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L’homme qui en savait trop, The man who knew too much, Alfred Hitchcock, 1956
Il s’agit du remake d’un film qu’Hitchcock avait réalisé en 1934, avec le même titre, et avec Peter Lorre, dans un contexte différent. Très avare Hitchcock aimait bien faire des économies en recyclant des vieilles intrigues dont il était propriétaire. Ici l’histoire d’espionnage relativement compliquée est remplacée par une intrigue fumeuse autour d’une tentative de meurtre à l’encontre d’un premier ministre d’un pays étranger combiné de curieuse façon et commandité par l’ambassadeur de ce même pays dont on ne prononce jamais le nom. Hitchcock a forcé un peu sur le côté exotique puisqu’on y trouve des Français, mais aussi des Marocains dans une Afrique du Nord présentée dans un état d’arriération pas possible et peu vraisemblable même dans les années cinquante, et puis on revient à Londres.
Dans le bus qui va de Casablanca à Marrakech, les McKenna se heurtent à la susceptibilité arabe
Les McKenna, une riche famille américaine, se sont offerts des vacances au Maroc, après avoir fait un détour par Londres et Paris. Dans le bus qui va de Casablanca à Marrakech, ils font la connaissance de Louis Bernard, un Français qui les tire d’embarras après que le jeune garçon, Hank, se soit heurté à un arabe qui l’accuse d’avoir enlevé le voile de sa femme. A Marrakech, ils décident de passer une soirée avec Bernard, mais celui-ci se désiste au dernier moment. Au restaurant, ils retrouvent un autre couple, les Drayton, dont la femme semble être une admiratrice de Jo qui était, avant son mariage, une chanteuse à succès. Le lendemain, alors qu’ils visitent le marché en famille et avec les Drayton, Bernard qui s’est déguisé en arabe, il s’est collé du fond de teint et a passé une gandoura, est assassiné d’un coup de couteau dans le dos alors qu’il est poursuivi par la police. Avant de mourir il confie à Ben qu’un certain Ambrose Chappell va être assassiné à Londres. Comme Ben doit faire une déposition à la police, il s’y rend avec Jo, mais confie la garde de Hank à madame Drayton. La police française lui révèle que Bernard était un agent secret, mais elle le soupçonne aussi de cacher quelque chose. Au beau milieu de l’interrogatoire, Ben reçoit un mystérieux coup de fil qui lui fait comprendre que Hank a été enlevé. Il ne peut donc plus rien dire. Les McKenna s’apercevant que les Drayton se sont envolés, décident de se rendre à Londres. Ambrose Chapel est en réalité une église, et non un homme, c’est là que la bande se terre pour préparer l’assassinat d’un homme au cours d’un concert qui doit avoir lieu. Et c’est là qu’ils détiennent le petit Hank. L’obstination des époux McKenna va empêcher le meurtre du premier ministre d’un pays étranger et indéterminé, celui qui devait le tuer mourra. Ils vont se faire inviter justement par le premier ministre ce qui leur permettra de pénétrer dans l’ambassade pour tenter de retrouver leur fils. Celui sera averti par sa mère qui lui chante a capella une chanson qu’ils répétaient ensemble, Que sera, sera. L’enfant sera sauvé grâce à madame Drayton et les méchants punis, bien entendu.
Jo vient d’apprendre que Hank a été enlevé
L’histoire est évidemment invraisemblable et n’a pas beaucoup d’épaisseur. Comme souvent Hitchcock qui ne doutait de rien, compte sur sa maitrise technique pour faire passer la pilule. Son idée aurait été de mettre en scène une famille d’Américains ordinaires qui doivent faire face à un événement dramatique, le kidnapping d’un enfant. Il s’agirait de montrer la tension entre le devoir qui consiste à prévenir la police d’un meurtre qui va peut-être être perpétré, et l’égoïsme de ce couple qui veut d’abord sauver son enfant. C’est du moins ce qu’a dit après coup Hitchcock de ce film. Cette thématique plus ou moins maitrisée va se décliner à travers toute une palette de clichés aussi curieux qu’incongrus. L’épouse McKenna apparaît à la fois comme une femme soumise qui fait ce que lui demande toujours son mari, et en même temps c’est elle qui parait la plus perspicace, non seulement elle remarque l’attitude louche de Bertrand, mais aussi elle se méfie des Drayton, quoi que ceux-ci feront taire facilement ses préventions en lui rappelant qu’ils connaissent toutes ses chansons et qu’elle est leur chanteuse préférée. Rien de mieux que de flatter une femme pour endormir sa méfiance. Evidemment une fois de plus, Hitchcock se débrouille pour montrer combien les policiers sont incompétents puisque de sont les époux McKenna qui vont dénouer l’affaire : sauver le premier ministre, récupérer leur enfant, et détruire les gangsters.
Ben cherche un certain Ambrose Chappell
Quoi qu’il en soit, on retrouve toujours la rhétorique classique du désordre créé par un événement extérieur, et la nécessaire remise en ordre de la vie sociale par la destruction des criminels. L’histoire est astucieusement montée autour de la compassion naturelle qu’on peut avoir à l’idée d’un kidnapping d’enfant. Ces ressorts éculés font évidemment qu’il est difficile de s’intéresser aux personnages au-delà de la durée du film. C’est d’autant plus difficile que les scènes « humoristiques » un peu pénibles émaillent l’intrigue. Comme par exemple la scène interminable au restaurant où pour se plier aux coutumes locales, il faut manger avec les doigts, et Ben a du mal à caser ses longues jambes. Si Hitchcock est sans doute un bon technicien de l’image, on se demande souvent s’il est autre chose. En effet dans The man who knew too much, il y a un timing qui n’est pas très bon. Outre la scène du restaurant déjà citée, il y a cette interminable séquence de l’Albert Hall où l’orchestre n’en finit plus de jouer. Le film pourrait facilement durer une demi-heure de moins, sans que cela change. Les scènes inutiles abondent, comme celle qui voit Louis Bernard discutailler avec l’arabe qui est sensé l’avoir apostrophé.
Jo attend son mari devant l’église
Si le scénario est plutôt bancal, la réalisation ne manque pas de défauts non plus. Outre le souci du tempo que nous avons souligné, il y a des défauts très typique de l’œuvre d’Hitchcock. Le premier et le plus important est sans doute la saturation du film à partir de transparences assez grossières. C’est difficile de comprendre cela. En effet le film qui disposait d’un budget très important a utilisé des décors réels, aussi bien au Maroc qu’à Londres, et pourtant, non seulement les mauvaises transparences sont constantes dès lors qu’un des protagonistes utilise un moyen de déplacement, mais aussi elles servent à filmer des scènes de foule, notamment à Marrakech. A croire qu’Hitchcock ne savait pas très bien utiliser les décors réels. Je passe sur le côté exotique du décor. Il y a également dans toute la première moitié du film cette horrible couleur verdâtre qui, du moins à cette époque, est la marque de fabrique des films d’Hitchcock. Comme on sait que le réalisateur contrôlait absolument tout, du scénario, aux vêtements des comédiens, et jusqu’au moindre détails des décors, il est évidemment responsable de la couleur aussi, et ce n’est pas franchement une réussite. Ceci étant il y a comme toujours de beaux mouvements de caméra, notamment à la grue. Il saisit aussi très bien – quand il ne déconne pas avec les transparences – la profondeur de champ et sait s’en servir. Mais est-ce que cela fait un style ? Pour les amateurs, apparemment oui. La scène qui, vers la fin, voit Jo chanter pour alerter son jeune fils est certainement réussie sur le plan du montage et de la tension, très bien soutenue par la chanson Que sera, sera.
Jo chante Que sera, sera
L’interprétation a été construite autour du couple James Stewart-Doris Day. La première question qui se pose est la différence d’âge. En effet, James Stewart apparait très âgé, bien qu’il n’ait que 47 ans à l’époque, beaucoup plus en tous cas que Doris Day qui semble être sa fille. Cette dernière avait été choisie par Hitchcock qui faisait une fixation sur les blondes, pour remplacer en quelque sorte Grace Kelly qui l’avait abandonné pour faire sa vie avec le Prince Rainier. Sans doute a-t-il été déçu, en effet Doris Day n’a pas cette froideur brûlante de Grace Kelly ou de Kim Novak. Elle a un côté un peu trop rose et un enthousiasme contagieux qui lui ôte toute ambiguïté. Elle a un abatage étonnant, comme une meneuse de revue, ce qui semble la mettre en opposition avec son statut de mère éplorée à la recherche de son enfant. Hitchcock l’avait affublé d’un tailleur gris souris, mais aussi d’une coiffure tarabiscotée : ces deux éléments se retrouveront dans Vertigo, repris pour le personnage de Kim Novak. Doris Day était à cette époque une énorme vedette, et une chanteuse à succès. Sa version de Que sera, sera, sera vendue à des millions d’exemplaires dans le monde entier et tout le monde fredonnera cette rengaine. Doris Day se plaignit de ses relations avec Hitchcock qu’elle trouvait un peu distant avec elle. Au moins elle n’a pas eu à subir le harcèlement sexuel de Tippi Heddren. C’est déjà ça ! James Stewart est constant. Il se prête apparemment sans déplaisir aux pitreries hitchcockiennes. C’était déjà son troisième film avec Hitchcock, il y aura encore ensuite Vertigo[1]qui est tout de même bien plus intéressant. Il joue toujours le même personnage, cet homme ordinaire qui se trouve devoir agir lorsque des événements inattendus surviennent. Ce brave garçon dégingandé qui ne sait jamais trop quoi faire de son corps et qui met du temps à réagir et à comprendre ce que tout le monde a compris avant lui. On retrouvera Daniel Gélin dans le rôle bref mais significatif de Louis Bernard. J’aime bien Gélin, mais ici il n’a pas trop l’air de savoir où il se trouve. Peut-être cela venait il des problèmes de langue ? le couple Drayton – les méchants – est assez bien dessiné, avec Brenda de Manzie qui se torture un peu parce qu’elle s’est attachée à l’enfant kidnappé, et qui est très bien. Bernard Miles est son mari sans scrupules. Aussi mauvais qu’il est bigleux et qui trouvera une mort bien méritée finalement. Il se déguise en plus en curé d’un ordre épiscopal, pour Hitchcock se serait un affront qu’il se déguisa en curé catholique. On remarque que ce couple maudit est aussi aidé dans ses entreprises criminelles par une autre bigleuse, comme si pour Hitchcock les assassins compensaient par leurs crimes une défaillance physique qui les enlaidit. Reggie Nalder, acteur autrichien que l’on vit aussi beaucoup en France dans des rôles de nazi, prête ses traits étranges au tueur à gages. Bernard Hermann, longtemps le musicien fétiche d’Hitchcock, joue son propre rôle en dirigeant l’orchestre qui se produit à l’Albert Hall.
Ben et Hank vont sortir sous la menace d’un revolver
Le film fut un énorme succès public lors de sa sortie, la critique était cependant à l’époque plus mitigée, trouvant l’exercice un peu vain tout de même. Les cuistres de la Nouvelle Vague n’étaient pas encore passé par là pour nous indiquer combien la cinématographie d’Hitchcock était originale et excellente. C’est seulement avec le temps, et parce qu’Hitchcock qui avait un vrai sens de la publicité, est devenu l’archétype de l’auteur, qu’on trouve que tout ce qu’il a fait est très bon. Le passage du temps est pourtant très sévère avec cette œuvre mineure. Elle n’apparait plus que comme un simple film de distraction destinée à un public familial – le kidnapping d’enfant l’oblige. Mais surtout les artifices visuels hitchcockiens sont insuffisants pour masquer ce vide. Il faut dire qu’aujourd’hui l’idée de tuer quelqu’un d’un coup de révolver au moment d’un coup de cymbale est proprement incongru.
Hitchcock dirigeant James Stewart et Doris Day
Tags : Hitchcock, James Stewart, Doris Day, espionnage, Daniel Gelin
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Commentaires
la première version est avec Peter Lorre, assez rustique, plus accès sur l'espionnage. Mais elle est assez pénible à supporter
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Bonjour,
Je ne me lasserai jamais de ce film ! C’est l’un de mes préférés. Je ne savais pas qu’Alfred Hitchcock avait déjà sorti une première version de « L’Homme qui en savait trop » en 1934. J’aimerai bien comparer les deux longs-métrages et connaître les similitudes et les différences. Les anciennes productions m’ont toujours fasciné !