• La ville captive, The captive city, Robert Wise, 1952

     La ville captive, The captive city, Robert Wise, 1952

    Si Robert Wise a commencé par tourner des films noirs de série B, il a aussi rapidement grimper les échelons. The captive City est donc un film a budget moyen dont la durée excède les 90 minutes. Le film a été produit par Aspen la société de production qu’avaient montée conjointement Robert Wise et Mark Robson. Le sujet n’est pas tout à fait original, il s’inscrit d’ailleurs dans la campagne menée par Kefauver contre la mafia – le crime organisé. On verra du reste Kefauver à la fin du film, histoire de donner un sentiment d’authenticité à l’histoire. La gloire d’Estes Kefauver, sénateur démocrate, est d’avoir transformer sa commission d’enquête sur le crime organisé en un vaste spectacle télévisé à un moment où la télévision commençait à prendre de l’importance dans les foyers américains. Il visait comme but la destitution de J. Edgard Hoover l’inamovible crapule à la tête du FBI qui ne voulait absolument rien faire contre la mafia, préférant traquer des communistes imaginaires. Il est vrai que J. Edgar tirait de larges profits de ses compromissions. L’étalage au grand jour de l’importance de la mafia dans la société américaine choqua l’opinion et obligea le FBI à s’agiter pour faire quelque chose. Dans ce film, le crime organisé s’occupe de paris, de prostitution, donc de commercialiser le vice. C’est évidemment une image de Sodome et de ses péchés. Bien que le traitement soit très différent, le thème est à peu près le même que The Phoenix city story de Phil Karlson qui va venir quelques années plus tard[1]. Du reste dès qu’il y a le terme « city » dans le titre d’un film noir, on peut être sûr qu’il y aura un dévoilement des « ténèbres », de la corruption et des turpitudes. The naked city, The dark city. Ce thème général qui peut être porté par la droite comme par la gauche alimente la paranoïa américaine puisqu’il nous dit que le mal est parmi nous, jusque dans les petites villes comme Kennington ici ou Phoenix dans le film de Karlson. Les films de gangsters des années trente avaient habitué les Américains à ce que la grande ville tentaculaire – New York, Chicago, San Francisco – soit corrompu du fait de sa grande taille et de son anonymat. Mais avec The captive city on voit que le mal a gagné aussi les petites villes en apparence paisibles. Les turpitudes de la pègre sont couvertes d’abord par les institutions politiques, religieuses et juridiques, au nom d’une volonté intangible de préserver une certaine paix sociale afin que les affaires ne soient pas perturbées. S’élever contre cette gangrène ce n’est pas seulement faire preuve de puritanisme, c’est aussi remettre en question le rêve américain et ce qu’il cache de trouble et d’hypocrite. Il va y avoir de multiples niveaux d’approche, à la fois sur le plan de l’investissement individuel, et sur le plan de la prise de conscience collective. 

    La ville captive, The captive city, Robert Wise, 1952 

    Jim Austin et sa femme enregistrent leur déposition à Warren 

    Jim Austin est le jeune rédacteur en chef d’un petit journal de province, sa femme travaille aussi avec lui. Il a une vie calme et bien réglée, le voisinage est accueillant. Il semble qu’il ne se passe rien et cela lui convient. Mais il va être alerté par un vieux détective privé, Nelson, qui enquête pour le divorce des époux Sirak pour le compte de l’épouse qui prétend que son mari possède des biens dissimulés et que cela prouve que la ville est totelemtn corrompue. Jim va enquêter plutôt mollement dans un premier temps, gobant tout ce que va lui raconter le chef de la police locale Gillette. Mais alors qu’il se goberge au Country club, Nelson alerte Jim à nouveau. Jim l’envoie promener, mais Nelson se fait assassiner. La police veut conclure à un simple accident de la circulation. Cependant Jim qui culpabilise va enquêter un peu plus sérieusement et il va voir la femme Sirak qui tient une petite laverie. Celle-ci ne veut toujours rien dire, mais grâce à des tickets de pressing, Jim va remonter jusqu’à une entreprise située dans les faubourgs de la ville, où il pense qu’on fait des paris clandestins. Pire encore, il va croiser la route d’un nommé Fabretti, un gangster notoire affilié à la mafia mais que la justice n’a jamais pu confondre. Avec son assistant ils vont prendre des photos, mais les gangsters les leur volent après avoir rossé le jeune photographe. La police commence à mettre des bâtons dans les roues de Jim qui reçoit de plus en plus de pression de de la part des notables locaux. Son propre associé le menace de se séparer de lui car les publicités commencent à décliner fortement. Cependant Jim continue son enquête. Il va finir par avoir des aveux de la part de l’épouse Sirak. Mais celle-ci se fait brutalement assassiner. On conclura hâtivement à un suicide. Jim se tourne alors vers le chef de la police qui lui explique en gros qu’il ne peut pas faire grand-chose car les notables de la ville ne le soutiennent pas. Il va cependant fermer l’entrepôt où son organisés les relais des paris clandestins. Jim va ensuite voir le pasteur et les autorités religieuses qui refusent également de le soutenir au nom de la paix sociale de prendre position. Il décide finalement d’aller témoigner devant la commission Kefauver à Washington. Il est poursuivi par les gangsters, et il va s’arrêter à Warren pour enregistrer une déposition, et également pour demander une escorte qui l’amènera jusqu’à Washington. Là il pourra témoigner en toute quiétude et Kefauver lui-même va tirer les leçons optimistes de cette affaire en expliquant comme le crime organisé, sous les dehors anodins de satisfaire des petits vices humains, mine et ronge la communauté. 

    La ville captive, The captive city, Robert Wise, 1952

    Le détective privé Nelson a donné rendez-vous à Austin à la bibliothèque 

    Cette trame construite autour du personnage d’un héros qui contre vents et marées va tenter de faire prendre conscience à la communauté de la situation est récurrente dans le cinéma américain. Mais The captive city va donner naissance à toute une kyrielle de film construits sur l’hostilité de la ville elle-même face au héros. Le plus proche de ces surgeons est évidemment Invasion of the body snatchers de Don Siegel tourné en 1956 et qu’on a pris à tort pour un simple film anti-communiste[2]. Dans les deux cas nous avons en effet un couple en fuite qui se rend compte progressivement que toute la ville est corrompue d’une manière active ou passive et donc qu’ils sont isolés. Ce thème est fascinant car au fond ce couple est celui qui va refonder le recommencement de la communauté et donc qui annonce des temps nouveaux. Il y a donc deux phases, d’abord celle de la décomposition progressive des structures sociales, les notables ne veulent pas se rendre compte de ce qui se passe et donc ils laissent faire, puis la prise de conscience qui vient forcément de l’extérieur. En effet Jim Austin n’est pas un natif de Kennington, il vient de New York. C’est un peu l’image du messie. Quoique ce messie d’un nouveau genre soit accompagné de sa femme. Celle-ci joue un rôle très important qui va en réalité bien au-delà d’un simple soutien. Si elle se pose des questions sur la nécessité de cette croisade, elle ne va pourtant pas se soustraire à ses obligations ni même réclamer à son époux d’abandonner le combat. 

    La ville captive, The captive city, Robert Wise, 1952 

    Nelson a peur 

    L’autre thème sous-jacent est celui d’une vie sans repos. En effet, Jim et Marge sont venus s’installer dans une petite ville où ils pensent qu’il ne se passe rien. C’est cette absence de conflit qui les a séduits. Mais ils vont s’apercevoir que tout cela n’existe pas, ou plutôt existe qu’à la condition d’accepter l’ordre existant des choses et de ne pas le contester. Si dans la mégalopole la corruption est évidente, dans les petites villes de province, elle est mieux dissimulée. On comprend alors que comme l’Hydre de Lerne, il ne suffit pas d’attaquer telle ou telle branche du crime organisé, mais de s’en prendre à la racine. Comme le dira à la fin du film Kefauver, c’est au niveau local que cela se joue. Mais évidemment compte tenu du besoin d’amusement et de dérivatifs de l’être humain, c’est un combat sans fin. Le film est donc une critique sévère de ceux qui par fonction ont des responsabilités au sein de la communauté. On va donc voir que les commerçant qui profitent sur le plan pécuniaire de l’exploitation du vice comme Sirak par exemple, sont ceux qui mettent en avant la nature humaine. Ils se disent qu’ils ne font rien de mal. Mais cette lâcheté couvre évidemment des envies de profit inavouables. Derrière cette idée il y a celle que tout s’achète et se vend, y compris la conscience d’un journaliste dans un monde où l’argent est roi ! On glisse ainsi d’une critique des vices en général de l’être humaine à celle des rapports monétaires. La solution nous dit-on est dans la prise de responsabilité individuelle, au fond il ne faut pas confier le pouvoir du peuple aux politiciens et faire confiance aux notables ! C’est une idée mine de rien tout à fait révolutionnaire et même peut-être en avance sur son temps car c’est la seule manière au fond de sortir de la paranoïa ambiante. 

    La ville captive, The captive city, Robert Wise, 1952

    La femme de Murray Sirak refuse de parler 

    Le film est très bien mené. Il y a d’abord un flash back où on reprend l’idée de Double indemnity[3] du héros qui enregistre sa confession avant de mourir, sauf qu’ici Jim ne mourra pas. Cette confession permet aussi l’usage de la voix off qui n’est pas seulement un commentaire, mais qui est une musique qui interroge la démarche même de Jim. Le film a été tourné entièrement à Reno, et Robert Wise utilise d’une excellente manière les décors naturels pour en faire ressortir les côtés cachés et insoupçonnés. Aucun élément n’a été tourné en studio.  Il a l’art d’utiliser aussi les éléments de la vie quotidienne pour souligner l’importance du labeur, ici les rotatives du journal, là le travail de la blanchisserie de l’épouse Sirak. Avec un peu plus de cynisme, c’est un scénario qui aurait convenu tout à fait à Samuel Fuller. Pour autant la photographie de Lee Garmes qui avait travaillé sur quelques films noirs fameux comme Caught de Max Ophuls ou Desperate hours de William Wyler, ne suit pas tout à fait les canons du cycle classique et ne joue pas vraiment avec les contrastes du noir et blanc, donnant ainsi un surplus de neutralité documentaire au film. On peut supposer que cette particularité provient de l’utilisation Hodge – du nom de son inventeur RalphHodge – qui permet d’utiliser une lumière plus naturelle, donc un éclairage moindre. Parmi les principes qui sont mis en œuvre dans The captive city, il y a celui de ne pas faire vraiment apparaître les gangsters. Ils sont presque absents comme si seulement c’étaient leurs ombres qui régnaient sur la cité. On ne verra jamais le chef de gang autrement qu’à travers une image, la question ne sera pas posée de savoir s’il est bon ou mauvais. Robert Wise conserve également l’ambiguïté du chef de la police qui abritera sa passivité derrière le fait qu’il fait ce qu’on lui demande de faire. Le rythme est excellent et soutenu, la mise en scène est très fluide. Et il y a en effet une grande tension qui résulte de l’incertitude non pas en ce qui concerne la malignité des gangsters, mais plutôt le comportement de Jim Austin. Va-t-il céder ? Cette in certitude est étendue aux entrepreneurs de la petite ville qui jouent les faux naïfs pour tenter de justifier leur propre corruption avec cette idée selon laquelle si on n’emmerde pas la mafia, celle-ci restera paisible et ne créera pas de problèmes. C’était d’ailleurs le discours en creux de l’abominable et corrompu J. Edgar Hoover. C’est encore très souvent le discours des électeurs qui soutiennent des hommes politiques corrompus au motif que leur programme leur conviendrait, la liste est très longue, en France c’est Fillon, Balkany, Ferrand ou encore Sarkozy, aux Etats-Unis, c’est Trump le menteur. L’angoisse grimpe d’un trait comme dans Invasion of the body snatchers quand le couple s’aperçoit qu’il ne peut plus faire confiance à personne et doit fuir. On notera que Wise représente toujours une menace latente, sans trop la montrer à l’écran ce qui me parait plus efficace. 

    La ville captive, The captive city, Robert Wise, 1952

    Sirak en personne vient menacer Jim 

    La distribution est construite autour de John Forsythe qui incarne le jeune rédacteur en chef du journal local Jim Austin. Disons qu’il est assez neutre. Cet acteur de second ordre fera ensuite carrière à la télévision. On ne peut pas dire qu’il soit mauvais, mais ses traits n’expriment rien ou pas grand-chose, même lorsqu’il devrait avoir très peur quand il est poursuivi par les gangsters. Joan Camden est déjà un peu mieux dans le rôle de sa femme Marge. Elle joue parfaitement de son physique atypique pour donner du corps à une femme émancipée et maitresse de soi. Malheureusement elle disparaitra du grand-écran et restera abonnée aux séries télévisées. Il aussi Harold J. Kennedy qui interprète l’ambigu associé qui semble toujours prêt de se laisser corrompre. Hal Dawson est excellent dans le rôle du détective Nelson. Mais dans l’ensemble la distribution si elle respecte ce côté anonyme des protagonistes qu’a voulu donner Robert Wise à l’ensemble, n’a guère d’aspects remarquables. 

    La ville captive, The captive city, Robert Wise, 1952

    Le pasteur refuse d’appuyer Jim dans sa croisade 

    Dans l’ensemble c’est un excellent film noir, sans doute même un pilier de l’histoire du genre pour l’influence qu’il aura. Il fut bien accueilli par le public et par la critique, mais son aspect documentaire masque el plus souvent le fait qu’il s’agit d’une vraie œuvre cinématographique. Il y a des scènes remarquables comme par exemple la mort de Nelson ou encore la fuite du couple dans la nuit. Ce sont souvent des scènes avec peu de lumière qui font mieux encore ressortir le côté poétique et vénéneux de l’histoire. C’est sans doute dans les films noirs que Robert Wise a affirmé le plus son originalité, même si ce n’est pas là qu’il connut ses plus grands succès. Le cirque Kefauver a été supporté par la télévision et a été un des éléments du succès de ce média qui semblait alors plus proche de la réalité américaine que le cinéma. Mais Robert Wise contrairement à bien d’autres n’en retire aucune amertume et ne s’attarde pas à le dévaloriser.

    La ville captive, The captive city, Robert Wise, 1952

    Jim et Marge quittent la ville dans la nuit 

    La ville captive, The captive city, Robert Wise, 1952

    Kefauver lui même tire les leçons de l’histoire présentée à l’écran

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