• Shack out on 101, Edward Dein, 1955

    Shack out on 101, Edward Dein, 1955 

    C’est un film d’espionnage anti-rouge bien évidemment, et très paranoïaque. Le scénario est quasiment inexistant, un peu comme si l’ensemble de l’équipe se moquait de l’intrigue, et donc l’absence histoire un peu crédible indique que son seul intérêt ne peut se trouver que dans sa réalisation. Parfois les films anti-rouges donnent naissance à de bizarres formes cinématographiques, par exemple The thief de Russel Rouse avait un caractère étrange parce qu’il n’avait aucun dialogue[1]. Un peu comme si le réalisateur ne voulait ajouter l’imbécilité des dialogues qu’on trouve dans ce genre de films à l’idiotie de l’intrigue. Et bien ici c’est un peu pareil, le film a pour originalité de se passer presqu’entièrement dans un décor unique, celui d’une cafétéria un peu isolée au bord de la route 101. Dans cet univers un petit groupe d’individus s’agite d’une manière absurde. Sans doute qu’en 1955 on commençait à douter de la nécessité de la propagande anticommuniste, et donc on commençait à la prendre comme un jeu. Mais est-ce que cela suffit à en faire un film culte ? 

    Shack out on 101, Edward Dein, 1955 

    Kotty est amoureuse du professeur Bastion 

    George tient une cafétéria sur le bord de la 101, il a deux employés, La belle Kotty, la serveuse, et le rugueux Slob, le cuisinier. Les affaires marchent assez mal, la clientèle peu nombreuse. Parmi celle-ci il y a Bastion qui loge à l’étage au-dessus, et dont Kotty est amoureuse. Slob tente sa chance lui aussi, mais sans succès. Il échange cependant des mystérieux coquillages avec Bastion. On comprend qu’il s’agit de secrets nucléaires. Parmi la clientèle, il y a aussi les employés d’ACME qui sont très entreprenants avec Kotty. Bastion tente de rencontrer le mystérieux monsieur Gregory qu’il croit être le supérieur de Slob. Mais peu à peu l’étau se resserre, Kotty va surprendre les faux employés d’ACME, Art et Pepe, en train de perquisitionner la chambre de Slob. Slob a assassiné un collègue de Bastion qui posait trop de questions. Slob comprend que le FBI est à ses trousses, d’autant que son acolyte a aperçu Bastion en grande discussion avec Art et Pepe. Il va tenter de fuir, mais Bastion a compris que Slob était en réalité Monsieur Gregory. C’est l’ami de George, Eddie, qui va tuer Slob d’un coup d’harpon. Bastion pourra alors faire sa vie avec Kotty qu’il avait séduite pour son travail, mais qu’il a fini par aimer. 

    Shack out on 101, Edward Dein, 1955 

    Les employés d’ACME sont un peu trop entreprenant auprès de Kotty 

    L’intrigue est tellement simple qu’elle frise la stupidité et n’a aucune vraisemblance. D’ailleurs on ne saura pas si Bastion est réellement un agent du FBI ou un vrai professeur, après tout il a eus a photo dans le journal en tant que chercheur de renom. Même en faisant un effort, on ne peut pas croire que les Russes soient aussi stupides que cela. Le film s’accompagne d’un petit discours de Kotty qui a compris grâce à son bon sens patriotique ce qui se passait, et qui crie à Slob de rester chez lui pour développer son propre pays au lieu de venir faire le jaloux chez les Américains. On suppose que ce discours était inclus dans le cahier des charges et que le FBI a mis la main à la poche pour financer cette absurdité. Evidemment Slob est une brute, il manque d’ailleurs de violer Kotty : on voit le parallèle les brutes soviétiques abusent de la féminité ou de la mollesse de l’Amérique. C’est évidemment quand on évoque la question du sexe que le film devient intéressant. Car si ce film accroche un peu l’œil tout de même, c’est parce qu’il se laisse aller à parler de sexe. D’abord Kotty, c’est la seule femme de cet univers très masculin et donc tout le monde lui court après. D’ailleurs elle ne fait strictement rien pour empêcher cela, se plaisant à exciter les faux employés d’ACME. Au contraire, alors qu’elle fait semblant de s’offusquer des avances très poussées de Slob, la voilà qui se rapproche de lui. Elle sait également que George est amoureux d’elle. Elle va le torturer en lui disant qu’elle ne l’aime pas, mais que pour lui faire plaisir, elle pourrait tout de même l’épouser ! Au fond si elle se dit amoureuse de Bastion, c’est parce qu’elle croit qu’il est un professeur de renom et donc qu’il est plus intelligent qu’elle. Mais ça va un peu plus loin encore, George et Slob vont se trouver dans la grande salle de la cafétéria en train de faire de la culture physique. Ils ont tombé le teeshirt, et les voilà qui se tâtent les pectoraux et les mollets. C’est une scène très gay. Et d’ailleurs quand Kotty les surprend dans cette pose ridicule, ils se cachent derrière le comptoir pour se rhabiller. De même les relations entre Eddie et George sont loin d’être claires. Ils sont d’anciens camarades de guerre. Mais ils vont se déguiser en plongeurs avec palmes, masque et tuba, et parcourir la cafétéria en représentation, comme s’ils voulaient se distinguer du reste du public et se manifester ainsi leur différence. C’est Kotty, la femme faible donc, qui résiste physiquement et efficacement à Slob. Les autres, y compris Bastion, apparaissent comme des incapables. 

    Shack out on 101, Edward Dein, 1955 

    Bastion est sensé vendre des secrets nucléaires à Slob 

    Je suppose que c’est cet aspect très particulier qui rend le film curieux. Le réalisateur piège donc un certain nombre de personnages dans un lieu très réduit et filme leur affrontement rendu inévitable par l’exiguïté des lieux. Cette unicité des décors va induire Edward Dein à multiplier les angles de prise de vue, alternant le plan large et le gros plan, pour tenter d’éviter que cela ne ressemble à du théâtre filmé. C’est pourtant inévitable quand on sent les auteurs des dialogues – le scénario et les dialogues sont des époux Dein – cherchent le bon mot. La première partie hésite d’ailleurs assez entre comédie et drame, abusant parfois des formes grotesques, notamment des gros plans des acolytes de Slob qui déforment les visages et qui semblent sortis directement de chez Orson Welles. C’est un film anti-communiste tardif, et donc sa lumière va être un peu différente de celle des films noirs, Dein ne veut pas ou ne sait pas jouer avec les ombres. Fait de bric et de broc, on ne sait pas trop ce qui a intéressé Dein. C’est du reste un réalisateur des plus discrets : au début des années cinquante il a tourné quelques films au Mexique puis une poignée d’autre à Hollywood pour des petits budgets. Il ira rapidement rejoindre les bataillons des réalisateurs de télévision. Shack out on 101 est son film le plus connu, c’est tout dire. Ma photo de Floyd Crosby qui avait travaillé sur quelques films de Roger Corman est bonne. Mais enfin lui aussi était un habitué des petits budgets, donc des tournages rapides. Notez que l’utilisation d’un écran large lui donne un air un petit peu moderne qui l’éloigne des films noirs classiques dans sa facture. Il y a très peu d’extérieur, simplement la scène d’ouverture qui voit Kotty étalée sur la plage, léchée par les vagues du pacifique, comme rejetée par la mer, sous le regard scrutateur de Slob. Cette scène semble avoir été inspirée par From here to eternity, l’énorme succès de Fred Zinnemann qui date de 1953. 

    Shack out on 101, Edward Dein, 1955 

    S’étant fâchée avec Bastion, Kotty se rapproche de Slob 

    Officiellement la star du film est Terry Moore qui interprète Kotty. Elle n’a pas eu une carrière très brillante malgré 77 films à son actif, son plus grand titre de gloire est d’avoir été secrètement la dernière épouse d’Howard Hughes[2], mais ici elle n’est pas mal et joue assez bien de sa petite taille par opposition aux mâles qu’elle domine malgré leurs épaules larges et leurs muscles avantageux. Son partenaire c’est Frank Lovejoy dans le rôle de Bastion. Il a l‘habitude, sans doute à cause de son physique de « bon américain » de traquer les rouges puisqu’il était le héros déjà de I was a communist for the FBI de Gordon Douglas[3]. Mais ici il a l’air complètement éteint et ne pas vraiment croire à son rôle. Et puis il y a Lee Marvin dans le rôle de Slob. C’est plutôt curieux de le voir dans un film anticommuniste, lui qui était plutôt un démocrate sur le plan politique. Mais à cette époque il était jeune et inconnu. Et à mon sens on peut voir le film rien que pour lui. Il est très présent et efface tout le monde. Cependant il ne joue pas comme il jouera plus tard. Ici il est plus volubile que dans tous les autres films qu’il tournera par la suite. Il fait un peu le clown et passe du rôle de la brute à celui d’espion rusé et malin avec une grande facilité. Il y a aussi Keenan Wynn que Lee Marvin retrouvera plus tard dans Point Blank, dans le rôle de George le mélancolique amoureux de Kotty.

    Shack out on 101, Edward Dein, 1955 

    Art et Pepe fouillent la chambre de Slob 

    Le film laisse ainsi une impression étrange d’inutilité totale et en même temps il attire l’œil. Ce n’est pas un chef d’œuvre, ni un filme culte, mais il y a un regard particulier qui est celui d’Edward Dein qui finit par intéresser, à condition qu’on se moque complètement de cette histoire saugrenue de trafic de documents. Ce film est ressorti en Blu ray par la grâce d’Olive films qui a beaucoup fait pour faire sortir de l’oubli des petits films noirs désargentés, dans une très belle copie. En vérité si ce film était parti dans les oubliettes cela venait de l’indigence de son intrigue. Mais maintenant on a appris à regarder ce type de produit au-delà de sa fonction officielle de propagande d’un système politique dont le but était d’éradiquer toute idée socialiste de la tête des gens. 

    Shack out on 101, Edward Dein, 1955 

    Slob comprend que Bastion est un agent du FBI 

    Shack out on 101, Edward Dein, 1955 

    Slob a blessé George et semble maîtriser la situation

     



    [2] Des histoires curieuses comme seule Hollywood est capable d’en inventer circulent à ce propos. Elle a été mariée 6 fois et aurait été marié secrètement avec Howard Hughes alors qu’elle se maria durant ce temps encore deux fois ! Mais il faut croire qu’elle avait des preuves sérieuses de son mariage secret puisque la succession d’Howard Hughes accepta de lui payer une somme substancielle à la mort de celui-ci.

     

    « Le témoin doit être assassiné, The big operator, Charles F. Haas, 1959Murder is my beat, Edgar Ulmer, 1955 »
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