•  Salut les pourris, Il polizioto e’marcio, Fernando Di Leo, 1974

    C’est un des premiers poliziotteschi importants dans la carrière de Fernando Di Leo, tant sur le plan du sujet que sur celui de la réalisation. Le titre italien est plus explicite que le titre français puisqu’il veut dire le flic est un pourri. Di Leo racontait que les policiers italiens lui en avaient beaucoup voulu d’utiliser un tel titre, il aurait même reçu des menaces. Les policiers étaient dans la tourmente non seulement pour leur incapacité à enrayer la violence ordinaire, la violence de rue, mais aussi le terrorisme d’extrême-droite qui ravageait la péninsule. 1974 sera une année éprouvante pour l’Italie. Pour autant Di Leo raconte une histoire et ne veut pas produire de message politique. Il serait difficile d’ailleurs à la vue de ce film de dire si le réalisateur est de droite ou de gauche. C’est un film sur la corruption, mais cette fois, la corruption du policier n’est pas contrebalancée par un autre flic qui la dénonce, comme souvent dans d’autres poliziotteschi, c’est exactement le contraire. Le scénario rappelle celui de l’excellent Rogue cop de Roy Roland[1]. 

    Salut les pourris, Il polizioto e’marcio, Fernando Di Leo, 1974 

    Le sinistre Pascal va punir des trafiquants qui ont essayé de le doubler 

    Pascal est mafieux particulièrement brutal, il vit du racket et punit ceux qui refusent de passer sous ses fourches caudines. Le commissaire Domenico Malacarne lui est un policier efficace. Avec ses adjoints, il va intervenir sur un hold-up sanglant qui a lieu dans une bijouterie du centre de Milan. Cette affaire est un succès et il est félicité par son supérieur, les journalistes s’intéressent à lui comme à un nouvel héros, son père qui travaille chez les carabiniers, est fier de lui. Il vit en concubinage avec Sandra qui tient une galerie de peinture très chic que le commissaire lui a payée. Mais il est également l’indicateur de Pascal a qui il rend des services contre de l’argent. il refuse cependant de travailler pour Pascal dans les affaires de drogue et de trafic d’armes. La situation va changer quand un vieux napolitain porte plainte auprès des carabiniers pour une voiture mal garée qui est immatriculée en Suisse. C’est le propre père de Domenico qui se charge de la plainte, mais comme le vieil Esposito est un peu dérangé, il n’y prête pas attention. Mais l’enregistrement de cette plainte gêne Pascal qui demande à Domenico de la récupérer. Les choses vont dégénérer quand le père de Domenico comprend que son fils est un vendu. Il va cependant accéder à sa demande et lui donner la plainte demandée. Mais la bande de Pascal ne se contente pas de cela, elle va d’abord assassiner le pauvre Esposito et son chat, puis le père de Domenico et enfin sa maitresse Sandra. La coupe est pleine, et le commissaire va passer un marché avec Mazzanti qui en a marre de la brutalité de Pascal qu’il juge contreproductive. Domenico va abattre Pascal, mais son second, Pietro Garrito va le tuer pour le compte de Mazzanti, et on croit comprendre qu’il va prendre la place de son chef auprès du gang. 

    Salut les pourris, Il polizioto e’marcio, Fernando Di Leo, 1974

    Le commissaire Malacarne fait preuve d’un grand courage pour coincer les auteurs d’un hold-up 

    C’est un film noir, très noir, désespérant pour le spectateur qui n’a aucune figure positive à qui se raccrocher. Le commissaire Malacarne, dont le nom signifie « mauvaise viande » ou « viande avariée », est par son attitude, son discours l’incarnation du pessimisme dans lequel l’Italie toute entière était plongée à cette époque. Le commissaire est l’Italie, pays décadent et corrompu. Il est en même temps la démission de l’Etat et ce ne sont pas les palinodies de la questure qui peuvent masquer ce délabrement. Malacarne incarne l’ambiguïté qui le fait être dur avec les malfrats de seconde catégorie et mou avec les grands mafieux. Certes il a des velléités de rébellion, mais celles-ci sont rapidement étouffées parce qu’il préfère une vie confortable qui lui permette de dépenser l’argent sale qu’on lui a redonner. En vérité il souffre d’être au bas de l’échelle. Pascal lui fera remarquer qu’il peut lui donner tout l’argent qu’il demande, sous-entendant par là que ce ne sont que des miettes d’un trafic généralisé et plus important. Malacarne est donc un menteur, non seulement il ment à la société qui le paye pour la protéger contre les criminels, mais il ment à son père qui est fier de lui, et il se ment à lui-même. C’est sans doute ce qui ressort de la dispute qu’il a avec son père quand il reproche à celui-ci de n’avoir pas profité du système mieux que ça, se contentant d’un avancement de gagne-petit au service des carabiniers. 

    Salut les pourris, Il polizioto e’marcio, Fernando Di Leo, 1974

    Le chef de la police de Milan donne une conférence de presse pour magnifier ses résultats 

    Les rapports avec son père sont tellement tendus et faux, qu’on peut se demander si le film ne va pas tourner à la critique de la famille italienne, ou du moins à celle de son délabrement. Ici le film hésite, comme Domenico qui se rend compte que de s’emporter contre son père ne l’aidera en rien. Mais on peut aussi voir dans cette façon de brûler ses vaisseaux une forme de suicide. Les mafieux ont pris le pouvoir. Eux ont au moins la cohérence de leur projet et poursuivent leur but sans dévier de leur ligne de conduite. ce sont des hommes cruels décrits comme si seule la soif de pouvoir comptait. Ils sont d’ailleurs également travaillés par des divisions, Mazzanti et Pascal défendent deux lignes opposées, l’un est calme et précis, n’use de la violence qu’en dernier recours, et l’autre ne vit que comme s’il ne pouvait pas continuer ses affaires sans recours à la force. C’est une opposition entre la vieille mafia et la nouvelle. Ce sera curieusement le plus vieux qui représentera le renouveau. Notez qu’à cette époque on est en pleine guerre de mafias en Sicile entre les Corléonais, emmenés par le brutal Toto Riina et les Palermitains. Mais dans ce dernier cas ce seront les premiers qui l’emporteront.  

    Salut les pourris, Il polizioto e’marcio, Fernando Di Leo, 1974

    Malacarne ne veut pas que Pascal et Mazzanti lui dictent leur loi 

    Bien qu’il ne s’attarde pas sur les mafieux, c’est aussi un film de mafia, branche prolifique et fondatrice du poliziottesco. La mafia est le décor dans lequel se débat Domenico. Elle n’est pas le sujet en lui-même. Pour cela Roberto Curti parle, à propos de ce film, de la fin des films de mafia[2]. L’opposition entre le Sud violent et mafieux et le Nord cultivé, riche et industrieux est balayée d’ailleurs par le personnage d’Esposito le vieux Napolitain égaré dans une société qu’il ne comprend pas. Il est certainement un peu dérangé, mais c’est un homme doux qui ne s’occupe que de son chat et qui ne ferait pas de mal à une mouche. Il sera d’ailleurs une victime du désordre milanais. 

    Salut les pourris, Il polizioto e’marcio, Fernando Di Leo, 1974 

    Le commissaire va voir Esposito 

    La réalisation est excellente, avec des scènes spectaculaires, notamment au début avec le règlement de comptes menée par Pascal et l’attaque de la bijouterie qui tourne au massacre des truands par Malacarne et son équipe. C’est très violent, et des scènes violentes, avec des poursuites automobiles longues et haletantes, il va y en avoir tout le long. Mais il y a aussi de la subtilité dans la conduite du récit. En effet au début on pense à un poliziottesco ordinaire, avec un flic courageux qui chasse le criminel envers et contre tout, puis on croit qu’il s’agit d’une sorte d’infiltré qui va user de son talent en faisant semblant d’être corrompu pour mieux piéger les truands, et puis enfin on se rend compte qu’il s’agit bien d’un pourri. Cette gradation est intéressante. Et puis la deuxième partie sera consacrée à la chute de Domenico, plus il cherche à se sortir de ce piège, et plus il s’enfonce. Les décors milanais sont bien utilisés, le montage est très serré et le rythme soutenu. Les cascades automobiles sont réglées par Rémy Julienne qui à cette époque ne faisait plus que ça en Italie ! La photo donne une allure quasi-documentaire à l’ensemble. 

    Salut les pourris, Il polizioto e’marcio, Fernando Di Leo, 1974

    La dispute entre le père et le fils est sanglante 

    Luc Merenda tourne ici pour la première fois dans un film de Fernando Di Leo, il va récidiver. Ici il est Domenico, un flic à qui on donnerait le bon Dieu sans confession à cause de son allure de jeune premier lisse et propre. Il est plus crédible dans les scènes d’action d’ailleurs que dans les oppositions à son père ou à sa maitresse. Derrière il y a le toujours excellent Raymond Pellegrin dans le rôle du cruel Pascal. Cette fois il est affublé d’un nœud papillon, mais il trimballe toujours la même détermination. Ricard Conte est Mazzanti. A cette époque il était déjà très malade et ça se voit. Il est un peu absent tout de même. Et puis il y a le très bon Vittorio Caprioli qui fait son numéro dans le rôle d’Esposito le vieux Napolitain un peu bizarre. Il est très bon, né lui-même à Naples, il joue de l’accent napolitain en expert avec une verve bienvenue. Les femmes sont un peu sacrifiées, Delia Boccardo qui incarne Sandra, la maîtresse de Domenico, est assez transparente. Et on comprend assez peu le rôle que tient Monica Monet en incarnant une journaliste qui semble amoureuse de Domenico. Mais elle ne fait que passer. 

    Salut les pourris, Il polizioto e’marcio, Fernando Di Leo, 1974

    Pascal exige le dépôt de plainte d’Esposito 

    Il y a encore des scènes avec un homosexuel, un travesti cruel, qui semblent être la démonstration pour Fernando Di Leo de la décadence de l’Italie. La musique est assez stridente, mais dans l’ensemble c’est un très bon poliziottesco, très enlevé qui a bien passé les années. On est dans le meilleur de ce que fera le réalisateur dans le genre. Le film fut un très bon succès public, ce qui encouragera Galliano Juso le producteur à continuer avec Di Leo. 

    Salut les pourris, Il polizioto e’marcio, Fernando Di Leo, 1974 

    Malacarne a tué Pascal 



    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/sur-la-trace-du-crime-rogue-cop-roy-roland-1954-a114844802

    [2] Roberto Curti, Italia odia. Il cinema poliziesco italiano, Lindau, 2006.

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  • La jeunesse du massacre, I ragazzi del massacro, Fernando di Leo, 1969

    Si Fernando Di Leo est assurément un des piliers du poliziottesco, ce n’est pas ce film qui va assurer sa renommée, du moins sur le plan esthétique. Nous sommes en 1969, l’époque est très agitée, surtout en Italie où les luttes sociales souvent violentes ont pris le relais de la France. C’est l’époque du Mai rampant italien. Cette jeunesse qui explose littéralement remet en question toutes les institutions. C’est d’ailleurs à cette époque que le romancier Giorgio Scerbanenco – de son vrai nom Vladimir Scerbanenko – va connaitre un grand succès, en Italie, mais aussi en France où on commence à le traduire. Ses livres sont publiés dans des collections populaire de gialli qui en Italie désigne le roman policier au sens le plus large, et qui ne doit pas être confondu avec le giallo, genre cinématographique qui en procède mais qui ne l’englobe pas tout à fait. Les gialli, les romans, peuvent donner naissance en Italie au cinéma aussi bien à des gialli ou a des poliziotteschi, comme deux branches du film néo-noir. Les romans de Scerbanenco sont caractérisés par une grande violence, mais aussi par un style très sec, chirurgical si on peut dire. Comme si l’auteur prenait sa distance d’avec l’histoire qu’il raconte. I ragazzi di massacro est uin roman qui met en scène le policier Duca Lamberti, personnage récurrent créé par Scerbanenco. Yves Boisset adaptera un autre épisode de cette saga sous le titre Cran d’arrêt[1]. Fernando Di Leo portera plusieurs romans de Scerbanenco à l’écran. Celui-ci est sa première incursion dans cet univers. A cette époque Fernando di Leo n’a pas encore fait grand-chose comme réalisateur. C’est pratiquement son premier film. Mais il était déjà connu comme scénariste, il a fait beaucoup de western spaghetti, notamment Per un pugno di dollari et Per qualche dollaro in piu de Sergio Leone, films pour lesquels il n’était pas toujours crédité au générique. Ces westerns se caractérisaient avant tout par une violence brute très différente des westerns américains. Di Leo s’était également exercé sur le thème du gangstérisme avec Gangsters ’70 de Mino Gerrini, toujours en tant que scénariste. Il a appris le métier de réalisateur aussi en tant qu’assistant réalisateur aux côtés de Sergio Leone et de Duccio Tessari[2]. Il a donc participé à cette renaissance du cinéma de genre qui utilise des images érotiques et beaucoup de violence, comme si les deux étaient une seule et même chose. Ce film a petit budget était produit par la société, Daunia, créée par di Leo pour avoir les mains libres. Il était donc un auteur complet, contrôlant la production de A jusqu’à Z. 

    La jeunesse du massacre, I ragazzi del massacro, Fernando di Leo, 1969

    Dans une école du soir, censée récupérer des délinquants mineurs pour les remettre dans le droit chemin, une institutrice va être violée puis assassinée. La police va enquêter. Si très vite on sait bien que c’est l’ensemble de la classe qui est coupable, les raisons de cet acte de barbarie ne sont pas très claires. Duca Lamberti va interroger brutalement les élèves, mais personne de veut parler. Dans cette enquête il va être accompagné par l’assistante sociale, Livia Ussaro. Ses interrogatoires l’amènent toutefois à comprendre que ces jeunes étaient aussi dirigés par une personne qui conduisait une Porsche et qui les initiait au trafic de drogue et de cigarettes entre l’Italie et la Suisse. Un des élèves, homosexuel, qui ne pouvait pas avoir participé à ce crime se suicide. Après avoir enquêter auprès des parents des élèves, Lamberti va reprendre les interrogatoires et isoler Carolino Marassi qui lui parait le plus intéressant, mais aussi celui qui serait le plus susceptible de parler. Avec Livi il l’amène chez lui, le lave, le nourrit, le promène dans Milan pour lui montrer le bon côté de la vie. Mais Carolino ne veut toujours rien dire. Un jour, alors que Lamberti lui demande d’aller acheter des cigarettes, Carolino s’enfuit. Il est pris en filature par la police. Mais la personne chez qui il se réfugie, a compris qu’il était suivi. Ils se débrouilles pour s’échapper et rejoindre une maison de campagne. La police investit l’immeuble, mais ne trouve rien. Lamberti trouve alors où est retenu. La personne qui a enlevé Carolino va essayer de le tuer, on suppose pour l’empêcher de parler. Une bataille s’ensuit Carolino est blessé d’un coup de couteau, mais il assome son agresseur et arrive à prendre la fuite et à piloter la Porsche pour retrouver Lamberti. Tandis qu’on soigne Carolino, Lamberti part retrouver le chef de bande sur les indications de Carolino. Il va l’arrêter, et après une bataille furieuse, il tente de l’étrangler, mais la police arrive pour l’en empêcher. Carolino s’en sortira, et Lamberti filera le parfait amour avec Livia. 

    La jeunesse du massacre, I ragazzi del massacro, Fernando di Leo, 1969

    La police découvre le cadavre de l’institutrice 

    L’intérêt principal de ce film est sans doute dans ce mouvement de bascule qui nous fait passer d’un traditionnel humaniser qui désigne les adolescents comme des victimes de la société vers ce qui va devenir un des axes centraux du poliziottesco, la responsabilité des individus qui cherchent trop souvent à s’abriter derrière leurs difficultés matérielles initiales pour éviter toute responsabilité. Mais ici on en est à l’ambiguïté non pas du discours de Di Leo, mais des personnages. Bien entendu, tous ces adolescents sont issus de familles et de milieux en difficulté, mais finalement ils sont bien responsables, à l’instar de Carolino qui retourne bêtement vers le chef de gang qui va tenter de le tuer pour l’empêcher de parler. De même c’est sans doute là que le discours du policier au cinéma va changer de ton et se durcir en préférant avoir de l’empathie pour les victimes que pour leurs bourreaux. Certains ont rapproché le comportement de Lamberti de celui d’Harry Callahan dans le film de Don Siegel, Dirty Harry. Ce rapprochement n’est pas très pertinent, d’abord parce que Lamberti ne tue personne, il n’a même jamais de révolver, et s’il bouscule un peu les jeunes voyous, il agit plus par ruse que par l’exercice de la violence. Du reste le film de Don Siegel a été tourné en 1971, soit deux ans après, et probablement que Don Siegel et ses scénaristes, ne connaissaient pas le film de Di Leo. Le message qui est porté ici est représenté par l’alliance de l’assistante sociale et du policier, comme si cela était une nécessité que de ne pas les opposer et de les obliger à s’entendre. Mais il est vrai que ces deux films marquent une rupture avec l’humanisme traditionnel du cinéma. 

    La jeunesse du massacre, I ragazzi del massacro, Fernando di Leo, 1969

    Duca Lamberti doit faire équipe avec l’assistante sociale

    Comment expliquer cette rupture qui se trouve clairement aux origines du poliziottesco ? D’abord d’un point de vue sociologique, c’est la conséquence de la montée en puissance de la classe moyenne qui forcément ne se reconnait pas dans les problèmes des classes inférieures, et don a tendance à les minimiser. Ensuite, la fin des années soixante est marquée par l’émergence d’une violence apparemment incontrôlée et qui déborde les partis et les syndicats et qui ne semble pas avoir de cause. Enfin les démocraties occidentales vieillissent et s’opposent à la jeunesse turbulente. Le phénomène est sans doute plus marqué en Italie où il s’ajoute au délabrement de la situation politique. Les jeunes sont presque tous mauvais, les acteurs choisis ont des têtes de demeurés, des mal finis, ils sont tellement laids qu’on ne peut pas les plaindre. Je me demande si cette tendance n’est pas la même qui va se trouver dans ces films comme The exorcist de William Friedkin et qui présentent l’enfant comme une malédiction.  

    La jeunesse du massacre, I ragazzi del massacro, Fernando di Leo, 1969

    Duca Lamberti brutalise les jeunes délinquants 

    Le film aborde aussi d’autres questions. Par exemple on est assez surpris de l’importance qui va être accordée sans le dire à l’homosexualité. Le jeune Grassi se défenestrera quand son homosexualité est révélée et qu’il n’ose pas affronter la meute. Cette pulsion homosexuelle s’étend aussi comme une maladie du côté de Lamberti qui admire la corps nu de Carolino, alors qu’il y a la belle assistante sociale qui manifestement en pince pour lui. Mais il y a aussi le chef du gang dont on ne saura rien, qui est un travesti. Dans ce chaos les repères ont disparu. En adoptant provisoirement Carolino, Livia et Duca tente de reconstruire une famille normale, mais sans grand espoir. C’est un leurre en fait qui sert les intérêts du commissaire qui veut obstinément savoir qui a tué la pauvre institutrice. 

    La jeunesse du massacre, I ragazzi del massacro, Fernando di Leo, 1969 

    Le chef de la police conseille à Duca de ne pas poursuivre son enquête 

    Sur le plan formel, ce n’est pas terrible, convenons-en. C’est même mauvais. Pour partie parce que les moyens financiers sont très faibles. La première partie est presque du théâtre filmé. Les policiers opposés aux jeunes qu’ils interrogent dans un lieu aussi austère que clos. La seconde partie est plus dynamique, enfin on verra quelques plans de Milan, et un peu de campagne. Le film est extrêmement bavard et répétitif dans sa structure. Di Leo multiplie les très gros plans, champ-contrechamp parce que c’est plus facile et ça économise les déplacements de caméras. Ça manque beaucoup de grâce. Comme en plus s’est doublé, on a parfois l’impression d’une désynchronisation entre les acteurs et leurs dialogues.  

    La jeunesse du massacre, I ragazzi del massacro, Fernando di Leo, 1969

    Duca a rassemblé les jeunes pour les faire parler 

    Les acteurs sont tous très mauvais. Pier Paolo Capponi qui reviendra souvent dans la filmographie de Di Leo, incarne Duca Lamberti. Très souvent il est à contretemps, hésitant entre la colère démonstrative et l’abattement. Nieves Navarro, actrice espagnole spécialisée dans les films de rien, entre autre « le film cochon », ici affublée du pseudonyme de Susan Scott, incarne Livia, l’assistante sociale. Elle est assez décorative, mais elle ne serait pas là, le film avancerait sans elle, contrairement au roman qui lui donnait une bien plus grande importance. Di Leo multiplie les plans fixes de son visage, alors même qu’elle ne parle pas du tout et qu’elle ne fait qu’écouter d’une oreille distraite son partenaire masculin. Elle est comme un ectoplasme. Les policiers récitent leur texte bien gentiment, sans trop bouger pour ne pas effrayer sans doute le caméraman ! Je ne dis rien des jeunes délinquants dont la laideur frise le grotesque et devient bien trop caricatural. Ils pleurnichent assez mal, transpirent à grosses gouttes, mais sans doute n’ont-ils pas compris la signification du film auquel ils ont contribué. 

    La jeunesse du massacre, I ragazzi del massacro, Fernando di Leo, 1969

    A Milan, Carolino semble adopté par Lamberti et Livia 

    La jeunesse du massacre, I ragazzi del massacro, Fernando di Leo, 1969 

    Carolino est victime d’un coup de couteau 

    La jeunesse du massacre, I ragazzi del massacro, Fernando di Leo, 1969

    La police est parvenue à empêcher Duca de tuer 



    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/cran-d-arret-yves-boisset-1970-a184444896

    [2] Roberto Curti, Italia odia. Il cinema poliziesco italiano, Lindau, 2006.

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  •  Malec l’insaisissable, The goat, Buster Keaton, 1921

    C’est un film d’action avec des bandits et des policiers, ce qui ressort de notre domaine, mais traité avec un esprit décalé qui frise l’absurde. Cette absurdité pourtant fait mieux souligner une vérité finalement universelle qui se révèle au-delà des formes policées des relations sociales. Comme on va le voir c’est bien sûr un film burlesque, mais aussi profondément amoral. Avec beaucoup de légèreté, ce film subvertit les institutions de base de l’American way of life. Entre ce film et son précédent, Electric house, de longs mois s’étaient écoulés parce que Buster Keaton s’était cassé la cheville et devait cesser ses acrobaties. Après cet accident, il ne fut pas guéri de ses prises de risque, mais par contre, il revint rechargé à bloc pour gravir un nouveau palier dans la mise en scène. Ce  film qui a plus de cent ans reste bien plus frais et « jeune » que toutes les sinistres comédies à la française percluses de rhumatismes aigus qui ne font rire que des personnes peu regardantes quand à la qualité de ce rire. Il démontre qu’en matière de cinéma la qualité ne s’améliore pas forcément avec le temps et le progrès technique. En plus c’est un film muet, et pourtant on n’a pas besoin de paroles pour adhérer à l’intrigue et la poésie des personnages, et les encarts ne sont pas là pour expliquer, mais pour donner de la respiration au récit. Au niveau stylistique, il y a aussi une grande précision, ce qui est si souvent absente du cinéma moderne. 

    Malec l’insaisissable, The goat, Buster Keaton, 1921 

    Buster traine devant la soupe populaire

    Buster traine ses groles du côté de la soupe populaire avec d’autres traîne-misère, mais maladroit, il n’arrive pas à se faire servir. Le tueur Dead Shot Dan s’est fait attrapé, mais il est malin et facétieux, il se débrouille pour que ce soit Buster qui soit photographié à sa place. Il arrive à s’évader grâce à une coupure de courant. Mais les policiers au lieu de chercher Dead Shot Dan cherchent Buster puisqu’ils ont sa photo. Buster qui continue ses déambulations de son côté voit un homme qui jette un fer à cheval et qui consécutivement à ce geste trouve un portefeuille très bien garni. Buster veut faire la même chose pour profiter de d’une chance qui le fuit, mais il envoie ce fer à cheval sur la figure d’un policier qui règle la circulation. La police le pourchasse. Il arrive à lui échapper. Il va alors faire la rencontre d’une jeune fille dont il tombe évidemment amoureux au premier regard de cette bénédiction du hasard. Il va la défendre contre une espèce de malotru avec qui il se bat, ce qui plait beaucoup à cette jeune fille. La police continue cependant à le pourchasser. Il échappe à nouveau et revient en ville. Son portrait ayant été publié par les journaux, il fait peur à tout le monde. Plus tard encore il tombe sur le chef de la police qui le trouve louche et le poursuit parce qu’il voit le portrait de Dead Shot Dan et il croit que c’est lui, bien que Buster ait cru le berner en affublant la photo qui le désigne comme un criminel de fausses moustaches. Buster lui échappe à nouveau, l’enterrant même sous un monceau de cailloux et décorant cette sorte de tombe avec des fleurs sauvages. Il s’en va et retrouve la fille du chef de la police qui le trouve à son goût et qui l’invite chez ses parents à déjeuner. Mais alors qu’ils se mettent à table, arrive le père de la jeune fille qui reconnaît Buster comme un meurtrier et tente de le pourchasser encore pour le mettre en prison. Mais celui-ci s’échappe toujours et après s’être débarrassé du père en l’envoyant au ciel avec son ascenseur, il va épouser la fille qui ne demande que cela ! 

    Malec l’insaisissable, The goat, Buster Keaton, 1921 

    Buster prend la défense de la fille du chef de la police 

    C’est un petit film d’à peine 20 minutes, mais d’une densité redoutable. Il contient toute la mythologie de l’Amérique et la retourne comme une vieille chaussette. Dès le début, le décor est planté, on est en 1921, mais les pauvres souffrent de la crise et doivent aller chercher leur pain à la soupe populaire. Tant pis pour ceux qui sont en retard ! Le décor est planté. Ce n’est pas un pays de cocagne, et la criminalité galope, on verra un criminels vouloir tuer un policier, simplement, parce qu’il n’aime pas les policiers. Et il est vrai que les policiers traquent des miséreux à l’instar de ce pauvre Buster qui n’a rien fait de mal. A l’inverse les bourgeois sont effrayés dès lors qu’ils croient voir Dead Shot Dan sous le masque de Buster. Ils sont évidemment ridicules, courant de droite et de gauche comme des petits poulets apeurés par le renard. La famille parlons en ! La jeune fille ne supporte manifestement plus ses parents et elle est très heureuse de leur échapper. Buster a beau envoyer en l’air son père avec son ascenseur, elle n’en est pas moins amoureuse. En effet, Buster représente exactement le contraire de son lourdaud de père, il est petit, vif, malin, obstiné aussi, le visage glabre, il ne porte pas ces moustaches indécentes qui ne peuvent susciter l’amour. 

    Malec l’insaisissable, The goat, Buster Keaton, 1921 

    Buster va être confondu avec le tueur Dead Shot Dan 

    L’irrespect de la police c’est la norme, il n’est pas le premier, on trouve ça chez Fatty Arbuckle, chez Chaplin bien entendu. Cet irrespect reste cependant à mi chemin entre la critique sociale et la farce enfantine. Il est vrai qu’aux Etats-Unis la police, à cette époque, a une très mauvaise réputation, surtout la police de Los Angeles où travaille Buster Keaton. Les policiers ne sont pas seulement patauds, ils sont nuls, incapables de reconnaître un vrai coupable d’un faux, laissant bêtement le meurtrier s’enfuir : celui-ci les plonge dans le noir, histoire de souligner à quel point ils ne voient rien. Les honnêtes citoyens s’en méfient. Lorsque Buster croise pour la première fois le chef de la police, il adopte un pas prudent, toujours prêt à fuir en courant. L’hôpital est logé à la même enseigne. Le chirurgien opère à l’aide d’outils de menuisier ! C’est la vie moderne, la grande ville, et le progrès symbolisée par l’arrivée d’un train qui se détache en morceaux. 

    Malec l’insaisissable, The goat, Buster Keaton, 1921 

    La police poursuit Buster et il se cache 

    Mais la foi de Buster en lui-même dépasse cette misérable vie matérielle. Il a des choses plus importantes à faire, tomber amoureux par exemple ! Et ça c’est ce que Buster fait de mieux de film en film. il n’est pas amoureux d’une manière romantique, mais avec obstination et méthode. Il se donne du mal pour assouvir son désir. Malgré la différence de taille, il terrasse un jeune malotru qui agace cette jeune fille dont il est instantanément tombé amoureux. Pour enlever sa promise, il n’hésite pas à affronter le père de celle-ci, malgré la différence de prestige social et de taille. Et chaque fois il sort vainqueur. Ce caractère plait énormément à cette jeune fille, c’est son chevalier des temps modernes, même s’il est habillé médiocrement dans un pantalon qui tient debout parce que c’est la mode, tandis qu’elle se ballade avec les attributs de le richesse, un petit chien de riche, un joli chapeau et manteau de fourrure – ce qui laisse entendre que le père est peut-être corrompu. Ainsi rien ne peut être supérieur à l’amour. Quand ils partent de la maison de son père que font-ils, ils regardent un lit qui est au fond le point d’aboutissement de leurs tribulations, bien qu’ils n’aient pas de maison où mettre ce lit. Malgré une pudeur apparente, la conception de l’amour de Buster Keaton est toujours chargée de désir. 

    Malec l’insaisissable, The goat, Buster Keaton, 1921 

    Buster croise la route du chef de la police 

    C’est un film tourné très rapidement, ce qui lui donne une grâce certaine, une forme de spontanéité, même si les plans et les séquences soient minutieusement travaillées. Mais qu’est-ce que la mise en scène pour Buster ? C’est d’abord une gestuelle, un positionnement des corps dans l’espace. Le corps de Buster est projeté en avant, il décolle du sol, la scène qui le voit passer par l’imposte au dessus de la porte que le policier a verrouillé, est d’une précision diabolique. Ce corps tombe, se relève en permanence comme s’il était muni d’un contrepoids qui le maintient à la verticale quoi qu’il arrive. Il a cette manie de plier son corps légèrement en avant en allongeant le pas, ce qui lui permet d’exprimer ses sentiments, que ce soit la faim, la peur ou l’incompréhension. C’est extrêmement personnel, personne d’autre n’est capable de le faire, même en s’appliquant à l’imiter. Ça va bien trop vite. Mais il y a aussi un sens de l’espace, une manière de saisir le champ en entier pour isoler le personnage principal éternellement poursuivi par la police ou par la malchance. De même il tire aussi de belles diagonales pour l’arrivée du train ou encore en rangeant les policiers qui poursuivent Buster en rang d’oignons. 

    Malec l’insaisissable, The goat, Buster Keaton, 1921 

    Buster échappe à la hargne du chef de la police 

    Le cinéma de Buster Keaton se faisait en famille, on retrouve à ses côtés l’excellente Virginia Fox qui épousera Darryl F. Zanuck et arrétera sa carrière cinématographique, elle est l’éternelle jeune fille, on la retrouve je croie six fois dans des films de Buster Keaton, et non des moindres. Ensuite il y a Joe Roberts qui tournera dans seize films aux côtés de Buster Keaton c’est un pilier de sa cinématographie. Aussi grand que Buster était petit, il est aussi très large. C’est la figure d’un père sévère dont il faut contourner la mauvaise humeur. Il est toujours très bien et on aime à le revoir de film en film dans ce rôle de vieux bougon qui se fait la plupart du temps malmené par Buster. Il y a très peu d’acteurs, énormément de scène sen décors naturels, à même la rue, ce qui ajoute au charme de l’ensemble. 

    Malec l’insaisissable, The goat, Buster Keaton, 1921 

    Buster règle l’ascenseur pour empêcher le policier de le coincer 

    C’est donc un très bon film on le trouve dans un coffret de cinq disques en Blu ray, récemment restauré chez Lobster. Ce film est tombé dans le domaine public depuis longtemps, on en trouve de très bonnes copies un peu partout. On peut le voir et le revoir autant de fois qu’on veut, on y trouve toujours quelque chose à admirer. Bien sûr la scène de l’ascenseur, ou la manière dont Buster enferme les policiers qui le pourchassent dans un camion. J’aime bien aussi cette scène décalée où on voit un petit voyou, petit de taille et de statut, sortir sur le pas de la porte et vouloir tirer sur un policier, seulement comme ça, pour le geste. 

    PS En France on donnait le nom de Malec ou de Frigo à Buster Keaton, mais dans le film original, il n’en a pas. 

    Malec l’insaisissable, The goat, Buster Keaton, 1921 

    On comprend que Buster va se mettre au lit avec la fille du chef de la police

     

     

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  •  La maison démontable, One week, Buster Keaton, 1920  

    Contrairement à ce que mon blog pourrait laisser croire, je ne regarde pas que des films noirs. J’ai été élevé comme ça, depuis que je suis tout petit, je voue aussi un vrai culte à Buster Keaton qui m’a accompagné durant des décennies et qui est toujours présent à mes côtés. Ne me demandez pas de choisir entre Buster Keaton et Charles Chaplin. ces deux grands génies ont été à l’origine de ma passion pour le cinéma. Et je leur ai été toujours très fidèle. Ce sont des remèdes contre l’ennui et la morosité de notre époque. Bien qu’il y ait plus de vérité dans un petit film de Buster Keaton que dans n’importe quel journal télévisé, c’est une saine distraction que de le revoir. Dans mon travail d’écrivain j’ai sans doute été influencé par les grands auteurs de romans noirs, de Dashiell Hammett  à Frédéric Dard en passant par Jim Thompson ou encore Charles Williams. Les grands réalisateurs de films noirs ont sûrement dû avoir aussi une influence plus ou moins directe sur l’idée que je me fais du roman et le comportement des personnages, Robert Siodmak, Billy Wilder, ou encore le plus obscur Joseph H. Lewis. Mais je crois que Buster Keaton m’a tellement marqué qu’il n’est pas possible de croire qu’il ne m’a pas influencé aussi, si ce n’est dans les histoires que je fabrique, par un certain détachement ironique d’avec la réalité immédiate. Je serais vraiment un infâme si de temps à autre je ne rendais pas hommage à ce génie ! C’était des films que nous voyions dans les salles d’art et d’essai ou plutôt dans des salles dites de répertoire – concept qui n’existe plus – souvent dans des mauvaises conditions, avec des copies tellement usées qu’on n’y voyait plus rien. Cependant, les salles étaient pleines à craquer, sans doute parce que nous n’avions pas la télévision.   

    La maison démontable, One week, Buster Keaton, 1920

    Buster et Sybil se sont mariés 

    Le regretté Jean-Pierre Coursodon considérait que One week était vraiment le premier film original de Buster Keaton[1]. Il venait d’ailleurs d’inaugurer des studios tout neuf ce qui était la marque d’un homme qui savait ce qu’il voulait. Mais Coursodon voulait dire par là non pas que Buster Keaton n’existait pas avant, mais que ce personnage lunaire et poétique n’avait pas acquis toutes ses dimensions. On redécouvre son œuvre, notamment aux Etats-Unis. Notez que Capricci a réédité récemment les mémoires de Buster Keaton sous le titre La mécanique du rire, autobiographie d'un génie comique. C’est un ouvrage qui avait été publié par l’Atalante en 1984 sous le titre de Slapstick. Les mémoires de Buster Keaton. Vient de paraître également le livre très attendu de James Curtis, Buster Keaton: A Filmmaker's Life chez Knopf. C’est un pavé richement illustré de plus de 800 pages. Je n’ai pas encore eu le temps de le lire, je l’ai juste parcouru. 

    La maison démontable, One week, Buster Keaton, 1920 

    Leur oncle leur a fait livrer une maison à monter soi-même 

    Buster et Sybil se marient. Leur oncle leur a donné comme cadeau de mariage un terrain et une maison à monter soi-même. Mais ce mariage a fait au moins un jaloux qui lorgnait sur Sybil et qui enrage de voir Sybil mariée à Buster. Tandis que les jeunes époux tentent de comprendre comment monter leur maison, il faut respecter les différentes étapes, le jaloux va intervenir pour modifier les numéros d’ordre sur les caisses. Le résultat va être désastreux et la maison ne ressemblera plus à rien, alors même que déjà les maladresses de Buster ont posé de nombreux problèmes. Mais Sybil est une très bonne fille, elle aime Buster et s’en moque de savoir qu’il n’est pas très dégourdi. Alors que la maison est finie, il faut encore clouer la moquette et recevoir le piano. Celui-ci est livré par un géant, Joe, qui d’une manière très décontractée porte le lourd instrument sur son épaule et par inadvertance écrasera Buster sous son poids. Pendant que Buster travaille, Sybil prend son bain, elle fait des clins d’œil à la caméra, tentant de masquer qu’elle est nue dans sa baignoire ! Le jaloux va également se disputer avec Buster qui s’en débarrassera lors de la pendaison de la crémaillère en le faisant sortir par la fenêtre dans un magnifique plongeon. Mais pendant cette petite fête, il se met à pleuvoir, le toit fuie, les invités s’en vont la tempête arrive, tant bien que mal les deux époux tentent de sauver leur petite maison. Le lendemain de ce désastre, ils ont la visite d’un homme qui leur dit qu’ils se sont trompés de lot, ils ont construit leur maison sur le lot 66 au lieu du lot 99. Ils doivent donc partir. Ils essaient d’emmener leur maison avec eux, mais c’est difficile, en chemin ils bousillent leur voiture, puis un train va réduire en menu petit bois cette maison dans laquelle ils avaient mis beaucoup d’espérance. Ils vont abandonner, mais ils vont rester ensemble plus unis que jamais.

    La maison démontable, One week, Buster Keaton, 1920 

      Quand Buster rate quelque chose, Sybil l’embrasse pour le consoler 

    Le sujet a été inspiré à Buster Keaton par un petit film publicitaire qu’on peut trouver sur le site Alexander Street[2]. La firme Ford avait décidé de se lancer dans la construction de maisons préfabriquées pour les plus pauvres, pensant que le marché était très vaste, eu égard au nombre de pauvres qu’il y avait aux Etats-Unis. C’était en 1919, et le film publicitaire s’appelait Home made. Comme très souvent chez Buster Keaton, si c’est plutôt léger et jamais didactique, la satire sociale n’est jamais loin. Mais le film de Buster Keaton est aussi parodique, il utilisera des éléments qui existent déjà dans le petit film publicitaire : la Ford T, mais aussi le mariage et puis le déroulement du temps avec les pages du calendrier qui défilent. C’est une forme de détournement pour donner un autre son à ce que la publicité présente comme une sorte d’idéal. Et en effet plus les jeunes amoureux vont s’enfoncer dans leur rêve de devenir propriétaires, et plus ils vont de désillusions en désillusions. C’est évidemment une manière récurrente de faire rire le public dans les comédies populaires de ce type. Chaplin fera de même, mais en appuyant sans doute un peu plus sur le message. Manifestement Buster aime Sybil, mais le mariage ne lui fait pas vraiment plaisir quand il quitte l’église où l’union a été célébrée, il tire une figure de trois pans de longs, envoyant des regards courroucés au public qui l’acclame et lui envoie des grains de riz qui l’agacent. 

    La maison démontable, One week, Buster Keaton, 1920

    Le fourbe jaloux change les numéros des lots 

    On remarque que tout ce qui intervient depuis l’extérieur du couple ne tarde pas à tourner à l’aigre. L’oncle s’est mêlé d’offrir un terrain et une maison démontable, mais c’est une source d’ennuis sans fin, un cadeau empoisonné. Tout est raté, et au-delà de la maison, la pendaison de la crémaillère sera aussi un fiasco. Cependant l’amour entre Sybil et Buster est indestructible, ils abandonneront leur rêve de pacotille et repartiront ensemble la main dans la main. On a beaucoup commenté la magnifique scène de Sybil nue dans sa baignoire, laissant entrevoir la forme de ses seins. C’est une scène clé puisqu’en effet elle est tout à fait opposée à la scène du mariage où on la voit surchargée de fleurs et coiffée d’un voile. Elle représente le désir sexuel de Buster, avec un clin d’œil au spectateur qui tente de se rincer l’œil. On voit une main passer devant la caméra pour bien montrer qu’on ne doit pas montrer une femme nue, fut-elle belle, au cinéma. Sybil adresse d’ailleurs un magnifique sourire à la caméra et au-delà aux spectateurs, puis un clin d’œil malicieux. C’est un commentaire de ce qu’est le cinéma un objet de frustration qui nous éloigne de la vie. Le mariage n’est pas la raison d’être de ce couple. L’homme est aussi en permanence désiré par sa compagne, Sybil l’embrasse tout le temps et tracera deux cœurs transpercés d’une flèche sur le côté de la maison. Ce qui ne l’empêchera pas de faire semblant d’être gênée quand de manière intempestive Buster déboule dans la salle de bains, elle le chasse pour qu’il ne la voit pas nue. L’amour et le désir sexuel sont une constante de la cinématographie de Buster Keaton, même si le désir est toujours représenté sans insister ou d’une manière dérivée, sans rien de louche, ni de graveleux. Et d’ailleurs Buster n’est pas le seul à désirer Sybil, le jaloux essaie même de lui voler sa femme et enrage de ses échecs répétés. Il reste au-delà de l’histoire l’image d’un couple tendre et fusionnel. Ce qui est la quête permanente et obsessionnelle de la cinématographie de Buster Keaton. Ce couple est imperméable au mauvais temps et à toutes les avanies qui lui arrivent en rafale. 

    La maison démontable, One week, Buster Keaton, 1920 

    La maison n’a pas du tout l’air de ce qu’elle devrait être 

    Les gags, pourtant très travaillés, ne sont pas le moteur de l’intrigue, ils en sont seulement l’illustration. De nombreux éléments de ce film seront repris encore par la suite, comme la maison qui tombe au-dessus de Buster qui s’encadre dans la fenêtre, il vient de Back Stage de Fatty Arbuckle tourné l’année précédente, et il a certainement été pensé par Buster Keaton qui le reprendra dans Steamboat Bill Junior, un des chefs d’œuvre de Buster Keaton qu’il tournera en 1928. Les gags sont souvent très simples, Buster qui scie la planche sur laquelle il est installé et qui tombe – il sera d’ailleurs blessé une nouvelle fois durant le tournage, son corps étant depuis longtemps une série de cicatrices. On retrouve la gestuelle particulière de Buster, ce corps en équilibre précaire qui menace en permanence de tomber, ou encore le jaloux qui passe par la fenêtre dans un saut spectaculaire qui l’amène à s’effondrer méchamment contre une palissade. Il y a avec ce film un nouveau tournant qui est pris par Buster Keaton, il vise l’épure, la simplicité maximale, et c’est stylisation qui va donner du charme à son comique particulier. Bien sûr il court dans tous les sens, mais il a un art consommé pour que cela n’apparaisse pas répétitif. Le film dure 24 minutes 37, il est souvent donné pour 19 minutes, mais la version restaurée que j’ai à ma disposition est légèrement plus longue. Néanmoins dans une durée aussi courte, l’histoire est particulièrement dense et ne laisse pas le spectateur en repos. C’est un film d’action si on peut dire et les acteurs se démènent, montrant combien ils apprécient d’être là pour Buster ! La manière de filmer utilise des angles plutôt savants et le montage accélère le rythme. 

    La maison démontable, One week, Buster Keaton, 1920

    Le livreur de piano est arrivé 

    La maison va être emportée par la tempête, elle tourne sur elle-même, rien ne peut l’arrêter. On retrouvera ça en plus élaboré dans Steamboat Bill junior. Et il y a parfois des difficultés pour le caméraman de suivre la frénésie keatonienne. Buster Keaton joue aussi sur les oppositions, d’abord avec le fourbe jaloux qui veut prendre son aimée, il est grand, il est méchant, il plisse les yeux, il est l’opposé de Buster qui a des grands yeux, bien ouverts qui lui donnent un air d’innocence qu’il n’a pas forcément. Ensuite Buster est opposé avec sa toute petite taille au livreur de piano, un géant, qui va l’écraser sous l’instrument. Et puis il est opposé aux vieux bourgeois qui sont venus pour la pendaison de la crémaillère. Si cela a bien la signification d’isoler le couple des conventions sociales, c’est aussi une critique indirecte d’un mode de vie étriqué fondé principalement sur la recherche du bien-être matériel. 

    La maison démontable, One week, Buster Keaton, 1920

    Sybil minaude dans son bain 

    Il y a peu d’acteurs, mais quels acteurs ! Buster Keaton en première ligne évidemment, mais aussi la superbe Sybil Seely, une habituée du cinéma keatonien avec qui elle tournera pas moins de six films, ici elle avait seulement vingt ans. Elle a beaucoup de charme. Elle sera aussi de l’aventure de The boat, le film suivant de Buster Keaton. Ce film est comme une suite de One week, mais cette fois Buster et Sybil ont deux enfants, ce qui complique les situations. Entre les deux films Sybil Seely avait épousé Jonathan Furthman, un scénariste qui avait été prolifique au temps du muet et qui connut un grand succès dans des productions haut de gamme, comme To have or have not, Howard Hawks, ou l’excellent Nightmare alley, celui signé par Edmund Goulding en 1947.  Buster Keaton voulait d’ailleurs remonter les deux films ensemble pour n’en faire qu’un. On ne sait pas pourquoi, cela ne se fit pas, peut-être n’a-t-il pas trouvé le temps de tourner les scènes de raccord. Dans ce film pourtant muet, on verra Buster appeler « Sybil » quand elle s’est envolée en haut de la maison ! Joe Roberts le géant habituel des films de Keaton fait juste une petite apparition, mais quelle présence ! Personne à ma connaissance n’est arrivé à identifier le sournois jaloux, mais il est excellent, non seulement dans ses mimiques qui montrent combien il est mauvais, mais aussi dans ses capacités acrobatiques quand il court après Buster pour le crever et qu’il saute par la fenêtre. 

    La maison démontable, One week, Buster Keaton, 1920 

    Le jaloux est passé par la fenêtre 

    C’est un petit chef d’œuvre, je dis petit parce que le film ne fait que 24 minutes trente-sept, et aussi parce que les longs métrages de Keaton seront bien plus ambitieux et complexes. Le film fut un succès commercial, même s’il fut très long à démarrer, les distributeurs n’en voulaient pas immédiatement. Comme tous les films de Buster Keaton qui sont tous tombés dans le domaine public, celui-ci se trouve très facilement sur Internet, parfois dans des copies contestables. On le trouve en Blu ray sur le territoire américain dans un coffret de cinq disques en Blu ray, récemment restauré chez Lobster. Si MK2 avait fait l’effort de présenter l’ensemble de l’œuvre de Chaplin dans une belle collection, personne en France n’a eu l’idée de faire la même chose pour Buster Keaton, preuve sans doute qu’il y a une réticence à admettre qu’il est aussi génial que le génial créateur de Charlot. 

    La maison démontable, One week, Buster Keaton, 1920 

    Il pleut dans la maison 

    La maison démontable, One week, Buster Keaton, 1920

    Buster tente de tracter sa maison 

    La maison démontable, One week, Buster Keaton, 1920

    Buster et Sybil vont vendre ce qu’il reste de la maison démontable 

    La maison démontable, One week, Buster Keaton, 1920

    Buster inaugure ses nouveaux studios en janvier 1920 

    La maison démontable, One week, Buster Keaton, 1920

    Buster Keaton et Sybil Seely 



    [1] Jean-Pierre Coursodon, Buster Keaton, Seghers, 1973

    [2] https://search.alexanderstreet.com/preview/work/bibliographic_entity%7Cvideo_work%7C2463114

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  •  Feu rouge, Red light, Roy del Ruth, 1949

    La carrière de Roy del Ruth est très éclatée, il a tourné beaucoup et dans tous les genres, avec quelques incursions dans le film noir avant la lettre. C’est lui qui a signé la première version de The maltese falcon en 1931 avec Ricardo Cortez dan le rôle de Sam Spade, certains tiennent cette version en très haute estime. Melville le désignait comme un grand réalisateur qui compte, je ne partage pas tout à fait cet avis. Il avait commencé sa carrière du temps du muet, et n’avait jamais appris vraiment les mouvements de caméra. Mais il était un très bon cadreur et savait travailler le montage pour donner du rythme à une mise en scène plutôt statique. Quand il tourne Red light, on peut dire que sa carrière est derrière lui. Il était plutôt une vedette des années trente. De même Georges Raft était lui aussi sur le déclin, et tous deux durent se contenter d’un film noir de série B, avec un petit budget. Le scénario est dû à Don Red Barry, un acteur de western de série B qui tenta de se reconvertir dans l’écriture et qui plus tard se suicidera d’une balle dans la tête. 

    Feu rouge, Red light, Roy del Ruth, 1949

    Aux actualités, Nick et son ami Rocky découvrent le frère de Johnny Torno 

    En prison les détenus regardent les actualités et repèrent que Jess Torno, un aumônier de l’armée rentre de la guerre. Nick le repère comme étant le frère de celui qui l’a fait condamné. Il était en effet comptable chez Johnny Torno, le patron d’une entreprise de camionnage, et avait été surpris à détourner des fonds. Son rigide patron n’avait pas jugé bon de lui donner une autre chance et l’avait envoyé en taule. Nick qui n’a pas fini sa peine va charger Rocky qui sort de prison de l’assassinat de Jess. Jess a retrouvé son frère, ensemble ils vont à l’église, Johnny lui a fait cadeau d’une reproduction d’une petite église qu’ils avaient aimée enfants. Mais Jess doit partir pour avoir sa propre église. Alors qu’il prépare sa valise dans sa chambre d’hôtel, Rocky surgit et l’abat. Johnny est fou de rage et de douleur. Son frère expire dans ses bras, mais il a le temps de lui dire de se reporter à la bible. La police promet d’enquêter. Mais Johnny va soupçonner Nick qui vient de sortir de prison. Il le coince et l’accuse, il le frappe, mais la police intervient et lui assure que Nick était encore en prison au moment du meurtre. Johnny se lance sur la piste de la bible qui entre temps a disparu. Il va remonter la piste de ceux qui ont occupé la chambre 812 de l’hôtel où Jess logeait. Il va engager une certaine Carla North, une veuve de guerre, dont le mari a connu Jess. Il lui demande de pister ceux qui sont susceptibles d’avoir voler la bible. L’enquête se révèle difficile. Johnny s’aperçoit qu’il est suivi par Rocky. Il va le piéger en lui faisant croire qu’il possède la bible recherchée. Mais Rocky lui glisse entre les doigts. Nick entretemps essaie de se faire embaucher par Johnny en pleurnichant, et finalement il est accepté. Cependant en s’introduisant dans les bureaux de l’entreprise de Johnny, il va buter sur le vieux Warni qu’il assassine. Également Rocky revient vers Nick, mais comme celui-ci pense qu’il s’est fait repérer, il décide de le balancer sur la voie de chemin de fer. Johnny découvre alors que la bible est détenue par un blessé de guerre d’origine mexicaine qui est devenu aveugle. Celui-ci accepte de lui donner la bible, mais en la parcourant, Johnny ne trouve rien pour le guider dans la recherche de l’assassin. Carla se dispute avec lui en lui affirmant que son désir de vengeance est extravagant et mortifère. Mais entre temps la police a découvert l’arme du crime. Ce qui va débloquer l’affaire, c’est le retour de Rocky qui n’est pas mort et qui accuse Nick. Celui-ci sort son revolver et tue Rocky. Puis il s’enfuit, poursuivi par Johnny qui tente de le rattraper sous la pluie sur la publicité au néon qui surmonte son entreprise. Mais Johnny décide au dernier moment de ne pas le tuer, se souvenant du message de Jess qui dans la bible avait juste souligné le passage sur le fait que la vengeance ne pouvait appartenir qu’à Dieu. Nick va mourir en s‘électrocutant ! 

    Feu rouge, Red light, Roy del Ruth, 1949 

    Johnny a retrouvé son frère Jess qui est devenu prêtre et à qui il offre la reproduction d’une église 

    Le film se présente, à travers la mise en scène des bondieuseries catholiques, comme une méditation sur la vengeance. C’est en effet celle-ci qui tourmente et rend Johnny fou de douleur, le fait de ne pas avoir pu protéger son frère, malgré sa puissance économique. Johnny est un homme arrogant, fier de sa réussite et qui n’a pas l’habitude que la réalité lui résiste. On comprend également qu’il s’est montré un peu trop dur avec Nick qui a fauté mais qu’il a enfoncé. Il n’est pas sympathique. Et s’il admire son frère, c’est sans doute parce que lui-même n’a pas eu le courage de s’engage dans le conflit et qu’il est resté sur place pour accumuler de l’argent. Son désir de vengeance est donc l’envers de sa culpabilité, qu’on couvre ou non celle-ci d’un raisonnement sur les principes des Evangiles. Ce portrait, très négatif, est complété par le fait qu’on ne lui connaît aucune autre relation – notamment avec les femmes – que celle qu’il a avec l’argent. L’enquête qu’il mène pour découvrir qui a tué son frère va l’emmener cependant à se rendre compte de ses errements. Il est vrai que la jeune Carla va l’aider à sortir de cette ambiguïté. Si l’Eglise ne peut rien, la femme est bien l’avenir de l’homme, ou du moins sa conscience. 

    Feu rouge, Red light, Roy del Ruth, 1949

    Rocky a tiré sur Jess 

    Nick, bien qu’il soit la victime de l’intransigeance de Johnny, n’est pas très sympathique non plus. Il colle à son patron, espérant peut-être au fond de lui-même devenir comme lui, riche et âpre au gain. Le frère de Johnny, Jess, a un comportement étrange. On le voit qu’il veut avoir sa petite église bien à lui, comme un ouvrier travailleur qui veut monter sa petite entreprise ! Il est au fond comme son frère qui pense se racheter une conduite en donnant de l’argent à l’Eglise. Mais par-delà cette proximité, on sent une lutte latente et sourde entre les deux frères, chacun voulant faire la morale à l’autre. Comme on le voit, dès lors qu’on rentre dans les complications des motivations des uns et des autres, on révèle les ambiguïtés qui font que tout le monde n’est ni blanc ni noir, mais plutôt un peu gris. Même la position de Carla n’est pas très claire. Elle joue un peu, mais pas beaucoup la jeune veuve effarouchée qui tient son nouveau patron à distance de peur qu’il ne lui propose des relations sexuelles. Mais ne les souhaite-t-elle pas ? 

    Feu rouge, Red light, Roy del Ruth, 1949

    Johnny a fait porter ses soupçons sur Nick 

    Le film est censé se dérouler presqu’entièrement à San Francisco, avec quelques virées vers Reno et Los Angeles. Mais de ces villes on ne verra quasiment rien du tout. Sauf une transparence où le Golden Gate est là pour certifié qu’on se trouve bien à San-Francisco. Pourquoi dans ces conditions dire que l’histoire se déroule bien dans cette ville ? C’est essentiellement parce que San Francisco, ville catholique, est une ville prolétaire. Dans le film noir du cycle classique cette ville est le plus souvent liée à des petits entrepreneurs qui ont réussi à la force du poignet. Cependant les décors de studio sont plutôt bien réalisés. Dans la manière de faire, il y a beaucoup d’éléments typiques du film noir. D’abord quelques petits flash-backs bienvenus qui sont là pour appuyer la subjectivité des protagonistes, une manière de s’interroger sur leurs intentions réelles, comme si les personnages méditaient sur leur incomplétude. 

    Feu rouge, Red light, Roy del Ruth, 1949 

    Nick interroge le gérant de l’hôtel à propos de Nick 

    je l’ai dit en commençant, Del Ruth n’était pas très doué pour les déplacements compliqués de la caméra. Sans doute ce n’était pas son époque. Par contre il est toujours très bon pour le découpage des séquences et les cadrages. Avec des scènes presque statiques, il arrive à imprimer un rythme soutenu à son histoire. La photo de Bert Glennon est excellente et se trouve être un commentaire tout à fait bienvenu du récit. C’est un film nuiteux, presqu’opaque, avec peu de séquences dans la lumière, même lorsqu’il s’agit des hommes d’Eglise qui paraissent vivre dans l’ombre. Il y a quelques séquences fortes. D’abord le meurtre de Jess par Rocky. Jess éteint la lumière pour semble-t-il se protéger d’un potentiel agresseur, mais en réalité pour semer le trouble dans l’esprit du spectateur qui ne reconnait pas tout de suite Rocky. La seconde longue séquence est celle du meurtre de Warni. Quand il descend les escaliers pour aller chercher sa voiture sur le parking, il a peur et ces escaliers semblent être déjà un piège, comme un entonnoir, sans possibilité de recul. Puis il va se faufiler entre les camions, encore un espace réduit et sombre où il risque la mort. La troisième longue séquence est celle de la mort de Nick, électrocuté à travers la pluie et les néons. On voit que Del Ruth excelle à mettre en scène la mort. 

    Feu rouge, Red light, Roy del Ruth, 1949

    Johnny va piéger Rocky 

    Le reste c’est moins bien. Déjà les dialogues entre Carla et Johnny ne semblent pas l’intéresser outre mesure. Ça meuble, et on se pose d’ailleurs les questions de savoir franchement ce que vient faire cette femme. C’est filmé assez platement, champ-contrechamp. Lorsque Johnny est confronté à la police qui tente de le freiner, ce sont des plans larges et généraux, en pied, qui mettent en lumière ces contradictions. Mais c’est un peu mou, il faut bien le dire. La scène d’ouverture se fait en prison, au moment d’une séance de cinéma. C’est bien filmé, avec une vision de la salle où les prisonniers sont bien alignés pour regarder les nouvelles, et cela contraste avec ce qui se passe dans la salle de projection où se fomente le meurtre de Jess. On se demande s’il n’y a pas là une manière ironique de critiquer la mauvaise influence du cinéma ou des images animés sur des personnes un peu limitées. 

    Feu rouge, Red light, Roy del Ruth, 1949

    Warni rentre chez lui 

    Le personnage principal est incarné par George Raft. Une fois de plus il s’appelle Johnny. Entêté et butté, il est imperméable à toute émotion. Raide comme la justice il s’affronte au massif Nick, interprété par le toujours très excellent Raymond Burr qui fait semblant d’avoir peu que le maigrelet George Raft lui donne une raclée. Cette opposition de deux physiques aussi différents est bien trouvée. Le plus fragile des deux n’étant pas celui qu’on pense. Raymond Burr a un jeu très nuancé, contrairement au monolithique George Raft, il passe facilement de la peur apparente à la haine. On peut voir ce film au moins pour lui. La girl c’est Virginia Mayo dans le rôle de Carla. Son rôle est étroit avec assez peu de sens, mais elle tire assez bien son épingle du jeu en se révoltant contre son patron. Le scénario prête cependant trop à la confusion pour lui donner une place intéressante dans ce film. Parmi les flics, on reconnaitra Barton McLane, abonné à ce genre de rôle. Ici il est toutefois un peu absent. A noter l’excellent Harry Morgan dans le rôle de Rocky. Dans l’ensemble et malgré George Raft, la distribution tient bien le coup. 

    Feu rouge, Red light, Roy del Ruth, 1949 

    Strecker apprend à Johnny qu’on a retrouvé l’arme qui a tué Jess 

    Si ce n’est pas un chef-d’œuvre, c’est cependant un film très intéressant, malheureusement il n’existe pas de copie propre de ce film sur le marché français. A cause de son atmosphère, il reste assez prenant, malgré une histoire un peu tirée par les cheveux. Sur Internet traine des copies pourries de ce film, ou alors il faut se débrouiller avec une version DVD assez moyenne, mais sans sous-titres.

    Feu rouge, Red light, Roy del Ruth, 1949

    Nick s’est démasqué, il tire sur Rocky et le tue

    Feu rouge, Red light, Roy del Ruth, 1949

    Nick s’enfuit sur la publicité lumineuse de Johnny Torno

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