•  Un homme marche dans la ville, Marcel Pagliero, 1949

    C’est un film assez particulier. Une sorte de produit hybride entre le film noir et le drame social. Il a été réalisé par Marcello Pagliero qui n’est pas très connu en tant que réalisateur, si ce n’est pour son adaptation de la pièce de Jean-Paul Sartre, La p… respectueuse. Il a été aussi acteur et son nom se retrouve au générique d’un film malheureusement invisible aujourd’hui, de Jacques Deray, Symphonie pour un massacre. Franco-italien, il a fait carrière des deux côtés des Alpes.

    Un homme marche dans la ville, Marcel Pagliero, 1949 

    On ne connait pas grand-chose de Jean Jausion[1] qui est à l’origine du roman. On sait que ce fut un jeune homme de bonne famille, plutôt porté vers la poésie et la littérature, il participa à des groupes littéraires plutôt proche des tendances surréalistes. Il était amoureux d’une jeune femme juive, Annette Zelman, avec qui il devait se marier, mais ce mariage n’eut pas lieu car le propre père de Jean Jausion la dénonça aux Allemands et elle fut déportée et mourut en juin 1942 à Auschwitz. Jean Jausion s’engagea dans la Résistance, participa à la Libération de Paris, puis fut tué en Allemagne alors qu’il s’y trouvait comme reporter de guerre. Son livre, son seul roman, sera publié de manière posthume en 1945 par Gallimard[2].   

    Un homme marche dans la ville, Marcel Pagliero, 1949 

    L’embauche sur les docks  

    Sur les docks du Havre, la vie est dure, l’embauche irrégulière et la paye maigre. Les dockers ont du mal à joindre les deux bouts et plus encore à se loger dans une ville ravagée par la guerre. Laurent est un de ceux-là, ouvrier mal embouché, il a un petit garçon avec Madeleine que son patron drague ostensiblement. Jean qui est chef d’équipe est son copain. Mais quand Laurent lui demande d’intercéder auprès du patron pour avoir une meilleure place, Jean va se heurter à une fin de non-recevoir, Ambilares « n’aime pas sa gueule ». Laurent lui en veut, comme il en veut à sa propre femme. Un jour qu’il travaille avec un noir un peu malade, ce dernier tombe de fatigue, le patron en profite pour virer Laurent. Ce dernier est d’autant plus en colère que sa femme est partie draguer Jean dans la ville. De fil en aiguille, et avec plusieurs verres dans le nez, Laurent va chercher à frapper Jean dans une partie déserte du port. Mais il s’est trompé de personne et a engagé une bataille avec un autre docker ivre qui le rosse et le projette dans la fosse où on répare les bateaux. Laurent meurt. Péniblement le lendemain on remontera son corps. La police évidemment mène l’enquête. Madeleine veut croire que c’est Jean qui, par amour, a tué Laurent. Celui-ci essaie de lui dire qu’elle fait fausse route, mais elle ne veut rien comprendre. La sœur de Madeleine est venue la soutenir dans l’épreuve, et Jean revient le lendemain pour porter une collecte que les ouvriers ont faite pour soutenir Madeleine et son gosse. Madeleine s’entête. Elle n’ira même pas à l’enterrement. D’abord elle relance Jean jusqu’au bistrot où il se noircit proprement, il l’envoie promener sans trop de ménagement, ensuite elle va le dénoncer à la police comme le meurtrier de son mari. Mais le commissaire qui a déjà enquêté sur Jean, ne semble pas trop la croire. Bientôt Jean est innocenté. Il s’en va voir Madeleine pour lui pardonner son attitude, mais c’est trop tard, elle s’est suicidée de désespoir. 

    Un homme marche dans la ville, Marcel Pagliero, 1949 

    Entre Laurent et Madeleine rien ne va plus  

    Le film comporte deux parties distinctes : il y a d’abord la misère ouvrière et les dégâts qu’elle engendre dans les familles. C’est raconté avec beaucoup de minutie, avec un sens du décor très réaliste. Les conditions de travail sont dures, et les intérieurs des maisons, misérables. Cela mène au drame, c’est-à-dire à la rupture de l’amitié entre Jean et Laurent, et la mort de celui-ci puis l’enquête policière qui forme la seconde partie. Ces deux parties sont très équilibrées, mais elles sont filmées de manière assez différente. La première partie met en scène le jour et le travail, la foule et les bateaux qu’on répare où qu’on décharge. La seconde se passe plutôt la nuit, les individus sont détachés de leurs fonctions, isolés par des ombres menaçantes. Si la première partie ressort de la littérature prolétarienne ou du néo-réalisme italien, la seconde se rapproche du film noir par l’utilisation des codes visuels. Mais il y a en plus quelque chose de poétique dans cette errance de Jean, ou même dans la manière des ouvriers de lever le coude. On boit en effet beaucoup, tellement même que le patron du bistrot cherche à freiner les consommations. 

    Un homme marche dans la ville, Marcel Pagliero, 1949 

    Dans une bagarre, Laurent fait une chute mortelle  

    L’atmosphère du film rappelle par moment L’Atalante, le chef d’œuvre de Jean Vigo. La ville du Havre est un personnage à part entière. Mais à l’époque c’est encore une ville en ruine, à l’image de ces vies prolétaires qui n’ont pas d’avenir. Elle a été en effet douloureusement touchée par les bombardements alliés, notamment britanniques, elle en a subi 132, et sa plus grande partie est rasée ! C’est la ville de Raymond Queneau qui disait ne plus la reconnaître, même si après la Libération on a mis des moyens importants pour la reconstruire. Le film se passe donc pendant cette reconstruction. La ville est marquée par son passé ouvrier, mais aussi par l’attrait du grand large. C’est bien ces lieux qui sont représentés dans le cinéma d’avant-guerre, Quai des brumes par exemple. L’attrait du grand-large, c’est forcément une ouverture sur le rêve. C’est à partir du Havre qu’on s’embarquait sur des grands paquebots pour aller en Amérique. Frédéric Dard dans les années cinquante célèbrera cette possibilité dans plusieurs San-Antonio, mais aussi dans des films comme L’étrange Monsieur Steve ou Trois jours à vivre. Evidemment la démocratisation de l’aviation a tué ce rêve de navigation au grand-large. Dans quelques scènes, Pagliero filmera des bateaux qui s’en vont au loin, comme s’ils avaient de la chance de pouvoir fuir cette ville en ruine. Et de fait cette mer si vaste et si calme dans le film s’oppose aussi bien à la fureur des hommes qu’au délabrement de la ville. Mais il reste encore quelques rues sombres autour du port, des rues où il peut se passer beaucoup de drames. 

    Un homme marche dans la ville, Marcel Pagliero, 1949 

    La remontée du corps est difficile  

    C’est l’occasion aussi de célébrer des figures centrales de l’imagerie populaire de ces temps-là. Le bistrotier, ancien boxeur, un peu traficoteur, notamment avec un Allemand un peu simple qui lui procure de l’alcool. La pute plutôt sympathique qui de temps à autre reçoit aussi un peu des gnons, et le gosse mélancolique et solitaire de Laurent et Madeleine qui ne dit jamais rien, subissant déjà les aléas de la vie et les moqueries de ses camarades. Le commissaire n’est pas tout à fait bon-enfant, mais enfin il fait son métier sans être trop pointilleux, comme s’il comprenait la misère dans laquelle baigne cette population qu’il est chargé de surveiller. Le patron, Ambilares, un rien concupiscant, pas très loyal avec ses employés, a aussi des réflexes humains, il aimerait bien que Madeleine le regarde un peu. Ça n’arrivera pas, elle est bien trop accrochée à son idéal ouvrier. Question de classe si on veut. Elle n’est pas très loyale pourtant avec son propre mari, mais de là à trahir sa classe, il y a un pas qu’elle ne franchira pas. Il y a aussi quelque chose de très juste dans les habits usés et mal foutus que portent les différents protagonistes, ça ne fait pas déguisement. Les prolos portent la casquette avec laquelle ils jouent parfois. 

    Un homme marche dans la ville, Marcel Pagliero, 1949 

    La sœur de Madeleine est venue lui apporter son soutien  

    La distribution est adéquate à son sujet. Comme le film se passe dans un milieu pauvre et prolétarien, on ne pouvait pas prendre des acteurs trop glamour. Le film est construit autour de Jean-Pierre Kervien qui était né au Havre. C’est lui qui incarne le prolo Jean Sauviot à la morale rectiligne qui ne veut même pas regarder la femme d’un copain, malgré les relances incessantes de Madeleine. Il faut dire que Saviot est un homme que les femmes regardent, sur lequel elles se retournent. Kervien ne retrouvera plus jamais un tel rôle, il sera abonné aux seconds rôles et aux séries télévisées. Ginette Leclerc est Madeleine. C’est une garce, et Ginette Leclerc en a joué des tonnes. Dans l’imaginaire populaire elle était d’ailleurs associée à la femme de mauvaise vie, sans doute est-ce cela qui lui a procuré des ennuis sérieux à la Libération. Après tout elle s’était moins compromise qu’Arletty. Ici c’est bien une garce, mais elle a des excuses, elle est une victime de la misère et de la fatalité. Robert Dalban incarne Laurent. Il est vraiment excellent, sans doute un de ses meilleurs rôles à l’écran. Il est encore jeune, et ses traits ne sont pas déformés encore par l’alcool. C’est lui la véritable révélation du film. Il a l’air moins figé que les autres acteurs, plus naturel. Il faudrait citer aussi André Valmy dans le rôle du commissaire et Dora Doll dans celui de la pute au grand cœur. Et puis bien sûr Yves Deniau qui joue Albert, le patron du bistrot un peu neurasthénique. C’est un acteur assez fin, peu théâtral, bien qu’il soit par ailleurs chansonniers, et qu’on a vu un peu partout dans le cinéma français des années trente jusqu’à la fin des années cinquante. En 1951, il retrouvera Marcello Pagliero pour La rose rouge, un film à la gloire du célèbre cabaret de Saint-Germain des Prés. Il n’avait cependant qu’un physique de bistrotier qui lui limitait l’accès à des rôles importants. Grégoire Aslan est Ambilares, le patron des dockers, cauteleux et méchant, il est aussi très bien. On verra également Fréhel, la grande chanteuse réaliste, dans le rôle d’une sorte de maman qui couve toute une tripotée de noirs qui se font exploiter honteusement sans oser rien dire. 

    Un homme marche dans la ville, Marcel Pagliero, 1949 

    Madeleine a donné rendez-vous à Jean  

    Sur le plan cinématographique, il y a dans ce film quelques scènes vraiment magnifiques, la remontée du corps de Laurent depuis le fond de la fosse de réparation des navires, l’attente de madeleine qui a donné un rendez-vous aléatoire à Jean. Ou encore lorsque le commissaire raccompagne Madeleine après le départ du train qui emporte son fils qu’elle a confié à sa sœur. Il y a une composition des plans qui est tout à fait étonnante. Les scènes de bistrot sont peut-être plus banales, quoique très justes sur le plan poétique et réaliste. On peut citer encore la scène finale qui voit Jean s’éloigner de la maison de Madeleine parmi les décombres de la ville, tandis que celle-ci a mis fin à sa vie misérable. 

    Un homme marche dans la ville, Marcel Pagliero, 1949 

    Le commissaire est venu accompagner Madeleine à la gare  

    C’est une très bonne surprise que de retrouver ce film un peu trop négligé par la critique, sans doute à l’époque on devait trouver qu’il sentait un peu trop la transpiration. En tous les cas il offre une sorte de témoignage, non pas documentaire, mais sur les rêveries d’une époque révolue, il cerne peut-être mieux que beaucoup de livres savants la mentalité prolétaire et ses désenchantements. 

    Un homme marche dans la ville, Marcel Pagliero, 1949  

    Par dépit Madeleine dénonce Jean comme meurtrier

    Un homme marche dans la ville, Marcel Pagliero, 1949 

    Jean repart après avoir laissé une lettre à Madeleine



    [1] http://www.leshommessansepaules.com/auteur-Jean_JAUSION-468-1-1-0-1.html

    [2] Ce livre est très difficile à trouver, il se propose sur Internet à des prix tout à fait déraisonnables.

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  • Patrick Pécherot, Hével, Gallimard, 2018

    Hével, le titre, annonce tout de suite le contenu puisque ce mot est la forme hébraïque d’Abel. Il sera donc question ici de jalousie et de haine, d’envie peut-être aussi. Des sentiments qui mèneront forcément à la mort et peut-être au meurtre. Gus et André sont deux camionneurs qui besognent dans le Jura en effectuant des livraisons pour les entreprises du département. La vie est dure, ils ne gagnent pas tant que ça et leur camion est plutôt un peu fatigué, menaçant de s’écrouler. La vie s’écoule lentement dans l’amitié et le travail. Mais voilà qu’un jour Gus été André vont croiser un déserteur de l’armée française et qu’ils ont le malheur de le prendre avec eux. Gus s’étant battu avec des Arabes, il est blessé et donc Pierre – le déserteur – va le remplacer. Gus n’apprécie pas ce nouveau venu qui en quelque sorte le marginalise. Mais André tient à le faire passer en Suisse, d’autant qu’ils pensent que les gendarmes poursuivent Pierre. Les deux hommes vont partir à pied pour traverser la frontière. Gus va partir derrière eux, sur la piste, il va croiser un collecteur de fonds du FLN. Il comprend alors que les gendarmes sont plutôt à la recherche de celui-ci qu’à celle de Pierre. Gus sera le seul survivant de cette aventure. Le roman, assez bref, possède deux parties bien distinctes : la tournée en camion de Gus et André, et la rencontre avec Pierre, et puis la seconde qui est la dérive proprement dite de Gus, isolé, livré à lui-même. Nous sommes en 1958, au moment de la Guerre d’Algérie, avant l’arrivée au pouvoir du général De Gaulle. Pécherot va tenter de donner à son récit un parfum d’époque, à la fois en notant des détails précis sur les chansons qui passent à la radio, quelques échos des combats en Algérie, ou encore des faits divers qui à l’époque ont défrayés la chronique. Le récit étant mené le plus souvent à la première personne, on y retrouvera d’une manière un peu tremblotante des formes familières volontairement datées. On y trouvera bien sûr quelques anachronismes : en 1958 Vince Taylor n’est pas du tout connu par exemple et Sa jeunesse la chanson d’Aznavour n’a été enregistrée qu’en 1963. Mais ce n’est pas là l’essentiel. L’essentiel c’est le cadre : la guerre d’Algérie. Pécherot tente d’en montrer la complexité et surtout le fait que les soldats engagés dans ce conflit n’en comprennent pas très bien le sens. Ce conflit se traduit naturellement par une haine féroce entre les travailleurs algériens et français sur notre sol. Tout se passe comme si la France en pleine transformation économique avait besoin de se débarrasser de l’Algérie pour poursuivre son développement. Le roman comprend assez peu de personnages. Outre ceux dont nous avons parlé, il y a le portrait de Simone, une bistrotière qui a eu une attitude courageuse pendant la Résistance, mais qui maintenant attend. Les Arabes ne sont pas très caractérisés, ils appartiennent seulement au décor. Le corps du texte prend la forme d’une confession, celle de Gus. Il apparaît comme interrogé par un journaliste qui essaie de comprendre les ressorts d’un fait divers ancien. A travers cette confrontation, ce sont deux époques qui s’affrontent et qui ne peuvent pas se comprendre, plus que deux hommes. Il est possible que Gus ne dise pas la vérité. On ne le saura pas.

    Patrick Pécherot, Hével, Gallimard, 2018

    Il y a comme toujours dans le meilleur de Pécherot une nostalgie pour une sorte de culture prolétarienne basée sur le travail et l’amitié, ce qui lui permet de retrouver ses racines. Il se rattache à de nombreux ouvrages ou films qui se saisissent du camion et des camionneurs comme les figures de la modernisation de la France. Ils mangent des kilomètres, mettent en relation des territoires disjoints, apportent des bonnes et des mauvaises nouvelles dans les bistrots routiers où ils vont se restaurer. C’était à la mode à la fin des années quarante et au début des années cinquante : Le salaire de la peur de Georges Arnaud , Du raisin dans le gas-oil de Georges Bayle – adapté à l’écran sous le titre de Gas-oil par Gilles Grangier avec Jean Gabin dont le nom est cité à plusieurs reprises dans le livre de Pécherot – ou encore dans Batailles sur la route de Frédéric Dard . Le camion est l’objet qui permet de passer d’un espace à un autre, de fuir l’emprisonnement, d’échapper à son passé ou à la police. C’est en même temps un lieu clos, dans la cabine de conduite c’est le lieu de l’amitié entre Gus et André. Il n’y a pas de place pour une troisième personne. C’est donc aussi le symbole de l’errance sans but, on tourne en rond.

    Patrick Pécherot, Hével, Gallimard, 2018

    André a perdu un frère en Algérie, c’est aussi ce qui le rapproche de Pierre. Mais cela nous donne l’occasion de parler de la manière dont des individus jeunes et sans expérience, provenant d’un peu tous les milieux vont se transformer en soldats et se comporter comme tels, avec les meurtres que cela entraîne forcément. On y parlera de la torture. Pécherot évoque ceux qui ont dénoncé la torture, le général de la Bollardière ou Jean-Jacques Servan-Schreiber. Gus, prolétaire sans véritable statut, les perçoit comme des bourgeois, à peine capable de faire des beaux discours : comme s’il pouvait y avoir une guerre propre ! Que le but de la guerre soit bon ou mauvais, dans son déroulement, elle ne peut être que dégueulasse. Le nier est franchement stupide. C’est un constat, qu’on soit ou non pacifiste. Cette question était déjà implicite dans Tranchecaille qui se situait pendant la Première Guerre mondiale, dans les tranchées. Si on comprend bien les intentions de Pécherot de mettre en scène des individus plutôt écrasés par une situation qui les dépasse, le parallèle entre la Résistance et l’action du FLN nous semble un peu léger. En effet les Allemands ont occupé la France pour la piller, tandis que les Français se sont installés en Algérie pour développer ce pays, même si pour ce faire ils ont exploité une main d’œuvre abondante et bon marché. On peut être opposé à l’idée de colonisation, tout en reconnaissant pour autant cette réalité. Après l’indépendance de l’Algérie, non seulement de nombreux Algériens d’origine arabe ou kabyle suivront de fait les Français pour venir en métropole, mais les autorités issues de l’indépendance se laisseront aller à vivre de la rente gazière et pétrolière sans vraie intention de développer le pays. Mais ce n’est peut-être pas là l’essentiel de la critique qu’on peut faire à Pécherot. Juger des raisons d’un conflit militaire est souvent la chose la plus difficile qui soit. Après tout la Guerre d’Algérie n’est que la toile de fond pour Pécherot d’un roman noir. On ne lui demande pas vraiment d’être un expert de l’indépendance de l’Algérie.

    Patrick Pécherot, Hével, Gallimard, 2018

    La personnalité de Gus manque sans doute de raffinement dans l’écriture. C’est pourtant le héros – plus ou moins négatif – de l’ouvrage, les autres personnages, André, Pierre et même Simone, restent dans le vague de leurs déterminations. En effet Pécherot le décrit dans l’ambiguïté de ses sentiments et de ses volontés, et du reste on ne saura pas trop s’il dit la vérité dans sa « confession ». Cependant on ne connaitra pas les raisons profondes de cette jalousie profonde qui semble le motiver pour plonger vers le mal. C’est peut-être cet aspect, ce manque, qui rend le livre un peu bancal. On notera aussi une transformation de l’écriture au cours du roman. Au fur et à mesure que l’on passe d’une forme prolétarienne à la traque dans l’hiver et la neige, le récit devient plus emprunté, plus « célinien » si l’on veut, le récitant se mettant à apostropher directement son interlocuteur. On ne sait pas trop si c’est voulu, mais cela rend les colères de Gus un peu artificielles selon moi et on accroche moins. Néanmoins si ce n’est pas le meilleur de Pécherot, je lui préfère Tranchecaille et Une plaie ouverte, cet ouvrage vaut le détour et mérite d’être lu, d’autant que les bons romans publiés dans la Série noire sont aujourd’hui plutôt rares et très souvent ils pèsent sur l’estomac.

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  •  L’homme qui en savait trop, The man who knew too much, Alfred Hitchcock, 1956 

    Il s’agit du remake d’un film qu’Hitchcock avait réalisé en 1934, avec le même titre, et avec Peter Lorre, dans un contexte différent. Très avare Hitchcock aimait bien faire des économies en recyclant des vieilles intrigues dont il était propriétaire. Ici l’histoire d’espionnage relativement compliquée est remplacée par une intrigue fumeuse autour d’une tentative de meurtre à l’encontre d’un premier ministre d’un pays étranger combiné de curieuse façon et commandité par l’ambassadeur de ce même pays dont on ne prononce jamais le nom. Hitchcock a forcé un peu sur le côté exotique puisqu’on y trouve des Français, mais aussi des Marocains dans une Afrique du Nord présentée dans un état d’arriération pas possible et peu vraisemblable même dans les années cinquante, et puis on revient à Londres.

     L’homme qui en savait trop, The man who knew too much, Alfred Hitchcock, 1956 

    Dans le bus qui va de Casablanca à Marrakech, les McKenna se heurtent à la susceptibilité arabe 

    Les McKenna, une riche famille américaine, se sont offerts des vacances au Maroc, après avoir fait un détour par Londres et Paris. Dans le bus qui va de Casablanca à Marrakech, ils font la connaissance de Louis Bernard, un Français qui les tire d’embarras après que le jeune garçon, Hank, se soit heurté à un arabe qui l’accuse d’avoir enlevé le voile de sa femme. A Marrakech, ils décident de passer une soirée avec Bernard, mais celui-ci se désiste au dernier moment. Au restaurant, ils retrouvent un autre couple, les Drayton, dont la femme semble être une admiratrice de Jo qui était, avant son mariage, une chanteuse à succès. Le lendemain, alors qu’ils visitent le marché en famille et avec les Drayton, Bernard qui s’est déguisé en arabe, il s’est collé du fond de teint et a passé une gandoura, est assassiné d’un coup de couteau dans le dos alors qu’il est poursuivi par la police. Avant de mourir il confie à Ben qu’un certain Ambrose Chappell va être assassiné à Londres. Comme Ben doit faire une déposition à la police, il s’y rend avec Jo, mais confie la garde de Hank à madame Drayton. La police française lui révèle que Bernard était un agent secret, mais elle le soupçonne aussi de cacher quelque chose. Au beau milieu de l’interrogatoire, Ben reçoit un mystérieux coup de fil qui lui fait comprendre que Hank a été enlevé. Il ne peut donc plus rien dire. Les McKenna s’apercevant que les Drayton se sont envolés, décident de se rendre à Londres. Ambrose Chapel est en réalité une église, et non un homme, c’est là que la bande se terre pour préparer l’assassinat d’un homme au cours d’un concert qui doit avoir lieu. Et c’est là qu’ils détiennent le petit Hank. L’obstination des époux McKenna va empêcher le meurtre du premier ministre d’un pays étranger et indéterminé, celui qui devait le tuer mourra. Ils vont se faire inviter justement par le premier ministre ce qui leur permettra de pénétrer dans l’ambassade pour tenter de retrouver leur fils. Celui sera averti par sa mère qui lui chante a capella une chanson qu’ils répétaient ensemble, Que sera, sera. L’enfant sera sauvé grâce à madame Drayton et les méchants punis, bien entendu. 

    L’homme qui en savait trop, The man who knew too much, Alfred Hitchcock, 1956 

    Jo vient d’apprendre que Hank a été enlevé 

    L’histoire est évidemment invraisemblable et n’a pas beaucoup d’épaisseur. Comme souvent Hitchcock qui ne doutait de rien, compte sur sa maitrise technique pour faire passer la pilule. Son idée aurait été de mettre en scène une famille d’Américains ordinaires qui doivent faire face à un événement dramatique, le kidnapping d’un enfant. Il s’agirait de montrer la tension entre le devoir qui consiste à prévenir la police d’un meurtre qui va peut-être être perpétré, et l’égoïsme de ce couple qui veut d’abord sauver son enfant. C’est du moins ce qu’a dit après coup Hitchcock de ce film. Cette thématique plus ou moins maitrisée va se décliner à travers toute une palette de clichés aussi curieux qu’incongrus. L’épouse McKenna apparaît à la fois comme une femme soumise qui fait ce que lui demande toujours son mari, et en même temps c’est elle qui parait la plus perspicace, non seulement elle remarque l’attitude louche de Bertrand, mais aussi elle se méfie des Drayton, quoi que ceux-ci feront taire facilement ses préventions en lui rappelant qu’ils connaissent toutes ses chansons et qu’elle est leur chanteuse préférée. Rien de mieux que de flatter une femme pour endormir sa méfiance. Evidemment une fois de plus, Hitchcock se débrouille pour montrer combien les policiers sont incompétents puisque de sont les époux McKenna qui vont dénouer l’affaire : sauver le premier ministre, récupérer leur enfant, et détruire les gangsters. 

    L’homme qui en savait trop, The man who knew too much, Alfred Hitchcock, 1956 

    Ben cherche un certain Ambrose Chappell 

    Quoi qu’il en soit, on retrouve toujours la rhétorique classique du désordre créé par un événement extérieur, et la nécessaire remise en ordre de la vie sociale par la destruction des criminels. L’histoire est astucieusement montée autour de la compassion naturelle qu’on peut avoir à l’idée d’un kidnapping d’enfant. Ces ressorts éculés font évidemment qu’il est difficile de s’intéresser aux personnages au-delà de la durée du film. C’est d’autant plus difficile que les scènes « humoristiques » un peu pénibles émaillent l’intrigue. Comme par exemple la scène interminable au restaurant où pour se plier aux coutumes locales, il faut manger avec les doigts, et Ben a du mal à caser ses longues jambes. Si Hitchcock est sans doute un bon technicien de l’image, on se demande souvent s’il est autre chose. En effet dans The man who knew too much, il y a un timing qui n’est pas très bon. Outre la scène du restaurant déjà citée, il y a cette interminable séquence de l’Albert Hall où l’orchestre n’en finit plus de jouer. Le film pourrait facilement durer une demi-heure de moins, sans que cela change. Les scènes inutiles abondent, comme celle qui voit Louis Bernard discutailler avec l’arabe qui est sensé l’avoir apostrophé. 

    L’homme qui en savait trop, The man who knew too much, Alfred Hitchcock, 1956 

    Jo attend son mari devant l’église 

    Si le scénario est plutôt bancal, la réalisation ne manque pas de défauts non plus. Outre le souci du tempo que nous avons souligné, il y a des défauts très typique de l’œuvre d’Hitchcock. Le premier et le plus important est sans doute la saturation du film à partir de transparences assez grossières. C’est difficile de comprendre cela. En effet le film qui disposait d’un budget très important a utilisé des décors réels, aussi bien au Maroc qu’à Londres, et pourtant, non seulement les mauvaises transparences sont constantes dès lors qu’un des protagonistes utilise un moyen de déplacement, mais aussi elles servent à filmer des scènes de foule, notamment à Marrakech. A croire qu’Hitchcock ne savait pas très bien utiliser les décors réels. Je passe sur le côté exotique du décor. Il y a également dans toute la première moitié du film cette horrible couleur verdâtre qui, du moins à cette époque, est la marque de fabrique des films d’Hitchcock. Comme on sait que le réalisateur contrôlait absolument tout, du scénario, aux vêtements des comédiens, et jusqu’au moindre détails des décors, il est évidemment responsable de la couleur aussi, et ce n’est pas franchement une réussite. Ceci étant il y a comme toujours de beaux mouvements de caméra, notamment à la grue. Il saisit aussi très bien – quand il ne déconne pas avec les transparences – la profondeur de champ et sait s’en servir. Mais est-ce que cela fait un style ? Pour les amateurs, apparemment oui. La scène qui, vers la fin, voit Jo chanter pour alerter son jeune fils est certainement réussie sur le plan du montage et de la tension, très bien soutenue par la chanson Que sera, sera. 

    L’homme qui en savait trop, The man who knew too much, Alfred Hitchcock, 1956 

    Jo chante Que sera, sera 

    L’interprétation a été construite autour du couple James Stewart-Doris Day. La première question qui se pose est la différence d’âge. En effet, James Stewart apparait très âgé, bien qu’il n’ait que 47 ans à l’époque, beaucoup plus en tous cas que Doris Day qui semble être sa fille. Cette dernière avait été choisie par Hitchcock qui faisait une fixation sur les blondes, pour remplacer en quelque sorte Grace Kelly qui l’avait abandonné pour faire sa vie avec le Prince Rainier. Sans doute a-t-il été déçu, en effet Doris Day n’a pas cette froideur brûlante de Grace Kelly ou de Kim Novak. Elle a un côté un peu trop rose et un enthousiasme contagieux qui lui ôte toute ambiguïté. Elle a un abatage étonnant, comme une meneuse de revue, ce qui semble la mettre en opposition avec son statut de mère éplorée à la recherche de son enfant. Hitchcock l’avait affublé d’un tailleur gris souris, mais aussi d’une coiffure tarabiscotée : ces deux éléments se retrouveront dans Vertigo, repris pour le personnage de Kim Novak. Doris Day était à cette époque une énorme vedette, et une chanteuse à succès. Sa version de Que sera, sera, sera vendue à des millions d’exemplaires dans le monde entier et tout le monde fredonnera cette rengaine. Doris Day se plaignit de ses relations avec Hitchcock qu’elle trouvait un peu distant avec elle. Au moins elle n’a pas eu à subir le harcèlement sexuel de Tippi Heddren. C’est déjà ça ! James Stewart est constant. Il se prête apparemment sans déplaisir aux pitreries hitchcockiennes. C’était déjà son troisième film avec Hitchcock, il y aura encore ensuite Vertigo[1]qui est tout de même bien plus intéressant. Il joue toujours le même personnage, cet homme ordinaire qui se trouve devoir agir lorsque des événements inattendus surviennent. Ce brave garçon dégingandé qui ne sait jamais trop quoi faire de son corps et qui met du temps à réagir et à comprendre ce que tout le monde a compris avant lui. On retrouvera Daniel Gélin dans le rôle bref mais significatif de Louis Bernard. J’aime bien Gélin, mais ici il n’a pas trop l’air de savoir où il se trouve. Peut-être cela venait il des problèmes de langue ? le couple Drayton – les méchants – est assez bien dessiné, avec Brenda de Manzie qui se torture un peu parce qu’elle s’est attachée à l’enfant kidnappé, et qui est très bien. Bernard Miles est son mari sans scrupules. Aussi mauvais qu’il est bigleux et qui trouvera une mort bien méritée finalement. Il se déguise en plus en curé d’un ordre épiscopal, pour Hitchcock se serait un affront qu’il se déguisa en curé catholique. On remarque que ce couple maudit est aussi aidé dans ses entreprises criminelles par une autre bigleuse, comme si pour Hitchcock les assassins compensaient par leurs crimes une défaillance physique qui les enlaidit. Reggie Nalder, acteur autrichien que l’on vit aussi beaucoup en France dans des rôles de nazi, prête ses traits étranges au tueur à gages. Bernard Hermann, longtemps le musicien fétiche d’Hitchcock, joue son propre rôle en dirigeant l’orchestre qui se produit à l’Albert Hall.

    L’homme qui en savait trop, The man who knew too much, Alfred Hitchcock, 1956 

    Ben et Hank vont sortir sous la menace d’un revolver 

    Le film fut un énorme succès public lors de sa sortie, la critique était cependant à l’époque plus mitigée, trouvant l’exercice un peu vain tout de même. Les cuistres de la Nouvelle Vague n’étaient pas encore passé par là pour nous indiquer combien la cinématographie d’Hitchcock était originale et excellente. C’est seulement avec le temps, et parce qu’Hitchcock qui avait un vrai sens de la publicité, est devenu l’archétype de l’auteur, qu’on trouve que tout ce qu’il a fait est très bon. Le passage du temps est pourtant très sévère avec cette œuvre mineure. Elle n’apparait plus que comme un simple film de distraction destinée à un public familial – le kidnapping d’enfant l’oblige. Mais surtout les artifices visuels hitchcockiens sont insuffisants pour masquer ce vide. Il faut dire qu’aujourd’hui l’idée de tuer quelqu’un d’un coup de révolver au moment d’un coup de cymbale est proprement incongru.  

    L’homme qui en savait trop, The man who knew too much, Alfred Hitchcock, 1956

    Hitchcock dirigeant James Stewart et Doris Day 

    L’homme qui en savait trop, The man who knew too much, Alfred Hitchcock, 1956



    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/sueurs-froides-vertigo-alfred-hitchcock-1958-a114844812

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  •  Le faux coupable, The wrong man, Alfred Hitchcock, 1956

    Le thème du faux coupable est récurrent chez Hitchcock. Il traverse toute son œuvre. Evidemment le faux coupable est aussi peut-être un vrai coupable en puissance, en tous les cas il porte forcément une partie de la culpabilité du vrai coupable. C’est aussi un des rares films d’Hitchcock qui nous dispense de son fameux humour anglais qui généralement plombe la plupart de ses films et qui les ont rendus si démodés. C’est peut-être un des films de Hitchcock, avec Vertigo, qui se rapproche le plus de la thématique et de la forme du film noir. Nous sommes en 1956, et c’est un peu comme s’il prenait le train du film noir en marche. Mais il prend aussi un autre train en marche, celui du néo-réalisme. En effet, cherchant à se renouveler un peu, il se dit fasciné par le néo-réalisme italien, et il va mettre en scène pour une fois une certaine forme de vérisme. Evidemment l’idée qu’il se fait du néo-réalisme n’est pas tout à fait la même que celle de Rossellini ou de De Sica. The wrong man est tourné entre l’insipide The man who knew too much et le fameux Vertigo. Il va s’emparer d’une histoire vraie qui a défrayé la chronique au début des années cinquante.

     Le faux coupable, The wrong man, Alfred Hitchcock, 1956

    Manny vient à la compagnie d’assurances pour emprunter de l’argent 

    Christopher Emmanuel Balestrero, dit Manny, est un musicien qui gagne sa vie à jouer dans un cabaret, le Stroke club. Il a une femme qu’il adore, et deux petits garçons, bref une vie bien tranquille, bien qu’il rentre très tard de son travail, au petit matin. Mais sa femme ayant une rage de dents, il décide d’aller voir sa compagnie d’assurance pour voir combien il peut emprunter sur l’assurance vie de sa femme pour pouvoir payer le dentiste. Mal lui en prend, il est reconnu par plusieurs employées comme étant l’homme qui les a attaquées et qui a volé leur caisse. La police va l’arrêter et l’interroger. Puis elle le fait reconnaitre par des témoins d’autres hold-ups qui ont été commis dans le quartier. Tout s’acharne contre lui. Pourtant sa famille le soutient et va trouver l’argent pour la caution et le faire sortir de prison. En attendant le procès, il organise sa défense avec l’avocat O’Connor, cela consiste essentiellement à rechercher des témoins qui l’ont vu ailleurs les jours des hold-ups. Mais l’affaire est difficile, deux témoins sont morts, un autre est introuvable. Au moment du procès, un des membres du jury crée un incident, ce qui permet à l’avocat de demander un nouveau procès pour gagner du temps. Mais la femme de Manny n’a pas supporté la pression du procès et sombre dans la dépression, elle va se retrouver dans une clinique spécialisée. Malgré toutes ces difficultés qui s’accumulent, Manny va bénéficier d’un vrai coup de chance. Son sosie en effet attaque un nouveau magasin et se fait coffrer. Un des policiers qui avait participé à l’arrestation de Manny comprend qu’il est un sosie et donc enclenche le mouvement qui va libérer Manny de toutes les poursuites. Il récupérera sa femme et ses enfants et partira refaire sa vie en Floride.

     Le faux coupable, The wrong man, Alfred Hitchcock, 1956 

    La police arête Manny 

    Si le thème principal est celui du faux coupable, plusieurs sous-thèmes l’accompagnent. D’abord évidemment celui de l’incompétence de la police : Manny ne doit qu’au hasard d’être déchargé des accusations qui pèsent sur lui, et donc il n’y aura pas vraiment d’enquête, d’ailleurs les maigres témoignages que Manny récolte en sa faveur ne l’aide pas beaucoup. Ensuite, il y a un homme, manifestement innocent, qui est pris dans un cauchemar créé par une machine administrative qui semble n’exister que pour broyer les consciences et donc pour faire d’un faux coupable, un vrai coupable, puisque finalement nous avons toujours quelque chose à nous reprocher. Manny culpabilise justement parce qu’il a été obligé d’emprunter, et sa femme culpabilise aussi parce qu’elle a des problèmes dentaires, et, ne travaillant pas, elle n’a pas été assez économe ! Dès lors il ne restera à Manny plus que le choix de prier. Dans l’écriture du scénario, et bien qu’il se soit efforcé de s’en tenir au plus près de la vérité des faits, cette histoire de prière et de catholicisme fait dériver le film vers quelque chose de bien peu réaliste. Puisque l’ordre des séquences semble indiquer que c’est bien la prière qui permet à Manny de trouver une solution avec l’arrestation de son sosie.

     Le faux coupable, The wrong man, Alfred Hitchcock, 1956 

    Malgré ses dénégations, il ira en prison 

    Le vrai Manny touchera 22 000 $ de la part du studio pour vendre son histoire, et pour cette erreur, la ville le dédommagera de 7 500 $, et sans doute le magazine Life qui avait fait plusieurs reportages sur Manny et son histoire a dû lui donner encore un peu d’argent. On dit cependant que sa femme dans la réalité n’a jamais complètement retrouvé la raison. Bien que le sujet du film ce soit Manny, le scénario se déporte vers le couple et ses difficultés, donc vers la pauvre Rose, une femme au foyer complètement dépassée quand le malheur arrive et qui ne rêve que de s’enfermer chez elle avec son mari et de ne plus en sortir. Il y a donc le portrait en creux d’une femme dominée et sans défense. Hitchcock disait détester ce film, et l’obséquieux Truffaut abondait dans ce sens histoire de se faire bien voir. Sans doute Hitchcock disait cela parce que le film n’avait pas très bien marché, comparativement aux succès colossaux de To catch a thief et de The man who knew too much. En outre, Hitchcock avait choisi de tourner ce film en noir et blanc pour lui donner un aspect plus documentaire. Un gros effort a été fait pour tourner sur les lieux mêmes de l’histoire, le club Stroke, le quartier où habitait le vrai Manny, et même la prison. Seule la police de New York semble avoir refusé son aide au tournage. Techniquement il n’y a rien à redire, la réalisation est très soignée et on trouve de belles séquences, une bonne utilisation de la rue, ou des couloirs du métro. Par contre le film va pécher dans son montage, en refusant une sur-dramatisation de l’histoire, le film devient décousu et part un peu dans tous les sens. On a l’impression qui ne se passe rien en dehors de cet affrontement larvé entre le mari et la femme. Il n’y a pas de progression et l’arrestation du vrai coupable arrive comme un cheveu sur la soupe. Ça manque de colonne vertébrale. C’est flagrant quand le film décrit la quête des témoins par les deux époux. On ne sent guère l’obstination, ni le découragement. Le plus réussi est sans doute le sentiment d’écrasement qui semble frappé Manny face à la puissance aveugle de l’administration. Malgré son calme apparent, on sent l’inquiétude le gagner.

      Le faux coupable, The wrong man, Alfred Hitchcock, 1956 

    Rose craque complètement 

    L’interprétation pose de gros problèmes. Henry Fonda qui avait à l’époque 51 ans incarne un musicien de 38 ans. Il a sans doute été choisi parce qu’il incarne un peu cet américain ordinaire et sans histoire, politiquement correct. Mais s’il est crédible lorsqu’il se trouve broyé par la machine judiciaire, il l’est beaucoup moins dans les scènes avec son épouse. Vera Miles est excellente dans le rôle de Rose, elle passe très bien d’une forme de certitude et d’enthousiasme à l’accablement et à la dépression. Cependant, elle a vingt cinq ans de moins qu’Henry Fonda, et celui-ci à l’air plutôt d’être son père que son époux. Il ne s’agit pas de critiquer le jeu des acteurs, mais de souligner plutôt une erreur de casting. On ne sait pas comment Hitchcock s’est entendu avec Henry Fonda, sans doute plutôt bien, parce que Fonda était une vraie star, et que le réalisateur ne faisait pas trop le malin avec les grandes vedettes. On sait par contre que les relations d’Hitchcock avec Vera Miles ont été plus que mauvaises. Comme à son ordinaire, Hitchcock a eu des attitudes de prédateur sexuel – bien qu’il soit certainement impuissant à cette époque – avec Vera Miles et celle-ci en a été très choquée[1]. Ce qui ne l’empêchera pas pourtant de le retrouver sur le tournage de Psycho. Hitchcock avait surestimé ses forces, et en engageant Vera Miles, il pensait en faire une nouvelle Grace Kelly. Mais comme on sait Hitchcock a toujours été déçu par ses blondes qui tour à tour le laisseront tombé, que ce soit Ingrid Bergman, Grace Kelly, Vera Miles ou Kim Novak. Le reste de la distribution est assez standard, Anthony Quayle dans le rôle de l’avocat, ou Harold Stone dans celui du policier qui interroge Manny, ce sont tous des habitués de ce genre de production.

     Le faux coupable, The wrong man, Alfred Hitchcock, 1956 

    Le vrai coupable réapparait 

    Plus que d’autres films encore, celui-ci fait ressortir le problème qu’on rencontre avec les films d’Hitchcock. C’est un bon technicien, encore que les transparences dont il a toujours abusé sont aujourd’hui un peu difficile à supporter, il a souvent des belles idées de plan-séquence, comme ici quand le policier croise le vrai coupable, il sort, la caméra le suit latéralement, puis il ralentit son pas, parce qu’il vient de faire le rapprochement avec Manny. Il s’arrête, mais la caméra continue d’avancer et remonte vers le visage du policier. Ou encore la séquence dans le métro. Mais ce talent photographique sonne toujours un peu creux et ne signifie pas grand-chose dès lors qu’Hitchcock en revient à de vieilles ficelles, comme cette séquence où, en plein tribunal, Manny prie en égrenant son chapelet et en regardant un portrait de Jésus. Egalement quand on voit se superposer vers la fin les visages du vrai et du faux coupable, on ne peut que souligner le côté artificiel de cette séquence.

     Le faux coupable, The wrong man, Alfred Hitchcock, 1956 

    Manny annonce à Rose qu’il n’y aura pas de procès 

    Le film, sans être un échec complet, n’a pas été très bien accueilli par le public. La critique s’est trouvée désorientée. Seul Jean-Luc Godard a trouvé ce film extraordinaire[2]. Sur le plan artistique on peut le voir comme un échec dans la mesure où cette incursion dans le néo-réalisme ne fut pas probante. Les réalisateurs italiens ne cherchaient guère des effets de style avec des mouvements de caméra. Ils allaient plus directement à la recherche du sens d’une vie ordinaire engoncée dans un matérialisme étroit. C’est pour cela qu’ils utilisaient souvent des acteurs non-professionnels, au plus près de la vie réelle qu’ils voulaient saisir. 

    Le faux coupable, The wrong man, Alfred Hitchcock, 1956 

    A gauche le vrai Christopher Balestrero, à droite, son sosie, Charles Daniell

     Le faux coupable, The wrong man, Alfred Hitchcock, 1956 

    La famille de Balestrero

     Le faux coupable, The wrong man, Alfred Hitchcock, 1956

    Hitchcock dirigeant Henry Fonda



    [1] Donald Spoto, La face cachée d’un génie, la vraie vie d’Alfred Hitchcock, Albin Michel, 1989.

    [2] « Le cinéma et son double », Les cahiers du cinéma, n° 72, juin 1957. 

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  •  L’ombre d’un doute, Shadow of a doubt, Alfred Hitchcock, 1943

    C’est en revoyant ce film célèbre chez les cinéphiles qu’on comprend mieux pourquoi Hitchcock n’a jamais pu faire de film noir, même si certains éléments de ses films peuvent s’apparenter au genre. Et encore nous n’avons pas droit ici aux pitreries habituelles du réalisateur comme dans le médiocre Suspicion, son fameux humour anglais qui est si difficile à supporter. Raymond Chandler disait pour le roman noir, qu’il se différenciait du roman anglais à énigme par cette capacité qu’il avait de se projeter dans le désordre de la rue, et que c’est en cela qu’il lui était supérieur[1]. Hitchcock est au film noir ce qu’Agatha Christie est aux romans de Chandler ou d’Hammett, quelque chose de vieillot et de poussiéreux. Mais il y a des amateurs qui souvent sont plus portés à admirer la forme que le fonds – du moins cette suprématie du fonds sur la forme leur évite justement de se poser la question de savoir pourquoi ils se délectent d’histoires aussi saugrenues. Pour célébrer leur étonnement, ils sont prêts à admettre toutes les invraisemblances et à célébrer tous les codes de la bourgeoisie triomphante. Hitchcock disait lui-même qu’il se moquait du réalisme de l’histoire qu’il filmait, mais comme il se moquait aussi du réalisme psychologique des personnages, et qu’il disait ne pas vouloir délivrer de message, au bout du compte on se demande ce qu’il peut bien rester de ses films. Et cela d’autant plus que ses maniaqueries stylistiques se sont beaucoup usées au fil des années au point qu’on ne finit par ne voir plus qu’elles. Je me suis toujours méfié de ceux qui passent leur temps à dissocier le fonds de la forme. En effet, non seulement la forme doit être toujours adéquate au fonds, mais en outre elle reflète inconsciemment les désirs d’une époque, les aspirations d’une société particulière. C’est bien pourquoi les œuvres de fiction contrairement à une idée reçue ne peuvent pas être un simple ressassement. 

     L’ombre d’un doute, Shadow of a doubt, Alfred Hitchcock, 1943 

    Charlie est heureuse de voir son oncle 

    Charlie Oakley est traqué par la police de New York. Déjouant les filatures, il va se réfugier dans une petite ville de Californie du Nord, Santa Rosa, chez sa sœur. Dans cette famille très provinciale où il ne se passe rien, il est attendu avec beaucoup d’impatience, surtout par la jeune Charlie, sa nièce, à qui on a donné son prénom en son honneur. L’oncle Charlie semble avoir beaucoup d’argent et reste très évasif sur ses activités. Mais il est venu avec des cadeaux pour toute la famille. Il va déposer ensuite une forte somme d’argent à la banque où travaille son beau-frère, tout en faisant des blagues douteuses sur la banque en général. Tout va bien si ce n’est que le comportement de l’oncle Charlie interpelle, notamment quand il fait disparaitre des morceaux du journal. Bientôt arrive ne ville deux soi-disant enquêteurs du gouvernement qui s’intéresse à la famille Newton et donc aussi à l’oncle Charlie. Celui-ci refuse de les rencontrer, et défend qu’on le photographie. La jeune Charlie commence à se poser des questions, et bientôt elle apprend que les soi-disant enquêteurs ne sont rien d’autres que des policiers qui cherchent à arrêter l’oncle Charlie qui serait en réalité un tueur en série qui dépouillerait des vieilles femmes fortunées. Et plus la jeune Charlie est amoureuse du policier Graham et plus elle va chercher des preuves de la culpabilité de son oncle. La bague que l’oncle Charlie lui avait offerte semble avoir appartenue à une femme disparue dont les journaux ont parlé, mais dont le policier l’a entretenue. Elle va en trouver aussi la preuve à la bibliothèque municipale et dès lors elle va vouloir faire partir son oncle car elle ne peut pas le livrer à la police à cause des relations affectives que sa mère entretient avec lui. Peu à peu, elle va passer de l’admiration à la répulsion pour cet oncle naguère attendu comme le messie. Bientôt l’oncle Charlie va lui avouer ses crimes et même les justifier d’une sorte de philosophie nihiliste. Il semble cependant que l’oncle Charlie veut se débarrasser de sa nièce, il a mis en place un plan diabolique pour l’enfumer dans le garage avec toute sa famille. Seul le hasard la tirera de ce mauvais pas. Mais bientôt, au grand étonnement de la jeune Charlie, les policiers vont renoncer à poursuivre son oncle, ils pensent avoir découvert le meurtrier du côté de Philadelphie et celui-ci se serait suicidé comme un aveu de sa culpabilité. La voie est libre pour l’oncle Charlie qui prétend s’installer dans la petite ville, ce qui crée un malaise profond avec sa nièce. Et puis d’une manière inattendue, sans doute parce que l’oncle Charlie a décidé de suivre une riche veuve jusqu’à San-Francisco, il quitte la maison. Tout le monde l’accompagne au train, mais au moment de partir, l’oncle Charlie retient sa nièce et va essayer de la jeter sur la voie au moment où le train démarre. C’est cependant l’oncle qui va passer sous un train. Les obsèques de Charlie ont lieu, tout le monde pleure beaucoup, l’enterrement est magnifique, et on comprend que la nièce va sans doute se marier avec le policier sans dévoiler son secret. 

    L’ombre d’un doute, Shadow of a doubt, Alfred Hitchcock, 1943 

    Charlie porte le déjeuner à son oncle 

    Six personnes ont travaillé sur ce scénario, construit à partir d’un synopsis de six pages de l’écrivain Gordon McDonell qui n’a pas pu continuer à travailler avec Hitchcock au motif qu’il devait partir à la guerre. C’est un peu difficile à imaginer qu’avec tout ça on arrive à un résultat qui ne tienne pas debout. On se perd d’ailleurs en conjectures sur la signification d’un tel projet. Certes on voit bien qu’il y a une opposition frontale entre cet homme venant de New York, par essence la ville criminelle, et la paisible bourgade endormie sous la satisfaction d’une vie vide de sens et d’émotion. Ceux qui adorent ce film, et ils sont nombreux, considèrent qu’Hitchcock trouve un grand sujet en montrant que derrière une apparente paisibilité de la vie sociale, derrière les volets de la respectabilité, le crime rôde. Mais c’est un argument bien mince qui après tout se retrouve forcément dans n’importe quelle enquête d’Hercule Poirot ou de Mis Marple. C’est même le principe suranné du drame bourgeois. L’autre aspect est ce rapport incestueux qui se développe entre les deux Charlie. Et il est vrai que c’est plus intéressant, quoique la fin moralisatrice plombe finalement cette dimension. Hitchcock disait toujours, dans ses entretiens avec Truffaut notamment, que le fameux code Hays le forçait à donner une fin conforme à la morale bourgeoise qui tendait à défendre la famille et le mode de vie américain. Mais rien n’est plus faux car à la même époque les maîtres du film noir faisaient des films bien plus audacieux face à cet impératif. Ce n’est pas tant que le héros négatif soit détruit qui est gênant, mais plutôt la manière dont sa mort remet tout en place dans la petite ville, comme s’il n’y était jamais venu. Il est impossible de voir dans ce film une quelconque critique sociale. C’est même le contraire. La jeune Charlie qui au départ prie que quelque chose de violent et d’inattendu se passe pour que sa vie enfin change et qu’elle connaisse des émotions nouvelles, faisant preuve d’un nihilisme contrarié, va à la fin épouser le fade inspecteur de police qui du reste ne brille pas par sa perspicacité. Alors qu’elle avait affirmé sa gémellité avec son oncle, la voilà qui au nom de la morale le trahit sans trop de difficultés. On ne sait pas trop comment elle vivra avec son terrible secret. 

    L’ombre d’un doute, Shadow of a doubt, Alfred Hitchcock, 1943 

    L’oncle Charlie guette les “enquêteurs » du gouvernement 

    Le portrait du criminel qui, disait Hitchcock, lui avait été inspiré par des assassins bien réels dont le fameux Landru, est un peu mieux construit. L’oncle Charlie aussi se présente comme un nihiliste qui juge que le monde est entièrement mauvais, et que lui-même ne fait que le débarrasser de ces riches veuves qui n’ont jamais travaillé de leur vie et qui sont indûment couvertes de diamants. Au départ il vient à Santa Rosa pour s’y cacher. Mais peu à peu il va être pris par son atmosphère lénifiante au point de vouloir y rester. Et s’il veut y rester, c’est parce qu’il s’est attaché à la famille de sa sœur et plus particulièrement à sa nièce avec qui il n’osera pas aller jusqu’à une relation sexuelle plus implicite. On comprend bien que cette petite ville paisible lui a ôté le goût du meurtre, jusqu’au moment où, se rendant compte que sa nièce le hait, il décide de s’en aller pour reprendre ses pérégrinations meurtrières, ayant des vues semble-t-il sur une nouvelle riche veuve qui a eu le malheur de passer à sa portée. Entre temps on aura eu droit à une explication psychologisante de la part de sa sœur. Quand il était petit garçon, Charlie était tranquille et paisible, il lisait beaucoup, puis il a eu un accident, et le coup qu’il a reçu sur la tête l’a transformé. Si les policiers ne brillent pas vraiment par leur perspicacité – c’est toujours un thème récurrent chez Hitchcock – le père de Charlie et son copain Herbert semblent complètement abrutis, passionnés qu’ils sont par des histoires de détective à la Agatha Christie. Ils n’apportent quasiment rien au film, ils sont juste là pour faire la démonstration du fameux humour hitchcockien qui parait aujourd’hui terriblement daté. Mais après tout c’est toute la famille Newton qui sombre dans la caricature, notamment les deux derniers enfants qui sont en démonstration de leur espièglerie, sans que cela ne nous émeuve beaucoup. L’apparente subversion du personnage de l’oncle Charlie est bien plus que compensée par celui de la jeune nièce qui remet les choses à leur place pour nous faire sombrer dans un moralisme très convenu.

      L’ombre d’un doute, Shadow of a doubt, Alfred Hitchcock, 1943

    Charlie est outré des accusations des policiers 

    La réalisation est plus sérieuse que son sujet. Certes on retrouvera toujours des formes maniaques, comme des mouvements de grue qui se veulent très significatifs – dans la bibliothèque la hauteur vertigineuse de la prise de vue est apparentée au regard de Dieu, ou des plans obliques destinés à montrer combien le chaos s’est installé dans la maison. De la même façon il multiplie les scènes dans les escaliers comme source d’un mystère latent. C’est parfois un peu chichiteux. Mais on a toujours droit avec Hitchcock à très peu de spontanéité dans la mise en scène. Le point fort est bien sûr d’avoir utilisé le décor réel de Santa Rosa. Ça nous éloigne des décors de carton-pâte et des transparences bancales des précédents films d’Hitchcock. Si Suspicion est aujourd’hui invisible, c’est sans doute aussi à cause de cette mauvaise maîtrise des décors. Donc le fait que le film ait été tourné en décors naturels est un gros avantage et donne un côté plus moderne à ce film. Il y a beaucoup d’astuces pour faire de la ville un véritable personnage. Si la fin de l’histoire est médiocre, cela tient aussi à la façon dont elle est tournée. C’est absolument peu convaincant. Mais les bagarres et l’action en général n’ont jamais été le fort d’Hitchcock, c’est pourquoi le plus souvent il multiplie les gros plans et les angles de prise de vue, pensant donner du rythme grâce à sa science du montage. L’ensemble est soutenu par la belle photo de Joseph Valentine, c’est encore plus net dans les dernières versions en Blu ray.

     L’ombre d’un doute, Shadow of a doubt, Alfred Hitchcock, 1943 

    A la bibliothèque ses soupçons ne font qu’augmenter 

    L’interprétation sauve tout de même le film de l’ennui et fait que contrairement à Suspicion on le regarde jusqu’au bout. Le grand Joseph Cotten qui est un acteur extraordinaire, incarne le mélancolique Charlie, il est excellent ici, passant d’une forme de dépression nerveuse lorsqu’il est allongé dans son lit au début du film, à une forme d’exaltation quand il tente de convaincre sa nièce de ne rien faire pour le dénoncer. Il incarne une sorte de double figure, d’un côté un homme aimable et spirituel, très soigné de sa personne et attentionné, et de l’autre un homme froid et cynique, déterminé à tuer pour sauver sa peau. Et puis il y a Teresa Wright qui trouve ici son meilleur rôle au cinéma. Sans doute n’a-t-elle pas fait une meilleure carrière à cause de sa petite taille et peut être de son côté trop lisse. Mais ici elle est tout à fait étonnante. Au fur et à mesure que le film avance, elle se dégage de sa naïveté latente et devient une femme rouée et finalement aussi cynique que son oncle, du moins est-elle tout autant manipulatrice. MacDonald Carey dans le rôle du policier amoureux de la jeune Charlie n’est pas très convaincant, son physique lui-même pose problème. On se demande comment la fine et spirituelle Charlie pourrait s’attacher à un être aussi frustre. La sœur de l’oncle Charlie est interprété par la très solide Patricia Collinge. Elle est excellente, à la fois sobre et émouvante. Hume Cronyn a un petit rôle assez anodin, celui d’Herbert, mais il est juste là pour faire sourire le spectateur par ses confusions aussi bien que par sa petite taille. 

    L’ombre d’un doute, Shadow of a doubt, Alfred Hitchcock, 1943 

    Charlie veut tuer sa nièce 

    Si ce film marque assurément une étape dans l’évolution de la technique hitchcockienne, et s’il est moins ennuyeux et moins daté que la majeure production du « maître », il laisse tout de même un goût d’inachevé et passe difficilement le cap des années. Mais cela a été un grand succès critique et public, au point qu’il a suscité un remake aussi inutile que tardif en 2013 sous le titre de Stoker, sous la direction de Park Chan-Wook. Cette version modernisée n’a pas eu beaucoup de succès.

    L’ombre d’un doute, Shadow of a doubt, Alfred Hitchcock, 1943

    L’ombre d’un doute, Shadow of a doubt, Alfred Hitchcock, 1943

     

     


     



    [1] The simple art of murder, The Atlantic Monthly, December 1944.

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