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Pardonnez nos offenses, Robert Hossein, 1956
Voilà un film des plus rares, il en existait une copie VHS dans le temps, mais il n’a jamais été numérisé. Donc on ne peut le voir aujourd’hui que dans des copies hélas de très médiocre qualité. Ce n’est évidemment pas la première fois que je parle de ce réalisateur. Les Américains qui découvrent qu’en Robert Hossein la France possédait un auteur de films noirs de première importance, lui ont rendu hommage récemment à San Francisco[1]. C’est plus que justice. Robert Hossein avait commencé sa carrière de réalisateur avec une adaptation très réussie des Salauds vont en enfer de Frédéric Dard. Ce fut un succès commercial. Hossein continua donc avec Pardonnez nos offenses. Le titre, emprunté au Notre père, rappelle d’ailleurs un autre titre du même calibre, Délivrez-nous du mal, roman de Frédéric Dard, adapté au cinéma sous le titre Le dos au mur par Edouard Molinaro[2]. Robert Hossein et Frédéric Dard, l’âge venu, se rapprocheront de la religion catholique. Ces deux titres sont cependant suffisamment ambigus pour habiller les formes du roman et du film noir. Ils ne réclament pas seulement le pardon, mais ils disent aussi qu’il est pratiquement impossible quand on est humain d’échapper à la faute. Le film mêle une forme d’histoire à la Roméo et Juliette, à une rivalité meurtrière entre bandes de délinquants. Les films sur les bandes de jeunes livrés à eux-mêmes sont nombreux dans les années cinquante. Contrairement à des commentaires hâtifs cette mode ne venait pas du tout des Etats-Unis. Elle reflétait cet abandon d’une partie de la jeunesse du fait de la guerre. Bien avant Les tricheurs de Carné, on trouve ce thème chez Hervé Bromberger, Les fruits sauvages[3] ou Nous sommes tous des assassins d’André Cayatte[4]. C’est dans ce courant là qu’Hossein va s’inscrire. Auteur complet, il écrira aussi le scénario avec l’aide de René Wheeler. C’est un film qui s’est fait en famille : son épouse d’alors, Marina Vlady est la tête d’affiche, deux de ses sœurs sont embauchées, Olga Varen comme assistante et Helène Vallier qui joue un petit rôle. Le père de Robert Hossein fera la musique comme pour tous ses films en tant que réalisateur. Les conditions de tournage sur le port de Rouen n’ont pas été faciles, notamment à cause du froid.
Dédée fuit sa maison où ses parents ne cessent de se disputer
Dédée habillée en garçon, casquette sur la tête fuit le domicile où ses parents passent leur temps à se taper dessus. Avec Jean-Lou qui est amoureux d’elle, ils rejoignent la bande de René qui traficote sur le port, de l’alcool et des cigarettes. Cette nuit ils vont recevoir un lot de caisses de whisky. Tout se passe bien, ils évitent la police. René paie les livreurs qui s’en vont. Mais quelques temps après, ceux-ci reviennent s’estimant volés. Une bagarre s’ensuit, et la bande va mettre les marins à raison et les assommer pour ensuite les renvoyer dans leur chaloupe. En fait c’est Salade, surnommé ainsi parce qu’il cherche les embrouilles, qui a volé l’argent des marins. Dédé récupère l’argent et va le donner à ceux qui ont livré l’alcool. La bande va cacher son butin dans une sorte de bunker. Mais le lendemain arrive une bande gitans en roulotte qui va justement s’installer sur le terrain où se trouve la cache de René. Celui-ci tente de les faire partir, mais les gitans sont têtus. Cependant le chef de bande, Vani, a le béguin pour Dédée. Les gitans découvrent la cachette de René et déguste le whisky ; Le soir ils se retrouvent tous au bar du père Rapine. Tout le monde danse et boit. Mais Salade et deux de ses compères entraînent Sassia au dehors pour la violer. Pendant ce temps Dédé a conclu un rendez-vous avec Vani pour le lendemain. Le jour d’après la bande à René va faire un gros coup avec des cigarettes. René a l’idée d’acheter un bateau pour faire le tour du monde. Mais l’homme qui vendait le bateau ne le veut plus. Entre temps les gitans ont découvert que Sassia avait été violée. Ils décident de se venger, et leur vengeance se porte sur Dédée qu’ils entraînent dans la cachette de René et à qui ils font subir les dernier outrages. Elle repart vers les siens. René lui évite de se précipiter sous un train. Ils apprennent ce qui s’est passé et comprennent que les gitans n’ont fait que rendre la monnaie de leur pièce à Salade. Ils décident donc de se réconcilier avec les gitans. René va chasser Salade de la bande. Dédée veut partir avec Vani. Tout semble se passer correctement les gitans s’en vont. Mais au moment où ils partent, Salade va abattre Dédée. La bande part à la recherche de Salade sur le port. C’est pourtant finalement la police qui va l’abattre, tandis que les gitans ramènent le corps sans vie de Dédée à René et sa bande.
La bande à René débarque des caisses de whisky
C’est un film qui a plutôt une mauvaise réputation. En effet il y a de trop gros déséquilibres dans le scénario. Il est hésitant dans la conduite du récit. Il aurait pu se centrer sur l’affrontement entre bandes rivales, à la manière de West Side Story par exemple, film auquel il fait sou vent penser, ou encore sur les amours contrariées de Dédé et Vani pour en faire le fil rouge. Mais il s’embarque dans une description des trafics de René et sa bande, décrivant les rêves de bateau de celui-ci comme ayant de l’importance pour la suite du récit. Passé cette évidence, il y a cependant beaucoup de choses intéressantes dans ce film. Passons sur la délinquance juvénile, sujet commun pour l’époque, et qui démontre que la France traite mal ses enfants, les laisse à l’abandon. Le film décrit une sorte de contre-société qui se forme à côté d’un ordre social plutôt bancal. Les gitans en sont le symbole, avec leurs coutumes et leurs lois d’un autre temps, mais aussi René, qui fait régner une loi cruelle et violente sur les autres membres de sa bande, s’imposant en fouettant les récalcitrants. Et là on trouve quelque chose qui sera commun aux films signés Robert Hossein, une forme sado-masochiste dans la description des relations humaines qui passent de l’amour à la haine, de la tendresse au sentiment. Salade se fait fouetter méchamment, mais il reste avec la bande, tout en continuant de la défier. Dédée s’en va avec les gitans qui l’ont violée. Les personnages sont toujours ambigus, René est prêt à affronter Vani, mais il ne le fait pas, sans doute parce qu’au fond il lui ressemble. Le port est le lieu de ces contradictions. A côté de la vie normale de celui-ci, il y a une autre forme de société qui vie sur les décombres et les déchets de la première. A un moment les douaniers qui tentent de pénétrer dans le hangar où sont cachés les produits du vol, vont parler de rats, c’est exactement de cela d’ont il s’agit. Les bandes de voyous furtives circulent comme des rats dans les sous-sols et les ombres de la société normale. C’est pourquoi le choix des décors naturels va être décisif. Le port est filmé du point de vue de la solitude qu’il suscite. Parmi les décombres et les espaces vides, ce sont des fantômes qui défilent. Le bistrot du père Rapine est seulement le lieu où se donne à voir des rencontres furieuses et bizarres. Mais on ne verra jamais la vraie vie besogneuse et concrète du port. C’est de cette atmosphère de solitude que Robert Hossein tire sa propre poésie, cet art particulier de saisir l’espace comme un lieu mort et dévasté, reflet des sentiments d’individus à la dérive. Il le faisait déjà dans Les salauds vont en enfer lorsque les évadés se réfugiés dans une cabane isolée près de la mer, à l’écart de la vie sociale[5]. Mais ce vide se retrouve tout aussi bien dans des décors urbains, comme dans Les scélérats, où la construction moderne des époux Rooland est comme perdue au milieu d’une banlieue hostile[6]
René veut faire partir les gitans qui campent au-dessus de sa planque
Les caractères sont très typés. Evidemment c’est celui de Dédée qui est dominant. Celle-ci est double, ambiguë. Elle est à la fois une jeune fille dure, qui porte une caquette et un pantalon, qui n’hésite pas à se battre, mais elle a aussi un cœur de midinette qui se laisse séduire par le premier gitan qui passe. Elle fuit sa famille, et veut rejoindre Vani qui représente sans doute un avenir plus lumineux et plus aventureux, moins étriqué sans doute. Aussi lorsqu’elle va à son rendez-vous avec le chef des gitans se change-t-elle, elle passe une robe et ôte sa casquette. Mal lui en prend puisque cette féminité revendiquée et affichée va la mener à sa perte. Mais c’est une femme forte, et dès qu’elle aura remis son pantalon et coiffé sa casquette, elle retrouvera son espérance et sa détermination, surmontant ses déboires ! Le personnage de René est plus compliqué. Même si c’est un chef de bande qui sait se montrer cruel, il est d’abord un rêveur qui regarde toute cette agitation de haut. Il est à peine dégoûte quand sa compagne qui manifestement veut le rendre jaloux le quitte pour des aventures d’un instant. Il s’est mis dans la position de celui qui comprend la vie et donc il devient le conciliateur, une sorte de juge de paix. Peu-être est-il amoureux en silence de Dédée ? On ne le saura pas. Il est opposé à Vani, et tous les deux représentent des civilisations différentes dont Dédée devient le point de rencontre. Mais cette rencontre tournera court, comme si les deux communautés ne pouvaient jamais finalement se comprendre, malgré leurs efforts. Vani est fasciné par Dédée et ce qu’elle représente, mais René est aussi très attiré par le mode de vie de gitans qui se veulent libres de toute contrainte. Au-delà d’un amour impossible, thème cher à Hossein, il y a deux mondes qui ne peuvent pas se rencontrer, qui ne peuvent probablement pas se comprendre malgré leurs sourires. Est-ce la raison de ces deux viols ? On note que cette idée de viol sera reprise et développée comme une punition indirecte dans un autre film de Robert Hossein, Une corde, un colt, en 1968. D’ailleurs il y a toujours chez Hossein une sorte de lutte à mort entre la femme et l’homme, lutte qui justifie finalement la passion. Dans Le vampire de Dusseldorf, ce n’est pas un viol, mais un meurtre que commet Peter Kurten sur la personne de celle qu’il aime plus que tout et qui pourtant se moque de lui éperdument. C’est une des explications sous-jacentes de la tendance criminelle de cet ouvrier en chômage qui ne supporte pas d’être l’éternel perdant.
Au bar les bandes rivales se retrouvent autour d’un verre
La réalisation est très inégale. Mais c’est la conséquence des errements scénaristiques. Il y a pourtant des scènes excellentes d’un point de vue cinématographique. D’abord dans l’utilisation des décors naturels – comme quoi on n’a pas attendu la Nouvelle Vague pour s’extraire des studios – il y a d’abord ces perspectives filmées à la lumière du jour à même les terrains vagues où Hossein tente de donner de l’espace. C’est quelque chose qui est très typique que son cinéma, faire ressortir le vide des espaces cloisonnés ou désolés. Ensuite il y a cette manière de filmer les voies de chemin de fer et particulièrement ce moment fort où on verra Dédée, hagarde, tenter de se jeter sous la locomotive qui arrive en face. Il y a une longue séquence dans le camp des gitans où ceux-ci se mettent à chanter et à danser autour d’un feu, célébrant leur propre liberté vis-à-vis de la société. En quelque sorte cette scène explique pourquoi Hossein s’entichera du film d’Alexander Petrovic, J’ai même rencontré des tziganes heureux qui sortira plus de dix ans plus tard[7]. Mais il n’évite pas cependant le cliché, les chevaux tirant les roulottes par exemple, mais aussi que les gitans sous une cruauté apparente sont aussi des cœurs tendres.
René rencontre aussi des trafiquants de cigarettes
Les scènes de fête dans le bistrot du père Rapine sont très bien rythmées et cadrées aussi, laissant la place à des moments de paroles furtives entre les trafiquants. Le clou étant sans doute la poursuite de Salade à travers le dépôt des chemins de fer. On ne peut pas aimer le film noir, si on n’aime pas les trains et les filmer ! Hossein tire un excellent parti des pièges nombreux que recèlent aussi bien les wagons que les structures métalliques. Salade tente de s’échapper par le haut. C’est peine perdue, il n’y a pas d’issue, et le ciel est noir comme de l’encre. Le tout début du film se passe dans les escaliers, ça fait penser aux escaliers de Crime et châtiment à la fois parce qu’il s’agit d’un piège, et parce qu’ils représentent le caractère sordide de l’âme humaine. Un des derniers plans est l’image de Dédée, renversée, les bras en croix, portée par ses amis qui avancent vers la caméra. C’est un effet saisissant, marquant cet abandon, cette défaite de la passion amoureuse au milieu de la nuit.
Les gitans ont enlevé Dédée pour la violer
Le film est organisé autour de Marina Vlady. Elle avait déjà un rôle de femme martyre à cause de sa beauté dans La sorcière d’André Michel, son film précédent qui fut un très grand succès, notamment en Russie et dans les pays de l’Est. Les villageois l’assassinaient pour ce qu’elle pouvait déjà représenter comme idée érotique. Elle sera encore une femme martyre dans l’adaptation très réussie de Crime et châtiment de Georges Lampin, l’année suivante, où elle joue la jeune prostituée Sonia – transformée ici pour les nécessités de la modernisation en Lili. Elle payait en quelque sorte son image de sainte, sa trop grande beauté, son apparente pureté. Elle n’avait même pas vingt ans, mais déjà une vingtaine de films derrière elle ! Cependant, le fait de l’avoir déguisée en garçon manqué n’était peut-être pas une très bonne idée, le public s’attendant à voir « sa » Marina Vlady, celle qui aura tant de succès dans le rôle de La princesse de Clèves. Sans doute c’est ainsi qu’Hossein qui l’avait épousée, la voyait et peut-être voulait-il ainsi renforcer ambiguïté de son rôle ? Mais elle a une belle présence comme toujours. A cette époque elle était devenue une grande vedette internationale, tournant en Italie notamment aux côtés de Marcello Mastroiani. A côté d’elle les deux acteurs masculins principaux font un peu pâle figure. Gianni Esposito est Vani le chef des gitans, mal rasé, ça va de soi. Et puis Pierre Vaneck tente d’introduire un peu de subtilité réveuse dans le rôle de René, chef de bande mélancolique. L’année précédente il s’était taillé un beau succès dans le film de Julien Duvivier, Marianne de ma jeunesse, et semblait se destinait à des rôles de jeune romantique. Sans doute est-ce pour échapper à cette image fade qu’il acceptera le rôle de l’antipathique Martignac dans La moucharde, film de Guy Lefranc bien trop méconnu selon moi. D’autres acteurs intéressants figurent au générique, Julien Carette dans le rôle du père Rapine qui dans d’une curieuse manière. Béatrice Altariba est Sassia la jeune gitane qui sera violée, elle retrouvera Hossein beaucoup plus tard dans Une corde, un colt. Plus intéressant sans doute est la prestation d’André Rouyer dans le rôle du fourbe Salade. Le petit Roger Coggio joue Jean Lou, l’amoureux désespéré de Dédée. On reconnaîtra Samy Frey dont c’était ici le premier film, il n’avait pas vingt ans. Robert Hosein lui-même tiendra un petit rôle sans être crédité, il n’est pas un jeune, mais juste un trafiquant de cigarettes. Roger Dumas s’était lui aussi habitué à jouer, à cette époque, un jeune en rupture de famille. Il est ici le fils d’un douanier qui choisit volontiers la délinquance. Il retrouve un rôle un peu semblable à celui qu’il avait dans Les fruits sauvages, ou dans Avant le déluge de Cayatte. Il y avait donc beaucoup de jeunes acteurs, une nouvelle génération, dont certains feront une belle carrière. Quelques habitués de la bande à Hossein sont là, notamment Mario David.
Dédée a été mortellement blessée
Si le film est loin d’être un chef d’œuvre, il n’est pas inintéressant et ne mérite pas l’ostracisme dont il bénéficie. On reconnait déjà cette volonté de stylisation de Robert Hossein qui va traverser tout son cinéma en tant que réalisateur, cette manière de se servir des décors réels pour aller au-delà du réalisme. C’est sans doute ce qui expliquera par la suite qu’il se tourne vers le théâtre. En tous les cas si le film ne fut pas un gros succès commercial, il trouva tout de même son public. Mais il se fit éreinté par la critique, sans doute que celle-ci n’aimait guère qu’on parle des déshérités. Malheureusement ce film n’est plus visible depuis longtemps, hormis quelque copie de mauvaise qualité sur Internet. C’est une version VHS. Le film mériterait une réédition de qualité car la photo est bonne, le cadre intéressant, et souvent il y a de bons mouvements de caméra. On a dit que c’était Hossein qui s’y était opposé, ce qui me laisse dubitatif. En tous les cas ce film a sa place dans l’histoire du film noir à la française dont on peut considérer Hossein comme un des piliers. Sur la quinzaine de films qu’il a réalisés et qui ont une remarquable homogénéité, seuls 3 ne sont pas des films noirs, J’ai tué Raspoutine, Une corde, un colt, et Les misérables.
René récupère le corps de Dédée
[1] https://www.youtube.com/watch?v=N7ATQzj0JGg&fbclid=IwAR0sS8KQsmdADB0dEXcvqTLt08f2FQyJ4NqcMTF6JsBBb_D8h0IHVVTANTk
[2] http://alexandreclement.eklablog.com/le-dos-au-mur-edouard-molinaro-1958-adapte-de-frederic-dard-a127810230
[4] http://alexandreclement.eklablog.com/nous-sommes-tous-des-assassins-andre-cayatte-1952-a114844516
[7] Il se disait à l’époque qu’Hossein en avait acheté les droits de distribution conjointelent avec Lelouch. http://alexandreclement.eklablog.com/j-ai-meme-rencontre-des-tziganes-heureux-skupljaci-perja-aleksandar-pe-a126826106
Tags : Robert Hossein, Marina Vlady, film noir, gitans
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Commentaires
C'est une bonne question en effet. "Le goût de la violence" peut-être aussi considéré comme un western qui préfigure même par son discours sur la révolution certains westerns spaghettis. mais la manière dont il est filmé peut être aussi considéré comme un film noir. je vais en parler dans quelques jours. "le goût de la violence" est en tous les cas un excellent film, je vais en parler dans les jours qui viennent.
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Bonjour,
"seuls 3 ne sont pas des films noirs, J’ai tué Raspoutine, Une corde, un colt, et Les misérables."
"Le goût de la violence" (que je n'ai pas vu) est-il à considérer comme un film noir ?