• The Big Caper, Robert Stevens, 1957

     The Big Caper, Robert Stevens, 1957

    Monter un gros coup, c’est un raccourci pour satisfaire au rêve américain et à ses ambitions. Robert Stevens qui n’a pratiquement pas tourné pour le cinéma, il fera une longue carrière à la télévision, adapte ici un roman de Lionel White, un spécialiste des histoires de coups qu’on monte en bande et qui foire à cause du grain de sable. Jusqu’à Jean-Luc Godard qui s’est inspiré d’Obsession pour réaliser Pierrot-le-fou. Plus conventionnelle avait été celle de Stanley Kubrick qui adapta Clean break sous le titre de The killing. Burt Kennedy adaptera Money trap en 1965[1]. On se dit évidemment qu’on va retrouver dans ce film les ingrédients traditionnels : un « cerveau » réunit une bande de spécialistes pour monter un coup astucieux, puis le grain de sable fait tout échouer. C’est un peu vrai, mais l’astuce du scénariste est de déplacer le débat vers autre chose, tout en conservant la violence de l’histoire. 

    The Big Caper, Robert Stevens, 1957 

    Frank Harper est un voleur qui se trouve soudainement dans la gêne. Il va avoir l’idée de cambrioler une banque dans une toute petite ville, San Felipe, qui de temps en temps reçoit une très grosse somme d’argent pour assurer la paye des militaires qui vivent sur une base de grande importance. Pour ce coup, il va chercher Flood, un truand qui a réussi, qui a une belle maison, une belle femme et une belle voiture. Ils vont donc réunir autour d’eux des spécialistes car il faudra aussi bien déclencher des explosions dans la ville pour attirer ailleurs le regard de la police locale, de faire sauter la porte du coffre à la nitroglycérine, etc. Pour la réussite du plan, Flood suggère que Frank et sa femme Kay s’installe dans la ville en achetant une petite station service pour se faire passer pour un brave petit couple et se lier ainsi avec le voisinage. Rapidement Kay tombe amoureuse de Frank. Mais celui-ci la tient à distance parce que la priorité c’est d’abord de réussir le coup. Rapidement arrive Zimmer qui logera chez Frank. C’est un spécialiste des explosions, mais il a comme défaut de boire plus que de raison. Frank doit le surveiller. En même temps il organise chez lui des petites parties de scrabble avec les voisins et un policier qui passe régulièrement chez lui. Flood doit cependant veiller sur la cohésion de la bande, et particulièrement sur Roy qui est un vrai psychopathe et qu’il corrige. Mais dans la bande qui va s’installer chez Frank, plus ou moins discrètement, il y a une jeune fille, Doll, qui menace de trop parler, aussi Flood charge-t-il le cruel Roy de la liquider, sans rien dire à Harry, son petit ami, qui se demande où elle a bien pu passer. Flood prend langue avec le vieux Dutch qui se tient à l’écart de la troupe et qui n’interviendra que pour l’ouverture du coffre. Entre temps, Kay lui a annoncé qu’elle allait le quitter, sans toutefois lui dire qu’elle en pince pour Frank. Il semble l’admettre. Mais ce qui va détraquer les choses, c’est que Flood demande à Zimmer de faire sauter le lycée où se trouve justement un enfant que Frank a pris en sympathie. Et lorsque la machine se met en marche, il va tout faire pour désamorcer la bombe et sauver l’enfant. Pendant ce temps Flood met la main sur le pactole, Dutch ayant ouvert le coffre. Quand Flood revient chez Frank, les comptes vont se régler. Frank va l’empêcher de partir et va le livrer à la police, se proposant de rendre l’argent et de refaire ensuite sa vie avec Kay. 

    The Big Caper, Robert Stevens, 1957

    Frank vient chercher Flood pour l’aider à monter un coup 

    L’histoire est à la fois simple et peu cohérente. La première incohérence est que Flood ne semble pas se méfier de Kay et de Frank et donc qu’il les mette ensemble dans une maison où ils auront pour mission de vivre comme mari et femme. Non seulement ils vont tomber amoureux, mais en plus ils vont prendre goût à cette petite vie de gestionnaires d’une station service avec parties de scrabble et de hamburgers à la clé. La seconde incohérence c’est qu’on a l’impression que le grand Flood, le cerveau de l’affaire, est incapable de s’entourer de professionnels valables : Zimmer boit et menace à tout instant de faire capoter l’affaire, Roy est un psychopathe qu’il faut corriger pour le faire tenir droit. Enfin, si on comprend bien l’intérêt de générer des explosions dans la ville – Il semble que cette idée ait été empruntée par Lionel White à Charles Williams qui utilisera des incendies dans Hot spot[2] on ne voit pas pourquoi il serait important de risquer la vie des enfants du lycée. Mais enfin, laissons là ces incohérences, et allons vers ce qui est essentiel et qui au fond v nous faire mieux comprendre l’essence du film noir. 

    The Big Caper, Robert Stevens, 1957 

    Kay et Frank ont acheté une station service 

    Au final nous avons donc un couple, Frank et Kay, qui a été habitué à la truanderie, et qui tout soudain va être contaminé presque par hasard par le mode de vie de la classe moyenne suburbaine. On pourrait dire que cette contamination est la preuve que le mode de vie des truands n’est guère motivant, peu sain et sans avenir. Mais le problème c’est qu’en se laissant aspiré par ce mode de vie, ils en oublient toute rigueur morale. Non seulement ils mentent et trompent Flood que pourtant Frank a été cherché et qui finance l’affaire, mais ils vont trahir toute la bande et l’envoyer en prison. Ils sont donc menteurs et très peu fiables. Sans que ce soit forcément l’intention du cinéaste, cette logique va bien au-delà d’une simple ambiguïté. Car ce que nous voyons à l’écran, ce sont deux mondes qui se font la guerre : d’un côté le monde ordonné de la loi et de l’ordre avec des horizons étriqués, et de l’autre le monde des rêveurs qui croient que d’amasser une fortune en très peu de temps peut-être quelque chose d’intéressant et un but dans la vie. Cette opposition frontale fait que les personnages sont tous plus antipathiques les uns que les autres. Si on peut reprocher en effet la cruauté de Flood, il est bien difficile de trouver une compensation dans la détermination de Frank. Le pire est que Frank fera semblant d’avoir des scrupules quand Kay se jette brutalement sur lui ! 

    The Big Caper, Robert Stevens, 1957 

    Frank s’est fait des amis avec qui il joue au scrabble 

    Si les causes de l’échec de la bande sont nombreuses, il y a en priorité le trio amoureux Frank-Kay-Flood. Kay est ouvertement un faux jeton, et elle s’en flatte. A croire qu’elle n’a vécu avec Flood que pour son argent et pour mieux le trahir. Mais si Kay est peu fiable, Frank ne l’est guère plus, il apparaît que s’il trahit Flood, c’est moins par attirance pour sa femme que parce qu’il est intrinsèquement jaloux de lui, de sa réussite et de sa rigueur. Mais pour trahir il faut avoir une raison morale, même si cette raison est fausse, elle servira de paravent. Kay et Frank prendront le prétexte de la disparition de Doll dont ils n’avaient jusqu’ici rien à foutre, et bien sûr la bombe de Zimmer dans le lycée pour s’alarmer qu’ils font la mal. Ce n’est plus de rédemption dont on peut parler ici, mais du rachat d’une conscience pour leur propre compte. 

    The Big Caper, Robert Stevens, 1957 

    Zimmer est le dynamitero de l’équipe 

    La réussite du film est dans sa facture qui met en scène la petite vie mesquine d’une ville de province qui se donne comme idéal de jouer au scrabble avec des figures de cire et de faire des hamburgers pour leurs enfants. Et donc sous prétexte de morale, le film démontre par la juxtaposition de deux mondes qui s’ignorent que le mode de vie de la classe moyenne n’a pas d’avenir, ni même d’intérêt. Il vaut mieux encore se faire bandit et piller des banques !! On verra même Frank faire ami-ami avec un policier qui drague dans le coin. Mais le talent de Stevens ne se réduit pas à cette opposition, ce serait trop simple. Il y a d’abord un rythme soutenu, bien qu’on puisse trouver que les scènes d’alcoolisme de Zimmer soient un peu trop présentes.  Ensuite il y a une très bonne utilisation des espaces réels de la ville de San Felipe. La station service qu’on voit pourtant peu reste très présente en arrière-plan comme idéal dévalorisé des ambitions de Frank. Le casse proprement dit est bien filmé, avec cette idée d’éclatement d’une conduite d’eau qui oblige les gangsters à se baptiser à l’eau de la municipalité ! En général les scènes de nuit sont superbement filmées. La photo de Lionel Lindon est très inspirée et fait fort justement les ambiguïtés et les contraintes intimes du destin. La nuit est une couleur. Les scènes d’action sont aussi bien menées. Remarquez que si le casse est impeccablement mené, ce n’est pas sur lui que le réalisateur s’attarde. 

    The Big Caper, Robert Stevens, 1957

    Chacun doit retenir son rôle précisément 

    Il y a des scènes assez crues, curieusement moins avec les femmes qu’entre hommes. Par exemple cette façon de Flood de dresser son jeune complice Roy à coups de corde. Cette scène d’un sadisme étonnant oppose le vieux Flood au jeune Roy qui est si fier des muscles qu’ils cultivent, mais il subit pourtant sa punition sans rien dire accompagnée par une musique de jazz très opportune. Si ce film n’atteint pas tout à fait les sommets, c’est essentiellement de la faute d’un scénario un peu paresseux. C’est évident sur la fin quand Frank se retourne contre Flood, alors que personne n’a été blessé, et qu’au fond il ne sait rien de ce qui est arrivé à Doll. 

    The Big Caper, Robert Stevens, 1957

    Frank fait un barbecue avec ses voisins 

    La vedette c’est Rory Calhoun. Un acteur très atypique. Avant de faire ce métier, il avait été un vrai délinquant, vols de voitures, cambriolages, prison. Sa carrure athlétique lui permis de devenir un personnage de westerns. Il n’atteint jamais cependant les sommets de la starification. Il resta cantonné dans des films à budgets moyens, et fit peu d’incursion dans le film noir. C’est en cela que ce rôle est un peu particulier pour lui. Personnage un peu scandaleux, Hollywood le boudera et le renverra à la télévision, il fera aussi une incursion chez Sergio Leone dans le film préféré de celui-ci, Le colosse de rhodes. Ici il est assez passable, parfois même un peu endormi. La « girl » c’est la très jolie Mary Costa qui ne fera pas carrière au cinéma et qui sera surtout connue pour doubler la sleeping beauty de Walt Disney. C’est un peu dommage. Mais sans doute avait elle un physique trop passe partout, trop classe moyenne qui l’empéchait d’accéder à des rôles de vraies femmes fatales. Elle est Kay, celle qui trompe son mari sans se rendre compte de ce qu’elle fait, en toute innocence ! Le mari, c’est l’excellent James Gregory, c’est sans doute lui le meilleur de la distribution. J’ai trouvé les seconds rôles un peu caricaturaux, à commencer par Robert Harris qui incarne Zimmer et qui transpire beaucoup trop pour être crédible. Il y a aussi Corey Allen qui ici s’est teint en blond pour accentuer l’ambiguïté du psychopathe Roy. Il en fait un peu trop. Enfin il y a le très bon Florenz dans le rôle de Dutch Paumeyer, le vieux qui joue de la nitroglycérine, il a un rôle similaire à celui de Sam Jaffe dans Asphalt jungle de Huston.

     The Big Caper, Robert Stevens, 1957 

    Zimmer pénètre dans le lycée pour y déposer une bombe 

    Si c’est un film plutôt agréable à regarder, sans temps mort, ce n’est tout de même pas un chef-d’œuvre, ça ne penche pas assez vers le noir. Mais on peut y aller sans arrière-pensées, l’histoire a très bien passé les années. Il n’existe pas cependant de copie numérique de ce film sur le marché français, mais la copie américaine qui circule est très bonne pour le son et pour l’image, sans sous-titres bien entendu ce qui peut parfois être gênant pour la compréhension de certains passages quand le débit s’accélère. Mais les acteurs ont une bonne diction, bien déliée. 

    The Big Caper, Robert Stevens, 1957

    Dutch va ouvrir le coffre avec la nitroglycérine 

    The Big Caper, Robert Stevens, 1957 

    Frank règle ses comptes avec Flood 

     The Big Caper, Robert Stevens, 1957

    L’affiche avait plu aux producteurs des Délinquants, ils la recopièrent sans vergogne et sans demander leur avis aux producteurs de The big caper !

    « Les bas-fonds de San-Francisco, Thieves’ highway, Jules Dassin, 1949La ville captive, The captive city, Robert Wise, 1952 »
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  • Commentaires

    1
    Lucjs
    Jeudi 29 Octobre 2020 à 12:13

    Bonjour,

    À toutes fins utiles, il existe des sous-titres français ici :

    https://www.opensubtitles.org/en/subtitles/7583911/the-big-caper-fr

    J'ai dû modifier la vitesse à 100,05 pour les adapter à la copie dont je disposais.

     

     

     

     

     

      • Jeudi 29 Octobre 2020 à 15:18

        Merci pour ces sous-titres, j'ai une copie 1,24 Go est ce la même que vous avez ?

         

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