•  La mort du juge Michel, Thierry Colombié, Editions de la Martinière, 2014 

    Dans le domaine du noir, il existe toute une littérature qui est faite de témoignages, de révélations, de mémoires. Ce sont des grands bandits qui s’y livrent, ou d’anciens policiers, ou encore des journalistes qui sont plus ou moins au courant d’affaires judiciaires retentissantes. Il y a un public pour ces ouvrages de qualité très variable d’ailleurs, un public qui aime aussi bien mieux comprendre les dessous d’affaires sulfureuses que se délecter de scènes scabreuses. Quelques journalistes sont depuis longtemps sur ce créneau, Frédéric Ploquin, Jérôme Pierrat pour les plus connus. Thierry Colombié suis cette tendance à distance. Il s’était d’abord fait connaître par un ouvrage en deux volumes sur Francis le Belge qui avait surtout comme principal intérêt une écriture assez rêveuse, à mi-chemin entre la réalité des faits et l’imagination de ce qui aurait pu être. Plus récemment il s’est lancé dans une démonstration plus ou moins convaincante sur le fait que la mafia « corse » existerait bel et bien en France dans la mesure où elle met en scène la corruption et l’utilisation d’hommes politiques.

    La mort du juge Michel, Thierry Colombié, Editions de la Martinière, 2014 

    L’assassinat du juge Michel, plus encore que celui du juge Renard à Lyon a fait couler énormément d’encre. Les assassins ont été jugés et condamnés. Alors pourquoi revenir sur cette histoire ? Une des raisons se trouve sans doute dans le fait qu’un film, La french dont j’ai dit beaucoup de mal sur mon blog aurait dû avoir un gros succès, Thierry Colombié aurait été consulté pour son scénario, et on pouvait penser que cela entraînerait la vente en librairie d’ouvrage traitant de cette sinistre histoire. Le film n’a eu qu’un « petit succès ». Mais ne chipotons pas, il est clair que l’histoire du juge Michel offre de nombreuses possibilités. Encore faut-il avoir quelque chose à dire de neuf sur la question.

      La mort du juge Michel, Thierry Colombié, Editions de la Martinière, 2014

    François Scapula est un truand à l’origine de la condamnation des tueurs du juge Michel. C’est lui qui les a balancés, comme il a balancé le commanditaire qui serait François Girard.  Un temps on avait soupçonné le flamboyant Gaétan Zampa d’en être l’instigateur, mais cette piste tourna court.

    Thierry Colombié a par rapport à ses confrères qui travaillent sur le même créneau une vision globale du milieu, et il la remet dans une perspective historique. Ça lui permet évidemment de mettre en évidence les liens depuis au moins 1945 entre les truands corses et le monde politique. Dans Les héritiers du milieu par exemple il met en avant le fait que Sarkozy a été poussé en avant par Achille de Peretti à la mairie de Neuilly, et qu’il est resté très implanté en corse notamment par l’intermédiaire de la famille Francisci. Marcel Francisci a été désigné par la DEA et les Américains comme une des figures les plus importantes de la French Connection. Il était également impliqué dans les cercles de jeux parisiens et c’est à ce titre qu’il aurait été abattu en 1982. Il était très proche des partis dits gaullistes et du SAC. Un autre Marcel Francisci a repris le flambeau, il s’agit du neveu du premier. Lui aussi a touché à la fois aux cercles de jeux et à la politique sur l’Ile de beauté.

     La mort du juge Michel, Thierry Colombié, Editions de la Martinière, 2014 

    Nicolas Sarkozy et Marcel Francisci – le neveu 

    Pour Thierry Colombié, le milieu corse n’a pas disparu face à la poussée des nouveaux truands des banlieues, il est peut-être devenu juste un peu plus discret et s’est recyclé vers les marchés publics, les cercles de jeux un peu partout dans le monde, et la politique.

    Mais revenons à l’affaire du juge Michel. Colombié ne nie pas que les tueurs sont bien ceux qui ont été condamnés : François Checchi a tiré sur le juge et Charles Altieri conduisait la moto fatale. Ces deux-là ont agi par l’intermédiaire de Scapula lui-même et sur l’instigation de François Girard. Alors que dire de plus ? Colombié va essayer de faire le lien avec une autre affaire sulfureuse qui a défrayé la chronique à la même époque. D’obscurs règlements de compte interne au SAC ont amené à la tuerie d’Auriol qui vit une famille entière massacrée sauvagement. L’émotion était très forte et elle conduisit à la dissolution du SAC. Certes Debizet et ses hommes tentèrent de continuer ce combat obscur, mais le temps du SAC était passé. Pour Colombié, il y a un lien entre les deux affaires, ce serait en prison que François Girard aurait été manipulé par un des membres du commando d’Auriol pour l’inciter à faire tuer le juge Michel.

    Cette thèse parait très compliquée à soutenir. Non seulement parce qu’elle se fonde sur des rumeurs propagées par des truands marseillais, mais aussi parce que Girard ne semblait pas être quelqu’un de facilement manipulable. Il semblerait qu’il ait plutôt trouvé l’exemple du côté des Siciliens qui déjà n’hésitaient pas à trucider les juges qui leur voulaient du mal.

    Nous ne doutons pas que Thierry Colombié soit un garçon sérieux et qu’il ait rencontré des anciens truands qui lui aient fait part de leur sentiment sur l’affaire. Mais à moins d’être directement dans le coup, il est difficile de donner du corps à des hypothèses. A cette époque les rumeurs les plus folles couraient sur l’assassinat du juge Michel. Les uns y voyaient la main de policiers ripoux de l’Évêché, d’autre la main de Gaston Defferre lui-même qui craignait, alors qu’il allait devenir ministre de l’intérieur de François Mitterrand, que de vieilles combines avec Dominique Venturi ressortent.

    Mais dans la mesure où il a été prouvé que Checchi et Altieri étaient bien sur la moto, il devient impossible de valider les thèses évoquées ci-dessus, non pas parce que celles-ci seraient absurdes dans l’absolu, mais parce que les tueurs effectifs n’appartenaient pas au même cercle que les autres personnages évoqués ci-dessus. D’ailleurs Colombié recherche la connexion entre Girard et les tueurs du SAC, et il ne peut la trouvé fortuitement qu’à l’occasion d’un croisement entre détenus aux Baumettes ! C’est à mon sens bien insuffisant, mais c’est typique d’une méthode qui se voudrait à la pointe de la découverte d’une réalité nouvelle dans une affaire rebattue.

     

    Je passe sur le fait que des détails de lieux et de faits ne sont pas exacts, manifestement Colombié connait très mal Marseille et ses circuits. Il est par ailleurs assez incommodant de faire parler des voyous comme Girard, Checchi et quelques autres comme si on pouvait connaître le vocabulaire et le ton qu’ils employaient à cette époque. De même les dialogues mis dans la bouche du juge Michel sonnent assez faux. On peut cependant lui reconnaître qu’il s’est tout de même appuyé sur une lecture du dossier et des pièces qui y ont été versées. 

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  • Le traqué, Gunman in the streets, Frank Tuttle, 1950 

    Ce film présente beaucoup d’intérêt. Bien au-delà du scénario, il a été une source d’inspiration pour Jean-Pierre Melville. Pour le tournage du Samouraï, il a retenu au moins trois aspects décisifs. D’abord les relations entre Denise et le commissaire Dufresne qui sont très similaires à celles qu’entretiennent le commissaire et Jane Lagrange. Les deux commissaires sont physiquement attirés par la maitresse du gangster qui l’aide plus par devoir que par passion, mais ils restent sur leur quant à soi. Ils ont d’ailleurs le même parapluie roulé. Les deux gangsters sont blessés au bras et doivent s’extraire eux-mêmes la  balle qui les a touchés. La blessure n’est cependant pas mortelle. Dans les deux films il y un troisième personnage, grand, élégant, moralement très droit qui protège la jeune femme. On remarquera que le film est signé Frank Tuttle, le même réalisateur qui avait porté à l’écran This gun for hire qui fut une autre source d’inspiration pour Le Samouraï. Néanmoins, l’inspiration n’indique pas le plagiat. Melville est toujours resté Melville quels que soient les emprunts qu’il ait pu faire à d’autres films américains.

     Le traqué, Gunman in the streets, Frank Tuttle, 1950 

    La bande à Eddy le fait évader en attaquant le fourgon qui le mène au palais de justice 

    Le second intérêt de ce film est qu’il est tourné en France par un Américain. Frank Tuttle n’est pas n’importe qui outre qu’il a tourné This gun for hire, il a fait plusieurs incursions remarquées dans le film noir, et d’abord il a été le premier à adapter La clé de verre  de Dashiell Hammett. Mais voilà au début des années cinquante, il a des problèmes avec l’HUAC, la Commission des activités anti-américaine. C’est pour cela qu’il s’exile pour un temps en France. Sa carrière sera brisée, même si quelques années plus tard il tournera un autre film noir important avec Alan Ladd et Edward G. Robinson, Colère noire. C’est deux raisons suffisent déjà à susciter l’intérêt pour ce film à petit budget. Mais le film est en lui-même aussi tout à fait intéressant et possède de belles qualités cinématographiques.

     Le traqué, Gunman in the streets, Frank Tuttle, 1950 

    Eddy assiste impuissant à la capture d’une partie de sa bande par la police 

    Eddy Roback est un gangster américain qui a prospéré à la Libération dans le marché noir. Pour cela il a déserté l’armée américaine. C’est pour ces faits qu’il va être jugé. Mais le fourgon cellulaire est attaqué avant d’arriver au Palais de justice par la bande d’Eddy qui n’hésite pas à descendre des policiers. Eddy va se retrouver en cavale dans Paris. Ses pas le portent vers son ancienne maîtresse, Denise, chez qui il sait pouvoir trouver les moyens de s’enfuir. Mais évidemment la police ne dort pas et elle surveille les relations d’Eddy. Le commissaire Dufresne pense d’ailleurs qu’il ira chez Denise et à cet effet il la visite puis la fait surveiller. Mais Denise a aussi un autre petit copain, le journaliste Frank Clinton qui est très amoureux d’elle et qui va tout faire pour la protéger. Il essaie de la tenir à l’écart des salades d’Eddy, mais elle est bien trop loyale pour que cela soit efficace. Elle se sent d’ailleurs responsable d’Eddy. Frank et Denise vont donc aider Eddy à fuir. Celui-ci va rejoindre sa bande afin de passer la frontière pour se réfugier en Belgique. Mais les policiers sont sur sa piste et vont le rattraper. Evidemment tout cela finira dans un bain de sang.

    Le traqué, Gunman in the streets, Frank Tuttle, 1950  

    Max jette un regard concupiscent sur Denise 

    C’est un drame, noir, très noir. L’aspect dramatique est d’ailleurs renforcé par le fait qu’Eddy n’est pas très sympathique. C’est une brute qui n’a des moments d’humanité que par intermittence. Et s’il lutte contre Frank pour conserver Denise, c’est plus par orgueil que par amour. On note que le scénario a été écrit par Jacques Companéez qui a été un scénariste important, travaillant facilement dans le noir, avec des réalisateurs comme René Clément, Robert Siodmak, Pierre Chenal. Après ce film, il signera le scénario de Casque d’or, toujours avec Simone Signoret, film réalisé par Jacques Becker. Il décéda malheureusement trop tôt.

     Le traqué, Gunman in the streets, Frank Tuttle, 1950 

    Frank Clinton par amour pour Denise accepte d’aider Eddy 

    Tous les ingrédients d’un très bon film noir se trouvent réunis ici. Et même si le film ne possède pas de gros moyens, non seulement il est très proprement réalisé – intégrant l’ensemble des codes du film noir – et utilise parfaitement les décors parisiens qui donnent tout de même un peu plus qu’une couleur locale à l’ensemble. Les scènes d’action sont particulièrement réussies, l’attaque du fourgon cellulaire est rapide, filmée sous des angles très variés qui respectent la violence criminelle de l’attaque. De la même façon la scène finale qui signifie la fin de la bande à Eddy est d’une grande sauvagerie. Les corps s’entrechoquent, chutent, sont déchiquetés par les rafales de mitraillettes.

    D’une manière volontaire la lumière nocturne est voilée par un brouillard envahissant qui n’épaissit peut être pas le mystère, mais plutôt donne un aspect onirique à l’ensemble. On ne peut pas dire que le film soit sans défaut, les scènes avec Max qu’on pressent homosexuel, peut-être même pédophile, sont un peu trop lourdes, mais leur brièveté nous permet de glisser sur ce point.

    Le traqué, Gunman in the streets, Frank Tuttle, 1950  

    Eddy ne peut que remarquer la froideur de Denise 

    C’est une production française de Sacha Gordine ce producteur qui avait réussi de très bons films sous la direction de Marcel Carné ou Yves Allégret avec qui il fit Dédé d’Anvers film qui lança véritablement la carrière de Simone Signoret.

    Eddy est interprété par Dane Clarck, un obscur acteur américain qui n’a pas fait grand-chose et qui n’avait pas un physique très charismatique. Mais on lui reconnaîtra une énergie débordante et un jeu qui laisse passer les sentiments complexes et contradictoires d’Eddy. Denise, évidemment c’est Simone Signoret qui est très bien, oscillant entre son sens du devoir et les deux hommes qui troublent exagérément sa vie sentimentale. Plus intéressant est cependant le commissaire Dufresne joué par Fernand Gravey au mieux de sa forme. Il joue à merveille le vieux flic un rien roublard, un rien libidineux. Il incarne la détermination têtue de l’administration qui veut en finir avec Eddy. Robert Duke sait très bien tenir son rang pour incarné le dévoué Frank Clinton sans sombrer dans la niaiserie.

     Le traqué, Gunman in the streets, Frank Tuttle, 1950 

    Frank rusera pour passer le barrage de police 

    En dehors des scènes que nous avons dites plus haut, on retiendra encore le départ de Frank sur le quai de la gare, attendant plus que de raison l’arrivée de Denise qui ne viendra pas. Ou encore la malice de Frank qui se débrouille pour faire photographier la police par le gangster que justement elle recherche. Le film aurait été tourné en deux versions, une anglaise sous la direction de Frank Tuttle, et l’autre française sous la direction de Boris Lewyn. Il ne semble pas que ce soit le cas, non seulement parce que Boris Lewyn était seulement un monteur, il n’a jamais signé une autre réalisation, et donc on peut penser qu’il a mis son nom pour des raisons extra-cinématographique, ou que tout au plus il a filmé seulement des scènes en décors naturels. Sans en être sûr à cent pour cent, il me semble au contraire que tout le long on a la patte de Tuttle, ne serait-ce que dans cette manière de filmer les gares et les entrepôts qui est déjà dans This gun for hire. Même la manière de filmer les rapports entre la femme et les deux hommes ressemble par sa pudeur ou sa violence quand elle est confrontée à Eddy, à ce qu’on a vu déjà dans le film que je viens de citer

     Le traqué, Gunman in the streets, Frank Tuttle, 1950 

    Clinton est raccompagné à la gare où il prendra le train pour Paris

     Le traqué, Gunman in the streets, Frank Tuttle, 1950 

    Denise est touchée

     Le traqué, Gunman in the streets, Frank Tuttle, 1950 

    Eddy ne veut pas être pris vivant

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  • San-Antonio, Morpion Circus, 1983 

    Ce qui a assuré, au moins en partie, le succès des San-Antonio, c’est cette capacité à saisir l’air du temps. Cela veut dire beaucoup : d’une part que le style même de Frédéric Dard s’est modifié tout au long de sa très longue carrière, mais aussi qu’il a su saisir les transformations de la France. C’est ainsi par exemple qu’il passera d’une position plutôt apolitique et quelque peu conformiste, à un militantisme anti-raciste visant principalement Le Pen et le Front National. Et cela malgré tout en se définissant toujours et d’abord comme Français. On sait combien il regardait l’étranger – et particulièrement les Anglais – comme quelque chose d’assez peu compréhensible. Un colloque à Belfast va être consacré ces jours-ci à cette question des rapports entre San-Antonio et le monde hors des frontières de la France. 

     San-Antonio, Morpion Circus, 1983

    Morpion Circus a été écrit en 1983, on est encore à une époque où on pense que la Gauche – celle de François Mitterrand – doit avoir une politique différente de celle de la Droite. Pour cette raison, le Vieux a été viré et, affront suprême, remplacé par Bérurier. On voit le basculement : Achille est une sorte d’aristocrate égaré au service de la France, Bérurier un homme du peuple des plus grossiers. Dans la première partie de l’ouvrage, Frédéric Dard s’amuse de cette opposition, et c’est extrêmement drôle. A la fois parce que le Vieux va s’inscrire au Parti communiste – condamnant une Gauche rose qui hésite entre le blanc et le rouge – pour donner des gages au nouveau pouvoir, mais aussi parce qu’il met en scène les errements du comportement humain. Le commissaire San-Antonio n’est pas épargné parce que dans un premier temps il s’aplatit comme une carpette devant ses deux chefs – le Vieux et Bérurier – qu’il finira par remettre à sa place dans un sursaut de dignité.

    Cette transformation d’Achille en militant communiste est le pendant de l’arrivée au pouvoir d’un rustre – Bérurier – qui représente les classes inférieures. Non seulement il en dit long sur l’importance du changement en 1981, mais en outre il marque une évolution chez Frédéric Dard. Celui-ci est assez septique, comme si l’ordre ancien retrouverait forcément tôt ou tard sa place, mais en même temps attiré par ce bouleversement. Depuis de l’eau a passé sous les ponts et il est difficile de voir chez « les socialistes » l’initiation d’un quelconque bouleversement.

     

    Pour le reste l’histoire est assez embrouillée. San-Antonio recherche un diamant français qui aurait disparu depuis une vingtaine d’années dans une transaction douteuse mettant en scène un émir d’un pays pétrolier, les services d’espionnage anglais et bien sûr ceux de la France. Ça donne lieu à des déplacements entre le Royaume Uni, le Maroc et Genève, voyages au cours desquels l’exotisme des situations est mis en avant. 

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  •  Le cran d’arrêt, The turning point, William Dieterle, 1954

    Ce film noir présente de multiples intérêts. A commencer par le fait que l’histoire est signée Horace McCoy, un des maîtres selon moi du noir dans sa haute époque. Si on le connait encore un peu comme romancier, on oublie souvent qu’il a travaillé énormément pour Hollywood, sur des films de guerre, sur des westerns aussi. C’est aussi une des rares incursions avec Dark City de William Dieterle dans l’univers du film noir.

     Le cran d’arrêt, The turning point, William Dieterle, 1954 

    Horace McCoy est le second en partant de la droite sur la première rangée 

    John Conroy arrive à Los Angeles pour y faire un peu le ménage et mettre au pas le syndicat du crime dirigé par le richissime Eichelberger. Il peut compter sur la belle Amanda dont il est amoureux et sur son ami d’enfance Jerry McKibbon, journaliste un peu cynique mais intègre. L’entreprise s’avère délicate car le cruel Eichelberger menace les témoins, et au besoin les fait assassiner. En outre il a corrompu le propre père de John qui est policier et proche du dossier. L’affaire va devenir d’autant plus compliquée que Jerry et Amanda tombent amoureux au grand dam de John. Jerry va retourner Matt, le père de John, et l’amener à lutter contre Eichelberger, mais celui-ci se méfie et le fait abattre. Mais comme peu à peu John accumule les preuves contre les affaires illicites d’Eichelberger, ce dernier fait brûler l’immeuble qui abrite les archives d’une maison de courtage. L’explosion provoquera plusieurs morts. Entre temps John a découvert que Jerry et Amanda sont amoureux et son dépit le pousserait plutôt à tout laisser tomber. Mais c’est la femme d’un tueur La Rue qui va finalement faire tomber le gang et son chef, en effet, comme Eichelberger a fait descendre son mari, elle décide de se venger.

    Le cran d’arrêt, The turning point, William Dieterle, 1954 

    Jerry a surpris un coup de fil de Matt et décide de le suivre 

    Il y a donc deux histoires qui s’emboitent, l’une est celle de la lutte contre le syndicat du crime, et l’autre est celle d’une amitié qui se délite parce que les deux hommes sont amoureux de la même femme. Cela amène une sur dramatisation qui fait sortir le film de la routine. D’autant que les choses évidemment tourneront très mal. Au fur et à mesure que la lutte contre le crime se complexifie, la tension entre les trois protagonistes augmente. On remarque que le scénario ne s’embarrasse pas trop de la morale ordinaire puisqu’Amanda suit ses pulsions amoureuses sans trop se poser de question, son instinct étant plus fort que les convenances. C’est une femme émancipée qui agit comme bon lui semble. De même le père de John Conroy explique que ce sont les circonstances matérielles, l’attrait d’un bien être amélioré qui l’ont poussé à s’endetter et finalement à vivre de la corruption. Finalement c’est le journaliste qui affiche pourtant le plus grand cynisme qui se révèlera le plus idéaliste de tours. Il est vrai qu’Horace McCoy a toujours mis en avant le personnage du journaliste comme le gardien ultime de la morale dans un monde dépravé et corrompu.

     Le cran d’arrêt, The turning point, William Dieterle, 1954 

    Mais va directement chez Eichelberger 

    Ce qui fait le prix de ce film, avant toute chose, c’est la manière dont cela est filmé. Il y a d’abord une utilisation excellente des décors naturels de la ville de Los Angeles, que ce soit le funiculaire des Anges ou que ce soit les immeubles officiels comme le palais de justice. On est plongé au cœur de la vie moderne trépidante : le match de boxe qui sert de décor à la traque de Jerry en est le meilleur exemple. La foule y est compacte, et le gymnase ou se passe le combat est filmé sous des angles plutôt inattendu, comme cette idée de faire se déplacer le tueur dans les cintres.

    Il y a aussi de longs plans qui accroissent le rythme du film, comme ce traveling arrière qui saisit la discussion entre John et Jerry au moment où le procureur prend ses fonctions. Il y a là une belle science du mouvement. Mais Dieterle capte aussi parfaitement les ombres qui entourent l’action, que ce soit celles qui protègent la filature de Matt par Jerry, ou que ce soit les aveux murmurés d’Amanda.

     Le cran d’arrêt, The turning point, William Dieterle, 1954 

    Jerry et Amanda vont rendre visite à un témoin 

    L’interprétation est très bonne. L’élégant William Holden est au mieux de sa forme et n’a pas beaucoup à se forcer pour séduire Amanda, tant son opposition avec le tiède Edmond O’Brien parle d’elle-même. Mais si ce dernier ne possède guère un physique de jeune premier, il est pourtant très bon dans le rôle de l’amoureux bafoué qui poursuit vaille que vaille son devoir. La grand Alexis Smith est Amanda. Bon, ce n’est pas une actrice très glamour dont on rêve la nuit. Mais elle a de l’énergie.

    Le plus réussi est sans doute à rechercher du côté de la canaille. Avec en tête Ed Begley dans le rôle d’Eichelberger. Jouer les mauvais, plutôt rusés, ça le connait. Il est formidable. Pour le seconder on retrouve  Ted de Corsia un autre habitué des rôles de crapules et dans le rôle de Red le tueur, il y a Neville Brand qui n’a jamais pu jouer autre chose que les tueurs détraqués soit dans des westerns, soit dans des films noirs de série B. Il tint notamment le rôle d’Al Capone.

    Le plus remarquable est sans doute Tom Tully dans le rôle du père tourmenté qui se rend compte combien il a été trop loin pour de l’argent et combien il a mis en danger toute sa famille et la confiance qu’on doit avoir dans la loi. C’est d’ailleurs ce qui est répété plusieurs fois dans le film, il faut que les méchants soient punis, sinon on perd confiance dans la loi et la vie devient totalement impossible.

    Le cran d’arrêt, The turning point, William Dieterle, 1954 

    La décision d’abattre Matt ne plait pas à tout le monde 

    Souvent on prend ce genre de film comme une leçon de morale, une apologie de la police. Ce n’est pas le cas, sinon on se passerait bien d’en montrer la corruption. En vérité l’intention est une critique plus globale des hommes d’argent et de pouvoir qui considèrent qu’ils se trouvent au-dessus des simples citoyens. Dans un monde plus qu’imparfait traquer le crime organisé, c’est faire non seulement un acte de salubrité publique, mais aller vers un peu plus de démocratie. C’est du moins le message qu’on trouve dans toute l’œuvre noire d’Horace McCoy. A noter que c’est à cette époque que les Etats-Unis, malgré le corrompu J. Edgar Hoover qui freinait des quatre fers, se lancèrent dans la lutte contre la mafia d’une façon spectaculaire après en avoir nié longtemps l’existence. Le personnage de John Conroy semble inspiré de celui du sénateur Kefauver.

     Le cran d’arrêt, The turning point, William Dieterle, 1954 

    Amanda avoue à John son amour pour Jerry 

    C’est encore un de ces films qui ont servi de modèle à Jean-Pierre Melville, notamment pour les séances de retapissage. Plus d’une soixantaine d’années après sa réalisation, le film tient toujours bien la route. Le plus grand regret est sans doute qu’il est difficile à trouver dans une copie valable. Il existe bien en téléchargement quasiment gratuit sur Amazon.com. Mais y accéder par ce biais me parait fastidieux. En tous les cas pour les amateurs de « noir », ce film mérite un détour enthousiaste.

    Le cran d’arrêt, The turning point, William Dieterle, 1954 

    Eichelberger a fait sauter l’immeuble d’Arco

     Le cran d’arrêt, The turning point, William Dieterle, 1954

    Jerry reçoit un coup de fil de Carmelina La Rue

     Le cran d’arrêt, The turning point, William Dieterle, 1954 

    Les tueurs sont aux trousses de Jerry

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  • Malavida réédite Bo Widerberg

    Malavida films est une maison de production de DVD qui réédite des films plus que rares, mais de très haute qualité. En ce moment ils se donnent à fond pour une ressortie d’un film complètement oublié et surtout invisible depuis sa sortie en France au tout début des années soixante-dix. Il s’agit d’un film de Bo Widerberg, Joe Hill qui va être projeté au Festival de Cannes le 19 mai.

    Malavida réédite Bo Widerberg  

    Bo Widerberg est un excellent cinéaste suédois dont seulement une filmographie partielle nous est parvenue en France. Ce qu’on en connait surtout, c’est l’aspect social, presque prolétarien, qui nous rappelle d’ailleurs que la Suède avant d’être le modèle de la social-démocratie, a été le théâtre de luttes sanglantes. Adalen 31décrit des conflits sociaux qui pourraient déboucher sur une révolution sociale. Elvira Madigan est une fausse histoire d’amour, une critique plus qu’acerbe des mœurs bourgeoises.

      Malavida réédite Bo Widerberg

    Bo Widerberg était fait pour réaliser un film en hommage à Joe Hill. Ce dernier est un martyre des luttes sociales aux Etats-Unis, un des héros véritables de l’underground américains. Membre du syndicat anarchiste et révolutionnaire IWW qui connut des succès importants et qui visait directement au renversement du capitalisme, il était aussi d’origine suédoise. Il fut victime d’un procès truqué, un peu comme les pendus de Chicago et fut exécuté en 1915. Sa condamnation avait d’ailleurs entraîné des manifestations importantes et violentes. Son souvenir a été perpétué en chansons par les chanteurs de folk songs, et Bob Dylan disait qu’il avait été une source d’inspiration décisive pour son activité. C’est Joan Baez qui interprète la ballade de Joe Hill dans le film. Tout ça pour dire que Bo Widerberg fut au début des années soixante-dix un cinéaste important dans cette fièvre qui s’empara de l’Occident et qui semblait ne vouloir jamais finir. Mais en dehors de ce contexte particulier, il faut se souvenir que les films de Bo Widerberg sont d’une qualité technique irréprochable, à la fois simples et très biens réalisés, dans lesquels le message ne masque pas l’humanité et la poésie.

    Malavida réédite Bo Widerberg

    Aujourd’hui on peut trouver 4 films de Bo Widerberg en coffret chez Malavida, soit en le commandant directement sur leur site, soit en allant jusqu’à leur « Boutika » 6 rue Houdon, 75018 Paris qui a l’air sympa. Le tout pour la modique somme de 48 €. Ça nous permettra de tuer le temps en attendant la sortie en DVD de Joe Hill pour la fin de cette année si on n’a pas la chance de le voir à Cannes. J’ose espérer que ce film recevra l’accueil qu’il mérite. Et que cela encouragera Malavida à nous donner d'autres films de Widerberg.

     

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