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Vacances de Noël, Christmas holiday, Robert Siodmak, 1944.
Somerset Maughan est un auteur aujourd’hui complètement oublié mais dont le succès entre 1930 et 1970 fut planétaire. Britannique fortuné et cosmopolite, il était né en France et d’ailleurs y mourut aussi. Il est une sorte de spécialiste des histoires dramatiques où l’identité sexuelle et les perversions sont omniprésentes. Ce sont donc des romans remplis de fièvres et de tourments qui débouchent sur la défaite des personnages principaux. On y retrouve souvent des figures d’hommes faibles dominés par des femmes, souvent des prostituées ou de mauvaise vie. Nombre de ses romans ont été portés à l’écran. Hitchcock tourna Secret agent en 1936, Albert Lewin, The moon and sixpence en 1942. John Cromwell avait tourné la première adaptation de Of human bondage ern 1934. Edmund Goulding adaptera deux fois Somerset Maugham, Of human bondage et The razor’s edge, les deux en 1946. En 1964 Of human bondage fut adapté une troisième fois par Ken Hugues, avec Laurence Harvey et la belle Kim Novak. Quand Robert Siodmak se lance dans la réalisation de Christmas holiday, il a derrière lui quelques succès, et cette fois un budget conséquent, en s’appuyant sur un auteur consacré, il pense certainement qu’il réussira. Le projet a été suscité par Deanna Durbin qui s’est beaucoup investie sur le film. C’est d’ailleurs son compagnon de l’époque qui acheta les droits à Somerset Maugham et qui produisit le film
Le jeune lieutenant Charles Mason se retrouve par le plus grand des hasards à la Nouvelle Orléans. Il vient de se faire plaquer par sa fiancée, et se retrouve la nuit de Noël dans une sorte de maison close où il va faire la connaissance de la jeune Abigaïl Manette qui se fait appeler Jackie Lamont. Après avoir assisté à la messe de minuit, elle va faire des confidences à Charles. Avant de travailler dans ce bordel, elle a été mariée à Robert Manette, un fils dévoyé de la haute société, c’est un flambeur. Elle l’a connu à un concert de musique classique, puis ils ont sympathisé et tombant amoureux l’un de l’autre, Robert présente Abigaïl à sa mère. Celle-ci apprécie la jeune fille et donne l’autorisation à Son fils de l’épouser. Ils vont se marier. Au début tout se passe très bien et la vie d’Abigaïl entre son marie et sa belle-mère semble paisible et facile, mais une nuit Robert rentre avec un pantalon couvert de sang, et beaucoup d’argent. La mère de Robert détruit le pantalon. Mais la police est sur la piste de Robert, il va être arrêté et confondu. Cette situation entraîne un conflit violent entre Abigaïl et la mère de Robert qui accuse la jeune femme d’avoir causé la perte de son fils. Condamné à de longues années de prison, Abigaïl va se transformer en Jackie Lamont et travailler dans le bordel. Au fur et à mesure qu’Abigaïl déroule ses confidences, Charles est de plus en plus sous son charme. Au lieu de tracer sa route vers San Francisco, il va décider de rendre une dernière visite à Abigaïl. Il apprend que Robert s’est évadé. Il est revenu parce qu’il aime Abigaïl, mais ne supportant pas qu’elle travaille dans un lieu de mauvaise vie, il se propose de l’abattre. Charles arrive aussi presqu’en même temps. Les explications d’Abigaïl laissent de marbre Robert qui ne veut pas démordre de sa vengeance. Mais la police intervient à temps, et c’est Robert qui est tué. Ce sera comme une délivrance pour Abigaïl qui tout en pleurant Robert va sans doute retrouver une nouvelle vie.
C’est à un concert de musique classique que Robert et Abigaïl se sont connus
C’est donc un drame poignant dont le scénario a été écrit par Herman Mankiewicz, le frère du grand réalisateur, par ailleurs scénariste réputé qui avait travaillé sur The wizard of Oz et sur Citizen Kane. Les droits de l’ouvrage avaient été achetés avant-guerre, mais la censure avait empêché le tournage à cause des relations sulfureuses entre un fils de famille dévoyé, une prostituée et un jeune militaire plein d’avenir. Par rapport au roman l’histoire a été fortement édulcorée. En effet dans le film Jackie est seulement une chanteuse qui travaille dans un bordel, mais on comprend en réalité qu’il s’agit d’une prostituée. Dans le roman l’héroïne est une jeune russe forcée de se prostituer. Egalement l’histoire a été dépaysée de Paris à la Nouvelle Orléans. En vérité ces arrangements avec la lettre du roman qu’on peut juger regrettables, vont rapprocher un peu plus l’affaire des canons du noir, avec cette tendance masochiste de se perdre dans des amours impossibles. Le masochisme des protagonistes est le sujet. Cela commence avec Charles qui s’est fait larguer par sa fiancée, mais qu’il prétend pourtant revoir. Et puis ça continue avec ce même Charles qui s’éprend d’une femme de mauvaise vie qui manifestement en aime un autre et donc qui ne pourra pas l’aimer vraiment. Abigaïl aime Robert sans espoir que celui-ci puisse mener un jour une vie normale : c’est un assassin et un voleur, et en travaillant chez Valérie de Mérode elle se punit de son penchant amoureux et sexuel. Mais ce même Robert qui veut tuer Abigaïl, sait aussi bien qu’il courra à sa perte en accomplissant son but. Cette vision mortifère et sinistre des relations amoureuses est le portrait d’individus qui se laissent aller sans retenue aucune à leur passion et roulent consciemment vers leur perte. Robert Manette tient le rôle de la femme fatale, mais avec des sexes inversés. Il est beau et séduisant, mais mène tout le monde à sa perte, et lui aussi d’ailleurs. On le verra s’encanailler dans des cafés sordides où il dilapide la fortune familiale. Le caractère de sa mère n’en est pas moins étrange. Elle encourage Abigaïl, tout en la condamnant. Dans la mise en œuvre de tels principes moraux, on peut dire que l’esprit de l’œuvre de Somerset Maugham est respecté, pour peu que le spectateur fasse l’effort de comprendre ce que cache la pudeur cinématographique. On pourrait dire même que le portrait qu’il dresse de Robert est une sorte d’autoportrait qui dénonce sa propre veulerie.
Abigaïl suit les pas de sa belle-mère
Curieusement, le film qui emprunte quelques figures à Hitchcock, notamment le rôle de la mère qui ressemble à celle de Sebastian dans Notorious, ou encore cette femme dépravée qui se punit elle-même, la grande maison riche et mystérieuse qui ressemble à une prison, refuse de pencher vers le suspense. Il n’y aura donc aucun effet mis en avant dans le meurtre que Robert a commis, ni non plus dans le déroulement du procès qui est expédié rapidement. De même pendant qu’Abigaïl et Robert sont séparés, on ne sait pas quelles sont leurs relations. Sont-ils en contact, va-t-elle lui rendre visite ? Ces ellipses visent à refermer le propos sur l’analyse d’une passion déraisonnable, et donc sur l’étude de la psychologie des personnages plutôt que sur leur comportement.
La police est venue perquisitionner
C’est au service de cette histoire fiévreuse et tourmentée que Siodmak va mettre son talent, en s’appuyant sur la très belle photographie de Elwood Bredell. Outre le travail habituel de Siodmak sur les ombres et les lumières, l’escalier à spirale ou les formes géométriques tirées des scènes du procès, il y a des mouvements d’appareil très compliqués, notamment en ce qui concerne les scènes où la foule est importante, la messe de minuit dans une église pleine à craquer, ou les concerts auxquels assistent Robert et Abigaïl. On peut presque dire en voyant ce film que c’est bien Siodmak qui a inventé la grammaire du film noir, comme par exemple cette manière de se centrer sur un point lumineux lors de la perquisition des policiers. Il y a très peu de scènes tournées à l’extérieur, ce qui renforce l’impression de nuit et d’enfermement. Abigaïl qui poursuivra sa descente aux enfers jusqu’au bout est filmée souvent en contreplongée quand elle verse des larmes. Elle pleure d’ailleurs beaucoup, que ce soit à la messe de minuit, ou sur la mort de Robert, et chaque fois son visage s’illumine, nimbé d’une lumière douce qui en fait une sainte et une martyre de la cause amoureuse. La narration se construit sur la subjectivité d’Abigaïl qui présente son parcours à partir d’un double flash bach, l’interruption dans cette sorte de confession permet une ouverture sur une vie sociale plus ouverte, en montrant comment Charles se comporte en hésitant entre son désir de quitter la Nouvelle Orléans et celui de rester auprès d’Abigaïl.
Le tribunal condamne Robert à une lourde peine de prison
Le plus curieux est sans doute l’interprétation à contre-emploi. Les deux vedettes sont de spécialistes de la comédie musicale. A cette époque Deanna Durbin et Gene Kelly étaient très célèbres. Si Gene Kelly est toujours connu pour ses comédies musicales, Deanna Durbin est un peu oubliée, surtout par le public français. C’est un peu de sa faute dans la mesure où à l’âge de 28 ans, au sommet de sa gloire, elle renonça à poursuivre sa carrière, haïssant le système hollywoodien. Elle se retira à Paris où elle se mariera avec un réalisateur français et où elle décédera en 2013. Christmas holiday est certainement son rôle le plus consistant, et le seul dramatique. Bien qu’elle pousse une ou deux romances, elle est très bien dans ce rôle de la jeune fille qui va se durcir et se transformer en se frottant à la dureté de l’existence. Elle utilise très bien aussi ce physique passe partout de jeune fille ordinaire extraite du peuple et qu’on comprend fascinée par le luxe dans lequel vit Robert. On dit qu’elle avait un très mauvais caractère, qu’elle s’est très mal entendue avec Robert Siodmak, voulant tout contrôler par elle-même, mais elle a toujours affirmé que ce fut là son meilleur rôle. Gene Kelly, dont ce n’est pas le seul rôle dramatique, on le retrouvera dans Black hand de Richard Thorpe[1], est aussi excellent dans ce rôle ambigu, et particulièrement quand il manifeste de la colère à l’égard de sa femme et de son entourage vers la fin. Dean Harens est le moins convaincant du trio. Il manque clairement de présence et de passion, il ne fera d’ailleurs pas grand-chose au cinéma et travaillera ensuite principalement pour la télévision. Plus étonnantes sont les deux autres femmes de la distribution. D’abord Gale Sondergaard qui fut l’épouse du réalisateur réprouvé et banni d’Hollywood pour ses engagements communistes, Herbert Biberman le réalisateur de Salt of the earth, incarne avec beaucoup d’autorité la mère de Robert. Ensuite la remarquable Gladys George dans le rôle de Valérie de Mérode la tenancière du bordel.
Abigaïl chante
Christmas holiday est assez peu connu en France, mais à sa sortie il obtint un gros succès aux Etats-Unis, on en fit même une adaptation radiophonique avec William Holden et Loretta Young. La critique a été sévère avec lui, lui reprochant de se rouler dans la fange et de mettre en scène des personnages sans espoir et sans remords. Ce n’est pas le meilleur film de Siodmak, loin de là. Mais c’est un excellent film noir, trop négligé, qui a de très belles qualités cinématographiques. On ne trouve pas de copie DVD ou Blu ray dans le commerce dans une édition française, c’est dire à quel point la critique française l’a enterré[2]. Il est évident que toute l’œuvre cinématographique de Siodmak devrait être disponible. Certes il y a des déséquilibres importants dans le scénario, la plupart provenant sans doute de la nécessité de se plier aux exigences de la censure. La fin est aussi très ambiguë puisqu’on ne sait pas si Abigaïl va quitter le bordel et suivre Charles pour refaire sa vie. Siodmak n’a pas choisi ce scénario, mais en tous les cas, et quoi qu’il en ait dit lui-même, il est certain qu’il en a fait une œuvre personnelle, facilement identifiable par le style. Qu’importe alors que cette appropriation soit ou non consciente. Joseph Greco dans son, ouvrage n’en tient même pas compte, mais je pense qu’il avait tort[3] et qu’il est temps de le réévaluer.
Elle tente d’expliquer à Robert pourquoi elle travaille chez Valérie de Mérode
Robert est mort
[1] http://alexandreclement.eklablog.com/la-main-noire-the-black-hand-richard-thorpe-1950-a114844874
[2] Dans son ouvrage Hervé Dumont est très sévère avec ce film. Hervé Dumont, Robert Siodmak, le maître du film noir, L’âge d’homme, 1981.
[3] Joseph Greco, The file on Robert Siodmak in Hollywood : 1941-1951, Dissertation.com, 1999.
« Les mains qui tuent, Phantom lady, Robert Siodmak, 1944La double énigme, The dark miror, Robert Siodmak, 1946 »
Tags : Robert Siodmak, Deanna Durbin, Gene Kelly, film noir, Somerset Maughan
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Commentaires
Bonjour,
Il existe une édition française en DVD (version originale sous-titrée) dans la collection "Les étoiles Universal", sous le titre "Vacances de Noël". CB 5050582946000
Cordialement.
Oui et en plus il n'est pas cher du tout !!