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La bonne tisane, Hervé Bromberger, 1957
Pour sa première adaptation de Jean Amila qui signe encore John Amila à la Série noire, Bromberger va choisir un thème assez bien balisé. C’est le thème du vieux caïd vieillissant qui règle ses comptes avec le milieu, typique du film noir à la française depuis au moins Touchez pas au grisbi. L’année précédente, Le rouge est mis, toujours avec Gabin a eu un grand succès. L’ouvrage de John Amila ne brille pas par son originalité, et le style n’est pas non plus très travaillé. Il a sans doute été écrit très vite. Mais c’est clairement un film noir, et comme on va le voir il s’intéresse aussi à l’hôpital où les conditions de travail paraissent harassantes.
René Lecomte, un caïd un peu vieillissant, revient de l’étranger dans l’espoir de reprendre sa place et de régler ses comptes avec Lino. Il est accueilli à l’aéroport par sa femme Germaine et Roger, son homme de barre. Pendant ce temps là, Thérèse, une jeune infirmière va faire sa première nuit de garde à l’hôpital. Elle est plutôt mal reçue par le docteur Augereau qui apparait comme autoritaire, macho et exigent. La nuit venue, Roger et René se rendent chez Lino, mais une fusillade éclate, René est gravement blessé, Lino et ses acolytes sont morts. Roger qui pense que René est mort retourne rendre des comptes à Germaine à qui il fait part de ses prétentions pour la succession de René. Mais Riton a lui aussi envie de se placer auprès de Germaine et de mettre la main sur sa boîte de nuit. Ils décident de retourner sur les lieux de la fusillade en espérant faire disparaitre le cadavre de René. Mais celui-ci a disparu. En fait il a rampé et s’est retrouvé à l’hôpital tout proche. Là il va être pris en charge par le personnel et le docteur Augereau va l’opérer. A son réveil René veut s’en aller de l’hôpital. Il est cependant très faible. Roger va tenter de se faire passer pour un policier et pénétrer dans l’hôpital. Là il va aider René à quitter les lieux en prenant en otage Thérèse. Cependant Riton débarque en force avec ses amis pour enlever René. Mais le docteur Augereau qui a constaté le départ de René va donner l’alerte. La police arrive, une fusillade s’ensuit, et la bande à Riton va être décimée. Pendant ce temps là Roger et René ont trouvé refuge dans la chaufferie de l’hôpital. Mais René a compris que Roger voulait le trahir. Dans la bagarre qui s’ensuit, il va le tuer. Cependant en tentant de quitter l’hôpital il va tomber sur la police et sera tué par elle dans un affrontement digne d’un western. Finalement Germaine versera des larmes de crocodile mais sera débarrassée d’un mari bien encombrant, tandis que le docteur Augereau et Thérèse s’ouvriront leurs cœurs, passent au dessus de leurs différences de classe et partent ensemble pour filer le parfait amour. Entre temps le docteur aura aussi sauvé la vie d’un jeune garçon qui semblait condamné
Le docteur Augereau bouscule Thérèse par ses exigences
L’intrigue proprement dite n’est pas très originale, mais elle vaut par son traitement singulier. Deux lignes se croisent, d’une part les affaires d’une bande de malfrats qui s’entretuent dans la bonne vieille tradition, et d’autre part la vie de l’hôpital dans son service de nuit. En donnant le même poids aux deux histoires, cela donne un côté décalé à l’ensemble et ça permet de ne pas trop s'appesantir sur les histoires du caïd sur le retour, thème fort à la mode à cette époque. Mais il y a un autre thème qui affleure, c’est l’analyse des relations de subordination qui paraissent choquantes : comme Augereau maltraite Thérèse, René maltraite aussi bien Germaine que Roger. Cependant ces personnages despotiques seront en quelque sorte vaincus, René par les armes et la ruse de Germaine, et Augereau par l’amour qu’il découvre pour Thérèse. Il est vrai qu’en ces temps là, des médecins pouvaient exiger qu’on les appellassent « docteur », et on le faisait. Depuis de l’eau a passé sous les ponts, la hiérarchie existe toujours à l’hôpital mais elle est plus relâchée, et les femmes n’acceptent plus ce qu’elles acceptaient naturellement. Le docteur se veut sévère mais juste, paternaliste, il se charge d’apprendre les duretés de la vie à l’hôpital à la jeune Thérèse qu’il se charge d’endurcir. A travers l’analyse de ces deux milieux, on perçoit encore une opposition entre l’hôpital dont la collectivité sauve des vies, donne la vie à travers les accouchements, et le milieu qui au contraire donne la mort en déployant une logique égoïste et individualiste. A côté de ce tableau de mœurs, les intrigues entre gants apparaissent de peu d’intérêt. On insiste assez peu sur le caractère fourbe de Germaine, et les causes du massacre entre bandes rivales est assez vite oublié. Les deux milieux se rejoignent encore parce qu’ils appartiennent au monde de la nuit dont le commun n’a pas idée des duretés.
Roger et Riton spéculent sur la mort de René tout en surveillant la clientèle
Bromberger s’inspirait assez du film noir américain. Et il semble bien d’ailleurs que Melville se soit inspiré de Bromberger et de ce film en particulier pour Le deuxième souffle. Par exemple la scène de l’évasion de l’hôpital, ou encore l’affrontement entre bandes rivales. Bien que le film soit un peu fauché, il y a de très belles scènes qui valent le détour, par exemple la scène de l’évasion, puis celle où René et Roger se retrouvent dans la chaufferie et où le vieux caïd tue sans raison apparente l’employé occupé à remplir le foyer de charbon, il y a là une belle contre plongée. Dans les couloirs de l’hôpital et dans les escaliers Bromberger fait preuve d’une belle maitrise technique assez bien soutenue d’ailleurs par une belle photographie. L’usage qu’il fait également de la boite de nuit peut être qualifié de pré-melvillien. Il ya un sens du mouvement et de l’espace. Il est bien aidé par la photographie de Jacques Mercanton qui avait déjà œuvré pour lui sur Les fruits sauvages et sur Identité judiciaire. Mais ici dans la simplicité des décors, les qualités de l’image sont encore plus évidentes. Il retravaillera encore avec Bromberger, mais il fut aussi associé aux films de Maurice Cloche, un autre cinéaste à redécouvrir à mon avis, Maurice Cloche qui a travaillé dans cet entre-deux du polar et du film noir dont le très bon Requiem pour un caïd[1].
Le docteur Augereau va opérer René
L’interprétation est très dispersée. Bernard Blier incarne René Lecomte, mais dans ce rôle de dur il est assez peu crédible, sans doute à cause de son physique. Fort heureusement il n’est présent à l’écran qu’assez peu pour cause d’hospitalisation. Son second, Roger, incarné par le fragile Roland Lesaffre n’est pas plus convaincant, il a l’air un peu demeuré. Du côté des malfrats Henri Vilbert dans le rôle de Riton est bien meilleur, il joue les hommes de poids avec assez de justesse. Et puis il y a Madeleine Robinson dans le rôle de Germaine. C’était une grande artiste qui pouvait tout jouer, les duchesses comme les morues de bas étages. Elle a une présence incroyable. De l’autre côté on l’excellent Raymond Pellegrin qu’on a plus l’habitude de voir dans des rôles de voyous ou de maquereaux que dans celui d’un médecin honnête et dévoué au bien public. Il est très bien dans le rôle d’Augereau le médecin despotique et sûr de lui. Estella Blain qui avait déjà tourné pour Bromberger dans Les fruits défendus, c’était teinte en blonde. Certes ça lui donnait l’air un peu plus sexy, surtout qu’elle porte une blouse d’infirmière bien serrée qui laisse deviner des tétons qui pointent. Mais curieusement elle a l’air un peu éteinte. Peut-être n’était elle pas convaincu par ce rôle de Thérèse qui la faisait passer pour une oie blanche.
Roger et René ont pris en otage Thérèse
Ne prenons pas ce film à la légère, même si le croisement de deux histoires, de deux mondes, conduit un peu à la dispersion du propos, il vaut le détour et montre un savoir-faire très intéressant qui prouve que l’apport du film noir américain avait bien été intégré dans les années cinquante. Il n’existe pas de copie Blu ray, mais le DVD qui circule sous le label de René Château est très propre et rend hommage à la qualité de l’image. La mise sous le boisseau de tous ces films qu’on redécouvre aujourd’hui était le résultat d’une forme de « cinématographiquement correct » développé par une Nouvelle Vague qui se voulait élitiste et qui n’était que bourgeoise dans ses fondements.
La police arrive en force à l’hôpital
René et Roger se sont réfugiés dans la chaudière de l’hôpital
René ne s’en tirera pas
Tags : Herve Bromberger, Bernard Blier, Madeleine Robinson, Raymond Pellegrin, Estella Blain, Jean Amila, Film noir
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