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Allo, l’assassin vous parle, The 3rd voice, Hubert Cornfield, 1960
Charles Williams est hélas bien oublié aujourd’hui, pourtant il est un des plus grands auteurs de romans noirs. Il a œuvré dans quatre voies différentes. Le roman sudiste et campagnard, un peu à la manière de Faulkner et Caldwell, mais avec une touche de noir supplémentaire, par exemple La fille des collines. Puis il a développé une seconde manière plus noire et plus fatale comme Hot spot (en français Je t’attends au tournant) qui sera porté à l’écran par Dennis Hopper de très belle façon. Auteur à la fois cynique et drôle, grinçant, il mettra en scène des comédies noires et loufoques comme Fantasia chez les ploucs, ou Aux urnes les ploucs. Et puis, amoureux de la mer et des bateaux il se saisira aussi de ce sujet comme dans Dead calm (en français Calme blanc), le huis clos du bateau permettant des confrontations de caractères intéressantes. Tout est à lire chez Charles Williams. Un seul de ses romans n’a pas été traduit en français, il s’agit de Wrong Venus. Convaincus que Charles Williams savait écrire des histoires surprenantes et bien ficelées, de nombreux réalisateurs tentèrent l’aventure de le porter à l’écran. Il faut le dire, pour des raisons complexes et variées, que rares furent les bonnes adaptations qui sortirent de cette œuvre puissante. La moitié au moins des films inspirés par l’œuvre de Charles Williams ont été réalisés par des metteurs en scène français.
Marian Forbes s’étant fait évincé par une femme plus jeune qu’elle auprès de son amant, le richissime Harris Chapman, décide de se venger. Pour cela elle forme un homme à imiter la voix, les expressions et l’allure de celui qui l’a délaissée. Le but est de le tuer puis de capter une grande partie de sa fortune, tout en restant présent par sa voix auprès ce ceux qui connaissent Chapman. Il va se débarrasser du corps au milieu de l’océan, puis, il va mettre une grande habileté pour se faire délivrer de l’argent en liquide, des dollars, il fait vendre des actions par son courtier Chris, puis fait virer des chèques au Mexique. En même temps il doit semer des fausses pistes pour faire croire que Chapman est toujours en vie, mais il va tomber sur une femme, Corey Scott qui est sensé lui voler de l’argent et disparaître avec. Or cette femme qu’il prend pour une prostituée, est en réalité la maîtresse de Chapman qui s’est déplacée depuis Seattle pour retrouver son amant. C’est ce qui va perdre le héros du film puisqu’elle va le dénoncer comme le meurtrier de Chapman, ce qui permettra à Marian d’être blanchie du meurtre de son ancien amant et envoyer son complice en prison.
Il s’entraîne à imiter la voix de Chapman
C’est Hubert Cornfield qui s’est chargé d’écrire le scénario. La trame est à peu près la même, disons le montage de l’escroquerie et ses conséquences. Il en a changé cependant plusieurs éléments qui vont modifier le point de vue. Le livre est écrit à la première personne comme souvent chez Williams. En outre, il détaille comment Marian l’a approché et carrèment recruté pour se venger de Chapman. Dans le roman il est clairement identifié comme Jerry Forbes, un homme qui a eu par le passé des ennuis et qui les fuit. Ce n’est donc pas une voix anonyme. Ensuite, mais on ne sait pas si ce n’est pas cela qui est le plus important, dans le roman il y a bel et bien une romance contrariée entre Jerry et Marian. Or celle-ci le trahit purement et simplement sans qu’on comprenne très bien ses motivations. Bref le film se referme uniquement sur une ingénieuse escroquerie doublée d’un meurtre. L’action a été dépaysée de Miami vers le Mexique, ce qui ne serait pas génant si cela ne retrécissait pas l’action. Parmi les thèmes développés dans ce film, il y a celui du rapport avec la technique : on l’oubli trop souvent, le développement de la technologie accompagne – du moins au cinéma – le développement de la criminalité. Ici le véhicule de l’arnaque repose sur la maîtrise de deux éléments « modernes », le téléphone et l’utilisation de bandes magnétiques pour améliorer la voix et la connaissance de Chapman. Il manque aussi une dimension essentielle de la thématique de Charles Williams, dans l’ouvrage Marian est une femme très forte qui sait tenir ses nerfs et utiliser son cerveau. Dans tous les ouvrages de Charles Williams, c’est comme ça, la femme réfléchit un peu plus loin que l’homme et c’est bien pour ça que ce dernier a besoin d’elle.
Beaucoup d’aspect du film et du roman font penser au roman canonique de Patricia Highsmith, Mr Ripley qui date de 1955. Il y a l’usurpation d’identité, l’entraînement à refaire la signature, mais aussi la façon dont Jerry se débarrasse du cadavre en le mettant dans la mer, lesté d’un poids. Et cela d’autant plus que l’histoire se passe au soleil, avec la mer comme ligne d’horizon.
Marian va tuer Chapman
L’esprit du roman de Charles Williams est complétement trahi au profit de la forme. En effet, si le romancier détaille bien plus que ne le fait Cornfield le montage et les difficultés de l’arnaque, ce qui l’intéresse, ce sont les relations compliquées et surprenantes entre Marian et Jerry. Au départ, dans le roman, Marian couche avec Jerry un peu par obligation, mais celui-ci est très épris, au point qu’il risque très gros en suiv ant Marian dans ses plans scabreux. Cette forme d’abnégation éveillera les sentiments de Marian, mais trop tardivement. Elle finira par se suicider, et Jerry se livrera à la police pour se dénoncer et en finir avec sa culpabilité. Car c’est le thème de la culpabilité, aussi bien celle de Marian qui a été flouée dans ses relations avec le sinistre Chapman, que celle de Jerry qui ne se trouve pas toujours à la hauteur. Ici on retombe sur le schéma simple et éculé d’une femme qui manipule tous les hommes qu’elle rencontre pour assouvir sa vengeance. Le film a cependant conservé l’idée de Charles Williams sur la conduite indigne des riches. Sans doute aussi est-ce pour cela que le film est dépaysé au Mexique où les rapports de classes, le mépris pour les pauvres est encore plus marqué.
Il faut se débarrasser du corps
Manifestement Cornfield avait le sens du film noir, et il en connaissait la grammaire, il a fait le très bon Punder road, et aussi le film très intéressant mais un peu raté tout de même The night of the following day[1]. En effet son talent est souvent gâché par une sophistication trop grande de la mise en scène, et puis surtout il veut être un auteur à la manière européenne et travaille lui-même sur le scénario. Il aurait fallu se donner un peu plus de mal pour résoudre les déséquilibre qu’il y a dans le roman et qui accordent trop de place au montage de l’arnaque proprement dite. Or il apparait que celui-ci n’est pas assez travaillé. C’est un film à petit budget, et certainement que la minceur du budget a joué pour beaucoup dans le dépaysement vers le Mexique. Malgré cela la mise en scène est intéressante. Le rythme est bon, la caméra mobile, et l’utilisation du noir et blanc est tout à fait intéressante. Il y a de beaux plans en profondeur dans les hôtels, et un bon usage des paysages maritimes. On peut regretter cependant que le Mexique ne soit pas mieux utilisé. Il reste trop superficiel, trop touristique. Il y a aussi des scènes un peu lourdes tout de même, par exemple quand Marian reste trop détachée d’elle-même après le meurtre de Chapman. Charles Williams était un peu moins naïf que ça. Dans le livre au contraire les deux criminels restaient traumatisés par leur geste audacieux.
Le faux Chapman hurle ses ordres à son agent de change
L’interprétation, c’est d’abord Edmond O’Brien, un des grands acteurs du film noir. Il a rarement trouvé des premiers rôles. Evidemment par rapport au livre, il n’est pas du tout le personnage. Il est trop âgé, il lui manque ce côté sportif forgé dans la conduite des bateaux. Mais comme Laraine Day n’est pas non plus un oiseau tombé du nid, ça passe. En réalité c’est lui qui porte le film de bout en bout. C’était un grand acteur du cycle du film noir, il a eu rarement des premiers rôles à cause d’un physique un peu trop ordinaire. Rien que pour cela il faut voir le film. Il est très convaincant dans la transformation qu’il opère en occupant deux rôles presque simultanément. A cette date cependant, il était déjà sur le déclin, il n’obtiendra plus que des seconds rôles dont quelques-uns de qualité comme dans L’homme qui tua Liberty Valence. Le film est très court, et le personnage de Laraine Day est insuffisamment développé, outre que cela nuit au récit proprement dit, cela ne permet pas de rendre compte de son talent. Elle est transparente et n’apparaît pas assez longtemps pour qu’elle marque les esprits. Julie London, la superbe chanteuse de jazz est par contre remarquable. Même si son rôle est assez court, elle impose son physique étrange.
Une jeune femme semble attendre dans le hall de l’hôtel
Si ce n’est pas une adaptation déshonorante, on est tout de même assez loin de l’univers particulier de Charles Williams, le roman était bien plus riche que le film, mais enfin, ça tient la route. Ce film est injustement oublié, pourtant il appartient sans conteste au cycle du film noir. Il n’existe plus aujourd’hui sur le marché des DVD et des Blu ray qu’une très mauvaise version sous-titrée en espagnol avec une image recadrée alors que le film original a été tourné en cinémascope. C’est un film qui mériterait évidemment une édition propre avec des sous-titres en français.
Pour couper court à la conversation avec les Kendall il fait hurler Corey
L’arnaque a réussi
[1] http://alexandreclement.eklablog.com/hold-up-plunder-road-hubert-cornfield-1957-a114844584 et http://alexandreclement.eklablog.com/la-nuit-du-lendemain-the-night-of-the-following-day-hubert-cornfield-1-a114844666
« Le justicier dans la ville, Death Wish, Michael Winner, 1974Peaux de banane, Marcel Ophüls, 1963 »
Tags : Charles Williams, Hubert Cornfield, Edmond O'Brien, Julie London, Laraine Day
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