• Temps noir et l’affaire Michel Audiard

     Temps noir et l’affaire Michel Audiard

    Pour le meilleur et surtout pour le pire, Michel Audiard est incontestablement un personnage qui a compté dans le cinéma français. Pendant longtemps il a été considéré comme un petit rigolo, un blagueur qui usait de méchantes petites ficelles pour vendre une soupe un peu aigre. Il était ciblé comme un homme de droite, poujadiste, réactionnaire. Ces bons mots contre les impôts par exemple plaisaient beaucoup. A moi, un peu moins. Mais au-delà de la vulgarité du propos, basée sur un argot de cuisine qui se voulait dans la lignée de Céline[1] – évidemment – il y avait des choses plus gênantes. J’avais remarqué ça dans le film Un taxi pour Tobrouk. C’était en 1961. L’histoire racontait le délicat voyage d’un groupe hétéroclite dont un Allemand. Le but était de démontrer que, Allemand ou Français, juif ou autre, on se retrouvait tous dans la même galère. Mais en outre la fin insistait sur les Résistants de la 25ème heure[2]. C’est en effet au début des années soixante que les anciens collabos relèvent la tête. Ils pensent qu’ils ont été oubliés, et donc ils vont peu à peu prendre la tête de la lutte contre le « résistancialisme ». Ces thèses ont un écho certain dans le peuple parce qu’on en a un peu marre de célébrer la Résistance à tout bout de champ, et que le général De Gaulle en revenant au pouvoir en 1958 va perdre de son aura au fur et à mesure que le temps passe et que sa politique devient de plus en plus droitière[3].

    On connaissait aussi les propos douteux de Michel Audiard sur Céline. Dans une interview à un journal d’extrême-droite (ce qui n’est pas un hasard) qui date de 1980, il disait ceci : 

    « On a oublié que les fameux écrits antisémites qu’on lui a tant reprochés ont été écrits bien avant la guerre. Donc, avant l’occupation. Alors, pourquoi cette hargne ? Jusqu’à plus ample informé, on avait bien le droit d’être anti-maçon ou antisémite. Si on n’avait pas pu, il fallait le dire. Fallait le faire savoir : « Il est interdit d’être antisémite, sous peine de prison ». Alors, il aurait été arrêté. Mais il fallait prévenir. On a donc été de mauvaise foi avec Céline.

    Mais où je m’insurge aussi, c’est au moment où les avocats et défenseurs de Ferdinand disent qu’il n’a jamais été antisémite. Alors là, c’est de la connerie. C’est idiot. Cela ne le diminue en rien, bien au contraire. (…) Car finalement, au milieu de cette apocalypse qu’il nous a proposée, la seule chose qu’on retient contre lui, c’est son antisémitisme. Il avait le droit de dire du mal de tout le monde sauf du Juif. Alors là, le Juif nous casse les couilles et vous pouvez l’écrire en toutes lettres. »[4]

    Audiard détestait les politiciens et le parlementarisme, ses dialogues en attestent. Et c’est ce qui l’a fait qualifier abusivement d’anarchiste de droite. Mais les nazis les plus enragés, à commencer par Céline avaient une telle haine de la République que cela pouvait passer pour une simple critique des lourdes turpitudes des politiciens. A la Libération, il fut inquiété fort justement parce qu’il était membre du groupe Collaboration, qui regroupait l’élite des intellectuels pro-allemands, il s’en tira en arguant du fait qu’il y aurait été inscrit à son insu, argument très peu crédible.  

    Temps noir et l’affaire Michel Audiard

    Egalement quand on lit La nuit, le jour et toutes les autres nuits[5], on se rend compte qu’Audiard faisait semblant de ne pas avoir pris parti, ni pour ni contre les Allemands, sous-entendant que malgré l’Occupation, il pouvait y avoir des gens très bien chez les Allemands comme chez les Français, nonobstant la guerre. En général quand on commence à faire ce genre de concession, c’est qu’on a quelque chose à se reprocher. Et ça n’a pas loupé. Certes, Michel Audiard, plus malin qu’intelligent, avait toujours masqué ses propres engagements politiques dans la collaboration. Et je ne parle même pas du fait qu’il travailla aussi avec Albert Simonin, un vrai collabo issu des milieux populaires qui fit aussi de la prison à la Libération pour ses écrits antisémites avec Henri Coston.

    Le dernier numéro de l’indispensable revue Temps noir [6] sous la plume avisée de Franck Lhomeau a tenté de faire le point sur Michel Audiard dans la collaboration. Le petit-fils du dialoguiste, a tenté une défense bien maladroite de son grand-père, au motif qu’il aurait changé après-guerre et que lui-même ne l’avait jamais entendu dire du mal des Juifs[7]. Evidemment Michel Audiard savait très bien que c’était plutôt mal vu de revenir sur ce sujet. Pourtant s’il avait été un peu plus attentif dans ses lectures, Stéphane Audiard se serait rendu compte que son grand-père ne s’était pas contenté de cracher sur les Juifs, mais qu’il aimait bien dénigrer aussi les Résistants, et cela bien après la Libération.

     

     


    [1] Il m’a toujours semblé que Céline, comme Audiard, ne pratiquait pas vraiment une langue argotique populaire, mais que cette recréation était plutôt destinée à épater les bourgeois.

    [2] Ce thème sera repris sans que cela nous étonne par son fils, Jacques Audiard, dans Un héros très discret en 1996. Comme quoi les chiens ne font pas des chats.

    [3] Pierre Laborie, Le chagrin et le venin, Bayard, 2011.

    [4] Le Nouvel Europe Magazine, décembre 1980. Ce magazine belge défendait une vision intégriste du catholicisme et était dirigé par un ancien collabo grand-teint, Emile Lecerf, qui pendant la guerre avait travaillé pour des revues collaborationnistes et racialistes.

    [5] Denoël, 1978.

    [6] Numéro 20, octobre 2017

    [7] http://www.lefigaro.fr/cinema/2017/11/16/03002-20171116ARTFIG00004-si-vous-me-permettez-de-defendre-la-memoire-de-mon-grand-pere-michel-audiard.php

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    1
    antonello
    Samedi 18 Novembre 2017 à 15:28

    Bonjour,

    Très bonne analyse. L'intervention du petit fils d'Audiard coïncide aussi avec le fait que les archives de Vichy continuent à être dévoilées. Beaucoup d'essais sortent en ce moment et mettent en évidence le véritable rôle de la collaboration, je crois savoir qu'on prépare un nouveau livre sur le comportement des intellectuels, ou supposés être, et ils risquent de faire mal. Sartre, par exemple, n'a pas lésiné pour obtenir en  1943 un poste d'enseignant en lieu et place d'un juif qui sera déporté à Auschwitz. Le silence et l'indifférence d'Aragon ou Simone de Beauvoir deviennent avec le temps embarrassant et certaines zones d'ombres vont bien finir par éclater. Je cite S de Beauvoir car j'ai relu "le sang des autres" son roman de 1945 et certains faits historiques qu'elles dévoilent sont complétement erronés. Il va bien falloir faire la lumière sur cette période sombre de notre histoire, en Allemagne encore plus d'ailleurs, il ne suffisait pas seulement de fusiller Brasillach et d'insister sur le suicide de Drieu mais également révéler ce qui s'est réellement passé, on a déjà des gros doutes sur les contrats signés par Aragon et Guitry durant l'occupation mais moi ce qui m'étonne le plus est le reproche fait à Clouzot après guerre d'avoir tourner pour la Continental "Le corbeau" alors que ce film est pour moi bien plus révélateur de la France de l'époque que la bataille du rail par exemple, et c''est d'ailleurs pour cela qu'on l'a interdit de réaliser des films pendant un certain temps.  

    2
    Dimanche 19 Novembre 2017 à 08:21

    oui on en apprend tous les jours. Cependant pour ce qui concerne Clouzot, il fricotait bel et bien avec les nazis, participait à des petites sauteries amicales avec eux. Etait-ce de la collaboration ? Dans ce sac on pourrait mettre aussi le père de Belmondo. Le problème d'Audiard c'est d'abord ce qu'il a écrit, et aussi qu'il donne ensuite une interview à un journal d'extrême droite. Pour La bataille du rail. C'est un film a la gloire de la résistance des cheminots, financé par eux mêmes et réalisé par René Clément qui a été résistant. Mais je suis plutôt d'accord avec vous sur le rôle du Corbeau. J'ai insité sur le point très particulier du fils d'Audiard, Jacques. Celui-ci a repris le flambeau de son père en mettant en scène Un héros très discret. C'était une manière de lui rendre hommage en dénonçant les faux résistants comme s'il n'y avait eu que ça. Quelle famille !!

      • antonello
        Dimanche 19 Novembre 2017 à 10:12

        Bonjour,

        Vous avez raison pour le film de René Clément, il a été résistant et la bataille du rail n'était pas le meilleur exemple, par contre le père tranquille mais il faut se mettre dans le contexte de l'époque, un pays à reconstruire, des similis procès et quelques têtes qui tombent pour l'exemple et aussi un grand regret pour moi, Brasillach, je parle de l'écrivain pas de l'homme, un salaud et aussi un merveilleux styliste. Drieu a eu le courage de se suicider et pas de fuir comme Céline et le gouvernement de Vichy, l'avance qu'Aragon a reçu de la NRF, dirigée par Drieu, pour Aurélien. Tu parles de Clouzot et des sauteries amicales avec les allemands mais tous ont fait plus ou moins allégeance avec l'occupant sauf quelques uns, Raymond Guérin, prisonnier en Allemagne, Albert Camus.... 

        Une période délicate et encore sensible aujourd'hui, je suis issu de l'immigration italienne mais me considère français à part entière, j'ai essayé d'évoquer cette période trouble de notre histoire, je sens encore de la retenue dans les réponses, j'ai eu droit "aux groupes de résistants qui passent de 4 membres en 1943 à 3000 en 1944" et c'est tout. J'ai beaucoup lu, commencé par le bouquin de Paxton à 13 ans, j'ai demandé des explications en cours d'histoire à propos du programme "un peuple de résistants", j'ai eu droit à "ce ne sont que des hypothèses". Savoir que la France a participé davantage à la Shoah que l'Italie fasciste me laisse pantois. Savoir que tous les hauts fonctionnaires n'ont pas été jugés, certains sont passés à travers les mailles du filet mais c'était identique en Allemagne, il fallait reconstruire. Un roman, " le questionnaire" Ernst von Salomon m’attend dans ma PAL mais je ne peux m'y lancer quand je pense aux essais qui m'attendent sur le nazisme et sur ceux déjà lus. 

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