• Tueurs de flics, The Onion Field, Harold Becker, 1980

    Tueurs de flics, The Onion Field, Harold Becker, 1980

    Malgré les efforts des éditeurs, et de Robert Pépin en particulier, Joseph Wambaugh, n’est pas reconnu en France à sa juste valeur. C’est certainement un des plus grands auteurs de romans noirs, bien plus juste et bien plus sincère que le tapageur Ellroy par exemple. Ancien flic du LAPD, il parle très bien de ce qu’il connaît, et avec le langage si particulier des flics, ce qui donne une écriture très dynamique et très ironique aussi. Il y a deux Wambaugh, l’un qui invente des histoires qui mettent en scène la vie quotidienne des flics, et l’autre qui reconstitue des crimes bien réels, avec un souci documentaire sans concession. Il a bien sûr été adapté à l’écran, mais pas toujours avec bonheur. Si The new centurions de Richard Fleischer avec George C. Scott est excellent on ne peut pas en dire autant de The choirboys de Robert Aldrich. The onion field est basé sur une histoire réelle qui aux Etats-Unis défraya la chronique dans les années soixante, mais qui ne se conclue à cause des multiples procès qu’elle engendra au début des années soixante-dix.  

    Tueurs de flics, The Onion Field, Harold Becker, 1980

    Gregory Powell et Jimmy Smith sont des délinquants de petite envergure et sans trop de cervelle. Errant de prison en prison, ils commettent des petits larcins, mais au cours d’une de leurs expéditions, ils finissent un jour par assassiner un policier Ian Campbell devant son coéquipier Karl Hettinger. En vérité c’est Gregory Powell qui a tué Ian Campbell. Ils vont être rapidement pris par la police. Gergory qui est un homme sans foi ni loi, tente dans un premier temps de charger son complice. En attendant le procès, Karl doit faire face à d’autres problèmes. Du fait qu’il ait cru devoir donner son flingue pour tenter de sauver la vie de Ian, il est en quelque sorte mis à l’index par sa hiérarchie et il va culpabiliser, sombrant peu à peu dans une dépression qui menace de faire sombrer son couple. Il en viendra même à devenir un voleur à la          tire dans les grands magasins qu’il est chargé de surveiller. Il va donc devoir démissionner de la police et va retrouver après bien des difficultés un nouveau travail d’architecte paysagiste. Gregory et Jimmy sont pendant ce temps condamnés à mort. Mais Gregory qui se passionne pour le droit va faire trainer les choses en longueur et finalement obtenir un nouveau procès qui leur permettra de sauver leur tête. 

    Tueurs de flics, The Onion Field, Harold Becker, 1980 

    Karl et Ian forment une équipe très soudée 

    Pour l’écriture de son livre, Wambaugh non seulement s’est appuyé sur une documentation solide, mais il a lui procédé à des interviews très détaillées des protagonistes, allant jusqu’à passer de longues heures en prison en compagnie de Gregory et Jimmy. C’est lui-même qui a écrit le scénario. Evidemment le film ne reflète pas tout à fait la richesse et la diversité du livre qui relate par le menu toute la saga sanglante des deux criminels. L’aspect misérable des assassins est gommée, or dans le livre il est fait état aussi bien de leur misère matérielle que de leurs tares psychiques. Ce sont d’abord des rejetés de l’Amérique. Leurs origines familiales montrent qu’ils ont toujours été maltraités, manquant d’argent, de confort et de tendresse, ils ont tous les deux été livrés à eux-mêmes et sans ressources. Le film est divisé en deux parties presqu’égales : d’abord la description des protagonistes qui sont voués à se rencontrer et l’issue fatale, ensuite le procès proprement dit et l’issue pour Karl comme pour Gregory et Jimmy de cette affaire. Cette seconde partie évite cependant assez bien les lourdeurs du film de procédure. Mais il y a une autre opposition, d’un côté les policiers qui forment une équipe, voire une sorte de famille, et de l’autre les délinquants qui forment eux aussi une équipe – assez peu loyale il est vrai – et un substitut de famille. Gregory insistera sur l’importance de la famille comme élément de stabilité de la société, et pour cause, il en a été privé.   

    Tueurs de flics, The Onion Field, Harold Becker, 1980 

    Gregory a adopté Jimmy comme membre de la famille 

    Harold Becker a toujours été un réalisateur un peu besogneux. La mise en scène est assez pauvre, sans doute par un manque de moyens financiers. Les décors naturels, les quartiers pauvres de Los Angeles, ne sont pas très bien utilisés. Les cadrages sont toujours très étroits, il y a un manque de lumière assez étonnant, peu de profondeur de champ et le rythme lui-même est assez lourd. Regarder Ian Campbell jouer de la cornemuse n’est pas forcément très intéressant. Et pourtant on finit par s’attacher aux personnages, surtout dans la deuxième partie quand on voit que la misère morale des deux criminels est le miroir de la détresse de Karl Hettinger. Il y a donc tout de même quelque chose qui se passe, sans doute parce que le parti pris n’est pas de juger, mais de montrer sans concession ce que sont ces monstrueuses créaturres qui appartiennent aussi pourtant et malgré elles au genre humain. 

    Tueurs de flics, The Onion Field, Harold Becker, 1980 

    Jimmy et Gregory partent en expédition nocturne 

    La représentation de cette affaire est plutôt crue, surtout pour l’époque, mais cela l’est moins à l’écran qu’à l’intérieur de l’ouvrage. La relation homosexuelle entre Gregory et Jimmy est clairement exprimée comme une relation de domination plutôt que comme une orientation sexuelle particulière. La violence de la prison est aussi clairement dépeinte. On remarque aussi que les deux criminels s’habituent à vivre en prison et y trouvent facilement leurs marques, comme si leur caractère s’en accommodait. Rien est épargné au spectateur de la fourberie des deux criminels qui passent leur temps à se trahir l’un l’autre, car si Gregory n’hésite pas à charger Jimmy, ce dernier le trompe allégrement avec sa femme enceinte. Mais ce portrait de la dégénérescence de ces deux hommes renvoie aussi à la dégénérescence de la société à travers la confusion et le déroulement du procès. Car si cette affaire a passionné en son temps l’Amérique et Wambaugh, ce n’est pas à cause de crimes hors norme, après tout Smith n’a sans doute pas tiré, et Gregory n’était pas un tueur en série, mais plutôt à cause de ses multiples renvois et de la confusion que la loi américaine permit d’introduire dans une affaire pourtant simple. Par la suite les Américains franchiront un palier nouveau avec l’affaire O.J. Simpson qui avait été impliqué dans le meurtre de sa femme et de son amant  qui n’avait pu être condamné au pénal, mais qui avait été reconnu coupable au civil ! 

    Tueurs de flics, The Onion Field, Harold Becker, 1980 

    Karl ne maitrise plus la situation, son coéquipier est à la merci de Gregory 

    Il était important que l’interprétation soit adéquate au propos. Avant tout il y a le casting qui repère les acteurs en fonction d’un rôle qu’ils auront à assumer. Comme il s’agit de personnages bien réels, le physique est très important. Le choix est ici judicieux, non seulement parce que les acteurs ressemblent assez bien aux protagonistes de cette saga judiciaire, mais aussi parce que ce sont des acteurs solides. James Woods qui est un habitué des rôles de criminels tordus, est excellent dans le rôle de Greg Powell, un alliage de dureté et de tendresse, un mélange de veulerie et de détresse. C’est lui qui est le plus visible. Mais son alter ego Jimmy Smith est aussi parfaitement interprété par Franklin Seales, un acteur qui a fait une très courte carrière et qui est décédé du SIDA en 1990. La ressemblance physique est étonnante entre Seales et Smith. John Savage dans le rôle de Karl Hettinger est plutôt bon, c’est un habitué des rôles très tourmentés. Ici il descend la pente fatale de la dépression nerveuse, il devient voleur, frappe à l’occasion son petit bébé qui l’agace et montre une figure très inquiétante derrière un visage poupin. 

    Tueurs de flics, The Onion Field, Harold Becker, 1980 

    Les troubles psychiques de Karl sont de plus en plus fréquents 

    L’Amérique se voudrait rationnelle, mais elle n’y arrive guère. Non seulement parce qu’elle reste dominée par la religion et la culpabilité, mais aussi parce qu’elle passe son temps à s’interroger sur les raisons qui en font dans le monde développé la société la plus criminogène. The onion field s’inscrit ainsi dans ce genre semi documentaire qui a été initié par le film de Richard Brooks, In cold blood, en 1967 et qui a fait sortir le crime de sa représentation ordinaire spectaculaire et manichéenne pour s’intéresser à l’aspect humain si on peut dire des protagonistes du crime. Dans cette lignée on peut citer parmi les réussites de ce sous-genre du film noir, The honeymoon killers en 1960[1], ou Natural born killers d’Oliver Stone en 1994. Il semble qu’une des pistes qui explique cette attirance morbide de personnages de faible envergure pour le crime puisse trouver quelque début d’explication dans cette soif illusoire de réussite qui est mise en avant dans la culture américaine, l’idée de compétitivité si on veut. C’est ce que semble vouloir dire Powell à travers ses discours fumeux, et c’est ce qui le motive quand il affronte l’institution judiciaire pour son propre compte. 

    Tueurs de flics, The Onion Field, Harold Becker, 1980 

    La reconstitution a lieu dans un champ d’oignons 

    Ce film nous laisse des sentiments mitigés. Semi-réussite ou semi-échec, il conserve tout de même un intérêt bien réel pour qui s’intéresse au crime et à ses représentations. Ce sont cependant ses lacunes dans la mise en scène qui l’ont empêché d’atteindre à la notoriété et à rester gravé dans les mémoires. 

    Tueurs de flics, The Onion Field, Harold Becker, 1980 

    En prison un condamné à mort s’ouvre les veines 

    Tueurs de flics, The Onion Field, Harold Becker, 1980 

    Les vrais Jimmy Smith et Gregory Powell au moment de leur arrestation 

    Jimmy Smith est mort en 2007 en prison à l’âge de 76 ans, il était resté plus de 50 ans enfermé après le crime de Ian Campbell. Gregory Powell est lui aussi décédé en prison à l’âge de 79 ans, en 2012, soit après presque 60 ans d’enfermement. Si on rajoute les temps qu’ils avaient effectués avant le meurtre de Ian Campbell, ils auront passé le plus clair de leur temps derrière les barreaux.

     

     


    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/les-tueurs-de-la-lune-de-miel-honeymoon-killers-leonard-kastle-1969-a127045164

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