• Maigret voit rouge, Gilles Grangier, 1963

     Maigret voit rouge, Gilles Grangier, 1963 

    Jean Gabin est de très loin l’acteur qui est le plus emblématique des adaptations cinématographiques de Simenon. On l’a vu dans plusieurs adaptations des romans noirs de celui-ci, Le sang à la tête, déjà avec Gilles Grangier, et plus tard En cas de malheur d’Henri-Georges Clouzot, puis Le président avec Verneuil. En tout, Gabin tournera dans 10 adaptations de Simenon. Il incarnera par trois fois et avec succès le commissaire Maigret, au point qu’il ait donné une image quasi définitive pour le public à l’un des plus fameux personnages de Simenon. Il y a donc une compatibilité forte entre l’univers de Simenon et celui de Gabin, certainement par le biais de cette France prolétaire et paysanne, en voie de modernisation. Pourtant pour Simenon, Maigret n’était pas du plus haut intérêt, il disait à qui voulait l’entendre, que c’était qu’une sorte de gagne-pain, ses romans durs, selon lui étaient ses véritables créations littéraires. On sait que Simenon écrivait très vite, surtout les Maigret, il comptait sur son sens de l’atmosphère pour bâcler les intrigues. Maigret, Lognon et les gangsters n’échappe pas à cette critique. C’est très faible et particulièrement embrouillé, on peut se poser des questions sur le choix de cet opus pour en faire un véhicule pour Gabin. Cette année-là, Gabin tourne Mélodie en sous-sol qui va exploser le box-office. Mais cette année est aussi celle de La grande évasion et de James Bond contre Dr No. Certes Maigret voit rouge arrivera devant Les oiseaux d’Hitchcock, mais c’est une maigre consolation, pire encore il arrive très loin derrière Les tontons flingueurs de Georges Lautner. On pourrait dire que Gabin vieillit, et que le succès de Mélodie en sous-sol est aussi dû à Alain Delon qui fait la même année un carton dans Le guépard. Ce Maigret sent clairement la naphtaline, et ce sera le dernier que Gabin interprétera.

      Maigret voit rouge, Gilles Grangier, 1963

    Lognon part sur une enquête banale, mais en revenant, il va surprendre des hommes qui en enlève un autre. Pire encore, il va se faire matraquer. Maigret va se charger de l’affaire, pratiquement tout seul, bien qu’il ait affirmé à Lognon qu’ils allaient travailler ensemble. Une première piste les mène au  Manhattan, mais Lognon se faisant balader, c’est Maigret qui va y aller, remarquant au passage que le patron de ce bar est aussi un ancien truand, probablement lié à la mafia. Tandis que Maigret discutaille avec lui, son employé prévient les trois américains qui ont enlevé le bonhomme agressé. Ces trois truands logent chez Lily la serveuse du Manhattan qui est amoureuse d’un certain Larner. Quand Lognon arrive chez elle, les gangsters ont fait la malle. Mais Lognon va repérer le portrait de Larner. Pour obtenir plus de renseignements, Maigret se déplace à l’ambasse des Etats-Unis où il connait un certain Harry McDonald. Celui-ci lui indique que les truands sont probablement Tony Cicero et un certain Charlie. Les choses se précisent un peu. La police remonte la piste de ces gangsters à partir de deux éléments, l’un prend un certain médicament pour des aigreurs d’extomac, et l’autre joue probablement au golf. Ils tombent alors sur un médecin marron, le docteur Fezin. Les choses vont mal tourner, dans le garage de Fezin on trouvera le cadavre de Larner, assassiné par Cicero et Charlie qui ont compris qu’il jouait double jeu. Maigret va trouver le cadavre d’une femme dans un hôtel borgne, c’est semble-t-il encore l’œuvre de Cicero et Charlie. Charflie va être arrêté, et le docteur va parler, mais il reste encore Cicero en liberté qui est sur la piste de Lily. Maigret va retrouver le disparu, cependant, il tombe nez à nez avec Harry McDonald ce qui le trouble au plus au point. Cicero rôde, il sera capturé après avoir vendu chèrement sa peau. Finalement on apprend que l’homme au lunette noire qui était recherché en France pour un hold-up du côté de Saint-Etienne, veut en fait témoigner contre des tueurs de la mafia, et c’est pourquoi les services secrets américains le protègent. Maigret se met en colère, et d’abord refuse de rendre son témoin à McDonald, mais finalement dans un esprit de conciliation, il cédera, avec l’accord de Lognon. 

    Maigret voit rouge, Gilles Grangier, 1963 

    Maigret vient questionner le patron du Manhattan 

    Comme on le voit cette histoire n’a pas beaucoup d’intérêt en elle-même. Il est difficile d’en dire quelque chose. En fait si on situe ce film dans l’histoire du cinéma français, on pourrait dire qu’il résume l’opposition entre les Etats-Unis et la France, entre la jeunesse et l’âge mûr. Nous sommes en 1963, en France la situation politique commence à s’apaiser avec la fin de la guerre d’Algérie et la résorption des rapatriés d’Algérie qu’il a fallu accueillir à la hâte. C’est à cette époque que le général De Gaulle apparait le plus opposé aux Américains, qu’il tente de montrer son indépendance. C’est ce qu’on voit avec Maigret qui s’oppose à McDonald, pour finir par céder. En effet, les Américains ont empités sur leurs prérogatives et font en France ce qu’ils veulent au mépris de la loi ordinaire. Ils sont dans la position du colonisateur. Et d’ailleurs c’est ce qu’on voit au box office, c’est bien un film américain qui est en haut de l’affiche, La grande évasion de John Sturges, le second reste un autre film de Gilles Grangier, La cuisine au beurre, avec Bourvil et Fernandel. Le premier film est un film d’action qui prend en défaut la supériorité supposée des Allemands, le second un film sur les traditions culinaires françaises. Et si on rit à ce dernier, c’est sans doute une manière de se moquer de la France qui n’est pas assez moderne dans son comportement en refusant de s’aligner sur les standards mondiaux portés par les Etst-Unis. Curieusement on voit ce même mouvement dans Mélodie en sous-sol, film sorti la même année que Maigret voit rouge : un vieux bandit, Jean Gabin qui semble sortir de l’avant-guerre, sort de prison et ne reconnait plus le monde qu’il a quitté quelques années plus tôt. La France se transforme à grande vitesse, et cet élement de la transformation c’est le jeune voyou, joué par Alain Delon qui lui écoute une musique qui swingue. Notez que si Gabin commence à être dépassé, Simenon l’est tout autant, 1963 c’est le moment où Frédéric Dard devient l’auteur de langue française le plus vendu, grâce entre autres aux San-Antonio. Simenon, ce sont d’abord des vieux qui le lisent à cette époque. C’est donc tout un monde qui bascule. 

    Maigret voit rouge, Gilles Grangier, 1963

    Lognon va voir Lily et trouve le portrait de Larner qu’il reconnait 

    L’ensemble des personnages manque de caractère. Mal dessinés, ils n’ont pas beaucoup de consistance, et cela ne provient pas du tout des acteurs, cela vient du scénario qui est conçu comme une suite de scènes sans trop de liens entre elles. Bien entendu, dans le travail il y a tout de même une certaine tenue, une maitrise technique, notamment dans les scènes d’action, quand Maigret est pourchassé par des gangsters qui veulent sa peau, ou quand Cicero tente d’échapper à la police. Grangier maîtrise tout à fait la grammaire cinématographique avec l’utilisation souvent judicieuse de la profondeur de champ. De même la description des mouvements dans le bar de Pozzo est intéressante. Mais le rythme est mauvais, endormissant, d’autant plus que les raisons de cette affaire restent bien trop obscures au simple spectateur. C’est plutôt bavard, Jacques Robert cherchant toujours le bon mot – certes avec moins de lourdeur qu’Audiard, mais tout de même. Ces dialogues obligent Grangier à multiplier les champs-contrechamps et plombent l’histoire.  

    Maigret voit rouge, Gilles Grangier, 1963

    Maigret tente d’obtenir des renseignements d’Harry qu’il a connu autrefois 

    Nouveau véhicule pour Gabin qui, après avoir partagé la vedette avec Delon dans Mélodie en sous-sol, se retrouve tout seul. Il manque clairement d’enthousiasme et à l’air de ne pas croire à son rôle, comme s’il se sentait trop vieux pour jouer Maigret. Même ses colères contre les Américains sont assez convenues et peu convaincantes. Derrière lui on retrouve des habitués de Grangier, Bozzufi, Frankeur qui sont toujours à la hauteur de ce qu’on leur demande de faire. Quelques figures émergentes du nouveau cinéma apparaissent cependant, Françoise Fabian qui, à l’époque, était mariée avec Bozzuffi, et puis Michel Constantin. Ils sont tous excellents. Notez que plusieurs scènes inspireront plus tard José Giovanni pour l’excellent Dernier domicile connu : par exemple quand les gangsters traquent Gabin dans des rues presque désertes. Donnons tout de même une mention spéciale à Roland Armontel dans le rôle du docteur Fezin. Le docteur marron et désabusé est un personnage central de la littérature simenonienne.  

    Maigret voit rouge, Gilles Grangier, 1963

    A l’hôtel des Flandres, Maigret trouve un cadavre 

    Le succès commercial de ce film sera un peu mitigé, passant à peine les 2 millions d’entrées, quant à la critique, elle se déchainera contre, le désignant comme l’archétype du cinéma du samedi soir sans risque et sans intérêt. Mais Gabin n’est pas fini, il va retrouver par la suite de gros succès, notamment Le tonnerre de Dieu avec Denys de la Patellière, puis Le clan des Siciliens de Verneuil. Avec le recul des années, il n’y a pas grand-chose à en tirer, et dans la cinématographie Gabin-Grangier, c’est peut-être le maillon le plus faible. En 1977, Jean Richard interprétera le commissaire Maigret dans une version télévisée de ce roman, sous la direction de Jean Kercheron, mais Jean Richard, comme d’ailleurs un peu plus tard Bruno Cremer, aura bien du mal à faire oublier Gabin.  

    Maigret voit rouge, Gilles Grangier, 1963

    Cicero surprend Lily à téléphoner  

    Maigret voit rouge, Gilles Grangier, 1963

    Le cadavre de Larner est dans le garage du docteur

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