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Joe le fou, Crazy Joe, Carlo Lizzani, 1974
Ce film est assez peu connu, mais c’est un tort parce qu’en dehors de ses qualités cinématographiques, il incarne un tournant dans le film de mafia et de truand sur le thème ascension et chute d’un caïd. Ce film a influencé énormément Martin Scorsese, on pourra toujours s’amuser à faire la liste des emprunts qui ont été recyclés de Taxi driver à The irishman. Or il se trouve que sur le tournage, Martin Scorsese devait être assistant réalisateur et que De Niro devait jouer Joe le fou en lieu et place de Peter Boyle. Crazy Joe c’est Joe Gallo que Frank Sheeran qui se flattait d’avoir tué Jimmy Hoffa, prétendait aussi avoir abattu dans un restaurant italien. Joe Gallo a réellement existé. Il est connu pour avoir racketté une partie de la mafia et s’être allié avec des criminels noirs de Harlem qu’il avait connu en prison. Bien entendu le style de Lizzani est différent de celui de Scorsese, plus sec, moins sentimental, et on peinerait à trouver quelque trait de caractère sympathique chez Gallo. Le film a été entièrement tourné à New York, et il est à peu près certain que Scorsese a emprunté le jeu des couleurs de Crazy Joe pour son film Taxi driver dans la manière dont ressortissent les rouges et les verts sur la nuit newyorkaise. Egalement on trouvera une parenté étonnante entre le meeting de Joe Palantine dans Taxi driver et le meeting de la Fédération Italo-américaine.
Le vrai Joe Gallo
Carlo Lizzani qui a toujours travaillé pour un cinéma populaire est entre autres un des pionniers du poliziottesco avec le très fort Banditi a Milano[1]. Et c’est bien les succès qu’il connut dans ce domaine qui pousseront Dino De Laurentiis. The godfather avait été un énorme succès mondial, et d’un certain point de vu, Crazy Joe en prendra le contrepied, annonçant par sa peinture cruelle de la mafia un autre film de Scorsese, The goodfellas. Film dans lequel on retouvera encore des plans qui viennent directement de Crazy Joe. Scorsese aussi emprunte à Crazy Joe la manière de l’assassinat de Gallo sur le trottoir. Bien que l’histoire soit dérivée de la vie de Joey Gallo, on ne peut pas dire pour autant qu’il s’agisse d’un biopic.
Les commentaires de Joe agacent un spectateur
Les frères Gallo mènent une bande de tueurs qui travaillent pour le compte des frères Falco, mais s’ils travaillent bien, ils estilment qu’ils ne sont pas assez payés, que le clan Falco leur manque de respect. Après une première tentative de conciliation qui a lieu sur le port, les frères Falco s’adressent directement à Don Vittorio le puissant chef des familles newyorjaoses. Mais ça n’aboutira pas non plus et les frères Gallo sont victimes d’un attentant qui va les obliger à réagir. Les règlements de compte se succèdent, jusqu’au moment où Joe Gallo, aux abois, se fait piéger par la police lorsqu’il tente de racketter un marchand d’alcool. Il a été balancé par le clan Falco, il va partir en prison pour plusieurs longues années. Là il va faire la connaissance de Willy Bates un criminel noir avec qui il va sympathiser. Son frère malade qui ne supporte plus les tensions se suicide. Au cours d’une révolte de la prison, il s’impose comme interlocuteur entre la direction de la prison et les noirs. A sa sortie, il va tenter de retrouver sa place, mais il refuse les propositions de Coletti qui a pris du galon auprès de Don Vittorio. Coletti cependant a des ennuis car il a voulu monter une organisation politique une fédération italo-américaine pour contrecarrer les enquêtes sur la mafia. Don Vittorio pense que ce n’est pas une bonne chose et croit qu’ainsi on se fait un peu trop marquer des autorités. Mais Joe va pactiser avec Willy et se mettre à racketter non seulement Coletti, mais aussi Don Vittorio. C’est ce qui va conduire à sa perte, il sera assassiné dans un restaurant célèbre Vincenzo Clam House.
La tentative de conciliant des frères Falco tourne court
Cette vision désenchantée de la mafia newyorkaise, présente les mafieux comme de sinistres crapules, violents, mauvais, incapables de ne pas se trahir entre eux. Apres au gain, ce sont des petits intrigants, et pas du tout des seigneurs comme les avait présentés Coppola dans The godfather. Ils vivent misérablement, se méfiant de tout le monde, incapables de jouir de l’argent qu’ils ont volé. Cette vision très négative des voyous est une révolte qu’on trouve souvent dans les poliziotteschi, contre la mode du moment qui tentait d’expliquer la violence des gangsters, de lui donner une justification. Crazy Joe lorsqu’il rencontrera des gens qui travaillent dans le cinéma explicitera ce point de vue en disant que le voyou a toujours exercé une sorte de fascination sur les bourgeois qui croient qu’il est un révolté. Lizzani critiquera cette manière d’intellectualiser les voyous en présentant Crazy Joe comme un grand lecteur de Sartre et de Camus auxquels il ne semble guère avoir compris grand-chose. Autrement dit ey contrairement à Coppola, Lizzani suppose que ce qui fait la capacité d’un mafieux de s’imposer, ce n’est pas son intelligence, mais son usage immodéré de la violence. Sans doute cette vision désabusée de Lizzani s’oppose-t-elle çà la vision glamour de Coppola parce que Lizzani est italien et qu’il sait quels sont les ravages que la mafia sicilienne a causé dans son pays en termes de sous développement du sud de l’Italie et de la Sicile. Coppola présente Don Corleone comme une victime qui cherche à prendre sa revanche et qui fait avec les moyens du bord.
Les familles se sont réunies pour régler le différent entre Falco et Gallo
Le personnage de Crazy Joe est emblématique d’une époque singulière de révolte contre l’ensemble des institutions, que ce soit la mafia, la prison ou n’importe quoi d’autre. C’est un « en-dehors ». Minoritaire, il ne cherche pas à composer avec la mafia locale. En s‘alliant avec des gangs noirs, non seulement il se suicide, mais il conteste globalement un ordre branlant fondé sur le racisme. A la stigmatisation des italo-américains par les WASP, répond aussi le racisme envers les noirs. Mais Joe Gallo a aussi une personnalité. Certes il parait un peu ahuri, frustre, mais il a aussi des sentiments, personnes ne peut vivre sans sentiment. Il aime manifestement Anne, et il aime aussi son frère. Il est courageux, n’ésitant pas à risquer sa vie pour sauver des enfants dans un incendie. Le plus intéressant est sans doute dans l’analyse de ses motivations. C’est le cinéma. Dès le début on le voit qui s’identifie au personnage de Tom Udo dans Kiss of death. Or celui-ci est un vrai psychopathe, formidablement interprété par Richard Widmark, il ricane en jetant une pauvre vieille avec son fauteuil à roulette dans les escaliers. C’est le modèle de Joe, mais en réalité on comprend qu’il n’y arrive pas à la cheville. Il copie seulement, comme il va copier aussi Bogart. C’est intéressant parce qu’on sait que le film de Coppola, The godfather, sera décisif pour les hommes de la mafia qui s’efforceront de s’identifier à Don Corleone en copiant son comportement de grand seigneur, ses répliques ou ses manières de s’habiller. C’est comme si Lizzani dénonçait le cinéma de Coppola comme un fauteur de trouble dans la mesure où il justifie la mafia comme un idéal possible à atteindre. C’est le côté réactionnaire au sens propre du poliziottesco.
Crazy Joe a été balancé à la police et se fait arrêter
Cette manière de poser le problème explique aussi la manière de filmer de Lizzani, il met sa caméra à même la crasse de la rue. Les décors sont misérables, même l’intérieur baroque de Don Vittorio est grotesque. Il y a une vérité brute et sordide dans la planque de Crazy Joe, quand il se réfugie dans une partie pauvre de Little Italy. L’incendie sera filmé en montrant des gens très ordinaires, voire très pauvres qui s’amassent en dessous de l’immeuble qui a pris feu. Je suppose que Lizzani a pris des figurant dans le quartier. On peut dire que c’est la filiation d’avec le néoréalisme qui le guide. C’est d’ailleurs ce qui a fait le prix des poliziotteschi, cette capacité à plonger dans la vérité de la vie urbaine sans la magnifier. Et c’est certainement ça qu’à essayer d’atteindre Scorsese, en s’en inspirant, comme il a tenté de le faire aussi avec The departed. Mais dans sa volonté de faire artiste, Scorsese finit toujours par gommer les aspérités crasseuses de la vie urbaine[2]. Il ne parle jamais du poliziottesco comme d’une de ses sources d’inspiration alors que curieusement il s’épanche sur l’importance pour lui du néoréalisme à la Rosselini. Mais évidemment Crazy Joe n’est pas conforme à la réalité, certes celui-ci était connu pour imiter Richard Widmark, capable de débiter les longues tirades de Kiss of death, mais il n’est pas mort en compagnie d’un criminel noir qui l’aurait accompagné. Le restaurant où il a été abattu s’appelait Umberto Clam House. De même les rapports avec sa femme qui dans a réalité ne s’appelait pas Anne, mais Sina, ne sont pas conformes à ceux qu’ils ont été. Ce n’est donc pas un documentaire, mais une recréation à partir d’éléments plus ou moins connus, et c’est dans cette recréation utilisant les éléments de décor bien réels que le propos de Lizzani va surgir. L’absence de glamour du film souligne le propos qui est de condamner la voie mafieuse comme une voie sans issue et misérable. Bien entendu c’est une œuvre « matérialiste » dans la mesure où on comprend que Crazy Joe est aussi la victime de son environnement. Et donc ce qui est condamner, c’est son incapacité de ne pas agir pour s’en sortir autrement que par des postures. Il apparaîtra comme dérisoire quand il se justifie auprès de Anne pour ses ambitions : il veut être respecter de gens qui au fond ne respectent rien, même pas eux.
En prison Crazy Joe sympathise avec un gangster noir
Si De Niro avait un temps été envisagé, c’est finalement Peter Boyle dont c’est là un des rares premiers rôles qui va hériter du personnage de Crazy Joe. C’est un excellent acteur et son physique étrange et dérangeant apporte quelque chose de singulier au film. Il a cet aspect sournois et inflexible, charmeur et cruel qui convient très bien au personnage. On le retrouvera dans Taxi driver et ce n’est pas un hasard. On le verra dans le passage des années perdre peu à peu ses cheveux. A ses côtés on remarquera Eli Wallach dans le rôle de Don Vittorio. Il est excellent, il reprendra ce type de rôle dans le troisième volet de The godfather. Paula Prentiss est Anne, mais son rôle n’est pas très important. Fred Williamson qui joue le rôle de Willy Bates est une sorte de Jim Brown, ancien joueur de football, il a une carrure impressionnante, mais sa prestation n’a rien de remarquable. Il ne fera pas une carrière importante, bien qu’il ait tourné dans une quantité industrielle de films et de téléfilms. On retrouvera par contre d’autres habitués des films mafieux, comme Charles Cioffi dans le rôle du louche Coletti, ou encore Carmine Caridi qui jouera aussi dans la saga de The godfather.
Joe et Willy décident de s’attaquer aux rackets de Don Vittorio
Le film n’a pas très bien marché, même en Italie, en France il est sorti à la sauvette, mais il est très bon. Ce n’est peut-être pas le meilleur de Lizzani, cependant la rigueur de la mise en scène et le ton général du film le mettent un peu à part dans la longue liste des films sur la mafia, apportant à la mafia italo-américaine la vision bien moins naïve de l’Italien. Ce sera le seul film américain de Carlo Lizzani.
Ils pillent un riche bookmaker
Joe et Willy se font descendre dans le restaurant Vincenzo Clam House
Le véritable restaurant où Gallo a été assassiné
« La vengeance du siciilien, Torino nera, Carlo Lizzani, 1972Pardonnez nos offenses, Robert Hossein, 1956 »
Tags : Carl Lizzabi, poliziottesco, mafia, Peter Boyle
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