• Film de Jean-Stéphane Bron, 2010

     

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    C’est un film dont l’originalité de la forme l’apparente assez finalement à Roger et moi de Michael Moore qui date de 1989 et qui avait déjà fait sensation à l’époque. Il s’agit de construire à partir d’éléments concrets des retombées de la crise économique une mise en accusation du système économique libéral. Dans les deux cas, on assiste à des expulsions massives de pauvres gens de leur maison, sans trop savoir ce qu’ils vont devenir. Dans Roger et moi, c’était la crise de l’industrie automobile qui créait du chômage, privant d’emploi des milliers de personnes qui ne pouvaient plus rembourser leur crédit. Ici, c’est tout simplement la crise des subprimes qui crée la misère et le chômage.

    Il y a une continuité évidente entre les deux films qu’on peut à juste titre regarder comme deux étapes de la décomposition du système économique américain. Entre les deux films une vingtaine d’années se sont passées, les Etats-Unis ont poursuivi et presqu’achevé le mouvement de désindustrialisation, et les Américains sont devenus principalement un peuple de consommateurs. Cette course à la consommation a été rendue possible principalement par l’extension du crédit à toutes les classes de la population. Mais lorsque la croissance est apparue insuffisante pour rembourser les emprunts, le système s’est effondré.

    Le centre de profitabilité du capitalisme est passé en quelques décennies de l’industrie aux services, et particulièrement aux services financiers, la banque et l’assurance. Il faut distinguer deux choses différentes dans cette grande crise qui ne fait que commencer : d’une part la remise en question d’un modèle de croissance, et d’autre part l’ingéniosité des banquiers américains qui ont inventé un système qui leur permet toujours de faire des profits énormes. En effet, depuis le milieu des années soixante-dix, ou le début des années quatre-vingts, la plupart des indicateurs de bien être montrent que même si le PIB par tête continue d’augmenter aux Etats-Unis et dans les pays développés, ces mêmes indicateurs montrent que le bien-être diminue, dès lors qu’on intègre des paramètres non-monétaires dans leur mesure. Ce qui veut dire clairement que depuis les années soixante-dix, le modèle capitaliste, de plus en plus dérégulé, est incapable de satisfaire à l’amélioration de la qualité de la vie.

    Le mouvement semble s’être accéléré à partir de la déréglementation du système bancaire à l’échelle planétaire, puisque c’est en effet vers le début des années quatre-vingts que la déréglementation des marchés financiers, c’est-à-dire concrètement de la possibilité des banques de créer de la monnaie de crédit autant qu’elles le voulaient, a permis d’appuyer la croissance sur un endettement de plus en plus colossal. L’absence d’augmentation des salaires joue bien entendu un rôle déterminant dans cet endettement croissant.

    Le résultat de cette dérégulation est que les pauvres deviennent plus pauvres qu’auparavant et que les riches sont plus riches encore. Ce qui est remis en question de façon radicale est l’idée que les pauvres peuvent accroître leur niveau de bien être, en achetant leur maison, en consommant à crédit. Le réveil fut brutal.

    A mon sens le système des subprimes est seulement l’aspect le plus visible de cette crise. C’est celui qui démontre qu’il n’y a que l’épaisseur d’une feuille de cigarette entre l’économie légale et l’économie criminelle. Le témoignage d’un démarcheur de crédits est absolument saisissant : c’est un ancien dealer qui par tous les moyens va persuader de pauvres gens qu’ils peuvent s’endetter au-delà du raisonnable, sans dommage pour eux dans l’avenir.

    Le film proprement dit est assez complexe pour montrer toute l’ambiguïté du système : les victimes de cette crise des subprimes qui vont perdre leur maison, n’ont pas vraiment compris ce qu’il leur arrivait. Pour parler comme les économistes, il y a là une asymétrie d’information. C’est-à-dire que d’un côté on a des démarcheurs de crédit dont le but à court terme est d’abord d’encaisser des primes pour les prêts qu’ils placent, et de l’autre des pauvres gens qui ne se rendent pas compte que la valeur de leur bien immobilier ne pourra pas toujours augmenter pour rattraper la valeur de leur emprunt. Peu de témoins ou de membres du jury sont capables de produire une critique globale du système et de comprendre ce qu’est effectivement le droit de propriété.

    Le passage le plus émouvant est le témoignage du policier chargé de faire respecter la loi et donc d’expulser massivement ceux qui n’ont plus les moyens de payer. Cette contradiction entre la loi qui vise à faire respecter le droit de propriété et la simple gestion de cas humains, est tout à fait douloureuse. Mais le témoignage d’Osinski qui a produit un logiciel destiné à gérer la titrisation des crédits est également un grand moment d’ambigüité, certes, il reconnait l’inhumanité du système, mais en même temps, il s’affirme lui aussi comme un capitaliste, supposant qu’il n’y a rien au-dessus de l’intérêt individuel et la recherche du profit par tous les moyens.

    Aux Etats-Unis, l’opinion publique est scandalisé par l’arrogance des banquiers, et la vitesse à laquelle ils ont pu se refaire une santé, grâce à l’intervention de l’Etat qui a injecté des sommes colossales dans les banques en faillites. Mais en même temps, cette opinion publique croit encore aux vertus de la libre entreprise et à la nécessité de déréguler encore un peu plus les marchés.

    Le second acte de cette tragi-comédie va se jouer rapidement dès lors qu’il va apparaître que les plans de relance successifs et coûteux n’ont pas ranimé une croissance moribonde et n’ont aboutis qu’à renforcer le pouvoir des banquiers. L’attaque permanente des banquiers, qui ont été renfloués par les Etats, contre l’endettement de ces mêmes Etats, va rapidement conduire à la déflation et à une montée massive du chômage. Lorsque les dettes publiques de la Grèce, de l’Espagne, puis demain de la Grande-Bretagne et des Etats-Unis auront été déclassées, l’envol des taux d’intérêt, conjugué aux plans d’austérité va engendre une misère tellement énorme que le système va exploser.

    L’occasion d’un apaisement des marchés a été manquée à la fin de l’année 2008 quand il était possible encore de renationaliser le système bancaire : le prétexte était facile à saisir, il suffisait de demander des contreparties sous la forme de titres de propriété aux banques en faillite. Au lieu de quoi, la timidité des gouvernements des pays développés les a amené à renouveler leur confiance à un système qui avait failli. La question principale est de savoir si la monnaie doit être produite et contrôlée par les Etats nationaux, ou si au contraire on doit permettre aux banquiers de créer autant de liquidités qu’ils le veulent. Les prix Nobel d’économie Stiglitz et Krugman considèrent que c’est là la responsabilité majeure et historique de l’administration Obama.

    Mais pour ne pas être trop dur avec les dirigeants des pays développés, on peut dire aussi que les hommes politiques, en dehors des magouilles habituelles pour détourner des fonds, ne font que ce que l’état de leur opinion leur permet. Et justement, c’est là que le film de Bron est précieux, il montre que les principales victimes de ce système dévoyé ne sont pas capables d’imaginer un autre monde, un monde plus solidaire où la solidarité pourrait remplacer comme valeur culturelle la volonté d’enrichissement.

    Le dernier point est de savoir quel impact peut avoir un tel film, notamment dans sa forme. En effet en utilisant une forme narrative qui ressemble à un documentaire, tout en étant une fiction puisque le procès est un « faux » procès, on prend le risque de ne toucher qu’un tout petit nombre de spectateurs. N’est-il pas plus pertinent de revenir à des formes fictionnelles plus traditionnelles, aptes à toucher le plus grand nombre, comme la Warner Bros avait réussi à le faire dans les années qui suivirent la Grand dépression ? Autrement dit, il est peut-être temps de produire des formes nouvelles de « héros » qui prennent en charge le discours subversif capable de reformuler des codes culturels nouveaux.

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  • Incontestablement l’association Di Caprio-Scorsese est un grand succès commercial. Les quatre films qu’ils ont tourné ensemble ont été des succès mondiaux. Pour autant, on peut aussi considérer l’entreprise comme un échec artistique ruineux. 
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    Leonardo Di Caprio est un grand acteur et Martin Scorsese un grand réalisateur. Malheureusement la sauce n’a pas pris. Quelles sont raisons ?

    D’abord les sujets abordés. Ils présentent peu d’intérêt. Sur les quatre films tournés ensemble, trois sont des reconstitutions historiques, et le quatrième est un remake d’un film honkkongais. Deux d’entre eux sont des projets particuliers à Leonardo Di Caprio, The aviator et Shutter island, mais Gangs of New-York est bien un projet personnel de Scorsese.

    Il apparaît qu’une des premières raisons de l’échec artistique des derniers films de Scorsese se trouve dans cette volonté de mettre le passé américain en scène. Or c’est la chose la plus difficile qui soit : les reconstitutions historiques au cinéma manquent le plus souvent de vérité. C’est le cas de Gangs of New-York. Di Caprio et Cameron Diaz en enfants mal nourris des bas-fonds ne sont pas crédibles une minute. Dans The aviator, les actrices qui jouent Ava Gardner et Katharine Hepburn, respectivement Karin Beckinsale et Cate Blanchett, n’ont strictement aucun rapport avec l’original. Ce n’est pas tant que celles-ci soient de mauvaises actrices, mais c’est plutôt que les personnages réels avaient des physiques tellement particuliers, qu’ici leur représentation frise la caricature. Sans même parler de Jude Law en Errol Flynn qui est tout simplement ridicule ! Shutter Island butte également sur des problèmes de reconstitution. Les costumes trop propres et trop bien repassés des flics comme du personnel médical donne à l’histoire un côté plus théâtral que cinématographique. Nous ne sommes plus dans des films comme Casino, où l’élégance vulgaire de De Niro pouvait s’expliquer par ses éxcédents de liquidités. Déjà la première tentative de Scorses dans la reconstitution historique, Le temps de l’innocence, n’avait pas convaincu.

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    Une autre raison de l’échec artistique de la collaboration entre Di Caprio eet Scorses vient de la faiblesse des sujets abordés. Passons sur Les infiltrés, mauvais remake d’un film honkkongais qui avait eu du succès en son temps, mais dont les invraisemblances scénaristiques déniaient tout sérieux à l’entreprise. Pourquoi en faire un remake ? Qu’est-ce que cela pouvait bien apporter sur le plan artistique ? Rien, évidemment.

    Gangs of New-York par son propos auraient du avoir plus de consistance. Mais en se servant d’une vengeance personnelle comme fil conducteur de l’histoire, l’aspect social et historique devient qu’une image d’arrière plan. Scorses montre son incapacité à traiter de sujets historiques. Il n’est bon que dans le contemporain, la description de l’immédiateté des sentiments.

    Shutter Island est un des moins bons romans de Dennis Lehanne. Le sujet, entre Shock Corridor et Vol au dessus d’un nid de coucou, est non seulement très convenu, mais il apparaît comme ayant été trop souvent traîté. Si on y ajoute le ridicule des scènes de rêve, le film devient parfaitement invisible. C’est le plus mauvais des quatre films tournés par l’association Di Caprio-Scorsese.

     

    Les dernières productions de Scorsese sont toutes fabriquées sur le même moule : des acteurs qui cabotinent, Day Lewis dans Gangs of New York, Jack Nicholson dans Les infiltrés, allant jusqu’à déteindre sur le jeu même de Di Caprio qui en devient grotesque dans ses jérémiades de Shutter Island ; une histoire spectaculaire sensée tenir le spectateur en haleine, et une manière de filmer en plans larges, avec des mouvements de grue rapides.

    En conclusion, si l’équipe Di Caprio – Scorsese semble avoir trouvé les clés du succès commercial, c’est au détriment de toute ambition artistique. Scorses se fait vieux et n’a plus l’imagination flamboyante de ses débuts. Il ronronne dans le système : plus il a d’argent pour filmer, et moins ses films sont bons ! C’est une bonne nouvelle pour ceux qui voudraient faire des films : l’argent n’est pas nécessaire au cinéma. Souhaitons que Robert De Niro ait la capacité de relancer Scorsese comme il a su si bien le faire par le passé.

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  • Quelques films intéressants par ci par là laissent croire que le cinéma américain a encore quelque chose à voir avec l’art. Il n’en est rien. Depuis au moins trois décennies il ne cesse de s’effondrer. Ce mouvement est comme une lame de fond qui emporte même des réalisateurs aussi doués que Martin Scorsese dont les derniers films sont des fiascos artistiques. C’est une vérité tout autant intrigante qu’évidente. Comment expliquer cela ?
    La première idée qui vient à l’esprit est que le cinéma est un reflet de l’époque. Si l’époque est merdique et peu dynamique sur le plan social, alors le cinéma sera merdique et mollasson. Le cinéma américain a connu deux grands périodes de créativité : les années trente et quarante, et ensuite la fin des années soixante et le début des années soixante et dix. Cette dernière période est souvent très sous-estimée quantitativement et qualitativement. Les années cinquante furent des années d’un cinéma globalement très conventionnel, mais on y trouvait cependant de nombreux réalisateurs américains qui arrivaient à tirer leur épingle du jeu. Preuve que les studios n’avaient pas achevé leur chasse aux sorcières.
    Le cinéma qui a accompagné la contre-révolution reaganienne est une machine de guerre, un rouleau compresseur, qui lamine toute velléité de rébellion ou de simple critique sociale. Le cinéma américain a changé au début des années quatre-vingts dans deux sens :
    - d’abord la glorification sans nuance de l’argent et de la culture des « gagnants » ;
    - ensuite, le système de production des films lui-même qui s’est identifié à cette culture débile.
    Si vous voulez comprendre comment le cinéma américain est devenu dégénérescent, lisez l’ouvrage de Charles Fleming, Box-office qui vient d’être traduit aux éditions Sonatine. Cet ouvrage est centré principalement sur le producteur Don Simpson, mort en 1996 à la suite de ses excès en tout genre.

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    Don Simpson - Jerry Bruckheimer - Michael Bay

    Certes, ce n’est pas Don Simpson, ni son comparse Jerry Buckheimer qui ont inventé la connerie à Hollywood, mais ce sont eux qui l’ont élevé au stade d’œuvre d’art si on peut dire. Armés d’un grand cynisme et d’un niveau culturel très faible, Don Simpson et Jerry Buckheimer représentent la génération « rock » à Hollywood. Leur personnalité étant adaptée au niveau culturel de la masse, il n’est pas étonnant qu’ils aient rencontré le succès.
    Le plus arrogant et probablement le plus stupide de ces sinistres individus était Don Simpson. Non content de passer son temps à se droguer et à consommer des putes, il dépensait sans compter en médicaments et en chirurgie esthétique : une injection de collagène de ci, une liposuccion de là, ou encore des opérations autant ruineuses qu’imbéciles pour se faire allonger la bite, aves les conséquences dévastatrices que ce type d’opération peut avoir. Mais le pire était probablement qu’il pontifiait, prétendant avoir découvert la recette magique pour générer des blockbusters comme s’il en pleuvait. C’est ce qu’il appelait le « High Concept ». Le « High Concept » définit un film au scénario le plus simpliste possible : c’est le parcours initiatique d’un héros ou d’une héroïne jeune qui poursuit un « rêve » (comme devenir une grande danseuse ou un super pilote d’avion) et qu’un ainé (un vieux sage, ou un grand frère) va révéler à lui-même. Le succès (le plus souvent monétaire) est au bout de la quête !
    La mise en œuvre de cette sorte de cauchemar américain a généré des milliards de dollars et une kyrielle de films nuls. Au-delà du simplisme des films, ceux-ci sont conçus comme de longs clips publicitaires pour la chaine MTV. Visant explicitement un public d’adolescents, ils s’adaptent directement à leurs pulsions primaires et vulgaires. Le principe de Don Simpson est de dicter pratiquement aux jeunes ce qu’ils doivent penser et aimer au cinéma. Le principe même est idiot. Mais par contre il faut pour faire du succès avoir une bonne connaissance des désirs louches des adolescents, il faut être quelque part comme eux. Ce qui pose forcément un problème quand on a plus de quarante ans !
    Ce qui est le plus fascinant dans tout ça, ce n’est pas tant que Don Simpson ait fait son beurre sur le créneau du film idiot pour adolescents mal dans leur peau, mais plutôt que son « High Concept » soit devenu la norme à Hollywood. En effet son associé, son complice devrait-on dire, Jerry Bruckheimer continue de plus belle, notamment avec la série des « Pirate des Caraïbes » ou celle de « Benjamin Gates ». Tout le monde veut un morceau de ce magnifique gâteau. Et cette tentation entraîne finalement le peuple d’Hollywood : si tous n’en meurent pas, tous en sont malades. N’est-ce pas pour ça que les films de Scorsese ne perdent plus d’argent ? Mais n’est-ce pas pour ça qu’ils ont aussi de moins en moins d’intérêt ?
    Le cinéma a toujours été une industrie populaire et à ce titre il a toujours produit des films confortant le spectateur dans sa propre inculture. Mais ce qu’il y a de nouveau dans les années quatre-vingts, c’est que le système Simpson-Bruckheimer a vampirisé l’ensemble du système des studios. On peut le remarquer à l’effondrement de la qualité des films de Scorsese : plus ceux-ci ont du succès, et moins ils ont un contenu fort. Un peu comme si Scorsese avait sur le tard préféré faire du fric selon le principe du « High Concept » que de faire du cinéma. Certes, les films de Scorsese ne sont pas encore tombés aussi bas que ceux de Simpson-Bruckheimer, mais depuis Gangs of New-York, ils intègrent plus des effets visuels que de subtilités scénaristiques.
    Dans le même temps que le « High Concept » semble être devenu la référence, il n’y a plus de films a contenu social à Hollywood. Or par le passé, cette industrie avait la capacité de générer des films plus ou moins engagés, basés sur l’existence de petites gens. Au moment où les super-héros ont pris le pouvoir sur les studios, l’humanisme hollywoodien a disparu.
    Au moment de la grande dépression et du New Deal, Hollywood s’était emparé de la crise économique et de ses dégâts dans la société pour en faire un sujet de réflexion, des cinéastes aussi divers que William Wellman, Frank Borzage ou John For s’y sont attelés. Le film noir a donné une coloration étonnante sur l’envers du rêve américain. A la fin des années soixante et au début des années soixante-dix, on trouvait des films sur la classe ouvrière, sur le Viêt-Nam, ou encore sur un réexamen de la condition dans laquelle les Etats-Unis avaient été créés. De grands acteurs comme Paul Newman ou Robert Redford, s’impliquaient dans cette vision artistique du cinéma. Des réalisateurs comme Robert Mulligan ou Martin Ritt pouvaient viser un public populaire, sans viser en dessous de la ceinture. Bref, le cinéma avait une fonction critique qu’il a complètement perdue aujourd’hui. Tout se passe comme s’il devenait incongru de viser un public populaire avec des sujets qui le concernent. Depuis le début des années quatre-vingts, le marché du film populaire de qualité est laminé. Certes on y trouve de belles exceptions comme "Danse avec les loups" ou "Stanley et Iris", mais c’est l’exemple qui confirme la règle.
    Cette dégénérescence a de nombreuses raisons, chacune confortant l’autre. D’abord la classe ouvrière a disparue et a part quelques franges bien particulières des pays développés, et on se trouve dans une période de surconsommation. Et comme les logements sont devenus de plus en plus confortables, les adultes ne vont plus au cinéma, massivement le public du cinoche a entre 3 ans et 20 ans. Cette prise du pouvoir des adolescents sur ce qu’il faut bien appelé « la culture » produit de sacrés ravages, à commencer par tous ces créatifs qui courent après le public : Don Simpson se prenait d’ailleurs pour un artiste.
    Le second point est que la déréglementation des marchés financiers a permis la création de liquidités tellement abondantes qu’Hollywood ne sait plus qu’en faire. Mais également la contre-révolution conservatrice amenée sur le plan politique par l’affreux couple Reagan-Thatcher, a mis sur le devant de la scène l’idéal d’enrichissement. Le mot d’ordre est devenu depuis le début des années quatre-vingts : faire le plus de fric possible. C’est bien ce qu’ont compris les Don Simpson et les Bruckheimer. Ce dernier est d’ailleurs considéré maintenant comme l’homme le plus riche d’Hollywood, loin devant Spielberg. Cette frénésie d’enrichissement cynique a déclassé les valeurs culturelles et dans l’indigence générale de la production américaine, des réalisateurs médiocres comme le fascisant Clint Eastwood, Quentin Tarantino qui n’a rien à dire sur rien, ou le lénifiant et pleurnichard Steven Spielberg, sont apparus comme des « artistes ».
    Dans le même temps, le peuple d’Hollywood a transformé le bottin mondain de Los Angeles en une chronique des faits divers : on ne compte plus les acteurs, les actrices et les metteurs en scène qui sont compromis dans des affaires criminelles sordides. Jamais la consommation de drogue et d’alcool n’a été aussi importante chez toutes ces vedettes, comme le nombre de décès d’overdose n’a jamais été aussi élevé que depuis les années 80. Et d’ailleurs c’est bien d’un usage extravagant de stupéfiants qu’est mort Don Simpson. L’ineffable Jerry Bruckheimer a produit "Bad Boys I" et II. Mais tout le peuple d’Hollywood s’est transformé en bad boys et bad girls ! C’est la conséquence d’une identification aux personnages créés par le système.
    Cette folle machine broie tout sur son passage, et plus personne ne la contrôle. On ne compte plus parmi le peuple d’Hollywood les membres de la secte de l’Eglise de scientologie. Tom Cruise y est encore, John Tavolta, aussi, mais Don Simpson y a été faire un tour également. Dès lors il n’est pas étonnant de voir que les films produits à Hollywood depuis une vingtaine d’années ressemblent plus à de sinistres cauchemars qu’au rêve américain.
    Cette course à l’enrichissement frénétique et dévergondé, s’est appuyée aussi sur la transformation du modèle de financement et de rentabilisation des films. En effet, c’est la manne de la vente des films en K7, puis en DVD, la multiplication des passages à la télévision qui a généré des recettes que les vieux moguls d’Hollywood, du temps de son âge d’or, n’auraient pas osé imaginer. Les sommes se sont démultipliées aussi quand, au travers de la mondialisation qui a ouvert de nouveaux et fructueux marchés, il est apparu que les Etats-Unis allaient devenir le seul producteur de normes culturelles pour le monde entier et le « High concept » est tout à fait adapté à ce nivellement par le bas. Le malheur est que cette production de normes « intellectuelles » formate à long terme les esprits, leur ôtant toute autonomie et toute velléité critique.
    Cette mauvaise habitude de viser les gros budgets pour favoriser des recettes extraordinaires, entraîne une dévalorisation concomitante des autres productions. La profession ne se vit plus aujourd’hui que dans l’inflation des budgets. Par exemple le dernier film de Jean-Pierre Jeunet, Micmacs à tire-larigot a coûté plus de 25 millions d’euros, mais il n’est guère probable qu’il rembourse ne serait-ce que la moitié de ses investissements. Avatar, le dernier navet du médiocre James Cameron a eu un budget de 250 millions de dollars, bien plus que l’abominable "Titanic". Cette montée des financements comme mode de vie, va ruiner à terme la production de films en en tuant la diversité possible.
    Il est très difficile de dire à quoi ressemblera le cinéma dans quelques années. Ce qui est certain, c’est que la créativité a déserté Hollywood. Le plus probable est que la fracture cinématographique va s’élargir encore : d’un côté une masse de spectateurs consommant des effets spéciaux, des dérivés de jeux vidéos ou de bandes dessinées, de l’autre une poignée de cinéphiles vieillissants communiant autour de la célébration des mythologies de la classe moyenne inférieure, créneau sur lequel on trouve aussi bien Woody Allen que le cinéma français.

    Films produits par Don Simpson

    1983 : Flashdance (producteur) d’Adryan Line.
    1984 : Le flic de Beverly Hills (producteur) de John Landis.
    1984 : Thief of Hearts (producteur) de Douglas Day Stewart
    1986 : Top Gun (producteur) de Tony Scott.
    1987 : Le flic de Beverly Hills 2 (producteur) de Tony Scott.
    1990 : Jours de tonnerre (Days of Thunder) (acteur et producteur) de Tony Scott.
    1994 : Tel est pris qui croyais prendre (producteur) de Ted Demme.
    1995 : Bad Boys (producteur) de Michael Bay
    1995 : USS Alabama (producteur) de Tony Scott
    1995 : Esprits rebelles (producteur) de John N. Smith.
    1996 : The Rock (producteur) de Michael Bay

    Films produits par Jerry Bruckheimer

    1975 : Adieu ma jolie
    1977 : Il était une fois la Légion
    1980 : American Gigolo
    1980 : Le Solitaire
    1982 : La Féline
    1983 : Flashdance
    1984 : Le Flic de Beverly Hills
    1986 : Top Gun
    1987 : Le Flic de Beverly Hills 2
    1990 : Jours de tonnerre
    1994 : Tel est pris qui croyait prendre
    1995 : USS Alabama
    1995 : Bad Boys
    1995 : Esprits rebelles
    1995 : Rock
    1997 : Les Ailes de l'enfer
    1998 : Ennemi d'État
    1998 : Armageddon
    2000 : Le Plus beau des combats
     2000 : Coyote Girls
    2000 : 60 secondes chrono
    2001 : Pearl Harbor
    2001 : La Chute du faucon noir
    2002 : Bad Company
    2003 : Veronica Guerin
    2003 : Kangourou Jack
    2003 : Pirates des Caraïbes, la malédiction du Black Pearl
    2003 : Bad Boys II
    2004 : Le Roi Arthur
    2004 : Benjamin Gates et le Trésor des Templiers
    2006 : Déjà Vu
    2006 : Pirates des Caraïbes : Le secret du coffre maudit
    2007 : Pirates des Caraïbes : Jusqu'au bout du monde
    2007 : Benjamin Gates et le Livre des secrets
    2009 : Confessions d'une accro au shopping
    2009 : G-Force
    2010 : Prince of Persia : Les Sables du temps
    2010 : L'Apprenti sorcier
    2011 : Pirates des Caraïbes, La fontaine de Jouvence
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  • Comme on le sait, Sean Connery a commencé sa carrière de star en jouant James Bond. Cela l’a rendu célèbre, immensément célèbre, mais l’a amené à une carrière généralement médiocre. Il n’aimait pas le personnage raciste et réactionnaire de James Bond, bien qu’il s’en soit servi pour amasser une fortune considérable, et il a essayé de s’en défaire dès qu’il est devenu célèbre, répétant partout qu’il ne voulait pas qu’on l’identifie au célèbre agent. En dehors des jamesbonderies, Sean Connery a participé à quelques films très intéressants, comme Marnie d’Hitchcock par exemple ou L’homme qui voulut être roi de John Huston.

     

     Sean Connery a manqué une carrière à la Schwarzy... heureusement

     

    Sean Connery a manifesté très tôt des idées politiques anticonformistes. Partisan d’une indépendance pour l’Ecosse, son pays natal, il a contrebalancé le poids du réactionnaire James Bond, en soutenant, grâce à sa popularité, des films plus difficiles très marqués politiquement par des idées ouvertement anarchistes.  Trois films me semblent importants : The hill, The molly maguires et The great train robbery.

     

    La colline des hommes perdus (The hill), 1964

     

    Ce film de Sidney Lumet a reçu en son temps un excellent accueil critique, à défaut d’être un immense succès public, notamment à Cannes où il avait été présenté. C’est une sorte d’huis-clos, quasi théâtral, le scénario est d’ailleurs tiré d’une pièce, qui prend pour cible l’armée britannique raconte l’histoire d’un camp militaire disciplinaire destiné à faire marcher droit les têtes brûlées.

    La colline c’est une sorte de mythe de Sisyphe puisque les soldats doivent grimper en haut d’une colline pour y déverser des sacs de sable qui viendront en accroître peu à peu la hauteur. C’est autour de cette absurdité que vont s’affronter ceux qui détiennent le pouvoir, et ceux qui le subissent. Le règlement étant l’exutoire qui permet de développer des tendances sadiques.

    Filmé en noir et blanc, très dialogué, l’action est soutenue par une distribution d’acteurs britanniques venant massivement du théâtre : Ian Bannen, Michael Redgrave ou encore l’excellent Harry Andrews. La mise en scène, quoi qu’assez convenue et démonstrative, est efficace. C’est un film très britannique bien qu’il soit filmé par un américain qui retrouve là des thèmes habituels de sa propre thématique.

     

     

     

    Selon la loi du genre chaque personnage est un caractère spécifique sans trop de nuance, destiné à soutenir la forme parabolique du discours. Malgré ses limites évidentes dans ses emprunts à la technique théâtrale, c’est un très bon film, non seulement parce que les acteurs, Sean Connery en tête, sont très bons, mais parce que la réalisation de Sidney Lumet rend tout à fait compte de l’enfermement des individus.

     

    Traître sur commande (The molly maguires), 1970

     

    Des trois films commentés ici, c’est le plus importants. C’est du moins celui qui  m’avait le plus marqué à sa sortie. L’action se passe aux Etats-Unis dans les mines de charbon de Pennsylvanie au XIXème siècle. Les ouvriers irlandais, maltraités, forment une société secrète qui sabote l’exploitation pour essayer de faire entendre raison aux dirigeants. Les molly maguires sont cette société secrète d’inspiration anarchiste.

    Nous sommes dans l’univers de la lutte des classes aux Etats-Unis. De nombreux films américains ont été réalisés sur ce thème à la fin des années soixante et au début des années soixante-dix. Cette volonté de revenir en arrière pour regarder les fondements du rêve américain s’appuyait aussi sur de nouvelles analyses de la Grande Dépression, comme le Bertha Boxcar de Scorsese  par exemple.

    On pourrait le lire dans un premier temps comme une justification d’actions terroristes servant à appuyer la lutte des classes. Et déjà souligner que, contrairement aux apparences, les Etats-Unis possèdent un passé révolutionnaire bien plus riche que ce qu’on croie généralement. La méticulosité des reconstitutions, le vérisme des détails, tout cela suffirait pour décrire les Molly Maguires comme un film admirable.

     

    Mais il y a plus. En effet, pour réprimer la révolte des ouvriers irlandais, les dirigeants de la mine vont faire appel à un agent secret qui va infiltrer les anarchistes. Pour cela il va se lier d’amitié avec leur leader et ensuite le trahir. Sous cet angle, le film devient une réflexion plus générale sur le mensonge, la trahison. C’est forcément un thème qui tient au cœur de Martin Ritt lui qui, comme son scénariste Walter Bernstein, a eu à souffrir de la chasse aux sorcières à l’époque de McCarthy. Il reviendra d’ailleurs sur ce thème dans un film aussi peu connu, Le prête-nom, avec Woody Allen.

    En quelque sorte, le film est l’exacte antithèse de l’ignoble film d’Elia Kazan, Sur les quais qui au contraire justifiait la délation et la trahison des idéaux de la jeunesse.  Car le film de Ritt a bien une morale évidente : malgré la défaite, c’est le leader anarchiste qui a gagné, car le traître devra vivre pour le restant de ses jours avec le fait qu’il a trahi celui qui était devenu son meilleur ami.

    Le film a été un échec retentissant à sa sortie. Je l’avait vu dans une salle absolument vide. C’est normal la complexité du sujet, l’amertume de la défaite finale des révolutionnaires, n’entraîne pas les foules. Et il est heureux qu’on le ressorte aujourd’hui en DVD, outre que cette ressortie s’accompagne d’une brassée de louanges pour son metteur en scène, le film est rétabli dans sa longueur initiale.

    The molly maguires me paraît incontournable à plusieurs titres :

    - d’abord il est la démonstration de la vitalité du cinéma américain des années soixante-dix. Avec le recul cette période est sûrement une des plus riches, même si elle se veut peu innovante sur le plan de la forme.

    - ensuite, c’est l’occasion de redécouvrir un réalisateur important, Martin Ritt, qui n’est malheureusement célèbre que pour son western avec Paul Newman, Hombre. Le succès de ce dernier film masquant les autres réussites de l’association entre Paul Newman et Martin Ritt. Sur les cinq films qu’ils ont réalisés ensemble, deux au moins sont excellent : Le plus sauvage d’entre tous et Les feux de l’été. Martin Ritt malgré son parti-pris de développer des sujets difficiles et plutôt morose, a connu quelques succès bienvenus dans sa carrière, outre Honbre, L’espion qui venait du froid et Norma Rae en font partie.

    - enfin il est la preuve indiscutable du talent de Sean Connery qui s’est malheureusement trop souvent gâché dans des blockbusters sans intérêt. Mais le reste de l’interprétation est tout aussi solide et Richard Harris est remarquable.

     

    La grande attaque du train d’or (The great train robbery), 1978

     

    Ce film a connu un meilleur sort que le précédent. Tiré du roman de Michael Crichton, qui a cette époque réalisait ses propres sujets à l’écran, il est bien plus léger et réjouissant. Edward Pierce, incarné par Sean Connery, est une sorte d’Arsène Lupin anglais qui cherche à mettre la main sur des lingots d’or qui sont destinés au financement de la guerre entre l’Angleterre et la France d’une part et la Russie d’autre part.

     

     

     

    Pour réussir son coup, Pierce va s’allier avec un autre voleur incarné par Donald Sutherland, car ils doivent voler les clés qui leur permettront d’ouvrir les coffres. Les morceaux de bravoure s’ensuivent parce qu’ils doivent réaliser ce hold-up en douceur, sans se faire remarquer, donc il leur faut voler les clés, les refaire, les remettre à leur place, etc.

    Bien que la réalité sociale et le propos anarchisant passe au second plan du récit, il n’en existe pas moins puisque nos héros sont antipatriotes et fortement opposés à la guerre. De même ils n’admettent guère de travailler comme des salariés ou encore vivre dans le cadre traditionnel de la famille et du mariage.

    Au total c’est un film plutôt bien fait, sans trop de génie, mais qui contient suffisamment de retournements de situations pour accrocher l’intérêt. Son Mais ce n’est pas un film inoubliable.

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