• Un homme à abattre, Philippe Condroyer, 1967

     Un homme à abattre, Philippe Condroyer, 1967

    C’est un film oublié dans l’imposante filmographie de Jean-Louis Trintignant. A tort me semble-t-il. Certes Trintignant a connu une carrière en dents de scie, alternant les gros succès au box-office en France comme en Italie, avec les bides noirs, aussi bien sur le plan commercial que sur le plan critique. Un homme à abattre n’a eu aucun succès public. C’est assez dommage parce que le film ne manque pas de qualités, aussi bien sur le plan scénaristique que sur celui de la cinématographie. C’est un peu comme si Condroyer avait filmé à contretemps, trop en avance si on veut.

    Un homme à abattre, Philippe Condroyer, 1967

     Georges développe des photos sous le regard de Raphaël 

    L’histoire est assez banale. Dans les années soixante, pas mal de films commençaient à s’interroger au-delà de la guerre sur les réalités de la barbarie nazie. Un commando traque un ancien nazi à Barcelone qui se fait appeler Fromm mais qui serait plutôt Schmidt. Mais le chef de ce commando, Julius, veut être sûr qu’il s’agit bien de Schmidt, le bourreau de son frère dans les camps de concentration, en effet en 25 ans les visages changent. Ils espionnent donc Schmidt, le filment longuement, le prennent en filature. Ils découvrent que celui-ci est en relation avec une sorte de réseau d’anciens nazis. Ils sont même obligés de tuer un de ses contacts. L’étau se resserre, Julius va s’introduire chez Schmidt pour essayer d’être vraiment sûr qu’il s’agit bien de la personne en question. Finalement c’est Raphaël qui va trouver la solution à partir d’une analyse des films qu’ils ont tourné. Schmidt qui prend toutes les précautions possibles et imaginables, va être trahi par le gâteau d’anniversaire que lui apporte sa compagne. Ils décident donc de le tuer et pour cela vont l’attirer dans un piège. Cependant, Schmidt sera tué par les membres de son propre réseau.

    Un homme à abattre, Philippe Condroyer, 1967

     Raphaël reconstitue le visage de Schmidt à partir d’anciennes photos 

    Il y a d’abord une analyse froide et un peu documentaire de la traque d’un homme seul par un commando vengeur. Du film il ressort cette transcription minutieuse des pièges tendus, des filatures, des analyses patientes pour être sûr que c’est bien Schmidt qui se trouve dans le collimateur du petit groupe d’hommes. A des images en couleur et en écran large, Condroyer mêle des images en noir et blanc  que Georges a filmées. Il y a la vie d’un petit groupe d’hommes en collectivité, cloitrés dans un univers claustrophobique. Les dialogues sont peu nombreux, et le film privilégie l’action, la psychologie sera minimale.

    Mais le film se passe à Barcelone, et même si les extérieurs sont assez rares, ils donnent au film une couleur très particulière, très réussi. Ce n’est pas une Barcelone touristique, mais plutôt un univers désolé, abandonné, saisi dans les rigueurs de l’hiver. Les plages sont vides, les rendez-vous ont lieu dans un quartier d’entrepôts délabrés. Un corps sera jeté au fond d’une carrière.

    Comme on le comprend, c’est moins l’aspect réaliste de cette traque qui intéresse Condroyer qui est par ailleurs l’auteur du scénario avec sa femme, que ce qui se passe dans les redents d’une ville étrangère.

    Si le scénario est rigoureux, les scènes relatant la drague de Sandra par Raphaël sont un peu artificielles, elles engendrent une rupture de ton. Mais je suppose qu’elles ont été ajoutées pour éviter d’enfermer l’ensemble dans la seule mécanique de la traque d’un criminel de guerre, histoire de montrer que les membres du commando sont aussi des êtres humains.

     Un homme à abattre, Philippe Condroyer, 1967

     Julius essaie de se donner des certitudes 

    L’interprétation est plutôt bonne. Je suppose que le film s’est monté sur le nom de Jean-Louis Trintignant qui connaissait à cette époque, et après avoir fait une belle carrière en Italie, une grande gloire en France à cause du film de Lelouch, Un homme et une femme qui avait eu la Palme d’or l’année précédente. On peut regretter que Trintignant cependant se laisse aller à la facilité dans les relations avec Sandra. Mais pour le reste il est bien en tant que professionnel de la traque. La belle Valérie Lagrange qui eut aussi son heure de gloire en tant que chanteuse dans les années soixante, n’est finalement pas très présente. Son rôle est étroit et ne laisse pas un souvenir particulier.

    Plus intéressant sont les autres personnages masculins du film, Julius est interprété par un très bon et très tourmenté Luis Prendes qui non seulement souffre de ses souvenirs, mais qui n’arrive pas à se décider pour l’exécution de Schmidt. Et Georges qui est un peu le technicien de l’équipe est joué par le toujours très juste André Oumansky.

     Un homme à abattre, Philippe Condroyer, 1967

     Georges filme les allées et venues de Schmidt 

    C’est un film à petit budget, mais cela ne gêne pas. Au contraire, Condroyer tire tout à fait partie de cette rigueur. On pourrait presque dire qu’elle est tout à fait adéquate à son sujet. A propos de ce film, on a parlé d’une influence melvilienne. Certes on y trouve des proximités, notamment en ce qui concerne les déplacements caméra à l’épaule, ou les longs panoramiques. Mais je crois qu’il s’agit plus là d’un hasard. En effet ce film fait penser au Melville d’après Le samouraï. Or Un homme à abattre a été tourné exactement la même année. On rendra donc à Condroyer ce qui lui appartient.

     Un homme à abattre, Philippe Condroyer, 1967

     Julius pénètre chez Schmidt

    Un homme à abattre, Philippe Condroyer, 1967 

     Raphaël drague par téléphone la belle Sandra 

    Si les scènes d’intérieur rendent bien cette dimension claustrophobique, ce sont les scènes d’extérieur qui sont plus marquantes. Que ce soit l’exécution du contact de Schmidt ou la scène finale, avec ces longs plans saisissant en enfilade le vide de la ville dans le petit matin. Le rythme est aussi très bon. Ce qui n’est pas évident puisque l’attente est une dimension importante et décisive de la psychologie du groupe. C’est donc un film intéressant à redécouvrir.

     Un homme à abattre, Philippe Condroyer, 1967

     Schmidt a été abattu

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  • Commentaires

    1
    Max Power
    Vendredi 23 Février 2018 à 00:44

    Effectivement, il est dommage que ce film soit méconnu, car il constitue une œuvre intéressante sous plusieurs plans (notamment pour sa mise en scène minimaliste en phase avec son sujet).  

     

    Outre la similarité avec Melville, j’ajouterais que certains aspects du film sont précurseurs des films  « politiques » italiens des années 70 (p. ex. Cadavres exquis de Francesco Rosi, L’affaire Mattei de Rosi également, Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon d’Elio Pétri, Viol en première page de Marco Bellocchio, etc.).

     

     

    2
    Vendredi 23 Février 2018 à 06:22

    Oui, vous avez raison pour le rapprochement qu'on peut faire avec les films italiens qui mêlent "polar" et politique. 

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