• Deux hommes dans la ville, José Giovanni, 1973

    Deux hommes dans la ville, José Giovanni, 1973 

    C’est sans doute un des films les plus emblématiques de José Giovanni. Il s’agit d’une histoire originale, et non d’une adaptation d’un de ses romans, histoire qui le touche de près. Il y a mis beaucoup de lui-même, non seulement parce qu’il s’agit d’un homme condamné comme lui à la peine de mort, mais aussi parce qu’il y a un regard désabusé sur la vie et les institutions qui l’enferme dans des conventions. Le moins que l’on puisse dire est que ce film produit par Alain Delon va à l’encontre des idées reçues qui font de Delon et de José Giovanni des hommes d’extrême-droite. Il y a en effet une vision de la justice que certains qualifieraient facilement de gauchiste. Le condamné à mort est victime non seulement de la fatalité de rencontres fortuites, mais aussi d’un policier psychopathe et d’une justice aveugle et sans cœur. En même temps on pourrait penser que cette histoire sur une réhabilitation d’un homme vis-à-vis de la société concerne aussi José Giovanni puisqu’à cette époque, en 1973, presque personne ne connaissait son passé sulfureux. C’est un peu comme s’il anticipait que tôt ou tard il serait découvert, et que quoiqu’il ait fait par la suite de sa vie, on ne le lui pardonnerait pas. 

    Deux hommes dans la ville, José Giovanni, 1973 

    Gino a trouvé du travail dans une imprimerie 

    Cazeneuve est un ancien policier qui s’occupe de réinsertion pour le ministère de la justice. Il va défendre le dossier de Gino Strabliggi afin de lui obtenir une remise de peine, il se porte garant de ses capacités de réinsertion. A sa sortie de prison Gino va trouver du travail et retrouver sa femme qui l’a attendu. Une amitié s’est nouée entre les deux hommes. Ils déjeunent souvent ensemble, passent des vacances ensemble. Peu après Gino croise la route de Marcel et de ses acolytes, une bande dont jadis il a fait partie. Ils essaient de l’entraîner sur un nouveau coup, mais Gino décline fermement la proposition. Cazeneuve étant nommé à Montpellier, Gino va le suivre et trouve du travail dans une autre imprimerie. Alors qu’il revient de visiter Cazeneuve, Gino a un accident de voiture, sa femme est tuée. Il est assez désespéré. Mais il est solide et va se reprendre. Du reste il va retrouver l’envie de vivre lorsqu’il fait la connaissance de Lucy. C’est sans compter sur l’inspecteur Goitreau. Celui-ci a connu Gino dans le temps, il est persuadé qu’il n’est pas amendable. Il va se retrouver à le harceler. Sa conviction est renforcée quand il va voir que Gino rencontre par hasard une nouvelle fois Marcel. De fil en aiguille, Gino perd ses nerfs et lors d’une intrusion de Goitreau chez lui, ils se battent et Gino tue le policier. Dès lors la machine est en marche et rien ne l’arrêtera : Gino sera condamné et exécuté.

    Deux hommes dans la ville, José Giovanni, 1973  

    Marcel et sa bande ont retrouvé Gino 

    Si le thème principal est un plaidoyer contre la peine de mort, il y a bien plus que cela dans cette histoire tragique. Souvenons-nous que nous sommes en 1974, la peine de mort ne sera abolie qu’en 1982. En 1972 les exécutions de Buffet et Bontems ont bouleversé l’opinion, en 1976 ce sera celle de Christian Ranucci dont la culpabilité a été contestée qui prendra encore le relais. Evidemment José Giovanni en tant qu’ancien condamné à mort gracié quelques jours avant d’être exécuté sait de quoi il parle, et c’est sans doute cela qui fait que le film est autant chargé d’émotion. José Giovanni a la bonne idée de ne pas faire de Gino un innocent, il a bien tué un flic. Par-delà ce plaidoyer très efficace contre la peine de mort, il y a aussi les difficultés de la réinsertion, la trique, la nécessité de pointer, la méfiance des patrons à embaucher des anciens délinquants. Le message est donné par Cazeneuve : on ne naît pas criminel, ce sont les circonstances et la société qui s’en chargent. Ici les circonstances prendront l’allure du maniaque inspecteur Goitreau, mais aussi des rencontres inopportunes de Gino avec Marcel et sa clique. L’autre thème sous-jacent est celui de l’amitié. Ici elle se construit contre toute attente entre un malfrat et un représentant du ministère de la justice et donc de la loi qui regarde l’homme tel qu’il est et non à travers les apparences de son casier judiciaire. S’il plaide ainsi c’est que probablement José Giovanni voudrait qu’on le voie comme cela. Il ne nie pas avoir fauté, mais il voudrait qu’on croie à la sincérité de son repentir. On retrouve également cette idée chère à Giovanni selon laquelle une femme a vocation de sauver un homme ! 

    Deux hommes dans la ville, José Giovanni, 1973 

    Cazeneuve se méfie de l’inspecteur Goitreau 

    Mais le film est extrêmement pessimiste, et abolition de la peine de mort ou pas, il dessine un horizon sans issue. Quand j’avais vu ce film à sa sortie, je l’avais aimé bien sûr, mais j’avais trouvé certains aspects peut-être un peu caricaturaux. Aujourd’hui, je ne les voie plus ! Et plus encore j’y trouve de grandes qualités cinématographiques. Il y a une application dans la mise en scène qui n’a pas toujours été la marque de Giovanni, mais aussi une force de conviction qui va lui permettre de trouver des solutions visuelles originales. Globalement on pourrait dire que dans ce film il a retenu les leçons de Melville. On sait que Giovanni détestait cordialement Melville pour ses travers et cette capacité à tirer la couverture à lui en dénigrant le travail des autres. Mais Giovanni aimait tout de même le travail de Melville sur Le deuxième souffle. Il y a ces scènes de Gabin marchant le long des hauts murs de la prison, ou alors l’interrogatoire de Gino par Goitreau qui par ses longs plans-séquence est proche de l’interrogatoire de Faugel dans Le doulos. La stylisation de l’exécution est aussi très étonnante, que ce soit par son lent cérémonial ou par les angles choisis pour glacer le sang du spectateur. Les séquences qui montrent Gino au travail flatte le côté artisanal, l’homme et la machine sont filmés dans une complémentarité évidente. 

    Deux hommes dans la ville, José Giovanni, 1973 

    Goitreau essaie de démontrer que Gino est encore un gangster 

    L’interprétation est excellente. Delon dans un rôle de voyou – ce qui fut une longue habitude chez lui – bien sûr, quoiqu’ici il est dans une logique difficile de rédemption. La scène finale de l’exécution est extrêmement touchante et Delon y est formidable. Mais il y a aussi Jean Gabin dans le rôle de Cazeneuve, un fonctionnaire désabusé, impuissant à enrayer le cours de la fatalité. Ce fut là son dernier grand rôle. Il a une présence incroyable dans un personnage qui malgré tout veut croire encore et toujours dans l’homme, les scènes avec Delon sont très justes. Et puis il y a un excellent Michel Bouquet dans le rôle de ce maniaque d’inspecteur Goitreau complètement obsédé par ce qu’il croit être sa mission. Il est là entre une version moderne de l’inspecteur Javert et le flic sadique qu’il avait incarné chez Yves Boisset dans Un condé. Du reste quelques années plus tard, il incarnera l’inspecteur Javert dans la version des Misérables de Robert Hossein. Ici il a une présence dans la maniaquerie qui est renforcée justement par la sobriété et la raideur de son jeu. Les seconds rôles sont de qualité. D’abord Malka Ribowska dans le rôle de l’avocate qui a la lourde tâche de défendre Gino. Bien que très brève sa plaidoirie est chargée d’émotion. On retrouve aussi Christine Fabrega ; José Giovanni s’étant sans doute souvenu de sa prestation exceptionnelle dans Le deuxième souffle. Et puis Victor Lanoux dans le rôle de Marcel. Les moins bons sont finalement Bernard Giraudeau qui en fait un petit peu trop dans le rôle du fils Cazeneuve, et puis Gérard Depardieu qui fait une petite apparition. Certains petits personnages sont particulièrement soignés, comme le procureur joué par l’extraordinaire Jacques Monod, ou le directeur de la prison qui doit annoncer à Gino que sa demande de grâce a été refusée : c’est avec une tête d’employé des pompes funèbres qu’il annonce cette mauvaise nouvelle, il est interprété par Pierre Asso qui devait décéder juste un peu après la fin du tournage. Tous sont assez brillants, que ce soit Robert Castel ou Guido Alberti dans le rôle du patron de l’imprimerie qui tient tête au policier. Quelques acteurs récurrents de la filmographie de Giovanni de cette époque se retrouvent ici : Gabriel Briand dans le rôle d’un bandit, ou Dominique Zardi dans celui d’un détenu particulièrement excité. Les femmes sont un peu sacrifiées tout de même, ni Mimsy Farmer, ni Ilaria Occhini, n’atteignent à beaucoup d’intensité. Mais elles sont présentes. 

    Deux hommes dans la ville, José Giovanni, 1973 

    Le procès de Gino est perdu d’avance 

    Le film a été un très bon succès, en France mais aussi à l’étranger. C’est justifié, c’est sûrement un des meilleurs de José Giovanni réalisateur. C’était le troisième film que Delon et Gabin tournaient ensemble, après le très bon Mélodie en sous-sol et le médiocre Clan des Siciliens sur lequel José Giovanni avait remplacé Auguste Le Breton au pied levé pour retaper un scénario un peu bancal. Delon admirait Gabin, et ce dernier l’aimait bien aussi. Pour ma part je trouve que le film s’est bonifié avec le temps. Il existe un remake de ce film tourné par Rachid Bouchareb avec Forest Whitaker et Harvey Keitel sous le titre de La voie de l’ennemi. L’histoire est transposée au Nouveau Mexique, mais je ne suis pas sûr que ce remake ait été utile, le propos change complètement de signification. 

    Deux hommes dans la ville, José Giovanni, 1973 

    La grâce présidentielle a été refusée 

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