qu’un des éléments de la série. A ses côtés, il y a plusieurs équipes, d’abord Dutch Wagenbach et Claudette Wims qui eux enquêtent d’une manière plus classique sur les crimes, meurtres, viols, etc. Ils ne font pas la rue, ils travaillent à amasser des preuves et à interroger les suspects pour faire émerger la vérité et coffre les coupables. Et puis il y a Dani Sofer et Julien Lowe qui eux travaillent en uniforme à patrouiller dans le but sans doute de rassurer les citoyens. Sur the barn, vont venir se greffer des personnages extérieurs qui sont sensés représenter l’ordre et la politique. Ce sont des enquêteurs dont le travail n’est pas très apprécié. Ainsi l’agent Jon Kavanaugh des affaires internes va tenter par des moyens douteux de faire plonger Mackey, mais il a toujours un temps de retard, et ses magouilles vont le mener directement à la prison. L’ensemble est plongé dans l’ordinaire des interventions policières, dans un quartier où le travail ne manque pas. Au fur et à mesure que le temps passe, la strike team va se désagréger. La confiance s’en est allée. Lem va mourir, assassiné par Shane, Mackey va s’opposer violemment à celui-ci. L’équipe finira par se désagréger complètement. La chute finale laisse supposer que Mackey ne s’en sortira finalement pas.

    The Shield, série créée par Shawn Ryan, 2002-2008 

    Dani Sofer vient d’abattre un musulman 

    L’ensemble aurait été donc inspiré par le scandale des policiers de Rampart, scandale qui entrainera des révocations nombreuses, mais aussi des suicides[1]. Cette affaire qui impliquait des dizaines de flics de terrain, fit beaucoup de bruit, et elle donna d’ailleurs naissance à un film, Rampart[2]. Ce fut un scandale presqu’aussi traumatisant pour l’Amérique que l’affaire O.J. Simpson ou l’affaire Rodney King. Il ne faudrait pas croire que ces histoires ne sont que propres aux Etats-Unis. Récemment en France on a eu l’équivalent avec l’affaire de la Bac Nord de Marseille qui a été dissoute avec fracas en 2012 par Manuel Valls quand il était ministre de l’intérieur[3]. Les baqueux sont en effet eux aussi des flics de terrain, et comme tels ils ont des méthodes souvent peu orthodoxes, on les a accusés de piquer de la drogue et de l’argent aux dealers, mais aussi d’avoir volontairement provoqué la mort d’un indicateur de police. Dans les deux cas, Marseille et Los Angeles, les quartiers minés par la pauvreté sont très nombreux, délimitant les zones de non droit, et la diversité ethnique est très élevée. The shield se passe à Farmington, quartier imaginaire, situé du côté de Wilshire et de Rampart, mais concentrant toutes les tares et les misères de l’Amérique. Il y a d’abord un fort coefficient d’hétérogénéité ethnique. Ce qui conduit les Latinos à s’apposer violemment aux Noirs pour des part de marché de la prostitution ou de la drogue. Mais on verra aussi que les Latinos entre eux ne font pas forcément bon ménage, les Salvadoriens sont en guerre permanente avec les Mexicains. Il y a aussi une mafia arménienne présentée comme puissante, discrète et bien organisée. Ils préfigurent l’impossibilité d’un communautarisme paisible, l’échec d’une intégration. Ces gangs ont des relations, et notamment jusque dans les prisons. Il est donc très difficile de les attaquer bille en tête, et la strike team cherche à leur faire mal le plus possible, en les accusant des pires crimes ou encore en les volant et en les manipulant. Ce premier thème, le plus évident, renvoie en réalité à une critique du capitalisme. Toute cette faune s’agite pour accumuler du capital monétaire et du capital politique et se faire une place au soleil. Dans la mesure où la hiérarchie policière demande du chiffre, tout en diminuant les moyens à disposition, il est inévitable que les flics sortent de la route de manière périodique, aussi bien parce qu’ils enragent de leur impuissance à réduire significativement la criminalité que parce qu’ils côtoient une richesse arrogante acquise en marge de la loi. Voler les voleurs est une manière d’efficacité dans la concurrence entre les flics et les gangs. Et puis la société invente toujours des besoins d’argent : Mackey a deux enfants autistes, et il est dépassé par le coût de leur éducation. Peu de flics arrivent à échapper à cette logique : laisser courir un petit poisson, pour en prendre un plus gros. Cette logique est d’autant plus nécessaire et évidente que la guerre civile entre les communautés est toujours latente. Même la très rigoriste Claudette Wims n’échappera pas à cette mécanique infernale du rendement. Ceux qui, comme les policiers de la Strike team, ne sont pas adaptés à cette course folle au rendement disparaitront nécessairement. Et c’est bien pour ça que dès le premier épisode, on comprend que Mackey n’a aucune chance de survivre.

     The Shield, série créée par Shawn Ryan, 2002-2008 

    Aceveda s’est fait piéger par deux petits voyous 

    Cet idéal de concurrence mercantile, propre à la société capitaliste décadente, va se doubler d’une lutte à mort entre les policiers de terrain et l’administration, ici représentée par le LAPD’s Internal affairs incarné par le lieutenant John Kavanaugh qui poursuit des buts très obscurs, camouflant l’échec de sa vie derrière une forme de défense de la rigueur de la loi. Et d’ailleurs, on se rend compte que les policiers ou les membres de l’administration qui brandissent à tour de bras le nécessaire respect de la loi, ne sont pas très clair avec ce qu’ils veulent en faire. Au moins avec Mackey on sait où on se trouve. Il n’est ni sournois, ni hypocrite. C’est un rebelle, un anarchiste qui ne supporte pas l’autorité. Cette dimension de la lutte de l’individu contre la bureaucratie envahissante et tatillonne a été insuffisamment soulignée à propos de la série, mais on la retrouve aussi quand il faudra que Mackey affronte l’ICE. Mackey, contrairement à toutes les apparences est un être très moral. Certes sa morale est très particulière puisque c‘est lui et lui seul qui en définit les contours, mais elle est pourtant assez claire. Il défendra du mieux qu’il le peut la prostituée et droguée Connie Reisler, ou encore Emolia Melendez qui pourtant le trahira pour de l’argent. C’est pourquoi il finira par être broyé par l’administration. Le second thème est donc l’individu seul face à une cité tentaculaire et mauvaise par définition. La ville qui menace en permanence de sombrer dans le chaos, laisse les individus face à leur solitude. Vic Mackey ne peut pas parler de ses lourds secrets avec quiconque, Shane se risquera à chercher du réconfort du côté de sa femme, mais le remède sera pire que le mal puisque c’est bien par-là que Shane entraînera la destruction de la strike team. Bien que Mackey soit plus prudent, il sera aussi finalement trahi par la mère de ses enfants. L’équipe n’existe que dans une amitié où la solidarité repose sur la confiance. Mackey vise à construire une équipe qui serait une sorte d’égrégore d’une société nouvelle, où le collectif primerait sur l’individuel, et peu importe si cela doit s’appuyer sur une morale peu orthodoxe, et peu importe aussi si on doit y laisser sa peau. Au fond c’est peut-être plus cela qu’on lui reproche que ses exactions. En contournant si facilement la loi, il montre que celle-ci est mauvaise et inadaptée en tout, sans efficacité sur le désordre de la rue. Mackey est insolent, et principalement en face de ceux qui lui font la leçon et dont il dénonce régulièrement l’hypocrisie. 

    The Shield, série créée par Shawn Ryan, 2002-2008 

    Vic Mackey va avoir une alliée inattendue en la personne du nouveau capitaine, Monica Rawling 

    Tous les protagonistes de cette saga souffrent d’abord d’une grande solitude. Julien Lowe par exemple est un flic homosexuel qui se réfugie dans la religion et qui ne peut guère afficher ses tendances qu’il tente de fuir. Corinne Mackey est seule face aux difficultés de sa famille. Aceveda ne peut avouer la honte qu’il a d’avoir été piéger par deux malfrats de bas étage qui l’ont obligé de les sucer sous la menace d’une arme à feu. Mackey lui-même est seul. Les rares appuis ponctuels qu’il trouvera seront très fugaces. Kavanaugh comprend tout à fait cette solitude, lui-même en souffre, mais il choisit la voie opposée à celle de Mackey, pour arriver à ses fins, il va justement jouer sur la solitude de ceux qu’ils rencontrent pour les manipuler en protégeant son entreprise des rigueurs de la loi. Quand il jettera l’éponge et choisira d’aller en prison, c’est bien parce qu’il ne se supporte plus lui-même. Au moins, en prison, il n’aura plus à se démener contre ses démons. Il sera tout aussi seul, mais vidé de toute responsabilité. Dani Soler est peut-être la plus forte de tous, elle assume sa solitude en choisissant d’élever l’enfant qu’elle s’est fait faire toute seule, sans rien demander à personne. Dutch c’est la même chose. Tellement habitué à fréquenter des assassins et des violeurs, qu’il ne sait plus où il en est lui-même. Il cherche une sorte de protection maternelle du côté de Claudette. Il ne la trouvera guère, celle-ci étant trop absorbée par les échecs de sa vie personnelle et aussi sa maladie. On le verra étrangler un chat, seulement pour essayer de comprendre pourquoi on devient criminel. Mais s’il se pose la question c’est bien parce qu’il est à deux doigts de basculer dans la folie, celle des criminels qu’il côtoie à longueur de journée. Dans ce contexte, les alliances se forment et se défont au gré des circonstances et des besoins. Aceveda poursuit d’abord Mackey pour des raisons d’ambition politique, il veut montrer aux électeurs qu’il lutte contre la corruption, ensuite par haine, mais il va finir par composer avec lui en se retournant contre son financier qui est aussi un mafieux, la morale ordinaire est sauve, mais l’intégrité intellectuelle d’Aceveda non. L’utilitarisme est leur dernier rempart, mais c’est aussi leur outil.

    The Shield, série créée par Shawn Ryan, 2002-2008 

    Kavanaugh veut la peau de Mackey, il tente de s’appuyer sur Aceveda 

    Ces gens-là sont en sursis, vivant dans un monde dangereux, ils se débattent comme ils peuvent, souvent en se croyant plus malins les uns que les autres. Si l’amitié est le fil rouge de cette saga, son nécessaire contraire, la trahison, l’est tout autant. C’est presqu’une question de survie quand on a fait des mauvais choix et qu’on essaie d’échapper à une sanction plus ou moins juste. Dans ce monde impitoyable, seuls survivent les plus durs, et encore. Shane payera ses faiblesses, non seulement parce qu’il a trahi Lem et Vic, mais aussi parce qu’il a fait confiance à sa femme, une imbécile, qui ne comprend rien du monde dans lequel il vit. Il paiera donc, en y laissant la vie, mais d’abord il perdra son honneur et ses amis. Il partira dans un monde meilleur avec le dégout de lui-même. Gilroy trahira Vic également, sans état d’âme, mais il le paiera chèrement lui aussi. Au fond tout cela ressemble à l’histoire d’une impossible rédemption. Mackey essaie de se trouver une conduite raisonnable pour compenser le meurtre de Crowley, et le vol du train de l’argent des Arméniens, mais il n’y arrivera jamais. Une des raisons c’est l’argent. En effet lorsque les protagonistes de cette fable croient s’en sortir en captant de l’argent facile, ils s’enfoncent au contraire, que ce soit Gilroy et ses magouilles immobilières ou Mackey et l’attaque du train de l’argent des Arméniens, ou même Aceveda qui accepte de l’argent sale pour financer sa campagne électorale. Mackey a aussi besoin d’argent pour faire face au coût de l’éducation de ses deux enfants autistes. Car dans cette Amérique décadente, tout coûte cher, et ceux qui n’ont pas d’argent sont impitoyablement rejetés à la périphérie des établissements scolaires de bonne réputation. 

    The Shield, série créée par Shawn Ryan, 2002-2008 

    Kavanaugh sera arrêté par Claudette Wims pour avoir fabriqué des fausses preuves contre Mackey 

    Les femmes jouent un rôle décisif, non pas seulement comme but à atteindre, mais aussi parce qu’elles s’émancipent. Corinne s’émancipe de Vic en reprenant un boulot d’infirmière à Mission Cross, Claudette accède à un poste de responsabilité en devenant le chef de the barn. Dani Sofer également, en se donnant du mal pour devenir détective à part entière, mais aussi en s’endurcissant. Mais les excès d’adrénaline passent aussi par le sexe. C’est brutal, Dani ne se gêne pas pour draguer qui elle veut, Tina non plus. Et la plupart des policiers se prêtent à ce jeu violent de relations diverses et sans avenir au gré des rencontres. Shane baise ainsi une petite adolescente noire, membre d’un membre dangereux. Les truands ne sont pas en reste. Et Armadillo viole tout ce qu’il peut, même une gamine qui lui a fait l’affront de ne pas avoir peur de lui. Il y a également une exquise de ce que sont les relations féminines des flics de terrain quand par exemple Julien Lowe est initié par ses collègues qui l’envoie se faire sucer la bite par une jeune femme qui en apparence collectionne les pipes avec les forces de l’ordre – comme tous les faits relatés dans cette série, c’est très réaliste, je veux dire qu’il y a des filles comme ça qui mouillent pour les cowboys dans les bars à flic. Il y a d’ailleurs beaucoup d’histoire de bites et de virilité, comme si dans ce système décomposé les mâles devaient nécessairement la perdre. On verra des émasculations, ou encore Julien Lowe se faire tabasser quand il sera soupçonné par ses collègues d’être homosexuel. Le sexe est un enjeu de pouvoir. Mackey, pour mettre à genoux Kavanaugh, ira jusqu’à baiser sa femme avec qui il est séparé, et Kavanaugh essaiera de se venger en tentant de séduire Corinne, sans succès d’ailleurs. Incidemment ce sera aussi l’histoire du coming out de la communauté gay avec les confessions de Julien au pasteur de son Eglise, le policier tentera de revenir dans le droit chemin, selon sa propre interprétation de la Bible, ce qui ne va pas sans grande difficulté. Dans cette guerre des sexes, il y a des luttes un peu souterraines. Olivia Murray que pourtant Mackey a sorti de la merde dans laquelle elle s’était mise en s’approchant de trop près des trafiquants ne sera guère conciliante avec lui et contribuera à l’enfoncer. Sans doute se venge-t-elle de la dette qu’elle a contractée à son égard. La morale ordinaire et donc la loyauté en prend un vieux coup. 

    The Shield, série créée par Shawn Ryan, 2002-2008 

    Vic ne supportera pas son affectation dans un bureau 

    Le fait que l’ensemble dure sept saisons et 88 épisodes permet aux auteurs non pas de délayer, mais de détailler, de préciser les tenants et les aboutissant d’une histoire qui au fond pourrait tenir en entier dans les 90 minutes. L’écriture est particulière et fera école. Si la saga forme un tout, chaque saison est une histoire particulière, et chaque épisode aura sa logique propre. Cela donne une impression de mythe de Sisyphe : non seulement les flics doivent recommencer un travail sans fin pour tenter de maintenir un minimum de paix civile, mais la strike team doit en permanence protéger ses arrières, les attaques de l’administration contre elle reviennent régulièrement. Formellement on a trois niveaux, d’abord l’action de la strike team qui parcourt les rues de son territoire dans tous les sens, ce qui permet une utilisation intense des décors naturels des quartiers pourris de Los Angeles, et de la faune qui va avec, ça donne lieu à des cavalcade filmées caméra à l’épaule, avec une image au grain volontairement grumeleux. Ce sont des scènes d’une violence terrible, on enfonce des portes à coups de pieds, on menace, on verra aussi Mackey torturer un gangster violent et cruel, Gardo, à coups de chaîne, croyant pouvoir le faire parler et découvrir le nom de celui qui a tué Lem avec une grenade, il l’achèvera d’une balle dans la tête et l’enterrera pour qu’il ne soit pas retrouver. Le deuxième niveau c’est celui des mystères criminels, donc les interrogatoires des différents suspects, par Claudette et Dutch, mais aussi par Vic. C’est filmé en plans très rapprochés, avec un montage très rapide qui permet d’esquiver la question du jeu des acteurs, les plans sont toujours très courts dans ce cas. Ça se passe généralement dans des endroits sombres, la salle des interrogatoires, ou des arrières salles de bar. Cette atmosphère feutrée crée une tension très forte. Et puis il y a la vie ordinaire des gens, aussi bien les victimes que les gangsters, enfoncés dans leur misère. On en était encore à une époque où les costumes étaient de rigueur, et où les gangsters portaient de larges vêtements. C’est tourné en 16/9. La caméra ne nous laisse rien ignorer de la crasse ambiante et de la peur récurrente que procure un tel décor décadent.

     The Shield, série créée par Shawn Ryan, 2002-2008 

    Dans le pilote de la série, Mackey course un dealer 

    Malgré le changement de réalisateur d’un épisode à l’autre, Michael Chiklis en filmera quelques-uns, l’ensemble affiche une très belle unité. En tous les cas la manière de filmer est très nouvelle et audacieuse, elle déteindra d’ailleurs sur une série comme The wire, qui après un départ un peu classique intégrera une partie des apports de The shield. L’histoire est très sombre et cela se manifeste dans le contraste permanent du jour et de la nuit : les scènes qui se passent à la lumière du jour sont souvent surexposées ce qui donne une idée d’un soleil de plomb qui non seulement fond le bitume, mais fond aussi les cervelles. Celles qui se passent la nuit sont à l’inverse à peine éclairée, comme si elles se protégeaient de la lumière artificielle pour atteindre plus de vérité. Dans toute la saga, il n’y aura pas une seule scène dans les beaux quartiers, comme si Farmington était isolé du reste du monde, à part de la civilisation. C’est donc une série coup de poing, le ton est donné dans le pilote de la série : non seulement Mackey tue froidement son collègue d’une balle dans la tête, mais on le verra dès le début dans une longue séquence courir avec son équipe après un dealer qu’il coincera bien sûr. L’ensemble à l’allure d’un requiem, non seulement pour la bande à Mackey, mais aussi pour la ville de Los Angeles. Le rythme est extrêmement rapide, on ne laisse jamais le temps des souffler au spectateur, notamment en passant d’un protagoniste à l’autre et les retournements de situations sont aussi nombreux qu’inattendus. Certes, parfois on se dit qu’il est impossible que toutes ces calamités arrivent en même temps sur la tête d’un seul homme, mais cet aspect est gommé par le réalisme de chaque situation 

    The Shield, série créée par Shawn Ryan, 2002-2008 

    Au Mexique Vic et ses hommes menacent de brûler le frère d’Armadillo 

    La distribution sera construite autour de Michael Chiklis qui incarne Mackey. Il a trouvé là le rôle de sa vie. Très impliqué, on dit qu’il a fait beaucoup de musculation pour se préparer. De petite taille, mais très large, il a beaucoup de charisme, quand il cogne, on y croit. Il joue un rôle clé dans la série, pas seulement parce qu’il a le premier rôle, mais il en deviendra au fil des saisons aussi bien le producteur que le réalisateur, il fera tourner aussi sa propre fille pour incarner Cassidy Mackey. Cependant, il n’incarne pas du tout une brute épaisse, au contraire. Il est très rusé, même si ses combines lui retombent dessus. Et puis il arrive à faire sentir ses souffrances intérieures, face à la découverte de l’autisme de ses deux derniers enfants, ou face à la mort de Lem. Il sait compatir aux souffrances des autres, c’est aussi un chef de meute. Walton Goggins est son alter ego, il incarne le flic un peu raciste, brut de décoffrage, Shane Vendrell. Il cherche par ses postures à se mesurer à tout le monde et plus particulièrement à Vic Mackey qui est son modèle et dont il cherche à s’émanciper de la tutelle. Il y a aussi Catherine Dent, elle est Dani Sofer, excellente également, elle serre les dents et assume sa solitude et ses échecs sans broncher, sans perdre le sens moral pour autant. Son alter ego est Michael Jace qui incarne Julien Lowe, le grand noir, complexé par son homosexualité rentrée a aussi beaucoup de présence. Notez que cet acteur est très particulier, de très haute taille, il a été condamné pour le meurtre de sa femme à 40 ans de prison, un peu comme un des personnages qu’il avait pris l’habitude de traquer dans la série. Les deux autres membres de Strike team, Lemansky et Ronnie, sont un peu plus en retrait, ils sont pourtant très bien incarnés par Kenneth Johnson et David Rees Snell. Cathy Cahlin Ryan incarne la femme de Vic Mackey, Corinne, c’est l’épouse de Shawn Ryan, preuve que cette série est aussi une affaire de famille. Dotée d’un physique des plus ordinaires, elle est excellente dans le rôle de cette ménagère accablée de difficultés de tout ordre, mais qui fait face. CCH Pounder est Claudette Wims, elle est pas mal, quoiqu’on puisse la trouver un rien cabotine. Tous les protagonistes ont des physiques bien peu glamour, et Jay Karnes qui est Dutch Wagenbach n’échappe pas à cette règle. Il joue à la perfection les grands complexés qui doutent eux-mêmes d’exister. Et puis bien sûr il y a Benito Martinez dans le rôle d’Aceveda. Il est très bon. Notez que ce personnage a fait hurler sur les réseaux sociaux, vu comme un politicien magouilleur on ne lui pardonnait pas d’emmerder Vic Mackey, et on se réjouissait des ennuis sans fin que Juan lui causait.

    The Shield, série créée par Shawn Ryan, 2002-2008 

    Vic est appelé sur une scène de crime 

    La série a invité aussi des acteurs très connus. Mais pas n’importe lesquels. Il y a d’abord Glen Close dans le rôle de la capitaine Rawling, un mélange de dureté et de compréhension fine d’une humanité en souffrance. Elle sera la seule à apporter une aide véritable à Mackey. Elle se fera pourtant virer, ce qui la mettra en pleurs une fois qu’elle se retrouvera toute seule chez elle, abandonnée de tous. Elle ne fera qu’une saison. Et puis il y a encore Forrest Whitaker dans le rôle de l’ignoble Kavanaugh. Il est très bon dans ce rôle de tordu, quoiqu’un peu cabotin, mais c’est la      marque de fabrique de cet acteur, dont la seule justification à son existence est d’emmerder les autres, sachant bien évidemment que tout le monde le déteste. La brutalité de sa fonction le mène vers la folie. Il va donc passer d’une position où il est très sûr de lui et de sa force sur le plan psychologique, à celle d’un misérable manipulé qui ne comprend pas pourquoi il finit en prison. Il y a aussi toute une galerie de personnages sortis tout droit de la rue, ceux qui incarne les gangs de rue, les tatoués, et puis les mafieux, notamment les Arméniens qui sont particulièrement réussis. Il est à peu près certain que de nombreuses scènes ont été tournées avec la complicité des autochtones, c’est ce qui donne un vrai visage à la souffrance ordinaire de ces gens qui vivent à la périphérie de la prospérité et qui en portent les stigmates sur leur visage.  

    The Shield, série créée par Shawn Ryan, 2002-2008 

    Dutch et Claudette vont visiter une famille dont la mère a été cruellement assassinée 

    Dans chaque saison il y a des scènes d’une violence inouïe qui resteront gravées dans nos mémoires. Par exemple quand Mackey brûle la figure d’Armadillo sur la cuisinière. Si tous les coups semblent permis, c’est parce qu’il ne s’agit plus simplement d’opérations de police ordinaire, mais d’une guerre à mort avec des gangs qui veulent affirmer leur pouvoir. A Farmington, il y a une surenchère de scènes cruelles. Par exemple la façon dont les Arméniens coupent les pieds de leurs victimes. Les clans sont plus ou moins bien formés, pas seulement parce que les gangs sont en lutte et ne pensent qu’à se trahir les uns, les autres. Mais aussi à l’intérieur de the barn. On chuchote, on découvre des micros, on espionne les collègues pour avoir pression sur eux. A la force brutale va donc s’ajouter la ruse : la stratégie sera de faire en sorte que les clans ennemis se détruisent eux-mêmes et les regarder faire pour compter les points et ramasser les morceaux. Mackey n’échappera pas cependant à ce qu’une pute de bas étage le manipule au profit de son maquereau pour qu’il débarrasse de lui-même la concurrence. Chacun trouvera cependant en lui-même ses propres limites. Que ce soit Mackey ou Aceveda, ils ont des lignes rouges qu’ils ne peuvent franchir, Shane n’en a pas, le gangster Antwon Mitchell non plus. Kavanaugh croira pouvoir repousser ses limites en jouant le jeu de Mackey, mais il n’en aura pas la force mentale et jettera l’éponge. La dernière saison est aussi la plus tendue, c’est une sorte de liquidation : Claudette va sans doute mourir, Corinne vend Vic à la police, Vic croyant la protéger trahira Ronnie, et même Dutch n’arrivera pas à coincer un jeune tueur en série en herbe 

    The Shield, série créée par Shawn Ryan, 2002-2008 

    Kavanaugh a forcé Lem à porter un micro, pour communiquer avec la Strike team, il doit l’enlever 

    Il n’y a guère d’humour, le plus souvent ce sont des moqueries à l’endroit du maladroit Dutch. Dans ce panorama des turpitudes humaines dont Farmington est un concentré, on remarquera qu’il n’y a pas de frontière, ni de race, ni de sexe. Les femmes sont tout aussi cruelles et déterminées que les hommes, l’exemple de Diro Kezakhian le démontre, sous une apparence réservée et calme, elle est encore plus enragée que ses hommes. Très souvent le moteur est une sorte de paranoïa : cette impossibilité de retrouver le calme et de colmater des brèches d’un côté, alors que c’est tout le navire qui prend l’eau. C’est une course sans fin qui mène tout le monde à la mort. De la strike team, il ne restera finalement que Ronnie. Il y a aussi cette manie lugubre d’amasser de l’argent sans que cet argent soit finalement très utile. Certes il est la représentation du pouvoir sur les autres, mais la finalité de tout ça n’est pas vraiment claire. Il y a trois sortes de crimes dont traite the barn : la drogue et ses revenus ordinaires, le racket et les crimes sexuels. Je passe sur la prostitution. La série s’étend longuement sur les crimes sexuels scabreux, le plus souvent ils sont traités par Claudette et Dutch. Ils se présentent sous deux angles différents : le pouvoir sur les autres, et la compensation de la solitude. Dans ce domaine on remarque que l’imagination est infinie. Notez également que les criminels, à l’instar du modèle dominant, se donnent toujours des raisons rationnelles pour couvrir leurs pulsions meurtrières. Et c’est le plus souvent cela qui les mène à l’aveu.

     The Shield, série créée par Shawn Ryan, 2002-2008 

    Shane veut rencontrer un responsable de la mafia arménienne 

    Malgré les années qui ont passées, et même si la mode vestimentaire ou les marques de voitures utilisées ont changé, la série en elle-même n’a pas pris une ride. Elle est à la fois un chef d’œuvre du film noir, mais aussi un documentaire sur ce que fut cette époque de larmes et de sang. Evidemment lorsque la série s’arrête on va rentrer dans une nouvelle ère puisque ce sera après la crise des subprimes. La dépression aux Etats-Unis causa des ravages sans fin, et donc il vient qu’il y a bien peu de chances pour que la ville de Los Angeles se soit améliorée et que les quartiers pauvres soient plus vivables, bien au contraire. Mais cette nouvelle époque n’a pas encore été représentée à l’écran dans le film noir. Ça nous manque. La série Bosch qui vient après la crise n’en parle que très peu, c’est ce qui donne un côté un peu aseptisé à l’adaptation du personnage de fiction créé par Michael Connelly, bien qu’elle ne soit pas exempte de scène scabreuses et violentes, ça reste cependant une violence acceptable, à l’inverse de The shield dont la logique provoque forcément un haut le cœur et un sentiment de révolte.  

    The Shield, série créée par Shawn Ryan, 2002-2008 

    Shane a tué sa femme et son fils



    [1] William Webb, Dirty Cops: 15 Cops Who Turned Evil, Absolute Crime, 2013.  

    [3] Frédéric Ploquin, Vol au-dessus d’un nid de ripoux, Fayard, 2013. Je cite cet ouvrage, mais il est assez peu satisfaisant, derrière cette affaire qui devrait être bientôt jugée en correctionnelle, il y aurait eu des manipulations politiques, et donc que cela aille bien au-delà de simples malversations policières. Il semble qu’en effet la dissolution de la Bac Nord ait facilité grandement la vie des trafiquants en tout genre qu’on trouve dans les Quartiers Nord de Marseille et qui règnent sur les cités.

    « Train d’enfer, Hell drivers, Cy Endfield, 1958Sur écoute, The wire, série créée par David Simon, 2002-2008 »
    Partager via Gmail

    Tags Tags : , , , ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :