• Les loups dans la bergerie, Hervé Bromberger, 1960

     Les loups dans la bergerie, Hervé Bromberger, 1960 

    C’est d’abord un roman de Jean Meckert qui signe ici Jean Amila. Celui-ci est un écrivain très contrarié. Il a commencé sa carrière du côté de la littérature prolétarienne avec Les coups publié chez Gallimard en 1941 dans la collection blanche, puis comme ses autres productions ne marchaient pas beaucoup, il s’est tourné, suivant en cela les conseils de Marcel Duhamel, vers le roman noir. Il prendra les pseudonymes de John Amila, puis de Jean Amila. En tous les cas, il se révélera un vrai auteur de romans noirs. C’est cette veine qui lui assurera la renommée et qui lui permettra d’accéder au cinéma, soit en vendant ses droits, soit en travaillant sur des scénarios de petits films noirs. Je dis « petits » parce que ce sont généralement des films à petits budgets. En France on a méprisé plutôt le genre, et donc on ne lui accorde guère les avantages des grandes productions. Ce roman, Les loups dans la bergerie, reprend un peu le thème qui avait été développée dans Nous avons les mains rouges, signé Jean Meckert et publié dans la collection blanche de Gallimard en 1947. C’est-à-dire une bande de jeunes livrés à eux-mêmes et faisant l’exercice de la cruauté. Mais c’était un contexte différent, Nous avons les mains rouges, était situé dans la Résistance, plus précisément dans le maquis. Ici ce sera simplement des jeunes délinquants en voie de redressement. Nous sommes en 1960, et plus personne ne veut entendre parler de la Résistance. Par contre les films de gangsters ont du succès. Le réalisateur ce sera Hervé Bromberger qui a déjà porté Jean Amila à l’écran, avec La bonne tisane. Il est intéressé par la thématique du film noir. Dans le genre il a tourné Identité judiciaire en 1951, et Asphalte, juste l’année d’avant Les loups dans la bergerie où déjà on retrouvait une bande de jeunes délinquants. Avec Les loups dans la bergerie, on s’éloigne des films de truands, comme dans La bonne tisane. Ou plutôt il faudrait dire que les truands vont être remplacés progressivement par une nouvelle forme de délinquance, celle des jeunes et dans le genre blousons noirs. C’est à la mode au moins depuis Rebel without cause de Nicholas Ray dont le succès fut mondial tout autant qu’emblématique. C’est une manière aussi de tester de nouveaux acteurs, un peu comme l’avait fait Marcel Carné dans Les tricheurs où Belmondo et Delon tenaient des petits rôles. On cherche la nouveauté, le renouvellement, aussi bien dans le sujet que dans le casting : la Nouvelle Vague n’est pas loin. Et si ce n’est que Bromberger a un passé plus traditionnel, celle-ci aurait pu tout à fait l’annexer. Mais on connait le sectarisme des tenants de la Nouvelle Vague qui se regardaient penser et qui ne voulaient surtout laisser aux autres le soin de les définir, et puis ils étaient tout de même plus bourgeois, ça se lira dans les formes compassées des adaptations de Truffaut des grands auteurs américains de romans noirs, Goodis, Irish, qui sont toutes à peu près ratées et peu regardables aujourd’hui. 

    Les loups dans la bergerie, Hervé Bromberger, 1960 

    Charlot et Alain, deux truands chevronnés, ont fait évader Pierrot, leur chef, de la prison des Baumettes. Mais leur voiture va tomber en panne dans un endroit un peu isolé dans les Alpilles. Ils vont se retrouver dans une maison qui accueille des adolescents un peu turbulents, un peu délinquants qu’on a confié à Irène et Roger afin de les remettre dans le droit chemin. Roger est plutôt un partisan des méthodes douces où la discipline s’apprend par le respect at pas par l’autorité bornée d’un chef. Tandis que Roger s’en va s’occuper de ses gosses qu’il fait courir dans la colline, Charlot et Alain prennent possession des lieux, coupent le téléphone et vont demander à Irène de soigner Pierrot qui a été blessé d’une balle dans la jambe durant l’évasion. Charlot a de plus rendu la camionnette de Roger inutilisable. Les adolescents sont particulièrement chahuteurs, se battent entre eux, Micou est très vindicatif et tente de se donner les allures d’un petit caïd et imposant des humiliations aux plus faibles de la bande. Mais le temps passe et la blessure de Pierrot s’aggrave. Charlot tente de séduire les adolescents en leur racontant des histoires de voyous, et il demande des volontaires pour réparer son véhicule et prendre la fuite. Cependant l’ensemble des adolescents est partagé, la rébellion couve, le rouquin s’est enfui, Francis va faire de même. Ce dernier est poursuivi d’abord par Charlot, puis par Alain qui va le tuer d’une balle dans le dos. Cependant, Madeleine qui passe souvent la nuit avec le rouquin dans une petite cabane dans la colline va se rendre compte que les choses ne vont pas et s’en va prévenir la police. Dans un moment d’inattention Charlot perd le contrôle de la situation et va se faire rouster par Roger et les ados. Pierrot tente de s’enfuir, mais il a des difficultés à marcher, Micou qui a récupéré la mitraillette hésite à le tuer, mais abandonne cette idée. Alain qui a pris la fuite est poursuivi par les gosses qui lui lancent des pierres, sans le vouloir, il va tuer Pierrot. Mais la police arrive, emmenée par Madeleine, et il va se rendre. 

    Les loups dans la bergerie, Hervé Bromberger, 1960 

    La voiture des gangsters est en panne 

    Le thème est le même que The desperate hours, le film emblématique que tourna William Wyler en 1955 avec Humphrey Bogart, et le nombre des malfrats est le même. Sauf que la maison qui est prise en otage n’est pas une maison bourgeoise ordinaire, mais une sorte de maison de redressement où sont tentées des méthodes modernes de rééducation. Et donc bien sûr au-delà de leur brutalité, les gangsters vont aussi tenter de séduire. Charlot s’applique à mettre les ados rebelles dans sa poche en leur vendant des histoires d’hommes qui les font rêver. Ça ne fonctionne qu’à moitié. Pierrot de son côté tentera de séduire Irène pour s’en faire une alliée en se présentant comme, non pas une victime, mais un homme qui a choisi une voie difficile. Mais le film a aussi bien d’autres dimensions. Il y a d’abord cette jeunesse perdue, un peu comme dans Les Fruits sauvages. C’est un thème à la mode à cette époque sans doute parce que l’idée de rédemption passe plus facilement quand on parle d’une jeunesse pas encore trop formée, mais c’est aussi un thème qui préoccupait beaucoup Jean Amila et qu’on retrouve dans nombre de ses romans, notamment le fameux Nous avons les mains rouges, signé Jean Meckert dont il rappelle l’ambiance dont on a parlé un peu plus haut[1]. Ayant été abandonné par son père, il était très sensible à ces existences éparses et sans boussoles. Il y a donc dans ce film aussi cette idée que cette bande de jeunes sans trop de conscience, va découvrir la vie et une certaine morale en faisant l’apprentissage d’une situation violente et difficile. C’est peut-être moins appuyé dans le film que dans le roman, mais il y a cette idée que le groupe est plus solide que la somme des individus qui le composent. Et donc il oppose les velléités d’émancipation individualiste de Micou, à la réussite du groupe qui maitrise la situation sans avoir besoin de la police. On verra Micou jeter sur le chemin la mitraillette qu’il aimait tant, et rejoindre justement le groupe pour s’y fondre. Quand le groupe sera attaqué, ils feront bloc, et même Micou le rebelle versera une larme sur la mort du jeune Francis. 

    Les loups dans la bergerie, Hervé Bromberger, 1960 

    Charlot et Alain investissent les lieux 

    Le film montrera aussi l’émancipation sexuelle de cette jeunesse : on verra le rouquin qui a passé la nuit avec Madeleine tenter de séduire aussi Irène. Mais il y a tout de même quelque chose de particulier dans la description du groupe d’ados. Micou qui tente de faire la loi dans les douches, veut imposer qu’on lui lave les pieds. C’est une tentative de soumettre à sa volonté et donc à ses pulsions sexuelles un plus faible que lui. Il y a un parfum d’homosexualité assez évident. C’est que ces jeunes garçons se cherchent et donc ils sont prompts aussi à admirer la force, les armes à feu, ils sont clairement à la recherche d’un père, et s’ils admirent autant Roger, c’est parce que celui-ci est capable de leur imposer une discipline sans excès d’autoritarisme borné. Ils sont fascinés par les histoires que leur raconte Charlot, alignés sur des chaises comme à l’école. Si Bromberger célèbre la sexualité de la jeune Madeleine, en filmant ses petits seins nus, les personnages féminins sont un peu sacrifiés. Irène est certes un peu ambiguë, ses sentiments jonglant entre Roger, le jeune Rouquin, et aussi le truand Pierrot qui parait tout de même un peu moins sauvage et stupide que ses deux complices. Cependant elle reste en retrait. Bromberger a trop à faire par ailleurs pour s’attarder sur sa personne. Cependant on sent qu’elle a une certaine sympathie pour Pierrot dans la manière de lui dire qu’elle a peur de lui… à la grande déception du truand ! 

    Les loups dans la bergerie, Hervé Bromberger, 1960

    Irène doit soigner Pierrot 

    Par définition, un tel sujet qui raconte la séquestration de tout un groupe sur une petite période de temps, se prête à la mise en œuvre d’un décor unique, tout va se passer dans une ancienne ferme un peu délabrée, comme dans Les fruits sauvages qui se situait pour sa plus large partie dans un village abandonné. Il résulte de ce parti pris un double enfermement, Roger, Irène et leurs adolescents sont prisonniers chez eux, mais la maison elle-même est isolée du reste du monde, c’est bien une prison à ciel ouvert. Mais les truands sont eux aussi coincés dans les lieux, parce que leur voiture a des problèmes mécaniques. Paradoxalement ce sont les truands qui brisent cet enfermement et qui viennent leur rappeler qu’il y a aussi une vie à l’extérieur et qu’il n’est pas sain de passer sa vie à l’écart du monde. Et donc par moment Roger apparait comme un moralisateur un peu dépassé ; voulant ramener les jeunes qu’on lui a confié dans le droit chemin. Mais cet isolement relatif permet aussi de mettre les caractères des uns et des autres face à leurs responsabilités. L’automobile luxueuse des truands, une Cadillac rutilante, tombe en panne, définissant de fait la modernité et le mondes objets comme une impasse. 

    Les loups dans la bergerie, Hervé Bromberger, 1960 

    Les adolescents sont particulièrement chahuteurs 

    La photo est due au fidèle Jacques Mercanton, elle met parfaitement en valeur les décors de vieilles pierres choisis pour abriter cette histoire. Bromberger utilisera très bien la profondeur de champ pour montrer l’aspect labyrinthique de l’ensemble notamment quand le rouquin arrive à s’échapper par les toits. On y sent la chaleur, adossé à une barrière de calcaire et dominant une végétation assez austère. Il y a de bonnes scènes, notamment ce moment presque magique quand le malicieux Charlot arrive à captiver l’attention des adolescents après les avoir regroupés comme à l’école, et on se dit qu’il eut fait en d’autres occasions un excellent pédagogue. C’est une des mises en scènes les plus abouties de Bromberger. Il y a une belle fluidité dans les mouvements de caméra. La scène finale où on voit les ados lancer des pierres à Alain est aussi intéressante avec une vue plongeante et la silhouette du voyou qui s’efface en augmentant la distance avec ses poursuivants. Cette scène procure un certain malaise tout de même parce que ça ressemble à une lapidation, faisant ressortir la cruauté des adolescents lorsqu’ils fonctionnent en meute. Cette ambiguité ne sera pas toutefois exploitée à fond par Bromberger, elle restera à l’état d’esquisse. 

    Les loups dans la bergerie, Hervé Bromberger, 1960

    Charlot tente de séduire les gosses avec ses histoires de malfrats 

    L’interprétation est cossue. Jean-Marc Bory est un solide Roger, mais il manque un peu de charisme. Pascale Roberts d’habitude très pétulante, est ici un peu éteinte. Les truands sont plus intéressants. D’abord l’excellent Pierre Mondy dans la peau de Charlot est très crédible. Le petit comédien, rompu à tous les exercices, a tourné pas mal de films noirs à la fin des années cinquante et au début des années soixante. Ici il passe avec facilité d’une démonstration de force à la ruse manipulatoire, ou encore à l’image d’un homme un peu perdu qui ne comprend pas le mot « frustrée ». Son chef Pierrot est interprété par le danseur étoile Jean Babilée qui avait tenté de faire carrière aussi sur le grand écran. A la même époque on l’avait vu dans Plein feux sur l’assassin de Franju[2], un autre film choral. On ne le voit pas trop à l’écran parce qu’il est censé être blessé. Françoise Dorléac encore très jeune n’a pas un grand rôle, elle se contente de montrer ses seins. Les jeunes ados sont parfaits. On y reconnaitra Jacky Moulières dans le rôle de Francis, mais le rôle le plus important de la bande c’est celui de Micou, interprété par Guy Deshays qui n’a fait que ce film. C’est bien dommage parce qu’il avait clairement du talent, il incarne un faux dur, tordant la bouche pour se donner un air terrible, mais il laisse aussi passer de l’émotion quand Francis se fait tuer. Et puis il y a aussi Jacques Bonnard dans le rôle du rouquin, lui aussi est excellent, mais lui aussi ne profitera pas du succès du film, il ne fera que cette apparition dans le cinéma. 

    Les loups dans la bergerie, Hervé Bromberger, 1960 

    Les gosses se sont mis au travail sur la voiture des truands 

    La musique jazzy est de Serge Gainsbourg, et à l’époque elle avait eu beaucoup de succès, elle n’est pas mauvaise, mais sans plus. Le film boudé par la critique en a eu un peu moins, mais il semble avoir couvert ses frais. LCJ a choisi de ressortir ce film en Blu ray, c’est une bonne initiative, mais cependant ce n’est pas mon film préféré de Bromberger. Les fruits sauvages me semble plus travaillé au niveau du scénario. Ne boudons pas notre plaisir, c’est un bon film, qui tient debout avec pas mal de nuances, mais aussi beaucoup de bons sentiments sans toutefois tomber dans la niaiserie. En tous les cas ce film prouve qu’on a raison de réhabiliter Hervé Bromberger. 

    Les loups dans la bergerie, Hervé Bromberger, 1960

    Le rouquin est arrivé à s’échapper 

    Les loups dans la bergerie, Hervé Bromberger, 1960

    Charlot va faire les frais de la révolte de la petite communauté 

    Les loups dans la bergerie, Hervé Bromberger, 1960

    Alain est chassé à coups de pierres

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