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    1. La vie tumultueuse de Jacob

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    Alexandre Marius Jacob a réellement existé, et c’est peut-être là le plus étonnant. Et pour tout dire, c’est mon héros préféré. J’avais envisagé d’écrire moi aussi un roman sur ce personnage hors du commun. C’est dire si j’étais content de la parution de l’ouvrage de Del Pappas. Et cela d’autant plus que je pense que dans le cheminement des idées contestataires de l’ordre régnant, il y a un grand besoin de les diffuser par l’intermédiaire des mythes, des héros et des légendes, au-delà des formes théoriques rébarbatives.

    Théoricien de l’illégalisme, marseillais, et le revendiquant haut et fort, Jacob a vécu une vie d’aventures des plus stupéfiantes. C’est un héros méconnu de la lutte des classes. Engagé très jeune dans la marine, il parcouru les mers. Anarchiste, il avait mis sur pieds une bande de cambrioleurs, Les travailleurs de la nuit. Il se situait dans la mouvance de la reprise individuelle, une partie de son butin lui servant à alimenter la cause de la révolution. Il cambriola aussi Pierre Loti, mais se rendant compte qu’il s’agissait d’un écrivain qu’il avait apprécié, il lui laissa un mot d’excuse et quelques francs pour réparer la fenêtre qu’il avait brisée. Sans en avoir de preuve formelle on a supposé qu’il avait inspiré Maurice Leblanc pour la création d’Arsène Lupin. La première partie de sa vie ressemble un peu au parcours du Voleur de Georges Darien.

    Mais malheureusement, Jacob fut arrêté et condamné à de longues années de bagne. Il en revint vivant, malgré les maladies, les haines, les privations, sa révolte guère entamée. Il fit de nombreuses tentatives d’évasion à la manière de Papillon. Ce qui ajouta encore à sa légende. Il fut finalement libéré et revint en France où il renoua les liens avec les anarchistes. Il participa à la Guerre d’Espagne où il aurait livré des armes. Puis il finit par devenir gagner sa vie sur les marchés de province en vendant des vêtements, des tissus, utilisant à partir de ce moment-là le prénom de Marius. Mais son aventure ne s’arrête pas là, puisque sur la fin de sa vie, ayant passé les soixante-dix ans, il tomba amoureux d’une très jeune institutrice qui avait cinquante ans de moins que lui. Sentant les forces le quitter, il se suicida pour fuir le long naufrage de la vieillesse.

    Jacob avait de nombreuses qualités, intelligent, déterminé, peu enclin à se plier aux règles établies, il résista à toutes les formes de pression. Ayant passé près d’un quart de siècle au bagne dans des conditions très difficiles, il fit preuve d’une belle santé physique aussi bien que morale. Il sut allier le courage à la réflexion. Il laissa de nombreux écrits, une correspondance abondante. Ces écrits montrent que les épreuves qu’il avait traversées n’avaient pas entamé ses capacités de réflexions. Esprit fin et acéré, il sut mettre les rieurs de son côté notamment lors du procès d’Amiens en 1905. A cette époque il devint un acteur très médiatique de la scène judiciaire. La foule se pressait à son procès, les journalistes répercutait ses bons mots. C’était une sorte de Mesrine avant l’heure, mais avec une vision bien plus développée et bien plus critique de ce qu’était la société. Il était tout à fait conscient de cela, il appréciait le fait qu’une partie du peuple saluait son courage et sa détermination dans sa volonté de nuire aux bourgeois.

     

    2. Jacob imaginé par Del Pappas

     

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    A partir de ce personnage hors norme, Gilles Del Pappas a écrit une fiction, c’est le premier ouvrage d’une nouvelle maison d’édition, Au-delà du raisonnable qui publie aussi ces jours-ci un nouveau roman de François Thomazeau. Ce n’est pas un roman qui suivrait la trame de la vie de Jacob. Loin d’une approche réaliste, Del Pappas a essayé au contraire d’imaginer ce qu’aurait pu être sa vie dans les interstices de ce que nous connaissons de sa trajectoire. Del Pappas invente des rencontres, avec Gauguin, Louise Michel, Georges Méliès et bien d’autres encore, ce qui donne une curieuse dimension moderne à la vie de Marius Jacob puisqu’il l’associe à la naissance du cinéma et aux débuts de l’automobile !

    L’ouvrage est documenté, mais sans excès, reconstituant le quotidien des classes inférieures au début de ce siècle, mais aussi le basculement de celui-ci dans la modernité. Del Pappas attribue à Jacob qu’il préfère appeler Marius plutôt qu’Alexandre (Marius est le prénom qu’il adopta après s’être reconverti en marchand forain), un parler marseillais pittoresque. Surtout Jacob devient un héros bondissant, toujours partant pour secourir les malheureux et s’opposer aux entreprises malsaines des capitalistes avides de profits. On peut voir d’ailleurs au passage le déloyal Edison égratigné copieusement.

    Attila et la magie blanche relate plutôt les aventures imaginaires de Jacob, et celles-ci sont rendues crédibles par les références à sa vie réelle, et encadrées par la préparation et la mise en œuvre de son suicide. Pourtant Del Pappas parle très peu des cambriolages de Jacob, et de même il ne dit rien, volontairement, de son expérience du bagne.

    Evidemment ceux qui connaissent bien la vie de Jacob, ou même Marseille contesteront cette approche. Par exemple, Del Pappas le fait naître dans le quartier du Panier, presqu’exclusivement peuplé d’Italiens immigrés. Or Jacob est né dans le quartier de la Plaine qui était un quartier très populaire, mais pas parmi les plus pauvres : entre la Plaine et le Panier, il y avait autant de distance culturelle qu’aujourd’hui par exemple entre Aix et Marseille.

    Del Pappas a prévenu qu’il se situait en dehors de la réalité,  du côté du rêve. Il est donc impossible de le critiquer sur ce point et de lui dénier le droit d’avoir imaginé un voyage en ballon digne de Jules Vernes : c’est son droit absolu de romancier. Je retiens le vibrant hommage qu’il a rendu à cet anarchiste lucide, amoureux de la liberté envers et contre tout, d’une honnêteté scrupuleuse. Mélanger la vie de Jacob avec la naissance du cinéma est la grande originalité du livre. Et on appréciera la description minutieuse de ce petit milieu où se rencontrent artistes et ingénieurs, capitalistes (déjà !) et bandits de grands chemins.

    Del Pappas a également transformé le personnage de Rose qui fut longtemps la compagne de Jacob. Dans la réalité Rose était une ancienne prostituée marseillaise, de quinze ans son aînée qui participa aux activités délictueuses de son compagnon et qui mourut en prison suite à sa condamnation comme membre des Travailleurs de la nuit. Del Pappas en fait une jeune paysanne qui s’enfuit de sa famille par goût de la liberté et qui va, avant de connaître Jacob, vivre une vie de bohème au milieu des artistes de Montparnasse. Il la fera mourir avant la fin du voyage en ballon. Cette transformation romanesque masque une réalité beaucoup plus sulfureuse. Jacob vivait bien à l’intersection du monde de la pègre et de celui de l’anarchisme politique. Ce qui veut dire que Jacob n’était pas un saint, qu’il savait s’imposer aussi auprès des truands marseillais qui ne faisaient pas dans la dentelle à cette époque. Jacob usait aussi de la violence. Et même s’il déconseillait l’usage de celle-ci dans ses activités de cambrioleur, il est probable qu’il a éliminé physiquement quelques-uns de ses ennemis, notamment ceux qui l’avaient dénoncé à la police, ou encore pour régler quelques conflits lors de ses années de bagne. Bref Del Pappas tire Jacob plutôt du côté des aventures d’Arsène Lupin que de la chronique sociale forcément moins drôle à narrer. Il faut dire qu’il est difficile de se centrer sur celle-ci sans sombrer dans le naturalisme.

    Ayant refermé le livre, agréable à lire, je  me suis fait la réflexion suivante : la vie réelle d’Alexandre Jacob n’est-elle pas plus fabuleuse que la vie imaginaire que lui a construite Del Pappas ?  Je reste persuadé qu’en s’inspirant des faits réels, on peut écrire un roman des plus étonnant. Par exemple, Jacob, cambriolant une maison de bourgeois, croyant celle-ci vide, y trouve une femme qui se jette littéralement sur lui et le viole ! Après elle lui conseilla d’emporter tout ce qu’il voudrait. Mais son complice, revenant le lendemain n’eut pas la même chance si on peut dire, il dût s’enfuir en courant pour échapper aux gendarmes ! L’anecdote est racontée par Jacob lui-même que personne n’a jamais surpris en train de mentir, sauf aux juges et aux policiers ! Et encore, pas toujours !

     

    (à suivre)

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  • *Mon père disait que je mourrais un jour sur l'échafaud. Maman protestait pour la forme
    -"Ne voyons pas tout en noir, il sera peut-être gracié."
    Fernand Trignol 

     

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     Vaisselle de fouille  est un roman policier paru en 1955 aux éditions de Seine. C’est dire si le bouquin manque de finition, les coquilles et les fautes sont nombreuses. C’est un roman dans la lignée d’Albert Simonin, paru deux ans après l’immense succès de Touchez pas au grisbi. Mais contrairement à ce qu’on pourrait croire, Fernand Trignol n’a pas copié Simonin, il s’était déjà exercé en 1946 à la rédaction des mémoires d’un truand dans Pantruche, publié aux éditions Fournier, avec une préface de Jean Gabin et une couverture de Dubout, s’il vous plait ! L’ouvrage se terminait d’ailleurs par une sorte de petit dictionnaire de l’argot, technique qui sera reprise dans les ouvrages de Simonin. Trignol est même cité par Louis Ferdinand Céline dans un article de 1957 publié par la revue Arts. Céline qui dit l’avoir connu en 1939, critique son usage de l’argot, disant que sa langue n’est guère authentique. Mais malgré cela, on ne sait pas grand-chose de lui, quelques sources plus ou moins fiables nous signale qu’il serait né en 1896.

     

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    Fernand Trignol qui fit aussi une petite carrière au cinéma, en tant qu’acteur, petit second rôle, il joue dans Casque d’or, mais aussi en tant que scénariste, il est l’auteur de Fric-Frac, mais on retrouve son nom lié à plusieurs films de Fernandel.

    En tant qu’écrivain de polars, il s’inscrit donc dans la longue cohorte des auteurs de romans policiers qui dans les années 50 et 60 ont usé de la langue verte avec plus ou moins de bonheur : Albert Simonin, Auguste Lebreton, Michel Audiard, André Héléna, Pierre Lesou, Jo Barnais (alias Georgius), ou encore Frédéric Dard sous le nom de San-Antonio et de Kaput. A cette liste forcément incomplète on peut ajouter Alphonse Boudard, sûrement le plus grand d’entre eux, Maurice Raphaël sous le nom d’Ange Bastiani, et pour certains textes même Léo Malet ou encore Peter Randa. Tous ces auteurs participent dans l’usage de formes argotiques d’une sorte de constat : Paris, le Paris populaire et voyou, s’efface à grande vitesse de la mémoire des hommes. La nostalgie affleure, la modernité lamine et détruit des formes de relations humaines uniques en leur genre, même si elles accompagnent la truanderie.

     

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    Les ouvrages de Fernand Trignol sont très difficile à trouver mais ils ne sont pas très nombreux. Vaisselle de fouille conte l’histoire d’un demi-sel, Paul, dit Paulo, qui s’acoquine avec Jo le Maigre et la Faiblesse. Ils sont cornaqués par le Frisé qui les incite à aller racketter une boîte de nuit tenue par Mathieu le Corse et Gregor le Grec. Paulo est un velléitaire, il a une gagneuse sur le ruban, Jacqueline, de la fraiche devant lui pour voir venir, mais il est faible et se laisse entraîner par Jo le Maigre, un violent. Dans cette curieuse combine, plutôt mal montée, ils s’adjoindront l’aide de la Faiblesse, un tuberculeux qui prend un grand plaisir à torturer ses ennemis. Tout va rapidement de travers, tout le monde trahit tout le monde, et nos truands à la gomme finiront leur parcours en taule en attendant mieux. Outre que cette histoire est écrite avec beaucoup de formules argotiques, elle a la volonté de prendre le contrepied d’une vision légendaire du milieu où le respect de la parole donnée et le courage sont des qualité emblématiques. Rien de tel ici, et le vieux Marc, celui qui ramasse la mise et qui se trouve en haut de la hiérarchie truandière, bouffe à tous les râteliers, s’enrichissant  en vendant ses confrères à la police. Mais à la lecture de l’histoire il est difficile de prendre notre héros, celui qui raconte à la première personne, en sympathie. Lui-même avoue que lorsque sa régulière se fait dessouder, il ne la pleure pas tant que ça. Bref ces truands ne valent pas très cher, ils cherchent toujours à prendre du pognon mais pour quoi en faire ? Essentiellement pour le perdre aux courtines !!

     

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    On retrouve ici les obsessions de Simonin, la bouffe, la picole, la putasserie des haut-lieux de la truanderie. Il y manque peut-être un peu de muscle pour obtenir un meilleur ancrage dans la réalité du Paris des années cinquante. Mais l’ensemble se lit assez bien. On rejoindra pourtant Céline sur l’idée que la langue verte de Trignol est un peu fabriquée, moins inventive que celle de Boudard, moins précise que celle d’Auguste Lebreton, c’est déjà une langue qui ne se parlait plus depuis au moins l’entre-deux guerres !

    Cet ouvrage a été ensuite republié en 1959 sous le titre de Chante et tais toi aux éditions du Champ de Mars. Le texte a très peu changé, seulement amélioré du point de vue de l’orthographe et de nombreuses coquilles ont disparu, des notes de bas de page traduisent certaines expressions argotiques. On y a donc gagné au change puisque cette réédition sous un titre nouveau est ornée d’une jolie blonde ! On apprend aussi grâce à la quatrième de couverture que Trignol serait décédé, donc en 1959 ou en 1958.

    Mais on n’a pas fini de tout voir ! Cet ouvrage a été réédité ensuite sous le nom de Budy Wesson qui était aussi un pseudonyme utilisé par André Héléna. Ce qui ne veut pas dire qu’Héléna était le propriétaire de ce pseudonyme et qu’il s’est approprié les droits de Trignol. Il est plus probable qu’il s’agisse d’une magouille de l’éditeur pour gagner de l’argent alors même que Trignol était décédé. Il s’agit de Ne compte pas sur le sursis, publié en 1962 aux Editions du Champ de Mars.

    Une quatrième édition du même texte est proposée toujours par les éditions Baudelaire dans la collection Détective Pocket, mais cette fois, le nom de l’auteur ne figure même pas. Il est probable que ni Trignol, ni Héléna, ni même les héritiers de Trignol n’ait vu un seul centime de ces diverses rééditions.

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    Bibliographie

     

    L. F. Céline, « Propos sur Fernand Trignol et l'argot », Arts, n°605, 6-12 février 1957.

    André Héléna, Les flics ont toujours raison, 10/18, avec une postface de Frank Evrard,

    Fernand Trignol,  Pantruche ou les mémoires d’un truand, Editions Fournier, 1946.

    Fernand Trignol,  Vaisselle de Fouille, Editions de Seine, 1955.

    Fernand Trignol,  Chante et tais-toi, Editions du Champ de Mars, 1959.

    Fernand Trignol, Satan est là, Editions Baudelaire, 1963.

    Budy Wesson, Ne compte pas sur le sursis, Editions du Champ de Mars, 1962.

     

    P.S. : Ceux qui peuvent me donner d’autres informations sur Trignol sont les bienvenus.

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  • Cédric Pérolini raconte Léo Malet

    Léo Malet, mauvais sujet, paru ces jours-ci chez L’atinoir est un ouvrage précieux à plus d’un titre. C’est d’abord une excellente introduction à Léo Malet écrivain multiforme. A la fois poète surréaliste, auteur de romans policiers de grande qualité, mais encore romancier professionnel œuvrant dans le cadre de la littérature populaire. Pérolini est un des rares auteurs à donner toute l’importance de Léo Malet au sein du mouvement surréaliste. Il le désigne comme un membre de premier plan.

    Mais l’ouvrage de Pérolini a aussi l’immense avantage d’analyser le parcours de Léo Malet en regard de sa propre évolution politique : Léo Malet est passé en quelques décennies de l’anarchisme individualiste et révolutionnaire à l’extrême droite raciste, après avoir fait un bref détour par le gaullisme. On y apprend ainsi que l’évolution de Malet vers l’extrême droite est bien plus précoce qu’on ne le croit, et donc que son racisme ne saurait être excusé par de simples aigreurs d’estomac liées à la vieillesse. Les sources de l’œuvre de Léo Malet se trouvent dans la vie-même de celui-ci.

    Ces aberrations politiques n’enlèvent pourtant rien au talent de Léo Malet mais le font paraître encore un peu plus comme marginal et décalé dans le paysage littéraire. En avance ou en retard, Malet n’est jamais à l’heure. On peut du reste se demander si ce ne sont pas justement ces errements qui ont fini par stériliser l’écriture de Malet.

    C’est un auteur à éclipse. Il eut un temps du succès. 120 rue de la gare se vendit très bien et fut même adapté au cinéma. Et puis il fut oublié dans les années soixante. Il a fallu mai 68 et la revalorisation consécutive de la littérature populaire pour qu’on redécouvre Malet. A ce moment-là, c’était le côté anarchiste de Nestor Burma et de Léo Malet qui était perçu comme important, comme une source de poésie du roman noir. Mais Malet était déjà ailleurs, occupé qu’il était à remâcher ses échecs

     

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    Léo Malet vue par Robert Doisneau

     

    Curieusement, Léo Malet est redécouvert en permanence. Parfois c’est avec les œuvres complètes publiées en collection Bouquins chez Robert Laffont par Francis Lacassin, parfois c’est la série télévisée dans laquelle Burma est incarné par Guy Marchand, ou encore c’est au détour de la mise en images par Jacques Tardi. A chaque fois il faut recommencer à expliquer l’importance de Malet, aussi bien en ce qui concerne l’émergence du roman noir à la française qu’en ce qui concerne la poésie ou le roman policier. L’œuvre de Malet nous oblige à prendre la littérature noire au sérieux.

    Le charme des aventures de Burma est bien dans le fait qu’elles se passent dans un Paris qui n’existe plus, un Paris qui déjà s’effaçait lorsque Léo Malet les écrivaient. Pérolini rapproche Malet d’Aragon, l’Aragon du Paysan de Paris ou de Breton des Pas perdus et de Nadja dans la dimension spatiale et romancée de la ville lumière. Mais ce ne sont pas les seuls rapprochements qu’on peut faire. On trouve aussi cette approche mélancolique de la ville qui disparaît aussi bien chez Patrick Modiano que chez Guy Debord.

    Par bien des aspects, l’œuvre de Malet s’inscrit avec quelques années d’avance dans cette forme de littérature populaire faite par le peuple, pour le peuple, qui va s’éloigner du roman à thèse, façon Poulaille ou Dabit, vers la littérature d’évasion. Que ce soit dans l’usage de la langue verte, ou dans la structure même des romans policiers, Malet ouvre la voie à des auteurs qui auront beaucoup plus de succès que lui, comme Frédéric Dard ou Albert Simonin.

    La parenté avec le premier est assez évidente. Non seulement tous les deux se sont exercé à l’utilisation de nombreux pseudonymes dans des genres très différents, le roman d’aventure, le roman noir, le roman de cape et d’épée, mais ils ont exploré des thèmes très similaires. Par exemple, la Trilogie noire de Malet renvoie assez bien aux quatre ouvrages de Frédéric Dard consacrés aux aventures de Kaput. Malet détestait Frédéric Dard sans qu’on sache très bien pourquoi, mais ce dernier rendit un vibrant hommage au père de Nestor Burma lors de sa disparition.

    Il y a d’autres auteurs qui se sont inscrits dans le courant noir de Léo Malet, celui justement de la Trilogie noire. Je pense ici à certains ouvrages d’André Héléna qui était lui aussi originaire du Languedoc et qui était tombé amoureux de Paname. Pérolini revient bien sûr sur les descendants de Léo Malet, Simsolo ou Pécherot qui se sont plutôt inscrits dans le « revival » que dans une véritable continuité, ce qui les n’empêche pas d’en avoir tiré des romans excellents.

    Il existait déjà des ouvrages intéressants sur Léo Malet, mais seul Pérolini s’est risqué à une telle synthèse. Extrait de sa thèse de doctorat, l’ouvrage se lit avec un grand plaisir et donne envie de relire Léo Malet.

     

    Bibliographie

     

    Francis Lacassin, Sous le masque de Léo Malet, encrages,1993.

    Léo Malet, Journal secret, Fleuve noir, 1998.

    Léo Malet, Œuvres complètes, Bouquins, Robert Laffont, 1986-1990, sous la direction de Francis Lacassin.

    Léo Malet, La vache enragée, Julliard, 1990.

    Cédric Pérolini, Léo Malet mauvais sujet, Nestor Burma passe aux aveux, L’atinoir, 2010.

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    C’est le premier roman d’Ellroy. Très différent de ce qui suivra, il s’inscrit dans la lignée des romans californiens de détective, de Chandler à Ross Mac Donald. Bien avant d’être inspiré de Wambaugh, c’est là qu’on trouve la première source de l’œuvre d’Ellroy.

    Brown est un ancien flic qui s’est fait viré de la police pour son incompétence. Il végète en récupérant des voitures que les clients ne paient pas. Presque par hasard, il va tomber sur une affaire bizarre : engagé par un caddie à moitié fou, raciste et combinard, il va se trouver inexorablement attiré par la sœur de celui qui l’a engagé. Jane est violoncelliste et vie avec un vieil homme, un Juif, avec qui apparemment elle n’a pas de relations sexuelles.

    Tout le reste déroule tranquillement, dans la tradition du roman de détective. Fritz Brown a un passé d’alcoolique, et au fil des pages nous raconte sa vie. Car l’histoire est écrite à la première personne, ce qui va assez bien avec la forme confession de l’œuvre, mais aussi avec le déroulement linéaire de l’affaire.

    Curieusement le ton du récit emprunte une forme compassionnelle qu’Ellroy va oublier ensuite. C’est presqu’un roman de gauche dans la mesure où il n’y a que des victimes et ou le misérable caddie, raciste et criminel est lui aussi une victime. De même Brown déteste la télévision et procède à la destruction du poste qu’utilise son ami.

    Manifestement Ellroy se cherche, et il n’a pas encore trouvé la manière de se faire remarquer. La référence à Ross Mac Donald est assez évidente. Dans le style comme dans le fond. L’histoire du trafic des allocations sociales s’apparente assez au trafic de main d’œuvre qu’on trouve dans The Moving Target. Le détective est, comme Archer (au cinéma Harper) un ancien policier plutôt déçu du fonctionnement des institutions, et désabusé par ses contemporains.

    Il y a également, ce qui est plus étonnant, compte tenu de l’image de conservateur dont aime à se parer Ellroy, de longs passages plutôt bienveillants sur les hippies, la contre-culture. Cette vision compatissante des utopies finissantes en Californie le rapproche encore plus de Ross Mac Donald.

    Dans ce premier roman qui est déjà bien épais, rien n’annonce le style débridé, plus ou moins réaliste qui fera ensuite son succès en mêlant des personnages de fiction à des personnages bien réels. De même l’écriture à la première personne lui donne une approche subjective qu’il abandonnera par la suite. On note cependant déjà un penchant pour le style gore dans la description des meurtres et un cynisme curieux qui caractérise Brown et sa démarche opportuniste.

    Le style est assez aléatoire, l’intrigue embrouillée, surchargée de notations sur la musique ou sur le passé des protagonistes, ce qui nuit grandement à sa lisibilité. Il aborde des thèmes qu’il quitte aussitôt après, par exemple on se demande pourquoi il introduit une histoire d’amitié entre Walter et Brown. Est-ce pour faire du remplissage ? En tous les cas ça part dans tous les sens.

    L’écriture est très peu soignée. Parfois on se demande si cela est dû à la mauvaise traduction ou au contraire à la fainéantise d’Ellroy qui semble peiner à se relire :

    « - Je ne sais pas. Et tu sais quoi ? Je m’en fiche. Changeons de sujet, tu veux bien ?

    - D’accord, pour le moment. Envoie moi un autre carafon, tu veux bien ? » p. 36 de l’édition Rivages/noir.

    « … je pénétrais dans l’appartement obscur après avoir refermé la porte doucement derrière moi. » p. 112.

    Il est assez étrange de pénétrer dans un appartement qui a la porte fermée, mais il est préférable de refermer la porte après qu’on soit rentré !!

    Certains ont dénoncé la mauvaise traduction de Freddy Michalsky, mais comme Ellroy est coutumier de ces errements dans l’utilisation des temps, et qu’on retrouve des incongruités semblables dans les traductions de Jean-Paul Gratias, il est plus probable que cela provienne du texte en anglais lui-même. Voulant donner à son affaire un côté surprenant, le style roublard d’Ellroy le pousse à utiliser des détails, notamment sur la vie des caddies, qui paraissent plutôt bidonnés

     

    Adaptation au cinéma

     

    Ce n’est que tardivement, après le succès de L.A. Confidential que Brown’s requiem sera porté à l’écran. Film à petit budget, il sortira dans deux salles aux Etats-Unis et fera une carrière médiocre seulement en DVD. Le film a été produit par Michael Rooker qui pensait peut-être rééditer les succès de Paul Newman dans le rôle d’Harper.

    Le scénario a été simplifié, le nombre de personnages a considérablement diminué. Si bien qu’on ne comprend plus grand-chose à l’intrigue. Les relations entre Brown et Jane Baker sont devenues transparentes, alors qu’elles sont la clé de voute du roman. Disparaissent aussi toutes les formes de contextualisations  particulières à la contre-culture américaine et à l’attraction du Mexique sur le malheureux détective. L’éradication complète du personnage d’Omar Gonzales dénature le sens de l’ensemble. C’est aussi d’un goût douteux d’avoir fait de Jane une gamine de 17 ans qui couche avec son père. C’est cet aspect scabreux qui a permis de rapprocher ce film de Chinatown de Roman Polanski.  

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    L’ensemble est filmé à la manière d’un mauvais téléfilm, la multiplication des gros plans ne masque pas la pauvreté de la production.. Ni fait, ni à faire, les images sont laides et le casting déplorable. Il semblerait que des capitaux néerlandais soient à l’origine de ce navet. On est assez surpris d’ailleurs de retrouver au détour d’une image l’excellent Brad Dourif.

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  • Le cinéma est une source de revenu très recherchée par les romanciers car cette manne financière les fait changer de catégorie sociale. Aussi Ellroy a cherché et réussi à obtenir des droits plus ou moins importants pour ses ouvrages. Les adaptations des œuvres d’Ellroy au cinéma ne sont pas nombreuses et elles n’ont pas eu beaucoup de succès. Le dahlia noir, film ambitieux tourné avec beaucoup de moyens, a carrément été un bide noir. James Ellroy lui-même semble avoir été peu satisfait des différentes adaptations qui ont été faites de son œuvre.

    Cop, tourné en 1988, est une adaptation calamiteuse de Lune sanglante. Film produit par James Woods qui joue le rôle de Lloyd Hopkins, il n’a pas eu un budget très important et ça se voit. L’intrigue a été ramassée, et le serial killer a perdu complètement le peu de psychologie qu’il possédait dans le roman. Le casting est plutôt hideux, et l’image guère soignée. Même Lloyd Hopkins est devenu un simple flic dont les difficultés du métier l’amène à se séparer de sa femme et de sa fille adorée. De même le partenaire d’Hopkins, Dutch, est devenu simplement un bon ami, alors que dans le livre il se laisse aller à le trahir. Les relations entre Hopkins et Haines ont été simplifiées. Si dans le roman Haines est poussé au suicide par Hopkins, dans le film, celui-ci l’abat en état de légitime défense. Enfin, Kathleen, incarnée par Lesley Ann Warren, militante féministe, n’est dans le film qu’une idiote hystérique, alors que dans l’ouvrage elle a une dimension différente et Hopkins en tombe réellement amoureux.

    Brown’s requiem, adaptation de l’ouvrage éponyme, a été tourné en 1999, soit après le succès de L.A. Confidential. Mais cela n’a rien arrangé. Film à petit budget, il a reçu à sa sortie une volée de bois vert pour sa médiocrité. Dénoncé comme une pâle imitation de Chinatown, il n’y a que Selma Blair qui sort intacte de cette soupe. Le film fut projeté à sa sortie aux Etats-Unis que dans deux cinémas et ne tint l’affiche qu’une semaine !! Il doit d’être encore connu qu’au fait qu’on l’ait ressorti en DVD comme une œuvre de James Ellroy.

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    Seul L.A. confidential qui date de 1999, a été salué, à juste titre, comme un grand film noir et a rencontré un public nombreux. Pourtant comme il a été souligné dans la revue Polar, le film trahit complètement les intentions d’Ellroy. Non seulement la structure du film est devenue beaucoup plus linéaire, mais de nombreux personnages ont disparu ou ont changé de sens. En outre le happy end du film est complètement décalé par rapport aux intentions du livre. Mais curieusement c’est cette trahison qui fait que le film est excellent et se rapproche quelque part de la perception que Chandler lui-même pouvait avoir de Los Angeles dans les années quarante. Et puis la mise en scène est inspirée et nerveuse. Il y a aussi dans le film une vraie dimension spatiale, une utilisation intelligente de l’architecture de Los Angeles. Les prestations de Kim Basinger et de Gary Pearce ont été très remarquées.

    Le succès du film a été tel qu’en 1999 on envisagea d’en faire une série télévisée de 13 épisodes avec Kieffer Sutherland dans le rôle principal, mais le pilote ne donnant pas satisfaction, HBO, le commanditaire, renonça à poursuivre. Ce pilote a été diffusé sur un petit réseau du câble, probablement à titre de curiosité. Une des possibilités de l’abandon de cette série est qu’elle eut été trop proche de l’ouvrage, distrayant le spectateur, éparpillant son attention un peu dans tous le sens

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    L.A.Confidential, 1999, la série télévisée que devait tourner HBO

      

    Le dahlia noir, tourné par De Palma en 2005, a été un douloureux échec. Non seulement pour De Palma qui comptait là-dessus pour relancer sa carrière un rien chancelante, mais aussi pour Ellroy, confirmant la difficulté qu’il pouvait y avoir à adapter une œuvre aussi touffue. Mais l’échec du film n’est pas dû seulement à la difficulté de tirer un scénario cohérent du livre d’Ellroy. Une grande part de la responsabilité en revient à la trop grande application dans la reconstitution en studio du Los Angeles des années cinquante. Les costumes sont trop parfaits, les voitures trop bien briquées. Il y a aussi un casting particulièrement médiocre, les deux acteurs masculins étant très peu expressifs, alors que L.A. Confidential était à l’inverse porté par des acteurs flamboyants. En dehors de Scarlett Johansson, les acteurs sont particulièrement ternes.

      

    cinema-ellroy-3.jpgEn tant que scénariste, James Ellroy a travaillé sur deux films : Dark blue en 2003 et Au bout de la nuit en 2008. Ce sont deux échecs commerciaux qui s’expliquent plus probablement par le côté standardisé des scénarios. Il n’y a guère d’originalité. Dans Dark Blue, on assiste aux malheurs d’un flic désespéré et corrompu au moment même où les émeutes raciales vont éclater à propos de l’affaire Rodney King. Kurt Russel incarne cette sorte d’anti-héros. Mais cela reste bien en dessous des audaces d’une série télévisée comme The shield par exemple. Le seul intérêt de ce film est d’avoir situé une histoire somme toute banale de flic corrompu au moment des émeutes de Los Angeles, consécutives au procès des flics qui avaient tabassés Rodney King. Mais James Ellroy avait déjà utilisé cette ficelle dans le premier volume des aventures de Lloyd Hopkins, sauf que c’était des émeutes de Watts en 1965 dont il s’agissait. Le résultat est assez convenu et ne dépasse jamais le niveau du téléfilm.

     

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    Au bout de la nuit a permis à Keanu Reeves d’abandonner ses rôles de jeune homme fragile, bien sous tous rapports. Mais les rapports entre les flics plus ou moins corrompus, les conflits avec la hiérarchie, c’est ce qu’on a vue en bien mieux dans une série comme The shield. James Ellroy, en tant que scénariste, s’est trouvé dépassé en matière de violence et de réalisme. La découverte de la corruption d’un des chefs de la police, si elle ressemble à ce qu’on a déjà vu dans Dark blue, est complètement téléphonée. Forrest Whitaker n’est pas très convaincu de son rôle et partage ostensiblement son ennui avec le spectateur.

     

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