• Un cave, Gilles Grangier, 1971

     Un cave, Gilles Grangier, 1971

    Très souvent les fins de carrière des réalisateurs sont assez pénibles. Gilles Grangier n’échappe pas à cette règle, d’autant que l’avancée dans l’âge se couple avec un changement d’époque dans la manière de faire du cinéma. Ses deux derniers films n’avaient pas bien marché. C’étaient pourtant un Fernandel – L’homme à la Buick – et un Gabin – Sous le signe d taureau. Le cinéma change en profondeur, Fernandel est décédé. Gilles Grangier n’a plus accès aux bons financements auxquels il était habitué. Il va se rabattre sur un petit polar sur une histoire de Jean Stuart, mais avec Simonin aux dialogues. Après tout, pourquoi pas, comme on l’a vu, il a déjà tourné des films à petit budget, comme Echec au porteur, ou Reproduction interdite dont nous avons souligné l’intérêt. C’est encore une histoire de voyous, avec un peu de prison et surtout dans le titre le mot « cave » qui annonce la couleur, en référence au gros succès de Le cave se rebiffe. Par le style de l’histoire, par les personnages qu’il met en scène, on peut dire que Grangier est rester fidèle à son idée du cinéma populaire. 

    Un cave, Gilles Grangier, 1971 

    Laigneau annonce qu’il va aller demander des comptes à Fernier 

    Granier est en taule pour une petite escroquerie. Il va bientôt sortir. A l’hôpital de la prison, il se lie d’amitié avec Laigneau, dit Marcel-le-dingue qui lui veut s’évader car il a pris perpette et qui en plus veut régler son compte à un certain Fernier qui lui a piqué le pognon de sa dernière grosse affaire. Lors de sa sortie Granier prétend se mettre au travail et oublier tout ce monde interlope, entouré de l’affection de son oncle et de sa tante. Mais il va aider Laigneau à s’évader. Celui-ci est blessé gravement. Granier l’embarque, le cache dans une planque qui appartenait à Laigneau et va chercher, sur les instructions du blessé, un médecin. Mais ce dernier nous dit qu’il n’en a plus pour longtemps. Et en effet, Laigneau décède. Granier l’enterre dans le jardin, et comme personne ne sait qu’il est mort, il va exercer son chantage sur Fernier et Véron qui se sont approprié le butin. En outre Fernier a pris la femme de Laigneau, Catherine, qui est par ailleurs directrice d’une agence immobilière. La police évidemment cherche Laigneau et met tous ceux qui l’ont connu sur écoute. Le commissaire Taillant, persuadé que Granier est un cave et qu’il coincera Laigneau en pistant Fernier, l’autorise à quitter Paris. Par la bande, Granier va connaitre Catherine, en se faisant passer pour un acheteur potentiel. En même temps qu’il l’utilise pour faire payer Véron et Fernier, il commence à tomber amoureux d’elle. Elle el soupçonnera même d’être un journaliste La pression monte sur Véron et Fernier qui décident de payer. Mais Véron tue Fernier et tente d’éliminer Granier. Mais c’est celui-ci qui le tue, qui empoche les millions et qui partira en Suisse vivre une vie qu’on suppose paisible.  

    Un cave, Gilles Grangier, 1971

    Granier tente de sauver Laigneau 

    Le personnage de Granier qui se trouve au centre de l’intrigue est une sorte de sournois – personnage récurrent dans l’œuvre de Simonin – qui fait tous ses coups en douce, mais qui ne manque pas de courage au-delà de ses capacités à ruser avec ceux qui sont en apparence plus forts que lui. Il se laisse volontiers traiter de cave, mais il est suffisamment observateur et opportuniste pour se mettre sur le bon coup sans trop de risque. Si on regarde un peu plus loin que ce profil psychologique, il y a le fait qu’il s’approprie les dépouilles de Marcel-le-dingue. Non seulement il prend son identité pour faire du chantage, mais en sus il s’approprie son pognon et finira par prendre sa maitresse, Catherine. Celle-ci a un profil curieux, elle semble passer de mains en mains de Laigneau à Fernier et de Fernier à Granier, comme si elle se donnait elle-même le rôle de la femme objet. Ce personnage est d’ailleurs assez étrange parce que nous sommes au début des années soixante-dix, et que depuis plusieurs années maintenant les femmes revendiquent une place plus importante dans la société. Dans les années cinquante, les femmes chez Gilles Grangier étaient tout de même un peu plus déterminées que la pâle Catherine. C’est comme si elle devenait le véritable enjeu de la lutte entre Laigneau, Fernier et Granier. Il reste cependant que Granier est un personnage de basse extraction – il travaille en usine – qui manifeste une volonté d’émancipation et d’élévation. Au film de l’histoire on verra que les plus pourris ne sont pas forcément ceux qu’on croit, mais ceux qui comme Fernier et Véron sont les mieux installé dans une position très respectable. Fernier est un promoteur immobilier et un financier de la « majorité », c’est-à-dire du parti de Pompidou. C’est une figure récurrente des polars de l’époque que le spéculateur immobilier récompensant la corruption du milieu pompidolien. On la trouve dans des tas de films, dans les films d’Yves Boisset, par exemple, Le saut de l’ange qui est tourné la même année qu’un cave, jusque dans Mado du grand Claude Sautet qui date de 1976, comme si sa dénonciation tenait lieu de discours politique sur une classe politique corrompue qui a pris le pouvoir sur la défaite de Mai 68. Ce portrait d’une société singulière qui impose une forme de progrès fondée sur l’argent, est complétée par le caractère bornée du commissaire Taillant qui applique encore à son enquête les vieilles logiques du passé. Comme Laigneau, il n’est plus dans le coup.

      Un cave, Gilles Grangier, 1971 

    Granier va demander au commissaire Taillant de pouvoir quitter Paris 

    Sur le plan cinématographique, il n’y a pas grand-chose à dire encore une fois. Le manque de moyens est évident, et les gros plans se multiplient. Grangier perd même cette capacité qu’il avait d’utiliser des décors extérieurs qui donnaient du cachet à ses films. La caméra reste assez peu mobile. Contrairement à ce qu’on croit, on ne peut pas tout faire au montage. Quelques scènes sortent cependant du lot, l’évasion, mais on sait que Grangier est souvent très bon dans les scènes d’action, et plus généralement les scènes de prison. Il faut dire que le site sensé figurer l’hôpital de la prison est particulièrement bien choisi. Curieusement les scènes qui se passent dans Paris, autour de l’agence de Catherine, ne rendent pas compte de la spécificité de la ville en ce début des années soixante-dix. Trop souvent les affrontements verbaux se traduisent par des champs-contre-champs plus que conventionnels, plutôt mornes et peu propice à dynamiser l’histoire. La photo, très pâlichonne de Didier Tarot n’aide pas, elle hésite entre cette forme brute et documentaire qui commençait à envahir les écrans à cette époque et une forme plus pastellisée qui aurait pu donner un peu de glamour à un film qui en manque beaucoup. L’ensemble est saturé d’une musique trop présente et trop décalée par rapport à son sujet.

    Un cave, Gilles Grangier, 1971 

    Granier va contacter Catherine pour atteindre Veron et Fernier 

    Evidemment, passer de Jean Gabin et Fernandel à Claude Brasseur et Marthe Keller, ce n’est pas si facile. C’est Claude Brasseur qui a longtemps parodié son père en matière de cabotinage, qui porte le film sur ses maigres épaules. On ne peut pas dire qu’il soit mauvais, tout simplement il n’est pas là, comme mal réveillé. Il ne s’anime pas beaucoup. Il ne trouve pas la bonne distance pour nous faire croire que derrière le dissimulateur qu’il est manifestement, il est un homme fort et entreprenant. Dans cette salade, il est accompagné par Marthe Keller qui fera par la suite une bonne carrière grâce sans doute à sa relation avec Al Pacino, avec qui elle tournera le très méconnu Bobby Deerfield. Elle était devenue très célèbre grâce au feuilleton Les demoiselles d’Avignon. Sa carrière au cinéma fut lancée par sa collaboration avec Philippe de Broca. Ici elle incarne Catherine une femme qui ne sait pas trop ce qu’elle veut, sans détermination. Elle ne crève pas l’écran. Les seconds rôles sont travaillés de bric et de broc. André Weber s’en tire très bien dans le rôle de Laigneau, c’est un acteur qui aurait dû avoir une meilleure carrière. Pierre Tornade dans celui de Fernier est moins adéquat. Henri Garcin est très pâle lui aussi. On retrouvera Robert Dalban dans le tout petit rôle du docteur qui tente de soigner Laigneau. Et puis Paul Le Person dans celui du commissaire Taillant. 

    Un cave, Gilles Grangier, 1971 

    Granier a récupéré l’argent 

    Curieusement si ce film n’a pas eu beaucoup de succès en salle, il a été relativement bien accueilli par la critique pour un Gilles Grangier, sans doute parce que la critique a apprécié son côté minimaliste. Et près de cinquante ans après il y en a encore pour le considérer comme un bon Gilles Grangier. Ce n’est pas mon cas, il a beaucoup vieilli. Il y a tout de même un manque de soin dans la réalisation qui le rapproche un peu trop du film de télévision. L’ultime film de Gilles Grangier sera Gross Paris avec Roger Pierre et Jean-Marc Thibault. Ce sera un nouvel échec commercial qui amènera Grangier à travailler pour la télévision pour laquelle il travaillera une bonne quinzaine d’années avant de prendre une retraite bien méritée. Pour nous on retiendra un film très « dans l’air du temps », marqué par un basculement du cinéma vers des formes moins sophistiquées, plus brutes. Notez que ce film sera aussi le dernier travail d’Albert Simonin pour le cinéma. Une page d’histoire cinématographique s’est définitivement tournée, le cinéma français va sortir de la catégorie des loisirs populaires, s’orientant de plus en plus vers le film qui se regarde penser, ou vers la « rigolade », mais il va être de plus en plus difficile d’allier le succès populaire avec des prétentions artistique. Certes on trouvera encore de bons films noirs, mais de plus en plus rarement.

    Un cave, Gilles Grangier, 1971 

    En Suisse Catherine et Granier vont couler des jours heureux


     

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