•   Le sentier de la vengeance, Gun fever, Mark Stevens, 1958

    J’aime bien Mark Stevens pour sa capacité à faire des films passionnants avec des bouts de ficelle. Il avait cette particularité d’avoir renoncé à une carrière d’acteur dans des films de série A pour devenir un auteur complet dans le domaine de la série B. s’il est très connu pour ses rôles dans le film noir, The dark corner, The street with no name, ce n’est que depuis quelques années qu’on réapprécie l’ensemble de sa carrière, grâce évidemment au numérique qui permet de voir des films qui n’étaient même pas ou si peu arrivés jusqu’en France. Mais revisiter l’œuvre de Mark Stevens n’est pas seulement de la maniaquerie, c’est non seulement intéressant du point de vue cinématographique, mais c’est aussi capital pour comprendre par exemple en quoi le western italien n’a pas innové vraiment. Les films de Mark Stevens anticipe ce côté un peu glauque et un peu noir du western spaghetti, y compris dans ces relations psychanalytiques entre les protagonistes.

    Le sentier de la vengeance, Gun fever, Mark Stevens, 1958  

    Trench tente de retenir son fils en lui donnant de l’argent 

    Simon accompagne des criminels dans leurs pillages. Mais au bout d’un moment, il en a assez et décide de les quitter. Cette rupture n’est pas simple, parce que le chef de la petite bande est son propre père. On retrouve ces personnages quelques années plus tard. Simon fait maintenant équipe avec Luke, tous les deux ont gagné suffisamment d’argent sans être riches en extrayant de l’or. Ils vont pouvoir s’établir en Arizona. Trench lui continue ses méfaits et incite les indiens à la rébellion parce que cette situation lui permet de voler impunément. Luke retrouve sa famille qui tient un relais de diligence, tout se passe bien, sauf que c’est justement ce relais que Trench a décidé d’attaquer avec les indiens. Ils massacrent la famille de Luke, et laisse celui-ci pour mort. Simon arrive à ce moment-là et sauve son ami qu’il aide à enterrer des reste de sa famille. Simon et Luke vont chercher à se venger et surtout ils ont compris qu’un blanc malveillant manipulait les indiens. Trench veut partir avec Amigo, son bras droit, en Californie. Pour cela il a besoin d’un guide. Il pense que ce sera Whitman, un métis qui est marié avec Tanana, une belle indienne sioux. Mais Amigo tue Whitman et il est tué à son tour par Luke. Dès lors Simon qui a aidé Tanana à enterrer Whitman, et Luke, guidés par Tanana vont partir à la poursuite de Trench. Ils le rattraperont après avoir traversé le territoire des Indiens. Trench après avoir poignardé Simon va tenter de tuer Luke, mais Simon l’abattra et on comprend qu’il pourra partir vivre sa vie avec la belle indienne.

     Le sentier de la vengeance, Gun fever, Mark Stevens, 1958 

    Simon et Luke ont gagné un peu d’argent pour s’établir dans l’Arizona

    Il y a donc une reprise du thème de Backlash le très bon western de prestige de John Sturges qui avait été en 1956 un très grand succès commercial avec cette histoire de haine difficile entre un père chef de gang et un fils voulant plus ou moins rester dans les clous de l’honnêteté. Mais évidemment comme on l’a dit un peu plus haut, les moyens ne sont pas les mêmes. La bande de Trench est réduite à deux ou trois protagonistes, la ville traversée est quasiment vide d’habitants – il est dit que cette ville est à l’abandon et que tout le monde s’en va. Mais il y a un autre thème derrière l’affrontement père-fils, c’est celui de l’amitié entre Luke et Simon. Cette amitié n’est pas facile car Luke va répudier Simon dès lors qu’il comprend que celui-ci a menti en ne lui disant pas que Trench était son père. Enfin il y a un dernier thème, c’est celui des rapports entre les blancs et les autochtones. Sans être pro-indien, le film tente d’équilibrer les relations entre les colons et les amérindiens. Non seulement on comprend que les Indiens se laissent un peu trop influencer, mais également que si on les traite bien, avec humanité, on n’a pas de problèmes avec eux. C’est plus ou moins le sens de la relation entre Simon, timide et peu dégourdi avec les filles, et Tanana qui pourtant a été mariée avec un métis. Mais enfin, comme elle est croyante et que son mariage a été béni par le curé du coin, tout va bien. C’est d’ailleurs le personnage le plus curieux du film. Non seulement elle s’éloigne rapidement du souvenir de son mari assassiné, mais c’est elle qui prend l’initiative des relations avec Simon. Elle représente en quelque sorte une liberté sexuelle que comprend mal l’homme blanc, Simon, engoncé dans ses principes étriqués. Parmi les aspects intéressants de ce film, il y a, comme toujours chez mark Stevens, une violence très dure, surtout si on se situe dans les années 50. Par exemple Luke tue l’abominable Amigo sans état d’âme et certainement pas en respectant une sorte de code de l’honneur qui ne le concerne en rien. De même  il reniera son ami Simon parce que celui-ci lui a menti par omission, il le rejettera, alors même qu’ils ont traversé ensemble une longue période de difficultés.

     Le sentier de la vengeance, Gun fever, Mark Stevens, 1958 

    Simon découvre que toute la famille de Luke a été assassinée 

    La réalisation est d’abord adapté à l’étroitesse du budget, et donc on aura droit à de longues scènes venteuses qui transportent des broussailles, mais qui surtout permettent de masquer la pauvreté des décors. Tout est par ailleurs misérable : des maisons et de leur intérieur, jusqu’aux habits que portent les différents protagonistes. Ils sont tous sales et mal rasés… comme dans un western italien ! mais paradoxalement Mark Stevens joue très bien de cette médiocrité matérielle qui lui permet de mieux faire ressortir les difficultés des hommes de l’Ouest encore à la fin du XIXème siècle. Le film est très dense, et bien qu’il dure 1h20 seulement, le rythme est volontairement assez lent. Les scènes d’action n’interviennent que quand cela est nécessaire, et par exemple les attaques des indiens sont très elliptiques, alors qu’à cette époque, c’était plutôt l’idée que de rallonger la sauce sur cette question. Cette volonté d’escamoter la cruauté des indiens dans leurs exactions, permet ainsi que refermer l’histoire sur un double drame : celui de la nécessité pour Simon de tuer son père, et la rupture programmée entre Luke et Simon. Simon et Luke deviennent des frères dans leur idéal de vengeance. Mais cette vengeance les amènera à s’opposer finalement. La réalisation utilise les gros plans et les tête-à-tête rapprochés. C’est une manière d’exacerber les sentiments et les ramener à leur violence initiale. L’ensemble, tourné en noir et blanc, donne justement un aspect film noir au film. C’est sans doute là qu’il se distingue des westerns spaghetti qui dans l’usage de la couleur et le plus souvent de l’écran large vont verser plutôt dans la parodie. 

    Le sentier de la vengeance, Gun fever, Mark Stevens, 1958 

    Amigo a tué Whitman 

    L’interprétation, toutefois assez réduite, est évidemment organisée autour de Mark Stevens dans le rôle de Luke qui, comme à son habitude, serre les mâchoires et rumine sa vengeance. John Lupton dans le rôle de Simon est assez fade, assez peu expressif, on comprend qu’il se soit diriger ensuite vers des rôles décoratifs à la télévision. Plus intéressant sont les rôles secondaires, et d’abord Aaron Saxon dans le rôle de Trench. Certes il cabotine pas mal, mais il a une présence indéniable. Et puis il y a son alter ego, Larry Storch dans le rôle du cruel Amigo. Et puis il y a Jana Davi dans le rôle de Tanana. Actrice d’origine Sri lankaise, elle est apparu à l’écran sous des tas de noms différents, notamment sous celui de Maureen Hingert. Elle était abonnée à des rôles de belles indiennes. Ici elle est excellente. Le reste de la troupe est faite des parents de Luke qui disparaissent assez rapidement de  l’écran, et de quelques comparses du malfaisant Trench.

     Le sentier de la vengeance, Gun fever, Mark Stevens, 1958 

    Simon aide Tanana à enterrer son mari 

    Sans être un film d’une exceptionnelle importance, il vaut tout de même le coup d’être redécouvert. Il y a une vraie atmosphère et pas mal d’idées de mise en scène. On appréciera cette volonté de se tenir à distance entre le film noir et le western. 

    Le sentier de la vengeance, Gun fever, Mark Stevens, 1958

    Trench poignarde dans le dos son propre fils

     

     

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  •  En marge de l’enquête, Dead reckoning, John Cromwell, 1947 

    John Cromwell est un réalisateur sous-estimé et selon moi un peu trop oublié, surtout en regard de l’importance de ses films noirs qui sont très originaux pour l’époque. J’ai déjà eu l’occasion de le dire à propos de The racket[1] et aussi de Caged[2]. Sans doute cela provient-il du fait qu’il a eu une carrière assez dispersée, travaillant dans tous les genres, et finalement assez peu dans le registre du film noir. Quoiqu’il ait fait le principal de sa carrière dans les années trente, c’est pourtant dans ce domaine qu’il a excellé. Et sans doute aurait-il eu une meilleure carrière s’il n’avait été dénoncé comme communiste par ce sinistre imbécile d’Howard Hugues auprès de l’HUAC qui le mit de fait sur la liste noire et l’empêcha pendant sept longues années d’exercer son métier auquel il ne reviendra par la petite porte qu’en 1958. Dead reckoning est presque la quintessence de ce qu’est le film noir, avec tous ses tics visuels, mais aussi le jeu sur la linéarité de l’intrigue.

     En marge de l’enquête, Dead reckoning, John Cromwell, 1947 

    Johnny s’inquiète de devenir un personnage public 

    Rip Murdock et Johnny Drake reviennent de la guerre où ils se sont comportés héroïquement. Ils doivent être reçus en grande pompe par le général Steele qui doit les décorer. Mais Johnny Drake est inquiet de paraître en public, et à la première occasion, il s’enfuit. Murdock décide cependant de le retrouver. Il se retrouve à Gulf city, en Floride, avec le nom de Preston qu’il a découvert sur un médaillon, il va rapidement déduire que si Johnny s’est engagé en 1943, c’est d’abord pour fuir quelque chose. Murdock découvre ainsi que Johnny a été reconnu responsable du meurtre d’un certain Chandler dont la jeune épouse s’appelait Coral et se trouvait être une chanteuse de cabaret. Murdock présentant le pire, va se rendre à la morgue où un policier du nom de Kincaid lui présente un cadavre carbonisé, difficile à identifier, mais un peu d’or fondu laisse apparaitre des lettres qui rappelle la médaille de Johnny. Murdock va se rendre au Sanctuary club. Là il va connaître la belle Coral Chandler, surnommée Dusty. Elle semble se trouver sous la coupe du propriétaire des lieux, un certain Martinelli qui apparemment la fait chanter. Murdock va se rapprocher d’elle, et peu à peu il va entamer une liaison avec elle, après qu’elle lui ait avoué que si elle trouvait Johnny gentil, elle ne l’aimait pas vraiment. Mais au cours d’une soirée, Murdock et Coral vont être drogués. A son réveil Murdock découvre un cadavre, celui du serveur, Louis, qui devait lui remettre une lettre. Il se débarrasse du cadavre au moment même où la police, sans doute alertée par Martinelli, arrive. Murdock comprend que Martinelli et son âme damnée, Krause, ont pris la lettre. Il va essayer de la récupérer en se faisant aider d’un ancien cambrioleur, McGee. Mais lorsqu’il arrive chez Martinelli, le coffre est déjà ouvert, il ne peut trouver la lettre. Il décide alors de se rendre au bureau de Martinelli. Il trouve sur place Martinelli et Krause. En les menaçant, il va apprendre le fin mot de l’histoire : en vérité Coral est la véritable épouse de Martinelli, et comme celle-ci a tué son faux mari Chandler, il la fait chanter. On comprend même que Coral a dû se prostituer pour lui. En repartant de chez Martinelli, après avoir mis le feu à son club, Murdock se fait tirer dessus par Coral. Il comprend alors qu’elle a voulu le tuer. Dans la confession qui s’ensuit, elle lui avoue tout de même qu’elle l’aime et qu’elle rêve de refaire sa vie ailleurs avec lui. Mais Murdock refuse. Dans la lutte qui suit, la voiture se renverse. Murdock est blessé, et Coral se retrouve à l’agonie, à l’hôpital. Elle mourra en lui tenant la main.

     En marge de l’enquête, Dead reckoning, John Cromwell, 1947 

    A la morgue le lieutenant Kincaid présente des cadavres à Murdock 

    La structure du film fait penser à une histoire de détective, sauf qu’ici l’enquêteur est un soldat démobilisé qui agit pour la mémoire de son ami, et ensuite pour l’amour qu’il éprouve pour une femme. Si les motivations de Murdock sont assez claires, ce sont celles de Coral qui sont plus intéressantes. C’est en effet une criminelle, mais on comprend qu’elle n’a guère eu de chance, et que ce sont les circonstances qui l’ont poussée à tuer. C’est le portrait d’une femme dominée qui ne sait pas trop comment échapper à son enfer. Sans doute est-ce pour cela que Murdock tombera amoureux d’elle, alors même qu’il dit se méfier des femmes et ne pas vouloir s’enchaîner. Ces deux personnages vont trouver une alliance de circonstance : elle trouve en lui une sorte de bouclier, et lui comprend sa fragilité et ses zones d’ombre. Ensemble ils doivent faire face à la cupidité et à la méchanceté de Martinelli, un opportuniste qui utilise les gens qui l’entourent jusqu’à la corde. Il est présenté comme quelqu’un de lâche qui s’abrite facilement derrière la force brutale de Krause. Dans cet étrange ballet, la police ne joue qu’un rôle secondaire. Elle n’est là que pour ramasser les morceaux et servir de révélateur de ce que sont les différents protagonistes. Une des rares scènes légères verra d’ailleurs un policier motocycliste arrêter la Lincoln 1941 que Coral conduit trop vite, mais il la laissera aller quand il apprendra de la bouche de Murdock que celui-ci veut l’épouser. Il a ainsi permis à Murdock d’avouer ses sentiments au prétexte de se tirer d’un mauvais pas : ils ont en effet un cadavre dans le coffre. Murdock est donc un dur au cœur tendre, sentimental envers Johnny et Coral. Une sorte de chevalier moderne à la Raymond Chandler, avec cependant un côté un peu désabusé : il revient en effet de la guerre et on suppose qu’il y a souffert.

     En marge de l’enquête, Dead reckoning, John Cromwell, 1947 

    Au Sanctuary Murdock fait la connaissance de Dusty Chandler 

    La structure du film proprement dit utilise les ficelles du roman noir comme du film noir. Cela commence par un homme qui fuit dans la nuit. Il se réfugie à l’intérieur d’une église, et trouve un aumonier des armées auprès de qui il va se confesser. Ce flash-back va durer jusqu’au milieu du film. En vérité il ne demande pas d’aide, mais il fait le point, récapitule la situation avant d’agir. Dès que l’aumonier aura le dos tourné, il va disparaître pour continuer son aventure. La voix-off domine le film. Plus qu’une voix intérieure et subjective, c’est la voix du passé, celle qui nous rappelle qu’on ne peut s’en défaire. La mise en scène proprement dite est impeccable. Les scènes mémorables sont nombreuses : par exemple la visite à la morgue qui utilise un espace confiné et assombri. Ou encore cette scène qui fait emprunter à Bogart l’escalier de service pour surprendre Martinelli et Krause. C’est du studio bien sûr, à quelques détails près, mais ça passe très bien. John Cromwell compense ces contraintes par de beaux mouvements d’appareil qui saisissent très bien la profondeur de champ, ou encore avec des idées visuelles bienvenues comme le regard entre MgGee et Murdock à travers une ouverture restreinte. Cet effet de tunnel n’est pas du voyeurisme comme souvent dans le film noir, mais ici c’est plutôt une manière claustrophobe de refermer la scène sur la peur d’un danger imminent. Les scènes d’action qui voient Murdock affronter Martinelli et Krause sont très juste et suffisamment violentes pour satisfaire les amateurs. Parmi les scènes remarquables, il y a cette longue séquence finale qui précède la mort de Coral. C’est très émouvant.

    En marge de l’enquête, Dead reckoning, John Cromwell, 1947  

    Murdock et Coral vienne voir McGee 

    Bogart, dans le rôle de Murdock, est excellent. Le rôle du dur qui défend la mémoire de son ami comme la vertu de Coral, lui va comme un gant et rappelle un peu sa façon d’interpréter Marlowe dans The big sleep. Il est suffisamment ironique pour mettre de la distance entre l’histoire et son personnage. Sa force ne vient pas de sa carrure, assez peu athlétique, mais du fait qu’il défende d’abord un point de vue moral. Le film est construit pour lui. Lizabeth Scott n’était pas prévu sur ce film, les producteurs avaient pensé d’abord à Rita Hayworth. Mais comme celle-ci était impliqué dans le tournage de Lady from Shangaï, il fallut bien lui trouver une remplaçante. Lizabeth trouvera ici son premier grand rôle. Elle incarne la louche Coral avec beaucoup d’intensité. Elle inaugure en même temps sa carrière dans le film noir – contrairement à ce qu’on a dit, si elle fit l’essentiel de sa carrière dans le film noir, elle n’était absolument pas abonnée à la série B. Elle chante aussi, plus tard elle retrouvera encore ce rôle de femme fatale chanteuse de cabaret. On l’a souvent comparée à Lauren Bacall, cela me paraît très insuffisant, même si toutes les deux savaient jouer de leur voix très basse. Bacall avait incontestablement un peu plus de féminité et de douceur. Mais Lizabeth Scott est très bien dans le rôle d’une femme avant tout ambigüe et perdue. Elle retrouvera John Cromwell dans un autre film noir, The racket. Elle est décédée il n’y a pas très longtemps dans l’indifférence générale, sauf évidemment pour la petite communauté des amateurs de films noirs. Morris Carnovsky incarne le terrible Martinelli, avec une perruque un peu bizarre et assez peu de conviction. Pour le reste l’interprétation est tout à fait intéressante, avec peut-être une mention particulière à Ruby Dandridge dans le petit rôle de Mabel. Charles Cane est un habitué des films noirs, il prête ici sa silhouette massive au lieutenant Kincaid. Wallace Ford est McGee, et le terrible Krause est incarné par Marvin Miller.

     En marge de l’enquête, Dead reckoning, John Cromwell, 1947 

    Murdock va maintenant passer à l’action 

    C’est le genre de film qui a affirmé la personnalité charismatique de Bogart. Il a eu un très bon succès international, et il a passé très bien le cap des soixante-dix ans ! Sans être un chef d’œuvre du genre, il est tout à fait excellent.

     En marge de l’enquête, Dead reckoning, John Cromwell, 1947 

    La fin de Coral est pathétique

     En marge de l’enquête, Dead reckoning, John Cromwell, 1947 

    Pendant une pose, Bogart joue aux échecs sous l’œil intéressé de Lizabeth Scott

     En marge de l’enquête, Dead reckoning, John Cromwell, 1947 

    John Cromwell avec Humphrey Bogart et Lizabeth Scott sur le tournage



    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/the-racket-john-cromwell-1951-a114844782 

    [2] http://alexandreclement.eklablog.com/caged-femmes-en-cage-john-cromwell-1950-a114844926 

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  •  Hidden fear, André de Toth, 1957

    André de Toth est considéré à tort comme seulement un bon technicien, même si en France on a reconnu son talent pour des western comme The indian figther ou des films noirs comme le méconnu Crime wave ou le très bon Pitfall[1]. C’est pourtant un réalisateur qui avait un vrai style, un style reconnaissable, mais dont le défaut semble-t-il est d’avoir été un peu trop dépendant des studios qui l’employaient, et donc de ne pas suffisamment choisir ses sujets. Il est vrai que si toute carrière comporte des hauts et des bas, celle d’André de Toth est vraiment en dents de scie. Au gré de ses déplacements il tournera un peu n’importe quoi, y compris après l’excellent Day of the outlaw. Il se retrouvera même à la tête de la seconde unité de réalisation sur Lawrence of Arabia. C’est ainsi qu’après le succès de The indian fighter avec Kirk Douglas, il se retrouvera embarqué dans Hidden fear, une production de second ordre, avec John Payne, tournée au Danemark, comme si la profession l’avait exilé pour un moment. 

    Hidden fear, André de Toth, 1957 

    La sœur de Mike Brent se trouve mêlée à un assassinat 

    Mike Brent, un policier américain, arrive au Danemark pour assister sa sœur qui se trouve mêlée à un crime, bien qu’elle nie le fait. Il va donc s’efforcer de trouver les coupables tout en coopérant avec la police locale. En commençant son enquête, il va tomber sur un cambrioleur qui met à sac l’appartement où a eu lieu le meurtre, alors que ce même appartement était sous scellé. Il va s’ensuivre une bagarre, mais si le cambrioleur arrive à s’enfuir, Mike va mettre la main sur des faux billets de 100 $. Dès lors l’affaire se complique, en effet, il rencontre la chanteuse Virginia Kelly qui est elle-même en relation avec un avocat, le louche Arthur Miller qui roule dans une Mercedes 300SL. En vérité la bande malfaiteur veut mettre la main sur des plaques pour imprimer les faux billets. Mais comme ils ne les ont pas, ils vont tenter de négocier avec Mike Brent… jusqu’à ce qu’ils comprennent qu’il est un policier américain, de mèche avec la police danoise. La bande va finir par kidnapper Mike et le séquestrer sur un bateau. Mais il n’y reste pas longtemps et repart traquer les faussaires directement chez Arthur Miller. Le chef de la bande, Hartman, se débarrasse d’une partie de ses hommes et tente de rejoindre le bateau pour s’enfuir, mais Mike et la police le poursuivent et il périra finalement noyé après une bagarre en pleine mer.

     Hidden fear, André de Toth, 1957 

    Mike passe par les toits pour atteindre l’appartement suspect 

    Le scénario est minimaliste et frise souvent l’incompréhension. On ne sait pas pourquoi la sœur de Mike s’est trouvée piégée, ni même pourquoi finalement la police la blanchira. Il ne se passe pas grand-chose et ça traine ne longueur, ce qui oblige le réalisateur à multiplier les scènes inutiles dans les bars et dans les cabarets. Ça sent le bricolage de dernière minute, sans doute les producteurs étaient-ils pressés, par exemple, Mike Brent repart avec sa sœur aux Etats-Unis, sans qu’on sache très bien ce que son idylle avec Virginia va devenir. On peut supposer que ce film monté de bric et de broc était d’abord destiné à éponger des recettes de films antérieurs qui ne pouvaient pas ressortir du Danemark, et donc il fallait bien les utiliser sur place. C’était comme ça dans toute l’Europe jusqu’à la fin des années soixante, les compagnies américaines devaient réinvestir sur place une partie de leurs bénéfices de façon à stimuler la production locale. Ça devient donc une coproduction américano-danoise, bien que les Danois dans cette salade ne servent que de faire-valoir. Cette histoire des plus banales auraient pu être filmée n’importe où, mais enfin à Copenhague, ça donne un côté un peu exotique, d’autant qu’à la fin des années cinquante le Danemark n’était pas encore ce pays très riche et très moderne qu’on connait aujourd’hui. La manière de filmer va donner une idée de l’image que les Américains se faisaient de la vieille Europe : le Danemark qu’on voit à l’écran se résume à quelques clubs de jazz, des bateaux qui vont un peu n’importe où, et quelques verts pâturages. C’est un pays à mi-chemin de la modernité, d’ailleurs, c’est bien la preuve, la bande de truands ne semble guerre appliquée à la besogne. Elle a un côté amateur.  Il y a des incohérences assez curieuses, comme ces policiers danois qui attendent un coup de fil de Mike pour savoir ce qu’ils doivent faire. 

    Hidden fear, André de Toth, 1957 

    Un malfaiteur se livre à d’étranges manœuvres 

    Malgré le handicap d’un scénario des plus confus, on reconnait la patte de De Toth dans la manière de filmer les extérieurs ou les courses de voiture, mais aussi dans cette façon assez inimitable de marier le gros plan le plan large pour donner de la profondeur de champ. Mais le rythme n’est pas très bon, surtout dans la seconde partie qui se résume à des courses poursuites assez ennuyeuses. Le pire étant la dernière, les voitures tournent à gauche, à droite, sans que les choses avancent vraiment. Certes on pourra toujours admirer la Mercedes 300SL qui a cette époque représentait le comble du raffinement automobile, mais sinon on risque de trouver le temps bien long. Sans trop s’en rendre compte, André De Toth se trouve dans la répétition : si les courses de voitures se répètent, il en est de même pour les visites des bars ou des orchestres de jazz. Un œil attentif remarquera d’ailleurs qu’on voit un grand orchestre jouer alors qu’il s’agit d’un solo de trompette. Mike rencontre deux fois Virginia, il est deux fois prisonnier, il téléphone deux fois à la police. Tout cela ne fait pas très sérieux, mais on arrive ainsi à avoir un métrage suffisant pour faire un film. L’ensemble hésite entre déambulations nocturnes et visite touristique guidée du Danemark. Bref à quelques plans près, le cinéphile n’a pas grand-chose à se mettre sous la dent. 

    Hidden fear, André de Toth, 1957 

    La chanteuse Virginia Kelly semble apprécier la compagnie de Mike 

    L’interprétation est américano-danoise. Quoiqu’elle soit dominée par les Américains et donc par l’ineffable John Payne que rien ne démonte. Ce sera son dernier film avant de terminer sa carrière à la télévision. Il était clairement en perte de vitesse à cette époque. Il est le seul à croire que l’histoire est intéressante et il se donne du mal pour avoir l’air dur, notamment quand il frappe sa sœur au début du film pour qu’elle cesse de mentir. Il est clairement moins bon – mais le scénario en bois ne facilite pas les choses – que dans The boss. Il retrouve cet air impavide et robotisé auquel il nous a trop souvent habitué. On lui a adjoint Anne Leyland dans le rôle de Virginia Kelly, c’est la « girl » dont il est sensé être amoureux. Elle est assez mauvaise, remplaçant les élans de la passion par des petits sourires imbéciles qui accentuent l’asymétrie de son visage. Rapidement elle retournera à la télévision. Alexandre Knox est le chef des méchants, Hartman, avec l’air de s’en foutre royalement, et quand il nous fait part de sa hâte à quitter le Danemark pour se mettre à l’abri de la police, on comprend qu’il voudrait se trouver ailleurs que dans ce film. Le policier Knudsen est joué par Kjeld Jacobsen qui nous fait admirer au passage sa capacité à s’exprimer en danois. Elsie Albiin, une actrice suédoise, un grand cheval, est sensé aussi donner un peu de couleur locale. L’ensemble donne l’image d’une distribution bricolée au dernier moment. On verra également Conrad Nagel dans le rôle de l’avocat peu scrupuleux, Miller.

     Hidden fear, André de Toth, 1957 

    Dans un bar, Mike attire à lui une fille qui semble s’intéresser à son argent 

    C’est donc un exercice raté qui semble avoir été tourné dans la précipitation. Le film, contrairement à The boss qui émanait des mêmes producteurs, n’a pas connu de succès. C’est à tel point qu’il ne fut même pas distribué en France. Je ne l’avais jamais vu, et finalement je constate que j’avais bien pu vivre sans ça ! Cette découverte prouve bien que les films à petits budgets qu’on ressort ne sont pas tous indispensables même pour des cinéphiles boulimiques.

     Hidden fear, André de Toth, 1957

     

    Sur le bateau Les gangsters tentent de faire parler Mike



    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/pitfall-andre-de-toth-1948-a114844774

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  •  The boss, Byron Haskin, 1956

    C’est un film noir tardif et assez peu connu. Il est vrai que Byron Haskin n’a pas la réputation d’être un grand réalisateur, mais il a fait pourtant le très bon I walk alone avec Burt Lancaster, Kirk Douglas et Lizabeth Scott[1], et le non moins intéressant Too late for tears toujours avec Lizabeth Scott[2]. C’est pourtant un film qui vaut le détour par l’originalité de son scénario. C’était d’abord un photographe, et c’est sans doute ce qui explique que le plus souvent le cadre est très bien fait. Cependant, ayant été formé à l’école du muet, sa mise en scène est trop souvent statique. The boss possède l’intérêt d’avoir été écrit par Dalton Trumbo qui signa le scénario du nom de Ben Perry car à cette époque il était encore blacklisté. Et rien que pour cela ce film vaut le détour, on y reconnaîtra les obsessions de Trumbo notamment dans sa critique du capitalisme débridé et corrupteur. Film noir tardif, The boss s’inscrit dans ce segment particulier des films noirs qui dénoncent la corruption organisée par les politiciens eux-mêmes. 

    The boss, Byron Haskin, 1956 

    Lorry Reed veut bien renoncer à son mariage avec Matt 

    Matt Brady revient de la Première Guerre mondiale couvert de gloire et de médaille. Accueilli comme un héros par les citoyens de la ville, son frère Tim, bien plus âgé que lui, et qui règne sur la ville, veut qu’il lui succède. Et tout le monde s’attend à ce qu’il épouse Elsie. Mais rien ne se passe comme prévu : non seulement Matt se dispute avec son frère mais, complètement ivre, il épouse Lorry Reed, une fille de basse extraction. Il renonce à Elsie sur laquelle son ami Bob avait lui aussi des vues. Mais comme son frère décède, Matt va devoir lui succéder. Uniquement préoccupé d’engranger de l’argent, il passe outre les règles du jeu et développe une corruption endémique dans la ville, se vendant même à la pègre locale. Il n’arrive pas à s’attacher à Lorry Reed, et pour tout dire, il ne s’intéresse guère aux filles. Mais évidemment il s’est fait des ennemis dont le procureur Stanley Millard qui a juré de l’envoyer en prison, entre autres choses parce qu’il considère que Matt a dépouillé son frère de son entreprise de cimenterie. Les choses vont commencer à aller mal lorsque la bourse explose lors du fameux vendredi noir. Pour se refaire, il se rapproche un peu plus de Johnny Mazia. Mais celui-ci multiplie les fautes. La police met la main sur un membre de l’équipe de Johnny Mazia. Comme il est susceptible de parler, il faut l’éliminer. Les fédéraux commencent à se mettre en branle. Mais Johnny Mazia a la lumineuse idée d’enlever Bob Herrick, l’ami de toujours de Matt. Celui-ci va tenter de le délivrer des griffes des gangsters. Mais la police est sur les dents et intervient : dans la foulée, Matt tue Johnny Mazia. Cependant, Stanley Millard arrive à trainer Matt devant les tribunaux, et c’est contre toute attente Bob Herrick qui le trahit. Cependant Lorry Reed va payer la caution destinée à faire sortir Matt de prison, mais désespérant d’être un jour aimée par Matt, elle le quitte. Il reste seul, vieux, dépouillé de son argent et de son pouvoir, et probablement ira -t-il en prison, la dernière scène semblant figurer la porte d’un pénitencier. 

    The boss, Byron Haskin, 1956 

    Johnny Mazia a décidé d’éliminer un témoin potentiel 

    Ce n’est pas un film de série B, mais c’est bel et bien un film à petit budget, cette faiblesse est compensée par un scénario très prenant, d’une grande densité thématique. A tel point que le thème de la corruption d’une ville par des politiciens véreux devient finalement assez secondaire. C’est donc un homme, Matt Brady, qui revient de la guerre et qui rapidement découvre l’aigreur de la reconversion. C’est peu de dire qu’il fait tout de travers. C’est un caractère violent et emporté qui ne trouve finalement un peu de paix que dans cette sombre maniaquerie de faire de l’argent et encore de l’argent. Il ne se rend même pas compte qu’il est ridicule quand il offre une parure en diamants à Lorry alors que celle-ci attend plutôt un peu d’attention de sa part. il est donc seul et enfermé dans un système : croyant profiter des autres, c’est lui qui apparait comme la proie de la cupidité aussi bien de Johnny Mazia que de son « ami » Bob qui non seulement prend sa place auprès d’Elsie, mais qui en plus le trahi froidement pour éviter d’aller en taule. Evidemment s’il joue ce jeu-là, c’est aussi parce qu’il prend la place de son frère qui, sous ses airs d’homme honnête n’était pas moins véreux que Matt. Chaque fois que Matt se rend compte qu’il fait fausse route, notamment avec Lorry, il n’arrive pas à réagir, et quand il comprend l’enjeu, il est beaucoup trop tard. De même il ne comprendra pas pourquoi Bob le trahit alors que lui-même s’est défoncé pour le tirer d’affaire et faire sa fortune. Cette affaire d’amitié trahie donne à l’ensemble une tonalité plutôt aigre. 

    The boss, Byron Haskin, 1956 

    Matt est prêt à tout pour sauver la peau de Bob 

    Si la réalisation est enlevée, bien rythmée, elle manque pourtant de souplesse et de fluidité. La caméra reste trop statique. Mais dans l’ensemble Byron Haskin arrive à très bien exploiter les décors intéressants, notamment ceux de la cimenterie. Il y a des scènes assez étonnantes, quand Matt prend l’allure d’un parrain et reçoit à son bureau des gens qui lui font allégeance. Il est à peu près certain que c’est de là que Coppola a tiré la scène fameuse où on voit Marlon Brando écouter les doléances d’un croquemort, et qu’il lui dit qu’il va satisfaire à ses désirs et qu’il le lui rappellera un jour, s’il a besoin de lui. Les scènes d’action sont très réussies, notamment celle qui se passe à la gare quand Johnny Mazia et sa bande interviennent contre la police, ou encore quand Matt pourchasse ce même Johnny à travers les escaliers de la cimenterie. La bagarre du début dans le bar où se fête le retour de Matt est moins intéressante, plus convenue. La dernière confrontation entre Matt et Lorry, destinée à montrer tout ce que Matt a perdu au fil des années qui se sont écoulées est également très émouvante. Une des originalités du film est d’étaler l’histoire sur plusieurs décennies, elle couvre l’entre deux guerres. Et donc on verra nécessairement Matt vieillir. Faire vieillir les personnages au cinéma est souvent plutôt difficile, mais ici ça passe très bien, du moins pour les personnages masculins. Si le début est un peu pompeux et convenu, ça s’anime rapidement, dès lors que Matt est débarrassé de la tutelle de son frère. Comme c’est sensé se passer entre les deux guerres, il y a pas mal d’anachronismes dans les costumes, les voitures et les objets en général.

     The boss, Byron Haskin, 1956 

    Dans la cimenterie Matt poursuit Johnny 

    L’interprétation est de second ordre. Le rôle de Matt est tenu par John Payne, acteur le plus souvent raide et monolithique, mais ici il est plutôt convaincant et trouve un de ses meilleurs rôles, jouant les durs tout en montrant ses faiblesses. Il est excellent avec ses cheveux blancs quand il ne maîtrise plus rien et qu’il ne comprend pas pourquoi Bob l’a trahi – nous non plus d’ailleurs – mais c’est une autre histoire. William Bishop dans le rôle de Bob, l’avocat qui ne se mouille jamais, est aussi pas mal. C’est un acteur qu’on a peu vu au cinéma et qui a fait l’essentiel de sa courte carrière à la télévision. Rhys Williams est le chafouin procureur Millard. Il est un habitué de ce genre de rôle et manifeste ici une grande pugnacité. Les femmes sont moins à l’honneur. Gloria McGhee incarne très bien Lorry Reed, mais son rôle est assez peu développé. Cette actrice est très peu connue, entre autres, parce qu’elle aussi, comme William Bishop, est décédée assez jeune. Doe Avedon interprète Elsie, mais elle fait juste un peu de décoration, quoiqu’on ne lui en demande pas plus. Roy Roberts dans le rôle de Tim, le frère aîné de Matt, en fait des tonnes.

     The boss, Byron Haskin, 1956 

    Bob va mentir pour faire tomber Matt 

    C’est donc une très bonne surprise que The boss. Il tient parfaitement la route. Malheureusement il n’existe pas sur le marché, en France et aux Etats-Unis une très bonne copie que ce film mériterait pourtant. Je crois que ce film n’est jamais sorti sur les écrans français. Sans être un chef d’œuvre du genre, ce film noir tardif, vaut vraiment le détour.

     The boss, Byron Haskin, 1956

    Matt reste seul, dépouillé de son pouvoir



    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/byron-haskin-l-homme-aux-abois-i-walk-alone-1948-a114844674 

    [2] http://alexandreclement.eklablog.com/la-tigresse-too-late-for-tears-byron-haskin-1949-a130582622 

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  • Benoît Garnot, L’histoire selon San-Antonio, EUD, 2018

     Les anecdotes tirées de l’histoire et plus particulièrement de l’histoire de France parsèment la saga des San-Antonio. Benoit Garnot, historien de profession, tente d’expliciter l’usage que Frédéric Dard a pu faire de ses propres connaissances en la matière. Il a donc rassemblé dans ce petit des citations nombreuses pour étayer son raisonnement. Evidemment, quand on sait quel a été le succès époustouflant de L’histoire de France vue par San-Antonio, on se dit que ce thème est décisif à la fois pour la compréhension de la Saga sanantoniaise, et pour celle de Frédéric Dard lui-même en tant qu’auteur. Si le projet est intéressant, les citations sont souvent sujettes à caution, tirées de la collection Bouquins, selon ses dires, elles semblent pour plusieurs contestables, ce qui est un peu gênant pour les vieux sanantoniophiles qui connaissent les textes originaux. Par exemple, p. 88, il recopie « il esquille la bretelle pour Saint-Germain, où naquit le Roi-Soleil » ce qui ne veut strictement rien dire, en lieu et place de « j’enquille… ».  Mais passons, sinon on va dire que je chipote.

    Garnot va donc tenter de comprendre l’idée que Dard se faisait de l’histoire, car après tout, il avait une culture historique très supérieure à la moyenne, même si elle se fondait sur une conception scolaire surannée et plus sur le rôle des grands hommes que sur une histoire plus matérielle. L’insertion de ces anecdotes historiques se fait à partir de personnages très connus, Henri IV, Jeanne d’Arc, Napoléon 1er, etc. Garnot y voit à juste titre une forme de dévalorisation de l’histoire, l’histoire comme un éternel recommencement ou une absence de progrès véritable.

    En réalité c’est un peu plus compliqué que cela. Il y a d’abord que l’histoire, telle qu’elle est enseignée, sert à créer des Français à travers d’une imagerie plus ou moins fidèle à la réalité, d’où les diatribes récurrentes de Frédéric Dard contre les Anglais ou plus encore contre les Boches. Il n’y a pas de Français et donc de France sans une réappropriation de l’histoire : d’ailleurs Garnot en conviendra finalement en reconnaissant à Frédéric Dard la qualité de patriote. On peut se demander d’ailleurs si la manière d’enseigner l’histoire aujourd’hui aux enfants des écoles et des collèges n’est pas une façon de lutter contre l’idée de nation elle-même. Frédéric Dard a appris l’histoire avec sa longue litanie de dates et de grands noms, ce qui était bien pratique d’ailleurs pour cadrer une réflexion sur le sujet, même si cela entrainait forcément des approximations très larges.

    Mais Frédéric Dard dans l’usage qu’il fait des grands personnages historiques dévoile certaines tendances moins convenues. D’abord il est clair qu’il remet en question justement la qualité des grands hommes. Pour fascinants qu’ils soient, Napoléon, Hitler, ou même De Gaulle possèdent des défauts rédhibitoires qui les excluent pratiquement de l’humanité. Il les tourne pour cela en dérision. Je rappelle qu’une des rares nouvelles signée San-Antonio a pour titre Hitler et raconte la confrontation animée entre Hitler et le fringant commissaire[1]. L’idée générale est toujours de démontrer que les grands hommes ne sont pas si grands que ça dans leur intimité. Dans les premiers San-Antonio, il y a une méfiance à l’égard du général De Gaulle qu’il dénonce comme quelqu’un qui joue de son image de marque de héros de la Résistance. Donc quelqu’un qui manque de sincérité quelque part. Dans les années soixante, il est même carrément hostile au gaullisme ambiant. San-Antonio contribue donc à faire descendre les grands personnages de leur piédestal, ce qui va bien avec l’air du temps.

    Benoît Garnot, L’histoire selon San-Antonio, EUD, 2018

    L’histoire de France selon San-Antonio est une imagerie qui porte à la rêverie. Il en tire des morceaux d’intrigue qui lui permettent évidemment de faire du remplissage pour atteindre les 220 pages réglementaires, mais aussi cela lui permet de dévoiler des constantes en ce qui concerne « le caractère français ». Dans L’histoire de France vue par San-Antonio qui fut sans doute son plus grand succès de librairie, il recycle des anecdotes plus ou moins connues à partir du personnage de Bérurier à travers les âges. D’ailleurs Bérurier est le personnage central de l’histoire revisitée par Frédéric Dard, non seulement à travers L’histoire de France vue par San-Antonio, mais aussi dans Béru et ses dames[2] ou encore Si queue d’âne m’était contée[3]. Dans ce dernier cas, on remonte la lignée des Bérurier à travers l’histoire récente de la paysannerie française, cette paysannerie française qui fascine tant Frédéric Dard et qui est pétrie de la terre. On a beau s’en moquer, et Frédéric Dard n’est pas le dernier, la paysannerie, c’est de là que nous venons, de là que viennent aussi nos traditions qu’elles soient culturelles ou culinaires d’ailleurs.  

    Benoît Garnot, L’histoire selon San-Antonio, EUD, 2018

    Une autre dimension que Garnot ne développe pas, c’est que San-Antonio a un faible pour les vaincus de l’histoire. C’est le cas évidemment de Louis XVI qui s’est fait bêtement raccourcir et pour lequel il manifeste sinon une sympathie, du moins de la compassion. Et sans doute que s’il aime beaucoup Jeanne d’Arc, cela tient sans doute aussi au fait qu’elle ait été brûlée, parce qu’elle avait été vaincue. Dans le même ordre d’idée, et cela au moins depuis la publication de La crève en 1946 aux éditions Confluences, il a toujours manifesté de la sympathie pour ceux qui s’étant rangés du mauvais côté de la barrière, furent « épurés » à la Libération. Est-ce pour cela qu’il s’était lié avec Albert Simonin qui avait fait plusieurs années de prison pour des faits de collaboration ?

    A mon sens il y a une autre approche possible de l’histoire à travers l’œuvre de San-Antonio, c’est le fait qu’elle traverse la seconde moitié du XXème siècle, et donc à travers l’évolution de ses personnages, Frédéric Dard analyse sans trop le dire la modification des us et coutumes des Français dont il épouse lui-même assez bien les changements, y compris sur le plan politique bien entendu. Donnons un exemple, au début des aventures du fringant commissaire, sa mère, Félicie, lui retourne les cols et les poignets des chemises, comme cela se faisait avant le développement de la société de consommation. Et puis les temps changent comme on dit, le commissaire, au fur et à mesure qu’il s’enrichit et que la société tout entière s’enrichit, consomme de plus en plus de produits de luxe, même s’il gardera jusqu’au bout la nostalgie des petits bistrots. Au tout début, il ne dispose que d’une voiture de fonction, et puis par la suite, il va rouler dans des voitures de prestige, Jaguar, Maserati, etc. La saga sanantoniaise est aussi un formidable livre d’histoire.

    A sa manière Frédéric Dard, par la voix qui se veut modeste de San-Antonio, est un historien populaire qui a initié une quantité industrielle de Français à leur propre histoire en ravivant les souvenirs scolaires, et en redonnant le goût pour une histoire aussi décomplexée que mystérieuse.



    [1] In Louis Bourgeois, Frédéric Dard, qui suis-je ?, La manufacture, 1985 

    [2] Fleuve noir, 1967

    [3] Fleuve noir, 1976.

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