•  Portrait of a mobster, Joseph Pevney, 1961

    Toujours de Joseph Pevney, voilà un excellent film de gangster, façon ascension et chute d’un caïd. Cette fois il s’agit de la vie brève et violente de Dutch Schultz qui en vérité s’appelait Arthur Flegenheimer et avait des origines juives allemandes. Ce serait lui qui aurait fait tuer le fameux Legs Diamond, mais il se serait fait à son tour abattre par les hommes de Lucky Luciano avec qui il ne voulait pas composer pour ce qui concerne la maitrise des loteries à numéro. C’est donc un personnage de légende, de l’époque de la prohibition et qui survécut bienpeu de temps à celle-ci. 

    Portrait of a mobster, Joseph Pevney, 1961

    Le scénario est basé sur un ouvrage d’Harry Grey – de son vrai nom Herschell Goldberg – qui est maintenant surtout connu pour avoir écrit The hoods, apparemment son autobiographie, qui servit de base au film de Sergio Leone, Once upon a time in America, Robert De Niro interprétant son rôle. C’est donc quelqu’un qui s’y connait, qui sait de quoi il parle. En vérité il n’y a pas beaucoup de rapport entre le livre et le film : par exemple Dutch et Bo Wetzel (pour Weinberg) sont présentés dans le film comme des amis d’enfance qui ont grandi ensemble dans la rue, alors que dans le livre Ils se croisent au moment où Dutch va se lancer dans la conquête du Bronx. Le personnage du roman est bien plus paranoîaque que celui du film, et moins conventionnele aussi Dutch a une relation sexuelle compliquée avec la mère et ses deux filles, trois rouquines. Précisons que ce sont deux personnages qui ont réellement existé. Par contre dans l’ouvrage si il y a bien une guerre des gangs, elle n’est pas le fait d’un conflit entre Legs Diamond et Dutch, mais plutôt entre Schultz et Cole, puis entre Schultz et la mafia. Ou encore entre la mafia sicilienne et les gangs d’origine juive.

    Le scénario proprement dit est de la plume d’Howard Browne, écrivain et scénariste qui se spécialisa un peu dans le personnage d’Al Capone. En vérité il apparaît que ce film est une sorte de duplication du film de Budd Boetticher, The Rise and Fall of Legs Diamond qui avait été une excellente surprise l’année précédente. Mais tout cela ne change rien au fait que le film est très bon. 

    Portrait of a mobster, Joseph Pevney, 1961 

     Dutch et Bo partent à la conquête du Bronx 

    Dans le film, Dutch Schultz et Bo Wetzel sont deux amis d’enfance, des petits cambrioleurs qui décident de devenir des caïds à la fois en profitant de la prohibition – ils vont mettre la main sur des brasseries – et de l’anarchie qui règne sue le Bronx.  Pour cela ils vont s’allier avec des politiciens et des policiers véreux, tout en se servant d’une force de frappe de premier choix recrutée dans la rue. Cependant Dutch va tomber sous le charme d’Iris qui n’est rien moins que le fille d’un brasseur de bière qu’il a lui-même tué. Or celle-ci est fiancée à un flic de base. Rapidement les projets de Dutch vont se heurter à la bande Legs Diamond. La guerre entre les deux est sanglante, mais c’est Dutch qui en sortira vainqueur. Entre temps Iris a épousé Frank Brennan, le flic, mais leur couple connait des difficultés financières qui vont amené Frank à se vendre à Dutch. Mais cela ne suffira pas et Dutch emportera Iris comme un trophée de guerre. Comme toujours quand on tire trop sur la ficelle, elle craque. En effet, Dutch est à la fois harcelé par la justice et une partie de la police qui n’est pas corrompue, mais aussi par la mafia qu’il traite comme un ramassis de métèques.

     Portrait of a mobster, Joseph Pevney, 1961

     Legs Diamond est entré en guerre contre Dutch 

    Quoique le scénario nous paraisse aujourd’hui un peu convenu, le film est très bien mené et tient bien le specateur sur son fauteuil. La mise en scène est excellente, comme souvent avec Pevney qui a le sens des mouvements d’appareil. Il y mêle aussi des images du passé – le film se passe dans les années vingts – où on peut voir le New York populaire de cette époque. Contrairement aux films de mafia se tourneront à partir du Parain, le film de Sergio Leone compris, ce film n’a pas de « glamour » et le héros très négatif n’a rien de romantique. Il évite également de devenir un support à la gloire des forces de l’ordre qui ne sont pas particulièrement présentées sous un bon jour, les policiers non corrompus apparaissant plutôt comme des exceptions qu’une généralité. 

    Portrait of a mobster, Joseph Pevney, 1961

     D’une manière obstinée Dutch veut conquérir Iris 

    Film à petit budget, Portrait of a mobster repose sur la qualité de son interprétation. Vic Morrow trouve ici son meilleur rôle. Il est un Dutch à la fois séducteur, vulgaire et colérique. Il est tout à fait crédible aussi en amoureux déçu. Son accolyte, Bo Wetzel est incarné magnifiquement par Norman Alden, un habitué des seconds rôles et des séries télévisées. L’inconstante Iris est jouée par Leslie Parrish qui ne fera rien d’extraordinaire en dehors de ce film. Mais elle est très bien. Le clou de la distribution est d’avoir engagé Ray Danton pour incarner à nouveau Legs Diamond, avec ses mêmes accoutrements, ses mêmes gestes et ses mêmes pistolets. Il est tout à fait brillant. Les autres acteurs, qui penchent plutôt du côté de la loi, sont aussi excellents et ont cette facilité à incarner des archétypes : les policiers sont suffisamment endurcis par la vie et les difficultés de leur métier, et les gangsters ont bien des figures patibulaires.

     Portrait of a mobster, Joseph Pevney, 1961

     Dutch est prévenu que les Brennan ont acheté une maison au dessus de leurs moyens 

    Si on retrouve les habituelles scènes de règlement de comptes, l’attaque des speakeasies, il y a des moments plus inattendus, comme cette manière que le juge corrompu a d’éviter la prison à Dutch. Dutch se prenant pour un chanteur de charme, alors qu’il chante comme une casserole est aussi très bien venu. La scène finale qui voit le quartier général de Dutch tomber sous les coups de la mafia est magnifiquement filmée. Car en effet, ce qui importe dans ce film c’est d’abord la trahison. Tout le monde trahi tout le monde, les juges et les policiers trahissent leur métier, Iris trahi à la fois son père et son mari, les hommes de Dutch le trahissent et lui-même les vend à la mafia. Le seul à rester au-dessus de ce genre de contingence est Bo Wetzel qui manifeste son amitié et sa fidélité pour Dutch jusqu’au bout, jusqu’à la mort.

    Portrait of a mobster, Joseph Pevney, 1961

     Les nouvelles ne sont pas bonnes Dutch va être jugé 

    Si je resitue ce film dans son contexte particulier, je vois qu’il a été tourné en 1961. Bien qu’il reprenne quelques formes empruntées au Scarface d’Howard Hawks, il s’inscrit dans une lignée de films anti-mafia tournées à la même époque. En effet, c’est au début des années soixante que le FBI dirigé par le sinistre Hoover a fait semblant, poussé par les événements, de redécouvrir la mafia comme un mal à combattre en priorité. Mais il ne se pressera pas de le faire, étant lui-même complètement corrompu par cette même mafia. Outre La chute d’un caïd de Budd Boetticher, le film de Pevney est aussi proche de celui de Stuart Rosemberg, Murder inc. Ces films ne veulent pas développer un point de vue moral, ils se veulent descriptifs, laissant le spectateur se faire une opinion par lui-même. C’est certainement la rupture d’avec les films de ce genre qui se tournaient dans les années trente et qui présentaient toujours les gangsters comme de sinistres crapules sans morale et sans complexité. 

    Portrait of a mobster, Joseph Pevney, 1961

     Iris a sombré dans l’alcool 

    Ce film de Pevney qui illustre de belle manière le sous-genre du film noir qu’est l’ascencion et la chute d’un caïd, à défaut d’être très original, mérite plus que le détour. Une manière de saluer le savoir faire de son réalisateur, à mon sens bien trop négligé par la critique.

    Portrait of a mobster, Joseph Pevney, 1961

     Brennan est ridiculisé par les hommes de Dutch

     Portrait of a mobster, Joseph Pevney, 1961

     Dutch se défend contre les hommes de la mafia

     Portrait of a mobster, Joseph Pevney, 1961

    Le vrai Arthur Fegenheimer

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  •  Iron man, Joseph Pevney, 1951 

    Dans la rubrique « films noirs de boxe », Iron man vaut le déteour. Joseph Pevney est un réalisateur méconnu. Bien qu’il ait touché à un peu tous les genres, il a développé son savoir dans le film noir, avec des petits films très bons interprétés par Tony Curtis au début de sa carrière : The midnight story, 6 bridges across et Flech and fury sont des films remarquables. Il a égalment fait l’acteur – il était le condisciple de John Garfield. Et justement il a joué avec lui dans Body and Soul le très beau film de boxe de Robert Rossen et un des plus grands succès de John Garfield.

     Iron man, Joseph Pevney, 1951 

    Joseph Pevney et John Garfield dans Body and Soul 

    Il y a d’ailleurs beaucoup de similitudes entre les deux films. Par exemple, le personnage de Joseph Pevney, Shorty Polasky, ressemble comme deux gouttes d’eau à celui du frère de Coke Mason interprété par Stephen McNally. L’autre intérêt de ce film est qu’il s’agit d’une adaptation d’un roman de Willaim R. Burnett, un des piliers selon moi – mais pas que – du roman noir américain de l’époque glorieuse. C’est à lui qu’on doit The asphalt jungle, très beau roman, mais aussi archétype du film noir.

    En vérité c’est un remake d’un film du grand Tod Browning de 1931 dans lequel le rôle principal était tenu par Lew Ayres, tandis que Jean Harlow interprétait Rose. Le film de Tod Browning était beaucoup plus noir que celui de Pevney, peut-être cela vient-il de ce qu’il a été tourné pendant la grande crise : Rose notamment était franchement mauvaise, alors qu’ici, malgré son ambiguïté initiale, elle conservera quelque chose de bon.  

    Iron man, Joseph Pevney, 1951

    Coke Mason est un mineur, un peu rustre, qui ne rêve que de s’acheter un petit magasin de radio et d’échapper à cette obligation sinistre de descendre au fond d’un puits pour extraire du charbon. Son frère George, moins costaud, mais plus malin tient une salle de billards. C’est lui qui va pousser Coke à passer boxeur professionnel. Or Coke n’a pas beaucoup de métier, c’est seulement une brute qui frappe fort et qui détruit. Mais enfin, encouragé par sa fiancée Rose qui pense ainsi à l’argent qu’il peut gagner il va se lancer sur le chemin du succès. Jusqu’à devenir champion des Etats-Unis dans la catégorie des poids lourds. Mais à la suite d’un combat arrangé, il se séparera de son frère et de sa fiancé. Errant de ci de là, il finira par perdre son titre contre Speed O’Keefe, un ancien ami à lui du temps de la mine que son frère entraîne également. C’est à l’occasion de son ultime combat qu’il perdra, qu’il retrouvera le respect de lui-même et les applaudissements enfin du public. 

    Iron man, Joseph Pevney, 1951 

    La boxe y est bien dénoncée comme un sport sauvage et sans éthique. On y voit les magouilles des uns et des autres, comme on y voit les effets délétères sur les relations amicales, non seulement entre les deux frères, mais aussi entre O’Keefie et Coke. Mais ce n’est pas Raging bull. dans les années cinquante, l’époque de la chasse aux sorcières, on est peut-être dans ce qu’il y a de pire pour le cinéma américain en matière de puritanisme. Et à mon avis, cette nécessité déséquilibre beaucoup trop le film. Prenons l’exemple de Rose : au début on la voit en petite vendeuse qui se fait draguer sans déplaisir par son patron, alors qu’elle est fiancée presqu’officiellement avec Coke. C’est elle qui le pousse à être boxeur professionnel. C’est elle encore qui détourne l’argent de Coke pour acheter un combat. Mais ensuite, elle semble être le guide de la rédemption de Coke. Même chose pour le frère, on comprend bien à ses beaux costumes qu’il ne vit pas de son travail, mais plutôt de petites combines. Pour autant la rupture entre les deux frères intervient sans qu’on ait clairement connaissance des fautes de George. Et encore Coke est une grande brute, un véritable suavage. Mais il a une conscience, aussi il ne vise qu’à perdre son dernier match pour se racheter d’on ne sait trop quoi. 

     Iron man, Joseph Pevney, 1951 

    Le travail de la mine est dur et pénible 

    Le film n’est pas très long, à peine 1 h 18. Mais probablement que trop de temps est accordé aux matches de boxe proprement dits. Pas que ces matches soient mal filmés. Certes ce n’est pas Raging bull, ni même Body and Soul, c’est pourtant supérieur au pauvre film de Clint Eastwood Million dollars baby. Si la chorégraphie des combats est assez sommaire, basée principalement sur la balourdise de Coke, Pevney arrive à maintenir chaque fois le suspense : on ne sait pas qui va gagner. Par contre, tout le début du film est remarquable, la petite ville Coaltownest remarquablement bien filmée, les scènes dans la mine sont très bien aussi, tout en évitant le misérabilisme : les décors, les figurants, tout cela donne une vie très dense un côté prolétarien bien venu. Parmi les scènes remarquables, je retiendrais l’accident au fond de la mine, avec toute la petite ville qui accourt au secours des mineurs. C’est ce qui explique que Coke va finalement se laisser convaincre de faire boxeur professionnel. 

    Iron man, Joseph Pevney, 1951 

    Le puit s’est effondré, l’alerte est donnée en ville 

    Par sa thématique, par les rapports ambigus entre les deux frères, Iron man  se rapproche aussi bien de Body and Soul  que du très bon Champion  de Mark Robson avec Kirk Douglas qui fut un grand succès deux ans auparavant. C’est d’ailleurs en revoyant ces vieux films sur la boxe qu’on se rend compte combien le film noir prenant la boxe comme sujet a évolue d’une approche quasiment prolétarienne vers les niaiseries plates et sans saveur en passant par Rocky et en se terminant par Million dollars baby. Mais les temps ont bien changés, et la boxe n’est plus un sport très populaire, à peine un spectacle où les effets remplacent la description d’un milieu social misérable. 

    Iron man, Joseph Pevney, 1951 

    Coke a gagné, mais il n’est pas content 

    L’interprétation est excellente. Avec en tête Jeff Chandler dans le rôle de Coke. Certes il n’a pas vraiment l’allure d’un boxeur, et Pevney ne se préoccupe guère de lui maquiller le visage pour montrer combien il paye cher le fait de s’obstiner à boxer. Mais son physique un peu étrange – il sera abonné ensuite aux rôles de Cochise – son air bourru font merveille. Il fait partie de ces acteurs de le fin des années quarante et du début des années cinquante qui se sont un peu englués dans les productions de Universal, sans que ce studio ne lui donne la possibilité de s’exprimer suffisamment. Un peu comme Steve Cochran, il est injustement oublié.

    A ces côtés il y a Evelyn Keyes, qui fut la femme du grand John Huston, lui aussi un grand amateur de boxe – sa pratique lui ayant donné son nez cassé et lui permit tardivement de tourné le crépusculaire Fat city, sûrement un des meilleurs films sur ce monde décomposé de la boxe professionnelle. Evelyn Keyes qui est elle aussi très oubliée aujourd'hui, apporte le côté un peu blasé au film, avec sa dureté. Elle est excellente.

    Stephen McNally joue le rôle du grand frère George de manière très convaincante, oscillant entre tendresse fraternelle et égoïsme matérialiste.

    Iron man, Joseph Pevney, 1951 

    C’est sous les huées qu’il remporte son titre de champion 

    La distribution est complétée par Jim Backus, très bon second rôle, qui interprète ici l’ambigu journaliste sportif Max, et le fade Rock Hudson assez peu crédible dans le rôle d’un mineur qui va devenir à son tour un grand boxeur. Après tout, ce n’est pas parce qu’on dispose d’un physique de jeune premier qu’on ne peut pas interpréter un boxeur, la preuve Paul Newman dans le très bon Marqué par la haine. Joyce Holden au physique aussi un peu dur est la photographe qui tomber sous le charme bestial de Coke, avant de s’apercevoir qu’il a autre chose à faire que de s’occuper d’elle. Il y a donc des « gueules » intéressantes dans ce film qui à la fois le date et lui donne son cachet. 

    Iron man, Joseph Pevney, 1951

    Coke s’est éloigné de Rose et s’est découvert une nouvelle compagne 

    Iron man, Joseph Pevney, 1951 

    Battu, Coke est pour la première fois acclamé

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  • Frédéric Dard, Les bras de la nuit, Fleuve Noir, 1956  Les bras de la nuit, Jacques Guymont, 1961

    Ce n’est pas adapté d’un des meilleurs romans noirs de Frédéric Dard. C’est un des tous premiers « Spécial police ». Il vient juste après l’excellent Délivrez nous du mal. Il date de 0956, et à cette époque Dard n’a pas tout à fait trouver sa vitesse de croisière. D’ailleurs son roman se passe aux Etats-Unis, comme beaucoup de romans de cette époque au Fleuve Noir, ce qu’il va abandonner tout de suite après.  

    Frédéric Dard, Les bras de la nuit, Fleuve Noir, 1956  Les bras de la nuit, Jacques Guymont, 1961

    Les inspecteurs Landais et Morel soupçonnent que Madame Garnier a tué son mari. Ils enquêtent en effet sur la disparition mystérieuse de celui-ci. Mais Landais tombe sous le charme de Madame Garnier, une femme délaissée, trompée et abandonnée,  en même temps qu’elle devient sa maîtresse elle lui avoue avoir tué son mari durant une escapade en mer : en effet Garnier a été amené à détourner de l’argent et se cachait. Pourtant cette piste va s’avérer fausse et en réalité on retrouve la piste de son mari sur un bateau qui le ramène d’Italie. Landais va poursuivre et tuer Garnier. Mais quand il revient et croit que tout est réglé, il est surpris de voir Danièle Garnier avouer le meurtre, tandis que Morel a retrouvé l’argent de Garnier, ce qui est un motif suffisant pour expliquer le meurtre. Dès lors Landais n’a plus que le choix de tout raconter de façon à disculper sa maîtresse. 

    Frédéric Dard, Les bras de la nuit, Fleuve Noir, 1956  Les bras de la nuit, Jacques Guymont, 1961 

    La première visite de Landais et Morel chez les Garnier 

    Le roman est, bien que se passant en Amérique,  curieusement très influencé par la saga du commissaire San-Antonio qui commence à prendre forme. Les rapports entre l’inspecteur chef Wilkins et l’inspecteur Morel sont assez décalqués de ceux qu’entretiennent San-Antonio et Pinaud. De même les remarques peu amènes aussi bien sur la bonne des Garnier que sur la maîtresse du disparu sont tout à fait dans la lignée des aventures du célèbre commissaire. Avec un peu de grain de folie et moins de sérieux, cette histoire aurait pu faire l’objet d’un San-Antonio de la fin des années cinquante. Le deuxième point est que la trame de ce roman sera reprise au moins partiellement dans un autre roman de Frédéric Dard, Le monte-charge qui est en effet l’histoire d’un puavre garçon solitaire qui aliénera sa liberté pour sauver la femme qui l’aime et qui a tué son mari. C’est donc l’histoire d’un amour désespéré qui mène inévitablement à la mort. C’est une passion sans joie pour le sacrifice, au nom d’une idée complètement idéalisée de la relation amoureuse. Si l’insertion de cette histoire dans une Amérique un peu fantasmée n’est pas très crédible, par contre la qualité de l’écriture est déjà là.  Le fameux ton de Frédéric Dad dans les petits formats du Fleuve Noir.

    Frédéric Dard, Les bras de la nuit, Fleuve Noir, 1956  Les bras de la nuit, Jacques Guymont, 1961  

    La froide Danièle Garnier ferait un coupableidéal 

    C’est un film très rare, difficile à trouver, probablement parce que malgré la présence de Danièle Darrieux il n’a pas très bien marché. L’histoire a été transposée sur la Côte d’Azur, mais dans l’ensemble elle suit parfaitement la trame du roman. Seuls les noms et les lieux ont changé. La mise en scène de Jacques Guymont est plutôt appliquée, on y retrouve des éléments du film noir qu’il a bien assimilé, comme l’utilisation des ombres ou des jalousies qui permettent de voir sans être vu et qui rayent et défigurent l’espace balayé par les regards. Guymont utilise aussi la voix off et le flash-back. Mais il y a pourtant des fautes assez grossières. Par exemple Landais passe son temps à mettre et à enlever son imperméable alors qu’on se trouve sur la Côte d’Azur où il semble faire un très beau temps. 

    Frédéric Dard, Les bras de la nuit, Fleuve Noir, 1956  Les bras de la nuit, Jacques Guymont, 1961 

    Le vieux Belleau dévoile la situation financière de Garnier 

    Mais ce n’est pas la critique principale qu’on fera au film. En effet, le problème central est celui de l’interprétation. Roger Hanin est peu crédible dans le rôle d’un amoureux malade de sa passion, et Danièle Darrieux est un peu trop âgée pour tenir le rôle de la jeune épouse de Garnier. On la sent trop forte, trop sûre d’elle pour croire un instant qu’elle a été dominée par le sentiment d’abandon. Entre les deux acteurs il ne se passe rien. Ils ne rendent pas compte de cette folie et de cet abandon que les deux personnages principaux connaissant. Ce sont pourtant des acteurs qui ont peuplé l’univers de Frédéric Dard. Roger Hanin a joué Les salauds vont en enfer au théâtre, puis il deviendra Maître Da Costa, le héros de la série télévisée imaginée par Frédéric Dard. Danièle Darrieux sera l’héroïne très convaincante de L’homme de l’avenue. Pierre Destailles dans le rôle de l’inspecteur Morel et Pierre Larquey dans celui de Belleau sont plus justes. 

    Frédéric Dard, Les bras de la nuit, Fleuve Noir, 1956  Les bras de la nuit, Jacques Guymont, 1961 

    Dora  la maitresse de Garnier n’est pas très coopérative et semble cacher quelque chose 

    Si on reconnait bien le ton des romans de Frédéric Dard, on peut dire cependant que l’adaptation cinématographique est un peu ratée. Suivant l’ouvrage à la lettre, il en manque l’esprit, cette forme de névrose mortifère qu’engendre nécessairement la passion amoureuse. Ce n'est pas si facile d'adapter Frédéric Dard, et il y aura finalement peu de réussites au cinéma, Le monte-chargeLes scélérats, Toi le venin ou encore Le dos au mur. 

    Frédéric Dard, Les bras de la nuit, Fleuve Noir, 1956  Les bras de la nuit, Jacques Guymont, 1961 

    Morel a beaucoup naviguer dans la ville, il a mal aux pieds 

    Frédéric Dard, Les bras de la nuit, Fleuve Noir, 1956  Les bras de la nuit, Jacques Guymont, 1961 

    Landais fait des projets d’avenir 

    Frédéric Dard, Les bras de la nuit, Fleuve Noir, 1956  Les bras de la nuit, Jacques Guymont, 1961 

    Landais a repéré Garnier à la descente du bateau.  

    Frédéric Dard, Les bras de la nuit, Fleuve Noir, 1956  Les bras de la nuit, Jacques Guymont, 1961 

    Frédéric Dard, Les bras de la nuit, Fleuve Noir, 1956  Les bras de la nuit, Jacques Guymont, 1961 

    Des motifs du film noir

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  •  Dans la ville en feu, Michael Connelly, Calmann-Lévy, 2015

    On aurait tort, au motif que Connelly est célèbre et qu’il lui arrive parfois de se louper, de se priver de suivre sa série mettant en scène Harry Bosch. Michael Connelly utilise deux héros récurrents, Bosch et l’avocat Mickey Haller. C’est le premier qu’on aime suivre, le second est antipathique et sans profondeur, banal artifice du roman « procédural ». Mais Bosch a du caractère.  

    Le roman démarre sur les émeutes de Los Angeles de 1992. C’est une atmosphère de guerre civile. La police de L.A. a déconné et s’est laissé débordée. Les émeutes suivent le désastreux procès des policiers qui ont tabassé Rodney King, elles réunissent des dizaines de milliers d’individus qui sont en état de sécession ; La ville est à feu et à sang, des crimes nombreux sont commis. Parmi ceux-ci, une jeune journaliste danoise que Bosch et son coéquipier Edgar trouve au hasard de leur patrouille. C’est ce crime qui va resurgir vingt ans après. C’est la vieille technique du roman noir, le rapport entre le passé et le présent. La mémoire s’effiloche et il faut de l’obstination pour l’honorer, la faire revivre. Il va y avoir une symétrie entre la guerre en Irak, l’opération Tempête du désert et les émeutes de Los Angeles en 1992. Ou encore on pourrait dire que la quête de Bosch c’est la continuation d’une guerre qui a commencé en 1991, s’est poursuivi en 1992 et n’est pas encore achevé aujourd’hui. 

    Dans la ville en feu, Michael Connelly, Calmann-Lévy, 2015 

    Dans la ville en feu, Michael Connelly, Calmann-Lévy, 2015 

    Les émeutes de Los Angeles en 1992 

    L’enquête menée par Bosch va permettre de relier les morceaux du puzzle et démasqué les coupables de plusieurs crimes non élucidés. Bien sûr comme d’habitude Bosch est emmerdé par sa hiérarchie, bien sûr il essaie tant bien que mal de faire coïncider ce qu’il croit être les devoirs de père avec les exigences de son métier de policier. Mais ici tout est bien emboîté, c’est du grand art. je veux dire que si les détails techniques de l’enquête sont abondants, ils srvent à faire progresser le récit. 

    Dans la ville en feu, Michael Connelly, Calmann-Lévy, 2015 

    La voiture utilisée par Bosch lors de son escapade dans le nord de la Californie 

    Cet épisode de la vie de Bosch est sûrement un des mieux réussis. A l’heure actuelle, il y a actuellement deux grands maîtres du roman noir aux Etats-Unis, Michael Connelly et Joseph Wambaugh. Les formes empruntées par Connelly sont très sobres, fourmillent de détails d’une telle précision que la visualisation de l’histoire est aisée. On aime aussi que Bosch écoute de la musqiue de jazz, c’est si rare aujourd’hui. En plus il a bon goût puisqu’il parle de Art Pepper lorsque celui-ci a vécu une seconde naissance au tout début des années 80. Il y a tout un long passage où Bosch discute avec un instructeur de tir au pistolet de jazz. Au-delà de la joute entre les deux hommes cela nous permet tout de même de saisir la vitalité d’un art musical qui est malheuereusement oublié par tous aujourd’hui. Mais c’est une manière de dire aussi que Bosch est un résistant. 

    Dans la ville en feu, Michael Connelly, Calmann-Lévy, 2015 

    Bosch adore le jazz et particulièrement Art Pepper : il a bien raison 

    Dans la ville en feu, Michael Connelly, Calmann-Lévy, 2015 

    Michael Connelly aime aussi beaucoup ce pianiste élégant, peu connu en France 

    Il y a de nombreuses scènes mémorables dans cet ouvrage, bien sûr la description hallucinée des émeutes de 1992, mais aussi la confrontation avec  l’ancienne petite amie de Charlie dans un dialogue virevoltant, la rencontre avec l’agent du ATF qui se cache pour lui apporter des renseignements et que Bosch fait espionner par son collègue. On peut aussi y ajouter l’interrogatoire de Reggie Banks. 

    Dans la ville en feu, Michael Connelly, Calmann-Lévy, 2015 

    Bosch et son compère Edgar dans la série Bosch

    Bosch est certainement le descendant de Marlowe, et Connelly un disciple de Chandler et de Ross Mcdonald. Même si Bosch a une fille – comme le triste Wallander, le héros de Mankell, Madeline veut du reste devenir flicquesse à son tour – il n’a jamais eu de vie de famille et reste un chevalier solitaire, tout autant que moderne. D’une manière assez masochiste il s’impose un devoir d’humanité avec les victimes. 

     

     

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  •  Les félins, René Clément, 1964

    René Clément fut certainement un des maîtres du film noir français. Les félins est le reflet d’une grande maitrise. Il s’agit d’une adaptation d’un roman de Day Keene, Vive le marié. Même si Day Keene est un auteur remarquable de romans noirs, très sous-estimé, il faut dire que le film de René Clément n’a pas beaucoup de rapport avec le livre. De même on trouve le nom du grand Charles Williams comme coadaptateur. En réalité, selon René Clément lui-même qui le décrit comme un ivrogne très sympathique, il n’a strictement rien fait sur le film. Malgré tout cela c’est une réussite, et cinquante années après, il se laisse voir et revoir avec un grand plaisir.

    Les félins, René Clément, 1964  

    Marc est un play boy inconséquent qui a séduit la femme d’un ponte de la mafia. Sa tête est mise à prix, et il n’échappe à la mort une première fois qu’en quittant les Etats-Unis pour se réfugier sur la Côte d’Azur. Mais les bandits ont de la suite dans les idées, et ils retrouvent sa piste. Un nouvelle fois il leur échappe miraculeusement. Il va alors se réfugier dans une asile pour clodos où il espère se faire oublier. C’est la qu’il va rencontrer Barbara qui, accompagnée de la jeune Melissa fait la tournée des asiles de nuit pour distribuer de l’aide aux nécessiteux. De fil en aiguille, elles vont finir par embaucher Marc comme chauffeur, il faut bien aider les malheureux à se réinserrer. Il logera dans une annexe de la luxueuse propriété. Mais cette situation est louche, et Marc se rend compte qu’il est manipulé. On le drogue, pourtant Melissa semble éprouver de réels sentiments pour lui. En vérité le but des deux femmes est de récupérer le passeport de Marc et de permettre ainsi à son ancien amant qui se cache dans la maison de retrouver une identité et de pouvoir enfin sortir. Les difficultés sont d’autant plus grandes, que les hommers de Loftus n’ont pas renoncé, et repérant Marc au milieu de la circulation dans Nice, ils vont encore le pourchasser. 

    Les félins, René Clément, 1964 

    Marc à New York est malmené par les hommes de Loftus 

    Le film est rythmé, pas de temps mort, il mêle adroitement l’action au pur suspence et à des ombres affaires de jalousie et de rancune. En effet Melissa est jalouse à en mourir de Barbara, mais Vincent est aussi jaloux de Marc. C’est cette jalousie maladive qui entrainera tout le monde vers une fin tragique, une destruction. Il y a un côté neurasthénique qui n’existait pas dans le roman. Le film joue aussi sur cette idée : qui est la dupe de qui ? Tout le monde se méfie de tout le monde, et la personne la plus perverse n’est pas celle qu’on croit. Mais ce qui fait plus encore la particularité du film, c’est son érotisme discret et vénéneux.

    Les félins, René Clément, 1964  

    Marc voit sa dernière heure approcher 

    C’est une coproduction franco-américaine, et le film fut un gros succès des deux côtés de l’Atlantique, comme dans les autres pays européens. Tout est parfait. Des acteurs à la musique de Lalo Schifrin qui sera reprise avec succès par l’organiste de jazz Jimmy Smith. Réglons d’abord la question de l’interprétation. Delon domine la distribution, présent d’un bout à l’autre du film, c’est la troisième fois qu’il travaille avec René Clément, après Plein soleil  et Quelle joie de vivre que Delon lui-même range parmi ses films préférés et qui n’avait pas marché aussi bien que prévu. Delon est impeccable dans ce rôle de voyou. Les deux filles sont très bien, Lola Albright est sûrement la bonne surprise du film, elle joue Barbara, à la fois troublante et troublée par Marc. Jane Fonda est Melissa, en apparence une jeune femme fragile et immature. 

    Les félins, René Clément, 1964

    A l’asile de nuit, Marc est repéré par Melissa 

    Tourné en écran large et en noir et blanc, la photo d’Henri Decae qui a travaillé souvent avec René Clément, mais aussi avec Jean-Pierre Melville notamment sur Le samouraï, et aussi avec Julien Duvivier sur un film très sous-estimé d’Alain Delon, Diaboliquement votre, est excellente. On remarquera une utilisation particulière des décors, des formes baroques, une architecture déroutante. C’est la patte de René Clément qui ne laissait le soin à personne de choisir les objets qui donnaient la vie à un décor singulier. On retiendra encore la scène de la fuite de Marc dans un endroit presque désert de la Côte, alors que le gang veut l’éliminer. Ou la visite de Barbara et Melissa à l’asile de nuit, les deux femmes sont filmées dans une sorte de brouillard, en plan éloigné, s’avançant menaçantes vers les cloches qui peuplent l’asile.

    Les félins, René Clément, 1964  

    Marc est un étrange chauffeur 

    Les félins, René Clément, 1964 

    Une crevaison obligera Marc à se livrer à Melissa 

    Les félins, René Clément, 1964 

    René Clément dirigeant Alain Delon sur Les félins

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