• La fièvre au corps, Body heat, Laurence Kasdan, 1981

    La fièvre au corps, Body heat, Laurence Kasdan, 1981 

    Ce film a une importance historique dans le développement du genre néo-noir. Certes ce n’était pas la première fois que les cinéastes américains tentaient de faire renaître le film noir de ses cendres. Et d’un certain point de vue, on peut dire que malgré ses transformations, il n’avait jamais cessé d’exister. Cependant, des films comme Farewell my lovely de Dick Richards en 1975, et The big sleep de Michael Winner en 1978 qui reprenaient des classiques chandleriens des années quarante – respectivement Murder my sweet et The big sleep – avaient été des échecs artistiques et publics retentissants. Ce n’est pas le cas avec Body heat qui sera très bien accueilli par le public et la critique. La raison est que cette fois le réalisateur va assumer les codes cinématographiques anciens, au prix de quelques aménagements secondaires pour rendre l’histoire plus contemporaine, mais aussi en utilisant la couleur. L’inspiration de Laurence Kasdan qui a écrit aussi le scénario, se trouve directement dans Double indemnity de Billy Wilder, pas seulement dans la thématique, mais surtout dans une remise au goût du jour des codes visuels utilisés dans les années quarante. 

    La fièvre au corps, Body heat, Laurence Kasdan, 1981 

    Ned croise Matty dans la chaleur de l’été 

    Ned Racine est un avocat médiocre qui végète dans la moiteur de l’été en Floride. Il va rencontrer Matty Walker, une femme qui en apparence est assez difficile d’accès. Mais peu à peu il va la séduire, et tous les deux vont avoir des relations sexuelles torrides. Matty vit dans le luxe, le problème est qu’elle a un mari. Certes celui-ci est souvent absent, impliqué dans des affaires qu’on suppose à la limite de l’illégalité. De fil en aiguille, il va venir à l’idée des amants qu’il serait excellent pour tous les deux de s’en débarrasser. Ned va par l’intermédiaire d’un petit délinquant se procurer une sorte de bombe. Après avoir tué Edmund Walker, il transporte le corps dans un immeuble abandonné, et il fait sauter l’ensemble. Il s’est procuré un alibi, le but est de faire croire que ce sont les louches relations d’Edmund qui sont à l’origine de ce crime. Tout irait bien jusque-là si l’avidité de Matty ne l’avait pas poussée à modifier le testament de façon à ce qu’elle hérite de tout, alors que le premier document partageait l’héritage entre elle et sa belle-sœur. Dès lors la police va commencer à s’intéresser à cette histoire. Bientôt Ned va comprendre qu’il est piégé, en effet les lunettes d’Edmund sur lesquelles il y a les empreintes de Ned ont disparu. De fil en aiguille Ned va comprendre que c’est Matty qui tire les ficelles et qui va l’envoyer en prison. Leur dernière confrontation a lieu devant le garage à bateaux que Matty a piégé. En la forçant à ouvrir la porte, Ned provoque l’explosion. Mais la police l’a suivi. Il est arrêté. En prison il commence à comprendre comment Matty a procédé, notamment en se mariant sous un faux nom. Il va cependant découvrir son vrai nom tandis que Matty coule des jours tranquilles sous les tropiques.  

    La fièvre au corps, Body heat, Laurence Kasdan, 1981

    Matty apparait très incertaine 

    Ned est d’abord un homme faible qui se laisse mener par le bout de la queue par une femme déterminée. Ned et Matty sont des gens totalement cyniques et sans scrupules, sauf que Ned est un peu plus naïf. Il met un temps très long pour se rendre compte de qui est Matty. Et cela malgré les mises en gardes répétées de ses amis. L’ambiguïté du personnage provient essentiellement de cela : obsédé par le sexe, il refuse de voir ce qui est pourtant évident. Matty est une manipulatrice très sophistiquée et sans principes moraux. Cette relation destructrice autour d’une passion sexuelle correspond aussi à une critique d’une relation physique exclusive de tout sentiment. C’est bien cet absence de romantisme qui sépare les deux amants et va les monter l’un contre l’autre. Quand ils en arrivent au meurtre, ils sont sexuellement usés. Ayant physiquement trop donné, ils feront la remarque amère qu’ils ne peuvent plus continuer. Le meurtre d’Edmund, mais aussi l’appât du gain relance pour un moment la machine, mais c’est peine perdue. Au-delà de l’amoralisme des deux criminels, il y a une critique féroce de ceux qui misent tout sur le sexe sans se préoccuper du reste. Certes le mari ne vaut pas grand-chose, mais ils ne valent pas mieux que lui. L’autre point est que Matty se révèle d’une intelligence redoutable, elle a tout anticipé au point même de faire croire à Ned que c’est lui qui a pris la décision de tuer Edmund. « C’est un cerveau » dira le policier Oscar Grace d’une manière ironique.  

    La fièvre au corps, Body heat, Laurence Kasdan, 1981

    Ned observe Matty 

    C’est donc le thème d’un homme ordinaire qui s’ennuie dans sa petite vie bien rangée et médiocre. La femme prédatrice n’est au fond que la révélation de cette situation. D’ailleurs le personnage de Matty qui tend vers le type de la « veuve noire » n’est pas très fouillé, c’est à peine si on saura qu’elle a eu une enfance qui l’a déterminée à devenir ce qu’elle est. Ned par contre est un compliqué qui accepte de se perdre, comme s’il voulait voir derrière le miroir ce qui s’y cache. Il aura cependant la satisfaction d’avoir le dernier mot en découvrant la véritable identité de Matty. Ce n’est plus tellement de la fatalité, c’est de la provocation, un défi. On est ainsi assez loin du trio adultérin ordinaire.  

    La fièvre au corps, Body heat, Laurence Kasdan, 1981

    Les relations entre Ned et Matty deviennent torrides

    Le parti pris de la mise en scène est d’abord de faire ressortir le rapport qu’il peut y avoir entre la vague de chaleur qui submerge la Floride et l’idée criminelle. C’est encore le policier Oscar Grace, un vieux de la vieille, qui fera cette remarque : la vague de chaleur entraîne le crime. C’est ce qui se passe pour Ned et Matty, mais cela passe d’abord par des relations sexuelles très torrides. Les corps sont suants et les scènes de lit très explicites. De la chaleur on s’en protège comme on peut, et notamment en abaissant les stores vénitiens. Cela permet de filtrer la lumière et renforcer l’idée de l’entre-soi qui en renvoyant les amants en face l’un de l’autre, les empêchent de prendre conscience de leur propre monstruosité. Ce sont des psychopathes qui ont rompus le sien social. Le film va donc être centré sur leurs tête-à-tête. Si d’abord ils semblent manifester une bonne entente, bientôt ils vont se livrer à un combat à mort entre eux. Peu de choses en font encore des êtres sociaux. Un dîner à trois avec le mari, ou alors les relations professionnelles que Ned entretient avec le personnel de l’institution judiciaire et petit voyou. Une grande partie du film se passe de nuit, avec des extérieurs filmés avec de longs travellings pour en faire ressortir le caractère étouffant. Cela permettra de faire par deux fois ressortir le feu, deux fois ce feu est d’origine criminelle et agit comme un parallèle avec les corps brûlants et fiévreux. La luxueuse maison des Walker est filmée comme était filmée la maison des Dietrichson dans Double indemnity. Sauf qu’à côté de l’aspect massif qui est aussi retenu, Kasdan va rajouter l’idée d’enfermement. Ned sera obligé d’enfoncer une porte pour baiser Matty ! C’est le premier pas à franchir qui fait qu’un homme ordinaire va devenir un criminel retors. D’autres codes du film noir seront aussi utilisés, comme par exemple l’usage d’une source lumineuse décalée qui laisse dans l’ombre ce qui est principal.  

    La fièvre au corps, Body heat, Laurence Kasdan, 1981

    Ned et Matty ont planifié la mort d’Edmund Walker 

    La réussite d’un tel film repose d’abord sur la crédibilité du couple. L’histoire n’étant pas très crédible – notamment cette histoire de changement de testament – il faut que les personnages le soient. Les deux acteurs principaux, sont très bons. Ned est interprété par William Hurt qui trouve là sans doute son meilleur rôle. Il lui faut en effet naviguer entre la naïveté quand il est en face de Matty, et la malice quand il doit faire face à la justice ou quand il doit imaginer un crime parfait. Homme considéré comme médiocre, le sexe lui permet de se dépasser sur le plan de l’intelligence. C’est une très bonne idée de l’avoir affublé d’une petite moustache qui en dit plus long que les discours sur son étroitesse d’esprit. Kathleen Turner trouve ici son premier rôle important. Dans les années 80, elle en aura bien d’autres, chez Coppola ou chez John Huston, avant de disparaître peu à peu du devant de la scène sans doute pour des problèmes de santé. Elle possède cette énergie qui la désigne effectivement comme une prédatrice. Sans être belle, elle a un visage un peu chevalin, elle est effectivement très sensuelle. Elle est excellente. Richard Crenna incarne Edmund, le mari qui se croit très malin à cause de ses amitiés chez les gangsters. Son apparition est très brève. On remarquera au passage la présence de Mickey Rourke dans le rôle d’un petit délinquant qui pose des bombes. 

    La fièvre au corps, Body heat, Laurence Kasdan, 1981 

    Matty affirme à Ned que malgré les apparences elle l’aime toujours 

    Le film connut donc à juste titre un franc succès commercial et obtint de très bonnes critiques. D’un certain point de vue il libéra le désir de revenir au film noir par d’autres moyens. Il régénéra d’une manière peut être inconsciente le thème de la veuve noire. En 1987, Bob Rafelson tournera Black widow qui reprendra cette figure, et même jusqu’à la scène finale sous les tropiques[1]

    La fièvre au corps, Body heat, Laurence Kasdan, 1981 

    Matty a déclenché la bombe à l’ouverture de la porte



    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/la-veuve-noire-black-widow-bob-rafelson-1987-a130239404 

    « Assurance sur la mort, Double indemnity, Billy Wilder, 1944Les menteurs, Edmond T. Gréville, 1961 – d’après Frédéric Dard. »
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  • Commentaires

    1
    Lucjs
    Vendredi 2 Novembre 2018 à 10:31

    Il faut signaler aussi l'excellente musique de John Barry et le thème principal notamment qui complète  magnifiquement l'ambiance étouffante du film.

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