• La moucharde, Guy Lefranc, 1958

     La moucharde, Guy Lefranc, 1958

    Guy Lefranc n’est pas très connu des cinéphiles, on sait qu’il a tourné des films avec Fernand Raynaud, dont certains écrits par Frédéric Dard. Il est également l’auteur des deux premières adaptations de San-Antonio à l’écran. Cependant, il a fait quelques incursions dans le film noir qui ne sont pas inintéressantes et qui remettent une fois de plus l’idée saugrenue de Borde et Chaumeton selon laquelle il n’y aurait pas eu de films noirs en France[1]. Parmi celles-ci, il y a La moucharde, sans doute ce qu’il a fait de mieux. Le film est adapté d’un ouvrage de Christian Coffinet, La fille de proie, paru aux éditions du Scorpion en 1953. Coffinet était connu au début des années cinquante pour écrire des romans très noirs et sans morale aucune, avec des scènes de sexualité un peu torride. Chez lui est mis en scène très souvent un milieu jeune et marginal, désespéré et prêt à tout.  Il avait obtenu le prix des Deux Magots[2] en 1948 pour Autour de Chérubine, et donc une certaine renommée dans les années cinquante. Evidemment l’adaptation du roman sera très adoucie, mais elle gardera tout de même comme on va le voir un aspect très sulfureux.  

    La moucharde, Guy Lefranc, 1958

    La jeune Betty s’évade d’une maison de redressement où elle était enfermée normalement jusqu’à sa majorité. Pourchassé par la police, elle tombe par hasard sur le routier Maurice qui l’amène à Paris, et qui en cours de route tente de la violer. Mais elle a une bonne défense, et finalement c’est Maurice qui s’excuse. Arrivés à Paris, Maurice lui donnera de l’argent et lui avouera qu’il aimerait bien la revoir. Mais Betty va retrouver son amant de cœur le sinistre Frédéric, lâche et veule, faux journaliste à l’âme de barbiquet. Celui-ci lui pique le peu d’argent qu’elle a. Elle en a un peu assez et finalement se tourne vers Maurice qui lui propose de l’emmener sur la Côté d’Azur. Elle est d’accord. Bêtement Maurice lui confit ses économies, mais au dernier moment Betty part avec l’argent retrouver une fois de plus Frédéric. Ils claquent tous les deux le pécule de Maurice et se retrouvent à sec. Frédéric apprenant que le père de Betty en prison a planqué des bijoux, il va la pousser à les récupérer pour mener la belle vie. Pour cela il va falloir qu’il cambriole l’avocat de son père. Frédéric qui est bon à rien, va s’acoquiner avec un casseur, Jeannot. Ça marche, Fréderic récupère finalement une lettre dans laquelle le père de Betty dévoile la planque de ses bijoux. Ils partent donc les récupérer. Mais entre temps l’histoire du cambriolage est arrivée aux oreilles du père de Betty, et celui-ci charge Parola de s’occuper de sa fille. Parola va arriver avec un peu de retard sur les lieux. Mais il va bientôt retrouver Betty qui dépense de l’argent sans compter et comprend qu’elle a récupérer les bijoux. Betty s’enfonce d’autant plus que, travaillant pour la police, elle a balancé Jeannot. Frédéric commence à comprendre qu’ils vont finir par trinquer, aussi va-t-il lui aussi voir la police : son but est simple rendre une partie des bijoux à Parola pour que celui-ci se fasse alpaguer par les condés et porte le chapeau. Ce plan scabreux va échouer lamentablement, en effet il a donné rendez-vous à Parola dans un bistrot de banlieue, afin que la police puisse coincer Parola avec les bijoux, or celui-ci est prévenu de l’arrivée des policiers et donc arrive à s’enfuir. Effrayé Frédéric veut prendre la fuite, Betty après une hésitation décide de l’accompagner. Au moment de partir en voiture, ils tombent malheureusement sur Jeannot qui blesse mortellement Frédéric. La police a pris en chasse le couple maudit, mais la poursuite ne durera pas très longtemps. Frédéric va mourir dans les bras de Betty.

     La moucharde, Guy Lefranc, 1958

    Betty s’est évadée de la maison de redressement 

    Même si l’histoire initiale est plus violente, le père de Betty – Bettina dans le roman – a été condamné à mort pour fait de collaboration, il avait travaillé avec la Gestapo, la trame reste très noire. Le fait de situer l’action en 1958 évidemment dédramatise quelque peu l’intrigue. Mais il reste que si Betty a moins d’excuse dans le film que dans le roman, elle st la première victime d’une hérédité chargée. Elle est un simple maillon d’une longue chaîne de personnages veules et lâches, menteurs et corrompus. Au départ on pense que le drame va se nouer sur la difficulté pour elle de choisir entre un pourri comme Frédéric et un homme finalement honnête, bien qu’il ait voulu la violer. Et puis non, elle choisit la mauvaise voie, presque sciemment, parce qu’elle veut une vie de luxe et s’y vautrer en profitant de son gigolo. Si elle ne fait pas tout à fait la pute, il est clair qu’elle en a la mentalité. Elle se moque bien d’avoir volé l’honnête Maurice qui bêtement travaille, lui. Frédéric a tous les défauts qu’on peut imaginer, il est lâche et menteur, délateur quand ça l’arrange, il profite de Betty qu’il lâchera dès le premier revers de fortune venu. Il est encore plus égoïste qu’elle qui a au moins une certaine forme de générosité envers lui. Mais que penser des policiers ? Eux aussi ne sont pas très nets, ils exercent un chantage éhonté sur Betty pour qu’elle les aide à coincer des truands. Les pseudos journalistes qui fabriquent Paris secrets, sont tout autant reluisants. Seul se distingue un peu le photographe à qui il semble rester un petit peu de dignité, ou encore la sœur de Betty qui lui vient en aide et qui lui donne encore de l’argent, car Betty et Frédéric vivent de l’argent qu’ils extorquent ici et là sans trop se poser des questions sur ce qu’il pourra bien leur arriver. Quand Parola va rentrer en scène les deux amants maudits vont vraiment prendre peur, sans pour autant renoncer à leurs combines tordues. 

    La moucharde, Guy Lefranc, 1958 

    Betty projette de partir avec Maurice 

    C’est donc bien un film noir, sans moralisme, car il va de soi que la morale, comme la dignité et la loyauté sont des valeurs que ne peuvent même pas comprendre Frédéric et Betty. C’est donc une histoire âpre et noire, solidement charpentée. Mais est-ce que cela fait-il un bon film ? La réponse est oui. Certes ce n’est pas un film à gros budget, mais la mise en scène est soignée. Le film s’ouvre sur la fuite de Betty dans les rues d’une petite ville de province, avec de longs travellings dans les rues étroites et vieillottes. Cela permet de mettre en perspective par la suite les lumières de la grande ville lorsque Maurice et Betty arrivent à Paris. Il y a de très bonnes scènes, notamment celles où on croise Mario dans les escaliers du journal Paris secrets. Il ne faut pas oublier que Guy Lefranc fut l’assistant de Marcel Carné, et il lui en ait resté quelque chose dans cette manière de filmer les clairs obscurs dans des décors quotidiens. On appréciera particulièrement la scène où Frédéric attend puis rencontre Parola dans un bistrot de banlieue.

     La moucharde, Guy Lefranc, 1958 

    Mario rappelle Betty a ses devoirs de moucharde 

    L’interprétation c’est d’abord Dany Carrel ici encore très jeune. Elle a beaucoup donné au film noir à la française et souvent a sauvé par sa présence des petits films de l’oubli. Je suis de ceux qui pensent qu’elle aurait dû faire une plus grande carrière, non pas que la sienne soit médiocre, loin de là, mais elle avait un talent et une plasticité dans son jeu tellement étonnants qu’elle aurait due être mieux récompensée. Elle passe facilement de l’entêtement à la mélancolie, manifeste facilement des joies simples. Elle était faite pour le film noir, d’autant qu’elle montrait volontiers ses petits seins ! Sa gouaille, son ironie mordante, en opposition à un physique assez frêle, m’ont toujours fait penser à la grande Albertine Sarrazin dont elle aurait pu incarner les héroïnes à l’écran. Elle trouve ici un très grand rôle. Pierre Vaneck est impeccable dans le rôle du pâle et dégoutant Frédéric. Il a incarné des tas de fois ce genre de personnage. Et puis il y a le toujours excellent Yves Deniaud, ici dans le rôle du redoutable Parola. On retrouve aussi Paul Crauchet encore jeune, il avait des cheveux à cette époque. Acteur qui tient toujours son rang de partout où il passe. Ici il est le photographe désabusé de Paris secrets. Si Serge Sauvion dans le rôle de Maurice est un peu pâle, on retrouve encore le toujours très solide Noël Roquevert dans le rôle de l’avocat Perceval : c’est un vétéran du cinéma français qui avait commencé sa carrière dans les années vingt et qui a dû tourner au moins deux cents films. Fils de comédiens, il a passé sa vie à jouer, quand il ne tournait pas, on le retrouvait au théâtre. Ajoutons Fernand Sardou dans le rôle de Mario, et nous aurons une excellente idée de l’ensemble. Guy Lefranc le filme dans les escaliers en contre plongée pour faire peser un peu plus la menace latente qu’il exerce sur Betty. 

    La moucharde, Guy Lefranc, 1958 

    Frédéric avec l’aide de Jeannot cambriole l’office de l’avocat

    C’est donc une excellente surprise que la ressortie de ce vieux film noir en DVD. La musique qui l’accompagne est très jazzy, sans doute comme référence à cette jeunesse un peu perdue de Saint-Germain des Prés. Le rythme est bon, très soutenu, il y a un équilibre très intense entre les parties. Bien entendu on y trouvera aussi facilement quelques menus défauts. Par exemple la partie où Betty devient officiellement indicatrice de police n’est pas très explicite puisqu’elle ne trahira finalement que le pauvre Jeannot, plus pour se protéger elle-même que pour rendre service à la police. Mais par son amoralisme c’est un film très audacieux pour son époque, moins par ce qu’il montre, que par ce qu’il suggère.

     La moucharde, Guy Lefranc, 1958 

    Pour éviter de rendre les bijoux volés, Frédéric va tenter de faire porter le chapeau à Parola

     La moucharde, Guy Lefranc, 1958 

    Dans un bistrot de banlieue, Parola se méfie de Frédéric



    [1] Panorama du film noir américain, Editions de minuit, 1955.

    [2] Parmi les glorieux lauréats du Prix des Deux Magots, on trouve Raymond Queneau ou Albert Simonin. Ce prix avait été créé en 1933 contre les dérives académiques du Prix Goncourt. Il existe toujours, mais ne couronne plus depuis longtemps que des œuvres assez ronronnante.

    « The old man and the gun, David Lowery, 2018 L’ange noir, Black angel, Roy William Neill, 1946 »
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  • Commentaires

    1
    Guy Bellinger
    Jeudi 29 Août 2019 à 11:22

    Bravo de remettre Guy Lefranc à sa juste place. Il a eu une deuxième partie de carrière navrante mais cela ne devrait pas occulter ses qualités d'auteur de film noir. "Chantage" en est un autre exemple. Mon ami Daniel Collin en a une copie et n'a de cesse de passer ce film à ses connaissances pour la faire découvrir.

    2
    Jeudi 29 Août 2019 à 12:41

    Merci pour ce commentaire. Je ne connais pas Chantage, il semble introuvable. Pouvez vous me le procurer ? En tous les cas j'ai été très surpris par la Moucharde, mais dans un sens très positif. Je m'obstine à dire depuis des années qu'il a existé un film noir à la française de valeur, mais qu'on l'a occulté

    3
    Jeudi 29 Août 2019 à 15:39

    Merci pour l'adresse mail de votre ami. En ce moment je suis en train de regarder les films e Bromberger. J'en parlerai bientôt sur mon blog.

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    4
    Luc
    Jeudi 4 Juin 2020 à 17:29

    À tout hasard, si Guy Bellinger suit ce fil, je suis aussi intéressé par "Chantage" de Guy Lefranc. Merci.

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