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Le cave se rebiffe, Gilles Grangier, 1961
Albert Simonin n’a jamais brillé par la qualité de ses intrigues, il était surtout reconnu pour la qualité de sa langue argotique. Mais il a une particularité, avoir tordu les formes du roman noir de voyous vers la comédie. C’était sans doute en germe dans Touchez pas au grisbi. Cela le sera plus encore dans Le cave se rebiffe, et bien sûr avec Les tontons flingueurs adaptés de Grisbi or not grisbi. Si les ouvrages de Simonin, même les premiers Série noire sont marqués d’un humour distancié, les films sur lesquels il va travailler le seront plus encore, au point de donner dans la parodie. Il s’agit donc d’un détournement des canons du roman noir. Le cave se rebiffe conserve à peine la trame de l’ouvrage et se rapproche plutôt de la comédie de boulevard. L’effet parodique sera amplifié par les dialogues de Michel Audiard. Curieusement à cette époque on ne se pose pas trop de questions sur les activités de Simonin pendant la guerre. Il est comme protégé de ses écrits antisémites, dont certains sont signés avec Henri Coston, dont on ne parle pas et de sa collaboration avec les Allemands. Est-ce que cela aurait changé beaucoup les choses ? Peut-être tout de même parce que Simonin a fait de gros succès avec Lautner notamment, et que la diffusion de ses années de prison à Fontevraud, et les raisons pour lesquelles il y avait été, l’aurait peut-être empêché de travailler. Gallimard, via Duhamel, le protégeait.
Éric Masson, un marchand de voitures d’occasion sans envergure est aux abois. Il a l’idée de faire de la fausse monnaie parce qu’il couche avec la femme d’un graveur d’exception. Il s’en ouvre à Charles, un ancien tenancier de bobinard, à qui il doit de l’argent. Celui-ci se laisse convaincre, mais il pense qu’ils ne peuvent réussir cette arnaque sans Ferdinand Maréchal, dit le Dabe, un spécialiste de fausse monnaie qui vit retiré en Amérique latine, fortune faite. Charles va l’appâter pour qu’il vienne à Paris chapeauter l’affaire. Après s’être soustrait à la surveillance de la police, Ferdinand se met en relation avec un trafiquant qui lui achètera les billets en bloc. Mais d’abord il lui faut acheter une imprimerie, faire venir les machines, puis acheter du papier à Pauline. Le Dabe doit aussi convaincre Mideau de travailler pour lui, alors même que Mideau est cocufiée par sa femme avec Éric Masson. Tout se met tranquillement en place, sauf que la police des mœurs vient enquêter auprès de Charles, faisant semblant qu’il dirigerait encore un claque. Mideau imprime les billets, mais lorsque le Dabe, Charles, Malvoisin et Éric viennent au rendez-vous, Mideau a disparu avec l’argent. Ferdinand se fâche tout rouge et rompt avec le reste de la bande. En vérité il rejoint Mideau avec qui il prend l’avion, avec les billets pour l’Amérique latine.
Charles va chercher le Dabe jusqu’en Amérique du Sud
Comme on le voit la trame est plus que légère. Remarquez qu’au passage on a affublé le personnage du Dabe du prénom de « Ferdinand » renvoie à Céline, l’idole littéraire de Simonin et d’Audiard, et qu’en outre il porte le nom de Maréchal. Ce qui ne peut pas être un hasard bien sûr. Mais laissons cela de côté. Le thème général est que tout le monde trompe tout le monde : Solange trompe son mari avec le bellâtre Éric, Éric trompe Mideau en lui mentant, mais il tente de doubler aussi le Dabe pour s’approprier une part plus large du magot. Le Dabe n’est pas en reste qui trompe tout le monde et en premier lieu Charles. Cela n’empêche pas cependant que Mideau et Ferdinand finissent par se retrouver. Le fait qu’il y ait très peu de décors, le principal se passe dans le grand salon de Charles, renforce cette idée de comédie théâtrale. Au fond tout cela n’est pas très important, et d’ailleurs il n’y aura pas de mort. Le second aspect de ce film est de mettre en scène la bêtise de ceux qui se croient plus malin que les autres. Le stupide Éric pense qu’il a Mideau « à sa pogne » qu’il peut en faire ce qu’il veut. Charles croit contrôler la situation, et Solange se frotte à tout ce qui porte un pantalon, espérant en retirer quelque chose. Le but de cette comédie est de détourner le genre, film de gangsters, pour faire rire avec des bons mots signés Audiard. L’ensemble est très daté, et ce n’est pas faute de moyens pourtant.
Entre les époux Mideau, c’est la guerre
D’habitude j’aime bien Grangier, mais ici c’est tellement statique qu’on dirait du Lautner. Il n’y a pas grand-chose à en tirer. Si peut-être le portrait de l’imprimeur en artiste, avec une attention particulière pour les machines. Tous les autres personnages sont des carricatures, certes on pourra dire que c’est voulu, et ça cabotine en roue libre. Le portrait de ces truands arrivés pourrait être une métaphore du capitalisme puisque Charles, comme Malvoisin ou le Dabe cherchent toujours à accumuler plus. Mais la distance critique est inexistante. La photo de l’habituel Louis Page est très bonne, sans que cela change beaucoup l’ensemble.
Charles et ses associés sont obligés d’accepter les propositions du Dabe
Le clou est évidemment la distribution. Même si les acteurs cabotinent – surtout Bernard Blier – à outrance. Il y a d’abord Jean Gabin qui avait pris l’habitude de se faire filmer en pyjama et avec ses chevaux. De film en film il commençait à balader ce personnage de vieux riche blasé, tellement bien arrivé qu’il se moque de tout. Il n’était pourtant pas si vieux, il n’avait même pas soixante ans. Il joue donc le Dabe, c’est d’ailleurs le surnom qu’on lui donnait dans le milieu du cinéma, le Dabe, ou le Vieux. Il est passé ainsi au cours des années cinquante d’un personnage un peu prolétaire, un peu maltraité par la vie, à celui de « patron », d’homme arrivé, de voyou il est devenu Maigret qui met les voyous au trou. Bref il s’est clairement embourgeoisé. Certes il corrigera un peu cela avec Mélodie en sous-sol, mais enfin le pli est pris. Bernard Blier est Charles, certes il joue le rôle d’un cabotin, mais il en fait des tonnes avec peu de nuances, sans doute cette manière était-elle la compensation d’un physique difficile. Il y a cependant d’autres acteurs plus intéressants, d’abord la regrettée Martine Carol dans le rôle de Solange la femme adultère. Son rôle est étroit, mais elle se remarque. De même que Maurice Biraud dans le rôle de son mari cocu. Il tournera encore avec Jean Gabin dans Mélodie en sous-sol, il est toujours très bon. Et puis on retrouvera Françoise Rosay dans deux très courtes scènes, la première avec Gabin où elle lui tient tête, la seconde avec Frank Villard qui essaie de doubler le Dabe. Frank Villard est très intéressant d’ailleurs dans le rôle du bellâtre qui essaie de s’affirmer. Le reste de la distribution va comporter des habitués des films de Grangier, comme Robert Dalban et Albert Dinan dans des rôles de poulets.
Ferdinand va acheter du papier chez Pauline
L’intérêt pour ce film se déporte finalement plus vers les interprètes que vers l’histoire proprement dite ou vers les bons mots d’Audiard dont la fausse gouaille argotique sent un peu le renfermé. Cependant si le film n’eut pas de succès critique, il assura de confortables revenus à ses producteurs. Le public fut au rendez-vous, sans toutefois que cela soit un triomphe. L’ensemble reste plombé par une intrigue sans surprise et qui n’avance pas.
Mideau imprime les billets
Ils constatent que Mideau a déménagé avec l’argent
Tags : Jean Gabin, Gilles Grangier, Albert Simonin, Maurice Bireau, Fausse Monnaie, Michel Audiard, Bernard Blier
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