• Tunnel 28, Escape from east Berlin, Robert Siodmak, 1962

     Tunnel 28, Escape from east Berlin, Robert Siodmak, 1962

    Si ce film est assez peu connu en France du moins, cela tient non pas à sa qualité dont on discutera plus loin, mais essentiellement à son sujet ultra-sensible. En effet il s’apparente à un film de propagande anti-rouge et on sait qu’en France, à cause de la puissance du parti communiste, mais aussi du général De Gaulle qui voulait maintenir un certain équilibre entre l’Est et l’Ouest ce sont des choses qui ne passaient pas très bien d’autant que le poids du parti communiste et de la CGT était encore très élevé. Mais les films d’espionnage, anti-rouge, peuvent aussi se voir comme des films noirs, nonobstant l’aspect propagandiste et manichéen, beaucoup le voyait comme ça, regardant la traque des espions ou des réfugiés par des policiers un peu particuliers. Cette histoire traite du Mur de Berlin. Ce mur qu’on a appelé Le mur de la honte, visait à isoler l’Allemagne de l’Est, administrée par les Soviétiques, de l’Allemagne de l’Ouest sous le contrôle des Occidentaux, les Etats-Unis, la France et l’Angleterre. Le film est tourné un peu dans l’urgence, le mur ayant été construit au mois d’aout de l’année 1961. Ce mur avait suscité une immense émotion en Occident, émotion alimentée par des faits divers autour des tentatives de passage d’un secteur à un autre. Les incidents furent nombreux, des soldats ouvrant le feu sur des évadés, des plans scabreux pour atteindre l’Ouest présenté comme un paradis à atteindre. Ce mur ne sera abattu qu’en novembre 1989, actant les débuts de l’effondrement du bloc de l’Est sous domination soviétique. Basé sur une histoire authentique, c’est un bon élément de publicité, il est le plus souvent considéré par les cinéphiles comme un mauvais film de Robert Siodmak. Il s’était appliqué pourtant à filmer au plus près de l’action, au pied du mur de Berlin qui avait aussi séparé des familles. Le film fut financé par la MGM qui, comme c’était courant à l’époque, avait des avoirs bloqués en Allemagne qu’il lui fallait réinvestir. 

    Tunnel 28, Escape from east Berlin, Robert Siodmak, 1962 

    Gunther fait l’objet de remarques grivoises de la par de femmes qui vont travailler  

    C’est d‘abord un film de commande. C’est-à-dire que le projet a été mis en forme avant que Siodmak n’intervienne. Lui-même sera très sévère avec le résultat final, comme s’il avait honte de l’avoir mis en œuvre. Il a atterri sur ce projet, nous dit Hervé Dumont, après avoir travaillé sur un roman d’Abraham Polonsky, le réalisateur communiste blacklisté pour son appartenance au parti, Pièce de résistance[1]. Il passe donc d’un communiste convaincu qui ne reniera jamais ses convictions à une œuvre outrancièrement anticommuniste. Dumont règle la question en deux pages et demi. C’est très exagéré et sans doute cela a contribué à faire oublier ce film auprès des nombreux admirateurs de Robert Siodmak. Or ne serait-ce que sur le plan cinématographique, il est très intéressant. Toute une partie du film est basée sur des événements réels, sauf qu’évidemment les héros ont été changés. A l’origine ce sont deux étudiants d’Allemagne de l’Ouest qui ont creusé ce tunnel et qui ont ouvert la brèche pour ces fameux 28 qui sont passés de l’Est à l’Ouest[2], mais les dispositions du tunnel, les méthodes de creusement sont extrêmement fidèles à la réalité. Mais le scénario va renforcer l’histoire en deux sens : d’abord en surdramatisant, puisque le frère d’Erika va être tué en franchissant le mur, ensuite, évidemment par l’introduction d’une romance entre Kurt, l’organisateur fécond de l’évasion, et la jeune Erika qui sera trahie par son père mais qui tombera amoureuse de Kurt. 

    Tunnel 28, Escape from east Berlin, Robert Siodmak, 1962 

    Gunther est abattu juste au moment où il venait de franchir le mur 

    Le jeune Gunther qui travaille avec Kurt dans un garage automobile n’en peut plus de vivre à l’Est, aussi il va utiliser un lourd camion pour enfoncer le mur et tenter de passer de l’autre côté. Il y arrive, mais il est abattu alors qu’il est déjà à l’Ouest. Kurt assiste à ce sacrifice. Le lendemain, Erika, sa sœur, ne le voyant pas rentrer va partir à sa recherche. Croyant que son frère a réussi, elle tente de franchir les barbelés. Elle est sauvée in extremis par Kurt, alors que les vopos patrouilles tout le long du mur. Pour éviter qu’elle se fasse prendre, Kurt l’embrasse, mimant la passion amoureuse. Les vopos les oublient. Kurt tente de dire à Erika que son frère est mort, mais elle s’en va sans l’apprendre. Kurt habite auprès du mur. Mais c’est dangereux. Erika pour échapper au vopos qui ont trouvé un morceau de sa robe prise dans les fils de fer barbelé, se cache chez Kurt. Toute la famille de celui-ci voudrait bien passer à l’Ouest. Kurt tente de les dissuader. Mais finalement il va céder et expliquer que la seule manière de passer le mur est de creuser un tunnel puisqu’ils ne sont pas très loin du mur. Ils vont se mettre à creuser. Bientôt ils seront rejoints par Marga dont le mari est déjà passé à l’Ouest. Puis ce sera aussi au tour de Walter Brunner de s’introduire dans cette équipe. Tout en essayant d’échapper à la vigilance des vopos et aussi des voisins, cet ensemble hétéroclite va se mettre à creuser un tunnel. Oncle Albrecht fera jouer la fanfare à laquelle il appartient pour couvrir les bruits fait par le creusement. Malgré les obstacles, les travaux avancent, mais au moment de partir, le major Eckhart qui emploie Kurt comme chauffeur va tenter de les arrêter parce que le père d’Erika les a dénoncés. La femme d’Eckhart qui est aussi la maitresse de Kurt, le prévient juste à temps. Il fonce pour accélérer le mouvement, mais l’oncle Albrecht a invité aussi toute la fanfare pour partir. Néanmoins, ils vont tous arrivé à passer de l’autre côté, alors que Kurt a été blessé. Ils sont accueillis à bras ouverts à l’Ouest. 

    Tunnel 28, Escape from east Berlin, Robert Siodmak, 1962 

    Kurt intervient pour sauver Erika 

    Le film se veut d’abord un hymne à la liberté, un encart le rappellera à la fin du film pour dire que l’homme n’est pas fait pour vivre sous un contrôle permanent. Ce qui en 2022 apparaît comme assez ironique vu les entorses aux libertés individuelles que nous subissons en permanence, soit avec la surveillance numérisée sur les réseaux sociaux, soit avec le développement d’une pensée assez forme et lisse esquivant tout débat, soit encore quand on voit la police contrôle les pass-sanitaires au temps du COVID, comme jadis les vopos contrôlaient les identités des passants dans les rues de Berlin Est. Et donc s’il est vrai que la liberté individuelle pousse l’homme à toujours s’évader de sa prison, à l’inverse les différentes formes de pouvoir tentent toujours de contrôler la pensée comme les mouvements des populations. Je ne vais pas défendre ici le régime autoritaire qui sévissait en RDA avant la réunification des deux Allemagnes. Mais en vérité cette forme de propagande anticommuniste virulente intervient au moment où justement les Etats pays de l’Est deviennent beaucoup moins durs et abandonnent progressivement les méthodes staliniennes. Bien évidemment beaucoup d’Allemands de l’Est voulaient atterrir à l’Ouest souvent présenté à tort comme un paradis. Dans le film du reste Kurt refroidit les illusions d’Erika en disant que ce n’est pas très bon de croire au paradis sur terre. Ce qui passe difficilement c’est cette manière caricaturale d’opposer les régimes communistes à la démocratie occidentale. Les pénuries sont caricaturées, la misère des Allemands de l’Est érigée en système. Histoire d’aggraver ce manichéisme, on se complet à insérer dans le cours du film des images de ruines, comme si celles-ci étaient le résultat du communisme et non des séquelles de la guerre. Mais la question qui se pose est la suivante : sur cette question était-il possible de construire un scénario plus nuancé ? La chute du mur de Berlin en 1989 fera revenir beaucoup d’Allemands de leurs illusions. 

    Tunnel 28, Escape from east Berlin, Robert Siodmak, 1962 

    Marga insiste pour que Kurt la fasse passer à l’Ouest avec son enfant

    Mais laissons derrière nous la malhonnêteté scénaristique évidente, après tout c’est presque constitutif du cinéma américain, si on se souvient des westerns qui nous présentaient systématiquement les Indiens comme les agresseurs et les malheureux colons comme les agressés. Ce sera encore le cas des films de guerre américains où les Japonais sont montrés comme des criminels cruels et cyniques, martyrisant les pauvres soldats américains qui se battent pour la démocratie. Le scénario contient tout de même un certain nombreux d’astuces intéressantes. D’abord il présente ceux qui creusent le fameux tunnel à la fois comme un microcosme représentatif de la société de la RDA, mais aussi conne une sorte d’avant-garde qui ouvre vers la société du futur. Le tunnel au cinéma est toujours un symbole fort. Passage difficile entre deux mondes il a la prétention d’ouvrir la vie à de nouvelles expériences. 

    Tunnel 28, Escape from east Berlin, Robert Siodmak, 1962 

    Kurt commence à percer le tunnel 

    Le film a été tourné au pied du Mur de Berlin, c’est du reste un des éléments de la publicité du film, donc presqu’en décors naturels. Mais de l’autre côté. On a fait reproduire un mur de cent mètres de long avec des blocs de béton et des barbelés, et on a récupéré des images tournées dans le vrai tunnel pour construire les décors en studio. Tout cet aspect est parfaitement réalisé. Également en voulant mettre en scène la misère des Allemands de l’Est, le film arrive à mettre en scène une population prolétaire. Quand le film s’ouvre sur Gunther, nous le voyons se faire apostropher par des femmes qui le regardent comme une proie possible. C’est assez étonnant, et on se perd en conjecture sur sa signification. Est-ce que cela veut dire que les femmes en régime communiste sont plus émancipées que les femmes qui vivent à l’Ouest ? Est-ce là la preuve que les régimes communistes sont mauvais puisqu’ils fabriquent des femmes lubriques ? La maitresse de Kurt, Heidi, est une femme adultérine qui non seulement aime avoir Kurt comme amant, mais qui en outre l’aide à éviter la prison et même peut-être la mort. Elle est pour le moins ambiguë. Parmi les autres formes développées par le scénario est cette surveillance constante des voisins entre eux, ce qui entraîne que tout le monde se méfie de tout le monde. C’est le exactement le même schéma que dans 1984 de George Orwell. 

    Tunnel 28, Escape from east Berlin, Robert Siodmak, 1962 

    Kurt circule parmi les ruines 

    La réalisation de Robert Siodmak mérite l’attention, surtout si on part du fait que les images et le mouvement sont souvent plus importants que le propos apparent du scénario. Il s’est manifestement inspiré du film de Jacques Becker, Le trou, qui s’il n’a pas eu de succès public à sa sortie était apprécié de la critique et des cinéphiles. On va retrouver les mêmes techniques de dissimulation des travaux de creusement. Les membres de la famille Schröder se relayant par équipe, travaillant avec des outils de fortune, supplantant leur manque d’équipement par un effort d’imagination et d’astuce. Il y a beaucoup de virtuosité dans les déplacements de caméra et les angles de prises de vue dans un espace manifestement étriqué. Par exemple, l’utilisation d’une poussette pour tracter les déchets vers l’extérieur, prise en contre-plongée. J’aime beaucoup aussi les plans larges, en pied, qui saisissent la famille dans son ensemble, comme si elle était écrasée par la vie. Comme une grande partie de l’action est filmée dans le tunnel, Siodmak utilise de beaux travellings pour renforcer cette profondeur de cette ouverture dont ne voit pas la fin. L’évasion elle-même est filmée à toute vitesse, alternant la difficulté pour les 28 personnes de franchir le tunnel, avec l’arrivée des soldats dans la maison des Schröder. Il y a un sens du rythme qui est excellent. 

    Tunnel 28, Escape from east Berlin, Robert Siodmak, 1962 

    Helmut ramasse des planches pour étayer le tunnel 

    La photographie est très bonne et on retrouve les éclairages latéraux à la manière de Siodmak. A part la scène finale où les Allemands de l’Est sont accueillis à bras ouverts par ceux de l’Ouest, il n’y a volontairement pas beaucoup d’émotion. Cette manière sèche de filmer qui veut éviter une surdramatisation s’appuie sur la description minutieuses des gestes qu’il faut assumer pour creuser un tunnel, l’utilisation des outils, les salissures, la fatigue, quand la mère Schröder prend dans le lit la place de son jeune fils qui va la relayer. Tout cet aspect est très bien mené, substituant l’action à la réflexion et au didactisme. La trahison du père d’Erika est également une scène forte. En effet Eckhart s’aperçoit non seulement que Kurt est en train de passer à l’Est mais que probablement il baise aussi sa femme ! 

    Tunnel 28, Escape from east Berlin, Robert Siodmak, 1962

    Toute la famille se met à creuser 

    L’interprétation est bonne. Don Murray dans le rôle de Kurt manifeste suffisamment de doute pour être crédible, et ce qui le sort de sa torpeur toute relative c’est bien sa rencontre avec Erk. Celle-ci est interprétée par Christine Kaufmann. Artiste trilingue, allemand, français et anglais, elle était très jeune quand elle a joué ce rôle. Elle est très bien parce qu’elle manifeste cette innocence d'une jeune allemande qui veut croire que la vie est simple. Elle avait seulement 17 ans, mais l’année précédente elle avait déjà tourné avec Kirk Douglas dans Town without pity, un film très intéressant sur les viols commis en Allemagne par les troupes américaines, et juste avant Escape from East Berlin, elle avait tourné dans Taras Bulba, un grand succès, sur le tournage duquel elle avait rencontré Tony Curtis qu’elle épousera et qui lui donnera deux filles. Elle avait un potentiel évident, mais elle gérera assez mal sa carrière. Les autres acteurs sont presque tous allemands. Et ils sont plutôt bons. Ingrid Van Bergen qui incarne Ingeborg, la sœur de Kurt, est excellente.  On remarquera au passage le frère de Maria Schell et de Maximilian Schell, Carl Schell dans le petit rôle du Major Eckhart. 

    Tunnel 28, Escape from east Berlin, Robert Siodmak, 1962

    En creusant le tunnel, Kurt et Erika deviennent très proches 

    Si la critique s’attacha plus à l’anticommunisme caricatural et condamna le film, par contre il fut un succès public aussi bien aux Etats-Unis, patrie de l’anticommunisme militant, et en Allemagne. A mon sens c’est un film injustement oublié dans la carrière de Robert Siodmak, principalement pour la rigueur de la mise en scène. Cette histoire fit l’objet de deux autres films qui, sans être des remakes, reprirent les mêmes principes. D’abord un téléfilm allemand, Der tunnel, tourné en 1999, et en 2004 un autre téléfilm, mais italien cette fois Il tunnel della libertà. Le premier est clairement basé sur l’histoire réelle de ce fameux tunnel puisqu’il met en scène le rôle de deux étudiants ouest-allemands qui ont eu l’idée de creuser ce tunnel. Le second s’écarte plus de la réalité puisqu’il met en avant le rôle de deux étudiants italiens qui, passant des vacances à Berlin-ouest, vont avoir l’idée lumineuse de creuser un tunnel pour faire évader les malheureux Berlinois de l’Est de l’enfer du communisme. Dans les deux cas, ces deux téléfilms montrent que l’idée du tunnel n’est pas venue de l’Est, mais de l’Ouest, mais le film de Siodmak qui sera menteur jusqu’au bout, préfère laisser croire que l’initiative du tunnel est la preuve que les Allemands de l’Est n’en pouvant plus de vivre dans ce système prirent ce risque tout seul, sans appui de l’Occident. 

    Tunnel 28, Escape from east Berlin, Robert Siodmak, 1962

    Le père d’Erika est venu la dénoncer au major Eckhart 

    Tunnel 28, Escape from east Berlin, Robert Siodmak, 1962

    Au moment de partir, oncle Albrecht a invité toute la fanfare à le suivre 

    Tunnel 28, Escape from east Berlin, Robert Siodmak, 1962

    Kurt, blessé, est enfin arrivé à l’Ouest



    [1] Hervé Dumont, Le maître du film noir, L’âge d’homme, 1981.

    [2] Voir le documentaire sur cette histoire qu’on peut trouver sur You Tube https://www.youtube.com/watch?v=7E3T7eiSBsY

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