•  La maison sur la plage, Female on the beach, Joseph Pevney, 1955

    Joan Crawford, tout le monde la connaît, ce fut une actrice majeure du grand Hollywood, une légende, et les chefs-d’œuvre dans lesquels elle a joué ne se compte pas. Elle était peut-être dans la vie un montre comme l’affirmé sa fille, mais comme actrice, c’était un très grand talent. Elle a particulièrement brillé dans le film noir. Jeff Chandler est beaucoup moins connu. Cela ne provient pas de son manque de talent, mais plutôt du fait qu’il est mort très jeune. Il est décédé dans des conditions incroyables, il s’était fait opérer d’une hernie discale, mais le chirurgien ayant « oublié » son bistouri dans son corps avant de le refermer, il décéda d’une septicémie. Il a beaucoup tourné cependant, il interpréta plusieurs fois le rôle de Cochise et c’est ce qui le fit connaitre. Heureusement il n’a pas fait que ça. Il était doté d’un physique étonnant, très grand, athlétique, ses cheveux avaient prématurément blanchi ce qui lui donnait une certaine élégance. Il pouvait tout jouer, on le vit chez Aldrich dans Ten seconds to hell, un film de guerre, chez Delmer Daves qui lui donna le rôle de Cochise dans Broken arrow, chez George Sidney pour Jeanne Eagles où il partageait la vedette avec Kim Novak. Mais c’est avec Joseph Pevney qu’il tourna le plus, sept films en tout. Son dernier film sera pour Samuel Fuller, Merril’s marauders encore un film de guerre. Quelques années après son décès, il inspira également un personnage de Race Bannon pour un dessin animé télévisé, Jonny Quest. Ce n’est pas banal. Joseph Pevney va donc réunir ces deux grandes vedettes pour filmer ce qui était au départ une pièce de théâtre à succès, ce qui est toujours un exercice très délicat. 

    La maison sur la plage, Female on the beach, Joseph Pevney, 1955

    Le policier Galley enquête sur la mort d’Eloïse 

    Lynn Markahm, la riche veuve d’un joueur de Las Vegas vient prendre possession d’une maison au bord d’une petite plage. L’endroit lui semble idyllique, mais un drame a eu lieu quelques temps auparavant. Son ancienne locataire, Eloïse, est morte en tombant de la terrasse à travers la rambarde. Lynn semble vouloir vendre la maison, et une courtière en immobilier, Amy Rawlinson, doit l’aider dans cette tâche. Lynn remarque que la police enquête sur ce décès. Elle fait la connaissance du lieutenant Galley. Le lendemain elle fait la connaissance de Drummond, dit Drummy, une sorte de vagabond qui vit chez ses voisins et qui a amarré son bateau au ponton de la maison de Lynn. Ce Drummy est sans-gêne et tente tout de suite de la séduire. Lynn l’envoie promener et lui ordonne de virer rapidement son bateau. Mais Drummy lui dit que la pompe à essence est cassée et qu’il faut qu’il en commande une. Drummy est en fait coaché par le vieux couple Sorenson, voisin de Lynn, qui tente de faire en sorte que Drummy soutire de l’argent à Lynn, voire qu’il l’épouse. Lynn se rend bien compte que Drummy est un escroc, mais pourtant elle est attirée par lui. Une bataille entre eux est inévitable. Mais finalement ils tombent dans les bras l’un de l’autre. Par hasard Lynn va tomber sur le journal que tenait Eloïse sur sa relation avec Drummy. Elle explique dans le détail comment, par le biais de son amant, les Sorenson lui soutirait de l’argent. Elle espérait l’épouser, mais c’était sans espoir. Cependant, la relation entre Lynn et Drummy va s’approfondir malgré tout, et comme cadeau de réconciliation, Lynn offre à Drummy une pompe à essence neuve ! Au point qu’ils projettent de se marier. Entre temps les deux tourtereaux ont viré les Sorenson de leurs relations. Amy ne l’entend pas de cette oreille et tente de s’opposer au mariage. Mais comme elle n’y arrive pas, elle va tenter de saboter le bateau de Drummy avec lequel les deux nouveaux mariés doivent partir en voyage de noces, en remettant en place la pompe à essence usagée. Le but est de faire couler le bateau afin que Lynn se noie et que Drummy s’en sorte. Lynn s’aperçoit du changement et croie que c’est son nouveau mari qui tente de l’assassiner pour s’emparer de sa fortune. Drummy tente de s’expliquer, mais Lynn l’assomme. Il se relève cependant, Lynn qui a peur se rapproche dangereusement de la rambarde. Mais elle est sauvé en réalité par la police qui entre temps vient d’arrêter Amy. Drummy s’explique rapidement et c’est la réconciliation finale. 

    La maison sur la plage, Female on the beach, Joseph Pevney, 1955

    Galley tente d’expliquer le drame qui a eu lieu dans la maison 

    Cette histoire invraisemblable ne pourrait pas être écrite de cette manière aujourd’hui. C’est excessivement bavard, ce qui est la conséquence de l’adaptation d’une pièce de théâtre. Il faut donc du talent à Pevney et à ses acteurs pour rester à suivre cette histoire jusqu’au bout. Pour cela il faut passer outre les grosses ficelles et s’attarder sur le sens que ce film peut avoir encore gardé aujourd’hui. Le premier aspect est le thème sulfureux d’un gigolo inconséquent qui va découvrir l’amour et faire amende honorable. Il y a dans la première partie du film un portrait étonnant, surtout pour l’époque, d’un homme sûr de lui et de l’attraction qu’il exerce sur des femmes mûrissantes et riches. Il est arrogant et bouffon. Une vraie tête à claques. Son cynisme est encouragé par un couple de vieux escrocs sans foi ni loi. Ajoutons à cet ensemble le policier Galley qui ne semble enquêter sur la mort d’Eloïse que pour le plaisir de draguer Lynn, et Amy qui, sous couvert de vendre la maison de Lynn, tente de la décourager de s’incruster non loin de Drummy dont elle est amoureuse, mais avec qui elle n’a aucune chance puisqu’elle n’est pas riche. Lynn est également une veuve vieillissante qui souffre d’une grande solitude et qui va tout faire pour se raccrocher au louche Drummy. Cette assemblée est fondamentalement amorale, et c’est ce qui fait sans doute l’intérêt de ce film. Les uns s’exercent au chantage, l’autre tente d’assassiner sa rivale, et Lynn elle-même a profité sans scrupule de la fortune de son mari décédé. Ce positionnement qui fait l’intérêt du film, rend invraisemblable l’évolution des personnages vers la rédemption. S’ils font semblant d’y croire, le spectateur ne peut pas les suivre sur ce chemin escarpé. 

    La maison sur la plage, Female on the beach, Joseph Pevney, 1955 

    Drummond se retrouve dans la maison de Lynn, comme chez lui 

    Cet ensemble de portraits fait apparaître le modèle américain de la famille et de la réussite financière comme un mensonge, et en ce sens le portrait de Drummy qui ne veut pas travailler est assez réjouissant. Surtout qu’il affiche clairement la couleur : il préfère vivre petitement aux crochets de son entourage plutôt que de se confronter au dur labeur et de viser la réussite. D’ailleurs, en se mariant avec Lynn, il ne prétend pas faire autre chose que de vivre à ses crochets. C’est bien là l’ambiguïté du film qui d’un côté tente de nous vendre une romance entre un jeune homme séduisant et une femme vieillissante, et de l’autre nous prévient de l’insolence de Drummond. Ce thème a été abordé déjà par Tennessee Williams avec son roman The roman spring of Mistress Stone, roman paru en 1950 et qui a fait l’objet d’une adaptation cinématographique en 1961 avec Vivien Leigh et Warren Beatty. Cette obsession selon laquelle l’argent peut tout acheter, y compris l’amour,  est donc ici férocement dénoncée dans le cadre idyllique de l’acquisition de biens matériels, la plage privée, la belle maison, le soleil et la mer. 

    La maison sur la plage, Female on the beach, Joseph Pevney, 1955

    Le couple Sorenson presse Drummy de séduire Lynn 

    Ces principes font que tous les efforts pour faire croire que Lynn ou Drummy pourraient devenir sympathiques à nos yeux échouent. On a beau rappeler que Drummy a été traumatisé par la mort de sa mère – ce qui a mécaniquement engendré un mépris de la gent féminine – on n’y arrive pas. D’autant que cela va être renforcé par une scène où il viole quasiment sous nos yeux Lynn qui est pourtant une dure à cuire. Le cynisme de ces gens est condamné sans le dire. Dans la relation entre Lynn et Drummy, il y a une lutte sans merci à travers le sexe pour le pouvoir. Mais la fin va apparaître comme un compromis hypocrite entre les deux amants. Il est remarquable d’ailleurs que les relations sexuelles multiples de Drummy soient étalées au grand jour. C’est inhabituel pour l’époque. Notez que dans les affrontements incessants entre Lynn et Drummy, il y aura une très longue interrogation pour savoir si le désir et l’amour finalement peuvent se confondre. Lynn avouera d’abord son désir sexuel pour Drummond, avant de dire que finalement elle l’aime. Son comportement est à ce propos à l’inverse de celui de la malheureuse Eloïse qui semble plus amoureuse qu désireuse d’avoir des relations sexuelles pour combler sa solitude. Et de ce fait elle est piégée par sa dépendance à ses sentiments. 

    La maison sur la plage, Female on the beach, Joseph Pevney, 1955 

    Lynn découvre par hasard le journal d’Eloïse 

    Le fait que l’histoire soit une pièce de théâtre adaptée à l’écran rend la réalisation délicate, puisqu’il faut en effet aérer un peu ces lourdes scènes dialoguées en présentant la plage, en introduisant quelques scènes de bateau. L’usage du grand écran est censé venir en aide. C’est proprement filmé, mais sans trop de signification, on déplace la caméra pour donner du rythme, mais c’est insuffisant, on s‘attarde toujours sur le champ contre-champ dans des face à face interminables. Les seules scènes significatives du point de vue de la grammaire cinématographique sont celles qui regardent la maison de Lynn d’en haut, avec la rambarde cassée, ou d’en bas pour lui donner une force écrasante et donc la faire exister comme un personnage annonçant le malheur. L’utilisation du journal d’Eloïse pour justifier des flash-backs introduit naturellement une subjectivité qui ne peut que troubler Lynn qui est amoureuse de Drummond. 

    La maison sur la plage, Female on the beach, Joseph Pevney, 1955

    Eloïse donnait beaucoup d’argent aux Sorenson 

    L’interprétation c’est d’abord Joan Crawford dans le rôle de Lynn. Elle avait déjà la cinquantaine, et bien sûr sa différence d’âge visible d’avec Jeff Chandler qui malgré ses cheveux blancs n’avait que 37 ans, renforce le caractère morbide de cette relation. Mais elle occupe bien l’écran et passe facilement de la révolte à la soumission, de l’arrogance à la peur. Jeff Chandler montre ici qu’il n’est pas qu’un acteur athlétique et un homme d’action. Il manie pas mal d’ironie, avec sa voix de basse chantée. Il ne faut pas oublié qu’il s’était d’abord fait connaître par des émissions à la radio et qu’il avait aussi enregistré des chansons avec succès. Je le trouve très bien. Les seconds rôles sont aussi excellents. Jan Sterling comme à son habitude joue le rôle d’une garce criminelle. Charles Drake est aussi très bon dans le rôle du « policier de plage » qui semble chercher tout autre chose que le coupable d’un meurtre. Le couple Sorenson, incarné par les vieux routiers Charles Kellaway et Nathalie Schafer, sont aussi très bons. 

    La maison sur la plage, Female on the beach, Joseph Pevney, 1955

    Drummy n’est plus pressé de séduire Lynn 

    On ne peut pas dire que ce film est un grand Pevney, bien qu’on lui ait donné les moyens chez Universal de réaliser un produit haut de gamme. Mais cet échec vient comme on l’a laissé entendre d’une adaptation d’une pièce de théâtre. Au cinéma, il y a deux genres qui sont difficiles, l’adaptation des pièces de théâtre, et le biopic, qui donnent rarement de bons films. Également le fait que les personnages soient tous antipathiques n’aide pas vraiment à faire passer les invraisemblances. La photographie est dû au prestigieux chef opérateur Charles Lang. Elle est sans doute trop lisse, pas assez stylisée pour renforcer le caractère dramatique de l’ensemble. La musique est vraiment catastrophique. On trouve aujourd’hui de très bonnes copies de ce film en Blu ray. Et en tous les cas, malgré ses défauts, il permet de rendre hommage à deux excellents comédiens. 

    La maison sur la plage, Female on the beach, Joseph Pevney, 1955

    Drummy tente d’expliquer à Lynn le remplacement de la pompe à essence 

    La maison sur la plage, Female on the beach, Joseph Pevney, 1955 

    La police a arrêté Amy 

    La maison sur la plage, Female on the beach, Joseph Pevney, 1955

     

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  •  Rendez-vous avec une ombre, The midnight story, Joseph Pevney, 1957

    Le titre américain est excellent et annonce mystère. The midnight story a été dépaysé à San-Francisco, une des trois villes les plus importantes en ce qui concerne le film noir. Bien que les auteurs de l’histoire et du scénario n’aient rien à voir avec ceux qui ont concocté Six bridges to cross, il y a une grande proximité entre les deux films, et pas seulement parce que Tony Curtis est présent dans les deux titres. D’abord une proximité thématique, l’amitié entre un policier et un criminel qui va se heurter à la nécessité sociale de combattre le crime. Ensuite, cette idée de situer socialement l’histoire dans un contexte matériel réaliste, ce qui impliquera d’utiliser au maximum les décors naturels de San Francisco. San Francisco a été longtemps la grande ville rebelle des Etats-Unis avec Chicago, l’idéal socialiste y était fortement représenté. Mais c’était aussi une ville autant criminelle que prolétaire, dans les années quarante et cinquante, elle est présentée comme particulièrement besogneuse. C’est une ville coincée par les éléments naturels, une ville dont on ne peut s’évader qu’en franchissant des ponts qui sont comme la promesse d’un ailleurs plus ou moins idyllique, ou alors par la mer. Cette ville chère à Jack London et à Dashiell Hammett est un personnage en soi, et on va voir que le newyorkais Joseph Pevney va en faire le meilleur usage.  Le scénario est dû à Edwin Blum, un scénariste originaire de San Francisco. Il a fait quelques Tarzan, un Sherlock Holme. Il restera plusieurs années sans travailler, ce qui me laisse croire – mais je n'en suis pas sûr – qu’il a été tenu à l’écart lors de la chasse aux sorcières. Mais il avait une renommée de ghost writer. Il est par ailleurs l’auteur du scénario Stalag 17 de Billy Wilder qui est sans doute, avec The midnight story ce qu’il a fait de meilleur. Et puis il a lancé en 1968 la célèbre série Hwaï Five-O. 

    Rendez-vous avec une ombre, The midnight story, Joseph Pevney, 1957

    Joe Martini vient revoir l’orphelinat où il a été élevé 

    Le père Tomasino a été lâchement poignardé dans son quartier. Cet assassinat émeut tout le monde car il était très aimé. Joe Martini, un policier de la circulation, est particulièrement affecté. Le’ jour de son enterrement, alors qu’il porte le cercueil, il est surpris par l’émotion de Sylvio Malatesta. Il va en parler à ses chefs qui ne prennent pas ça au sérieux. Mais Joe et obstiné. Il se retire de la police et va s’approcher de Sylvio. Il se rend compte que celui-ci est un homme bon et généreux. Ils sympathisent. Sylvio qui tient une sorte de restaurant de poissons et de fruits de mer, embauche Joe et se propose même de l’héberger. Joe va faire connaissance avec la famille. Il y a là la mère de Sylvio, son jeune frère, mais aussi sa cousine, la belle Anna. Tout en s’intégrant à la famille, Joe commence à collecter des informations. Il accompagne Anna au club où la famille a ses habitudes, mais il se rend compte que Sylvio n’est pas resté toute la soirée au jeu de cartes à son club comme il le prétendait le soir du meurtre de Tomasino. L’idée que Sylvio puisse être coupable ronge Joe. Il va remonter jusqu’à un certain Charlie Cueno qui est venu voir la famille Malatesta. Mais celui-ci dit devant tout le monde que Sylvio était avec lui le soir même du meurtre. Joe qui aime bien Sylvio est soulagé. Il annonce alors qu’il va se marier avec Anna à qui il plait et dont il est amoureux. Mais la police vient le voir, et lui indique qu’il a des informations sur Cueno qui en réalité n’était pas au club avec Sylvio, mais avec une certaine Veda Pinelli qu’il avait l’habitude de fréquenter sans que sa femme ne le sache. Tout est à recommencer. La police se propose d’arrêter Sylvio, mais Joe dit qu’il n’y a pas de mobile, ni de preuves pour le déférer devant un tribunal. Devant cet état de tension, Anna va faire sa propre enquête sur Joe et se rend compte qu’il est de la police. Elle est profondément choquée. Elle a une explication avec Joe qui lui ment et qui lui raconte qu’il a un problème qu’il doit régler tout seule. Le soir il va rejoindre Sylvio dans son restaurant et ils s’expliquent. Sylvio lui raconte que dans le temps il a tué une femme, en Italie, parce qu’elle se refusait à lui. Joe comprend que c’est pour cela qu’il a tué le père Tomasino, puisqu’en effet, après sa confession, le père lui a conseillé de se rendre à la police. Mais Sylvio ne l’a pas fait parce qu’il pensait que cela rendrait le reste de sa famille malheureuse. Quand Sylvio apprend que Joe est un policier, il est enragé, il pense qu’il a agi malhonnêtement y compris en prétendant épouser Anna. Ils se battent. Sylvio s’enfuit, mais il est renversé par un camion. Il décédera à l’hôpital. Avant de mourir il demandera à Joe de lui pardonner et lui demande aussi de veiller sur sa famille, maintenant qu’il va disparaître. 

    Rendez-vous avec une ombre, The midnight story, Joseph Pevney, 1957

    Joe pense que Sylvio Malatesta est peut-être coupable 

    Joe est un orphelin à la recherche d’une famille, mais en la trouvant, il va la détruire en éliminant son chef, le sympathique Sylvio. Joe est donc un personnage ambigu puisqu’en s’introduisant dans la famille Malatesta il va la trahir pour assouvir un désire louche de vengeance. Cette position le laisse amer et plein de culpabilité. Et cette culpabilité enfle encore plus quand il tombe amoureux d’Anna et que cette relation est encouragée officiellement par Sylvio. Mais celui-ci n’est pas moins ambigu, il est en effet un homme généreux et bon, accueillant avec Joe, distribuant à manger aux enfants pauvres du quartier, mais c’est aussi un assassin. Il aura commis deux meurtre le second n’est que la conséquence du premier qu’il avait commis sur un coup de tête. Dès lors la famille apparaît soudée sur ses secrets, et il vient que si ces secrets étaient révélés, la famille n’y survivrait pas. La famille est le lieu du mensonge, c’est la seule manière qu’elle perdure. On comprend alors que la famille n’est pas vue comme un idéal, pas plus que comme une institution qui empêche les gens de vivre leur vie. Ici elle est liée à la communauté italienne. Ce sont tous des Italiens immigrés de plus ou moins longue date et qui reproduisent aux Etats-Unis les formes originelles du clan. C’est de cette manière qu’ils sont attachés à l’Eglise catholique et à leur prêtre qui est aussi un des leurs

    Rendez-vous avec une ombre, The midnight story, Joseph Pevney, 1957

    Joe s’est fait embaucher par Sylvio

    Périodiquement Joe retournait à son orphelinat, et de même il s’attachera à la famille Malatesta. Son choix va être cornélien, le devoir lui impose de livrer Sylvio, son cœur ne le peut pas. L’accident le sauvera de ce dilemme. Joe est en permanence à la recherche d’un père, c’est comme ça qu’il voit son supérieur dans la police, le sergent Gillen, c’est aussi comme ça qu’il voit le père Tomasino et même Sylvio qui le prend spontanément sous son aile ; sans rien lui demander et évidemment en luttant contre lui Joe fait le travail de l’émancipation, du meurtre du père.  Cette famille Malatesta est faite de solitaires qui se serrent les coudes. La mère est veuve, Sylvio a perdu son amour et ne peut se résoudre à se marier, Anna est orpheline comme Joe. Personne n’a confiance en personne, Joe ne dit rien de ce qui le tourmente à celle-ci, ou il lui ment, et Anna à son tour enquête sur lui. 

    Rendez-vous avec une ombre, The midnight story, Joseph Pevney, 1957

    Dans une salle de billard il obtient des informations sur Sylvio 

    Dans conduite du récit, les séquences d’enquête sur Sylvio et son alibi alternent avec les scènes de la vie de famille, du labeur, des fêtes qui ponctuent l’ordinaire. Il y a un équilibre parfait entre les deux. L’excellence de la mise en scène tient d’abord à l’utilisation du cinémascope qui fait sortir ce film du cycle classique du film noir. Cela permet à Pevney d’intégrer de nombreux éléments du quotidien de la ville de San Francisco. Cependant, il évite de filmer le Golden Gate, ou le pittoresque du quartier chinois, ou les rues en pente forte. Dans le film on verra du reste le sergent Gillen se moquer des touristes. Pevney préfère regarder la ville de loin, du haut des collines qui l’entourent et qui l’enferment comme dans un écrin, ou alors il travaille sur l’atmosphère besogneuse du port. Le format large commande l’action et ne permet pas de s’attarder sur les gros plans, il est plus exigeant. Il implique aussi d’avoir une photo moins contrastée, plus réaliste et de travailler un peu plus la profondeur de champ. C’est ce qui donne une allure moderne et qui accompagne la musique plutôt jazzy dans l’ensemble. Cela va bien avec la volonté de réalisme qui est celle du film. Les décors, les ambiances, sont très travaillées. 

    Rendez-vous avec une ombre, The midnight story, Joseph Pevney, 1957

    Charlie Cueno donne des indications qui semblent innocenter Sylvio 

    Les scènes où les mouvements de foule sont requis sont particulièrement réussies, que ce soit l’enterrement du père Tomasino, ou le bal, ou encore l’annonce du mariage prochain de Joe avec Anna. Pevney s’attarde sur les gestes de Joe ou de Sylvio quand ils travaillent dans le restaurant. Les scènes de bagarres sont plus banales. Mais il y a pas mal d’astuce dans le scénario qui permettent d’ancrer l’histoire dans le quotidien, par exemple cette femme, Veda Pinelli, qui trompe son mari et qui a l’air d’une ménagère ordinaire, plus très jeune, mais qui manifeste encore des envies certaines. 

    Rendez-vous avec une ombre, The midnight story, Joseph Pevney, 1957

    Joe annonce son mariage avec Anna devant tous les invités 

    L’interprétation est très homogène et excellente. D’abord Tony Curtis dans le rôle du jeune Joe Martini, tourmenté, mais allant de l’avant. C’est à mon sens un de ses meilleurs rôles, et il a bien progressé depuis Six bridges to cross. Gilbert Roland est le grandiloquent et généreux Sylvio. Il est remarquable quand il exprime tour à tour la tendresse, joyeuse, puis les tourments de l’assassin qui n’arrive pas à oublier ses crimes. Il for(me un beau duo avec Tony Curtis. Marisa Pavan est elle aussi excellente dans le rôle d’Anna, à la fois coléreuse et éplorée. Cette artiste d’origine italienne, qui vit maintenant en France sur la Côte d’Azur, avait commencé sa carrière avec John Ford. Elle était la sœur jumelle de Pier Angeli qui fit, elle aussi, une brillante carrière. Je pense qu’elle était meilleure actrice que sa sœur. Mais elle n’a pas poussé très loin son avantage. Les seconds rôles sont très choisis. Jay C. Flippen dans le rôle du sergent Gillen est excellent, comme toujours évidemment. On reconnaitra aussi Ted de Corsia dans le lieutenant Kilrain, très bien aussi mais le rôle est petit. Argentina Brunetti qui incarne la mama Malatesta est aussi remarquable de justesse. Cette interprétation haut de gamme contribue pleinement à la force émotionnelle du film. Peggy Maley dans le rôle de Veda Pinelli qui trompe son mari parce qu’elle ne peut pas s’en empêcher vaut aussi le détour. Un œil exercé reconnaitra Kathleen Freeman dans le petit rôle de Rosa Cueno. Cette actrice devait par la suite devenir célèbre à cause de ses rôles dans les films de Jerry Lewis qu’elle tourmentait en permanence ! 

    Rendez-vous avec une ombre, The midnight story, Joseph Pevney, 1957

    Joe revient sur l’innocence de Sylvio 

    C’est peut-être le meilleur film de Joseph Pevney. En tous les cas c’est un excellent film noir. Il est l’annonce du néo-noir et ce glissement vers un renouvellement de l’esthétique du genre. En France on trouve ce film en DVD dans une version récente, mais pourrie, chez ESC. C’est à, partir d’elle que j’ai fait les captures d’écran, l’image est terne et mal définie. En plus les sous-titres fonctionnent de manière capricieuse et de temps en temps ils ne sont plus là ! Ce film qui a eu du succès à sa sortie, a maintenant obtenu une reconnaissance critique certaine. Je ne suis pas le seul à en dire du bien. Il aurait mérité une plus belle facture dans une version numérisée en Blu ray par exemple. Mais comme le marché est assez étroit, je doute qu’on le voit sous ce format avant longtemps. 

    Rendez-vous avec une ombre, The midnight story, Joseph Pevney, 1957

    Anna apprend que Joe est un policier 

    Rendez-vous avec une ombre, The midnight story, Joseph Pevney, 1957

    Sylvio est mort, renversé par un camion  

    Rendez-vous avec une ombre, The midnight story, Joseph Pevney, 1957

    Joe va pardonner à Sylvio avant de recevoir l’extrême onction

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  •  Séance de signature à la Librairie le Pic Vert à Fuveau samedi 5 mars 2022

    Samedi 5 mars je serais accueilli par l’ami Florent Alfornel en sa librairie Le Pic Vert de Fuveau tout près d’Aix-en-Provence. Je serais là à partir de 10 heures pour présenter mon dernier roman et pour papoter un brin du roman noir, de la poésie vénéneuse des Quartiers Nord de Marseille et du crime bien entendu. Il n’y a pas de roman noir sans crime !

    Séance de signature à la Librairie le Pic Vert à Fuveau samedi 5 mars 2022

     

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  •  La police était au rendez-vous, Six bridges to cross, Joseph Pevney, 1955

    Quelques années plus tard, Pevney va retrouver Tony Curtis. Cette fois c’est un vrai film noir. Le sujet est basé sur un roman de Joseph F. Dinneen, un ex-journaliste bostonien, qui a choisi de romancer un casse spectaculaire de plus de 2 500 000 de dollars en 1950. Le cerveau de ce casse était un dénommé Anthony Pino qui servira de modèle au personnage de Jerry Florea. Contrairement à ce qu’on voit dans le film, ils étaient onze et non pas 5 pour réaliser ce coup. Pino n’avait rien d’un personnage à la Tony Curtis, c’était un petit gros surnommé « Fats ». C’était à l’époque le plus gros coup jamais réalisé aux Etats-Unis. Les gangsters ne seront capturés qu’en 1956, soit après la sortie du film de Pevney. Leur arrestation interviendra quelques jours avec la prescription des poursuites et bien spur sur la dénonciation d’un des complices qui était en prison pour une autre affaire et qui avait apparemment peur d’être assassiné pour l’empêcher de parler. Une toute petite partie de l’argent a été retrouvée. Cette affaire extraordinaire a été l’objet d’un autre film, bien plus tard que celui de Pevney, The brink’s job de William Friedkin, avec Peter Falk en 1978, c’est curieusement ce film et non pas celui de Pevney qui est cité comme illustration de ce casse célèbre, alors que Friedkin a utilisé les noms des vrais protagonistes mais pour les tourner en dérision ce qui en fait un film ridicule sans aucun rapport avec le sujet. C’est une histoire dramatique et pas du tout une fable grotesque, en outre la bande à Pino ce n’était pas du genre Pieds Nickelés, mais des gangsters redoutables et chevronnés. Ce n’est pas parce qu’on pique ici et là quelques éléments de vérité que l’histoire est crédible, à mon sens, il vaut mieux encore inventer et donc ne pas utiliser les noms véritables. C’est le FBI qui fut chargé de l’enquête avec peu de résultats par rapport aux moyens mis en œuvre, bien que Pino ait été soupçonné pour avoir par le passé réalisé des coups semblables, sans coups de feu, avec des masques et des gants qui empêchaient les identifications[1]. Pino avait un alibi intéressant, puisqu’au moment du vol, non seulement on l’avait vu dans un débit de boissons, mais il avait aussi discuté avec un policier. Ce sont les policiers du FBI qui ont essayé de faire pression sur Pino en le menaçant de l’expulser parce qu’il avait omis de signaler des fautes qu’il avait commises par le passé. Mais cette ruse tomba à l’eau. En vérité le FBI ne résolut l’affaire que parce qu’O’Keefe, un des casseurs, se décida à parler, probablement contre une remise de peine et sans doute parce qu’il avait peur qu’on n’attente à sa vie[2]. 

    La police était au rendez-vous, Six bridges to cross, Joseph Pevney, 1955 

    Ces longs développements sont utiles pour comprendre les rapports que la fiction entretient avec la réalité. Il faut noter encore que le film va utiliser quelque chose qui va devenir récurrent dans le film de casse, le masque, et plus encore l’uniformité des masques qui trouble justement les témoignages. Dans la réalité les gangsters ont bien utilisé des casquettes, des gangs, mais ils ont recouvert leurs visages avec des masques d’Halloween. Mais le scénario ne tourne pas seulement autour d’un casse spectaculaire. Il va développer une analyse des conditions matérielles de la délinquance, ce qui va l’amener à regarder de loin les rapports compliqués que la société entretient avec elle. Cela convient bien à Pevney qui a su souvent conserver une fibre sociale dans la conduite de ses récits. Sydney Boehm qui signe le scénario a travaillé sur des grands scénarios de films noirs. Je ne peux pas tous les citer, mais rappeler qu’il a signé l’excellent scénario de Rogue cop de Roy Rowland, qu’il a beaucoup travaillé avec Rudolph Maté, on lui doit, entre autres, Union Station, The big heat de Fritz Lang, mais aussi Violent Saturday de Richard Fleischer. Ces scénarios ont tous en commun de mettre en scène une violence explosive et aussi les ambiguïtés de la police. Sur ce dernier thème, avec Six bridges to cross, on va être servi ! 

    La police était au rendez-vous, Six bridges to cross, Joseph Pevney, 1955 

    Gallagher a gravement blessé le jeune Jerry 

    Jerry Florea est un jeune délinquant, il devient chef de bande, mais se heurte périodiquement à l’agent Gallagher qui tente de le sermonner pour le remettre dans le droit chemin. Une nuit, Jerry est piégé dans un cambriolage, Gallagher tire et le blesse. La conséquence est que Jerry ne pourra jamais avoir de gosse. Mais Jerry ne lui en veut pas. La malchance le poursuit. Il continue sa vie de délinquant, il va pourtant aller en prison pour un viol qu’il n’a pas commis, ne voulant balancer personne. A sa sortie de prison, il passe un marché avec Gallagher, il lui donne des informations sur les voyous qui empiète sur son territoire. Ce qui permet au policier de grimper rapidement des échelons. Jerry monte un gros coup, il arnaque les paris hippiques. Il va retourner en prison. Il va tenter de se faire libérer en s’engageant dans l’armée avec l’appui plus ou moins sincère de Gallagher. Il échoue encore parce qu’il n’a pas la nationalité américaine. A sa sortie de prison, il va s’occuper de stations-services, et se marier avec une veuve de guerre qui a déjà trois enfants. Mais comme il a beaucoup dépensé, il va vouloir se renflouer. Il a l’idée de monter un coup énorme, le casse du dépôt de la Brink’s. il s’arrange pour avoir un alibi, puisque tandis que le coup a lieu, il est invité avec sa femme chez Gallagher. Le coup rapporte plus de deux millions de dollars. Mais les soupçons se portent vers lui. Gallagher menace de le faire expulser s’il ne livre pas l’argent et s’il ne dénonce pas ses complices. Ce chantage odieux ne fonctionne pas. Jerry va être brièvement incarcéré. Mais à sa sortie c’est sa femme qui annonce qu’elle le quitte parce qu’elle a compris qu’il n’était qu’un truand ! Dépité Jerry va accepter de livrer le butin. Mais ses complices ne l’entendent pas de cette oreille, une fusillade s’ensuit, Gallagher intervient, Jerry expire dans ses bras. 

    La police était au rendez-vous, Six bridges to cross, Joseph Pevney, 1955 

    Jerry purge une peine pour un crime qu’il n’a pas commis 

    L’histoire s’étend sur une vingtaine d’années. Au-delà du fait que Jerry est malchanceux, il y a d’abord un affrontement entre le bien et le mal. Gallagher est le bien officiel, et Jerry le mal désigné par l’administration. Mais à tout prendre, on se rend compte que le plus fumier des deux c’est bien Gallagher. Non seulement il blesse lourdement Jerry, au point de le rendre impuissant et stérile – autrement dit il le castre – mais il tente de le faire chanter d’une manière odieuse. Cet antipathique n’a guère de remords et se sert clairement de l’amitié de Jerry pour grimper les échelons sous couvert de morale publique. Jerry est manifestement en quête du père, et son martyre c’est bien celui d’attendre quelque chose de ce fumier de Gallagher. Mais il est optimiste et souriant, autant que Gallagher est sinistre et combinard. Cette opposition est remarquable, parce que sans le dire le film va bien au-delà de la traditionnelle ambigüité des personnages. C’est un des portraits les plus fins d’un flic pourri. Jerry c’est un peu comme Jésus, il tend toujours la joue gauche quand on le frappe sur la joue droite. Si Gallagher est un pourri, on voit bien qu’il culpabilise. Au fond il envie Jerry qui est bien moins compromis que lui qui subit la hiérarchie policière, qui se fait poursuivre devant le tribunal et qui porte sur son dos des dettes pour s’acheter un petit pavillon de banlieue merdique. Il est bien moins libre que Jerry au fond qui conservera plus lontemps que lui son intégrité. 

    La police était au rendez-vous, Six bridges to cross, Joseph Pevney, 1955

    La bande à Jerry a monté une arnaque aux paris hippiques 

    Certes Jerry n’est pas tout d’une pièce et quand il donne des tuyaux à Gallagher, on comprend qu’il fait ce compromis uniquement pour lui plaire et se faire adopter. Mais c’est un rebelle dans l’âme qui n’accepte pas la société telle qu’elle est et l’horizon moutonnier qui lui est proposé. Le propos de Pevney est clairement de rendre sympathique Jerry – incarné par le souriant et photogénique Tony Curtis – et antipathique le trop bien coiffé Gallagher. Jerry vient d’une famille misérable d’immigrés italiens. Gallagher est un policier plus ou moins consciencieux, mais routinier et obsédé par son avancement. Cependant il y a une autre dimension : Jerry est d’abord un joueur. Il aime le risque et suppose que la vie ne vaut pas un clou si on ne la risque pas. C’est ce qui le rend imperméable aux sermons hypocrites de Gallagher. Du fait de sa position sociale, Jerry est coincé entre deux institutions, l’Eglise ne l’aime pas, mais prend son argent tout de même, la police le pourchasse. La troisième institution, l’armée, ne veut pas de lui. Dans ce contexte les rares moments où Gallagher l’appuie, apparaissent comme un échange de services bien compris. Et bien sûr un échange désigne le plus souvent un gagnant et un perdant. Le perdant c’est toujours Jerry. 

    La police était au rendez-vous, Six bridges to cross, Joseph Pevney, 1955

    En prison Jerry va tenter de se faire enrôler dans l’armée pour aller se battre 

    La mise en scène est excellente. D’abord il y a tout le début qui montre les quartiers populaires de Boston. Sans appuyer sur la crasse ambiante, on comprend d’où vient Jerry. Il est dépenaillé, face au bien portant et bien coiffé Gallagher, un peu trop propre sur lui. L’utilisation de l’écran large et des décors réels de Boston font que ce film sort des codes traditionnels du cycle classique du film noir. Il y a pourtant une persistance des formes géométriques qui en font toutefois l’héritage. La manière de filmer la prison est à ce titre tout à fait remarquable, avec des plans larges qui saisissent la dimension écrasante des lieux. Melville avait certainement vu ce film qui contient une séance de retapissage, mais surtout la rencontre de Gallagher et de Jerry dans la station aérienne du métro de Boston, cette scène anticipe de celle qui verra Jeff Corey dans Le samouraï affronter sur un pont qui surplombe une voie de chemin de fer un tueur à gages. Il est clair que Jerry qui arrive tout souriant à ce rendez-vous clandestin va à la rencontre de sa mort. 

    La police était au rendez-vous, Six bridges to cross, Joseph Pevney, 1955

    Gallagher attend des informations de Jerry 

    Bien entendu le clou du film c’est le hold-up proprement dit. Si Pevney s’est inspiré naturellement des photos d’époque publiées dans les journaux, il tire un parti pris novateur : les gangsters masqués à l’identique, portant des casquettes et des blousons pour conserver un peu mieux leur anonymat, avance suivant une progression géométrique en diagonale qui leur donne une forme inexorable. la façon de pénétrer l'entrepôt servira de modèle à Melville pour le casse du Cercle rouge. On peut mieux mesurer la maîtrise technique de Pevney si on compare la même scène avec celle filmée par William Friedkin dans The Brink’s job. Quand Pevney film la mise en accusation de Gallagher devant le Grand Jury, on a l’impression qu’il se réfère à la chasse aux sorcières menée par l’HUAC et qui à cette époque est encore fortement présente dans les mémoires. Gallagher est film d’abord un peu de loin, pour montrer combien il est écrasé par le tribunal. Puis le procureur s’approche, distillant des questions qui manifestement n’ont rien à voir avec le sujet, mais cherche seulement à nuire. Pevney n’utilise pas seulement les plans larges uniquement dans ce cas, il s’en sert aussi pour mettre en évidence les relations entre Gallagher et Jerry autour d’une table un peu guindée lors d’un dîner qui servira d’alibi à Jerry. La fusillade finale est remarquablement bien tournée. Quand Jerry meurt dans les bras de Gallagher, ça sonne comme un acte d’accusation envers celui qui se prétendait son ami - cette scène a inspiré Melville pour la fin du Cercle rouge quand on voit Jansen mourir presque dans les bras du commissaire Mattei. Son suicide est un acte d’accusation d’une amitié trahie et c’est cela plus que sa mort qui déclenche l’émotion. 

    La police était au rendez-vous, Six bridges to cross, Joseph Pevney, 1955

    La bande à Jerry attaque le dépôt de la Brink’s 

    L’interprétation dans ce film Universal où Pevney et Tony Curtis étaient sous contrat, est excellente. Tony Curtis est remarquable de fraîcheur candide dans le rôle de Jerry. Ce rôle a fait beaucoup pour le reste de sa carrière, montrant une grande capacité d’adaptation, au-delà de son rôle de beau gosse. Il est vrai que ce rôle devait lui plaire, puisqu’en effet, il était issu du Bronx et avait eu un comportement de délinquant dans son jeune âge. Sauf que lui aura plus de chance que Jerry et fera par la suite une carrière brillante. Son faire-valoir, c’est le pâle George Nader dans le rôle de Gallagher. Mais sa raideur passe assez bien puisqu’il incarne un personnage sans beaucoup d’empathie, prisonnier de ses contradictions profondes. Julie Adam qui incarne sa femme est très bien, elle a cette capacité de montrer qu’avant de juger elle sait comprendre et ne semble pas toujours suivre son mari dans ses élucubrations vindicatives. Sal Mineo est assez peu présent dans le film, il incarne Jerry dans son jeune et se révèle un très bon acteur. Il est a noté que Clint Eastwood avait postulé pour le rôle mais Pevney n’en a pas voulu, et bien sûr il avait raison. Le vétéran Jay C. Flippen est Concannon, le bourru supérieur de Gallagher. Il a joué des dizaines de rôle de ce type, toujours avec une grande facilité. 

    La police était au rendez-vous, Six bridges to cross, Joseph Pevney, 1955

    Gallagher est à son tour soupçonné de couvrir Jerry 

    Le film fut très bien reçu par la critique qui pour une fois s’est rendu compte tout de suite de la densité du sujet sous les dehors d’un film de genre et a salué la mise en scène de Pevney. Le public a suivi, ce fut un gros succès pour Universal. Avec le temps la réputation de ce film s’est renforcée, même si on ne veut toujours pas lui donner le label de chef-d’œuvre, et même si en France on persiste à considéré Pevney comme un cinéaste mineur. Le titre est excellent, le générique se déroule sur une chanson interprétée par Sammy Davis jr qui deviendra aussi un grand succès. Sans être forcément introuvable, ce film est un peu dans l’ombre. Il mériterait pourtant une réédition en Blu ray. 

    La police était au rendez-vous, Six bridges to cross, Joseph Pevney, 1955 

    Sorti de prison, Jerry se fait larguer par sa femme 

    La police était au rendez-vous, Six bridges to cross, Joseph Pevney, 1955

    Jerry annonce à sa bande qu’il va rendre l’argent de la Brink’s 

    La police était au rendez-vous, Six bridges to cross, Joseph Pevney, 1955

    Jerry meurt dans les bras de Gallagher 

    La police était au rendez-vous, Six bridges to cross, Joseph Pevney, 1955 

    La police était au rendez-vous, Six bridges to cross, Joseph Pevney, 1955 

    La police est sur les lieux du casse. Cette image publiée dans The Boston Globe sera utilisée dans le film de Pevney pour donner de l’authenticité



    [1] https://www.fbi.gov/history/famous-cases/brinks-robbery

    [2] Mike Mayo, American murder: criminals, crime and the media, Visible Ink Press, 2008.

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  •  Flesh and fury, Joseph Pevney, 1952

    Evidemment, le film de boxe a beaucoup évolué au fur et à mesure que c’est devenu un sport de moins en moins populaire. L’excellent Raging bull de Martin Scorsese fut en 1980 sans doute le dernier film important du genre. La série des Rocky lui avait asséné un coup fatal dont il ne s’est jamais remis. En 1949, Champion de Mark Robson avait lancé véritablement la carrière de Kirk Douglas. Mais le film de boxe date au moins de 1915 avec The champion – ce titre sera repris maintes fois – de Charlie Chaplin où la thématique récurrente de ce sous-genre était portée par la dérision. De grands acteurs ont incarné un boxeur avec ses problèmes de défaite, de victoire héroïque, qui tel le phénix renait de ses cendres. Wallace Beery en 1931 avait fait un succès énorme avec The champ. James Cagney qui avait fait un peu de boxe dans son jeune âge incarna un jeune boxeur dans Winner take all en 1932 sous la direction de Roy Del Ruth. En 1936 il incarnera un ancien boxeur dans Great guy sous la direction de John G. Blystone. De grands acteurs ont voulu incarner des boxeurs, comme Paul Newman dans le très bon
    Somebody Up There Likes Me de Robert Wise. C’est aussi vrai en France avec Alain Delon qui sera martyre et boxeur dans Rocco e i suoi fratelli de Visconti et bien sûr pour Belmondo qui sera Michel Maudet, boxeur raté, dans L’ainé des Ferchaux en 1963. Cette attirance du cinéma pour la boxe s’explique par le fait que ce sport est excessivement dramatique, exhibant souvent un masochisme auquel on n’est pas habitué. 

    Flesh and fury, Joseph Pevney, 1952

    Sonia est excitée et fascinée par le combat de Paul

    Joseph Pevney est un réalisateur très sous-estimé. A mon sens il était tout à fait fait pour le film noir, il s’est pourtant perdu un peu dans d’autres genres, comme le film de guerre par exemple. Il avait d’ailleurs commencé sa carrière comme acteur aux côtés de John Garfield dans Nocturne, puis dans Body and Soul de Robert Rossen en 1947. Ce dernier film était déjà un très bon film de boxe. Mais très souvent le film de boxe est un sous-genre du film noir. Sans doute parce que ce sport très décrié aujourd’hui était un loisir populaire où on ne pouvait compter que sur soi-même pour vaincre, du moins en théorie parce que le trucage de combat est un autre aspect du film de boxe, souvent pour dénoncer non seulement la corruption, mais aussi le dévoiement d’un sport qui se voulait noble. Flesh and fury est déjà le septième film de Joseph Pevney comme réalisateur, et c’est le premier des trois qu’il fera avec Tony Curtis. Pevney aimait bien tourner avec Jeff Chandler ou avec Tony Curtis. Et c’est sans doute lui qui leur a donné leurs meilleurs rôles. Outre sa participation en tant qu’acteur à Body and soul, Pevney avait dirigé un autre film de boxe, Iron man avec Jeff Chandler, d’après une histoire du grand W. R. Burnett[1]. Le film de boxe est souvent aussi porteur d’un message social, parce que ce sport était surtout pratiqué par les classes populaires. Dans son jeune âge Pevney était classé très à gauche, juif newyorkais comme John Garfield dont il était l’ami, il était très sensible à la question de l’antisémitisme. A Hollywood il se dispersera un peu dans les films de genre, comédie, films de guerre, western. Vers la fin de sa carrière il bifurquera comme beaucoup vers la télévision. Mais sa dispersion le condamnera à être considéré par le critique au mieux comme un bon technicien. 

    Flesh and fury, Joseph Pevney, 1952 

    Sonya veut séduire Paul et se propose comme intermédiaire avec Pop Richardson 

    Paul Callan est un boxeur amateur. Mais il est remarqué à la fois par un ancien entraineur, Pop Richardson, et une jeune femme, Sonya Bartow. Il est sourd et muet, aussi Sonya qui le connait à peine mais qui l’a séduit, se propose comme intermédiaire. il commence à gagner des combat. Sonya va le pousser vers la gloire, même s’il y a des risques. Paul va donc combattre un peu contre l’avis de Pop pour le titre de champion des poids welters. Il s’entraine durement. Mais à son camp d’entrainement, Une jeune femme, Ann, vient pour l’interviewer. Elle est en effet la fille d’un riche architecte qui était lui aussi sourd et muet. Elle comprend le langae des signes et commence à communiquer avec lui, lui parlant de sa passion pour les bateaux et pour la mer. Une certaine complicité se développe entre eux. Le jour du grand combat, Paul commence par perdre pied, mais il se ressaisit et l’emporte. Dès lors et sous l’influence d’Ann, il va tenter une opération à Baltimore. Celle-ci réussit, mais Paul va continuer pour apprendre à parler. Une fois cela accomplit, il revient vers Ann. Mais son entourage riche et superficiel le fait fuir et retourne vers Sonya. Il va reprendre son métier de boxeur et défendre son titre contre Logan. Cependant un télégramme du médecin lui déconseille de revenir à la boxe au risque de reperdre une nouvelle fois l’ouïe. Sonya subtilise le télégramme car elle veut l’argent du combat. Mais Paul s’en aperçoit et la met à la porte. Le combat va être difficile, il va au sol plusieurs fois car le bruit des milliers de spectateurs lui fait mal. Il finira pourtant par l’emporter car après une avalanche de coups il redevient sourd ce qui lui permet de retrouver sa hargne. Cette victoire qui contrarie Sonya va lui faire retrouver Ann en même temps que l’ouïe ! 

    Flesh and fury, Joseph Pevney, 1952 

    Sonya va pousser Paul à faire un combat pour lequel il est mal préparé 

    Le boxeur est déjà par essence un martyre dont tout le monde use et abuse. Mais ici ce martyre est prolongé par son handicap ce qui le rend dépendant de Sonya. Certes la nocivité de cette femme est compensée par Pop Richardson, mais cela ne suffit pas pour le retenir de tomber dans les pièges les plus grossiers. Son sauvetage viendra d’Ann qui le comprend parce que justement elle a eu un père sourd et muet, et qu’étant très riche, elle n’en veut pas à son argent, contrairement à Sonya qui est cupide. Mais au-delà de cette différence de caractère les deux jeunes femmes se ressemblent en ce sens qu’elles luttent toutes les deux pour garder le contrôle sur Paul. Elles rentrent dans une lutte sournoise entre elles et le caractère enfantin du jeune boxeur semble ne pas s’en rendre compte. Mais quel que soit son choix final, il reste toujours dépendant de « la » femme. Mieux encore il s’abandonne à leur pouvoir. On voit ici une inversion totale des rôles. C’est bien Paul le caractère féminin, désiré par deux femmes en même temps qui luttent, l’une avec virulence, l’autre par se présence bienveillante. Elles endossent donc toutes les deux cette rivalité qui traditionnellement est l’apanage de mâles. Pour se décider, Paul aura besoin d’abord de se tromper en s’éloignant d’Anne, mais il lui faudra aussi prendre des décisions difficiles pour se faire opérer, ce qui lui permettra d’entendre et de se faire entendre. 

    Flesh and fury, Joseph Pevney, 1952

    Paul arrive à communiquer avec Ann dont le père était aussi sourd 

    L’autre aspect de cette lutte entre femmes est qu’elle recouvre une lutte des classes larvée. Ann est une fille gâtée par sa naissance, elle vit dans le luxe et l’oisiveté. A l’inverse on comprend que la vie n’a pas été tendre avec Sonya. Mais en fréquentant Ann, Paul va être effrayé par la superficialité et la suffisance des gens de son milieu. Il s’en retourne chez Sonya. Ce faisant, c’est lui qui va donner sans le savoir une leçon à Ann. C’est une fille de bonne volonté, et elle apprendra finalement de Paul. 

    Flesh and fury, Joseph Pevney, 1952 

    Sonya tente de montrer que Paul lui appartient 

    Dans cette lutte pour le pouvoir de contrôler Paul, il ne faut pas oublier l’entraineur. Il est d’autant plus compliqué que les déboires qu’il a eu avec un jeune boxeur avant de rencontrer Paul l’ont rendu méfiant. Il culpabilise de son décès. Mais pour l’amour de l’art, et avec le soutien de sa femme, il va passer outre ses propres réticences. Il se comporte aussi un peu comme un père de substitution, renforçant ainsi le côté « famille » de ce film. Ann et Paul arrivent cependant à desserrer l’étau de leur condition sociale en s’évadant dans le rêve, c’est le sens de leur complicité dans l’amour de la mer et du bateau. En s’isolant sur l’eau, ils échappent à leur entourage et à la matérialité de leur destin. Ils passent ainsi dans un autre monde et cette parabole donne son sens au film. On remarque que quand les combats ont lieu, Sonya semble jouir des coups que prennent les boxeurs, tandis qu’Ann souffre presque dans sa chair. 

    Flesh and fury, Joseph Pevney, 1952

    Paul a gagné son titre 

    La réalisation est bonne, mais plutôt faible dans les combats de boxe, on a vu mieux, notamment avec Body and soul où les innovations dans la manière de film un combat de boxe étaient nombreuses[2]. Et cela ne vient pas de Tony Curtis qui reste assez crédible dans la peau d’un boxeur. Mais c’est peut-être qu’au fond, Pevney s’intéresse moins aux combats des boxeurs qu’aux combats entre Ann et Sonya ou entre Sonya et Paul. Le découpage est très bon, et le montage fait surgir plusieurs fois l’émotion, par exemple quand Paul retrouve l’ouïe et qu’il entend le bruit de la pluie pour la première fois, ou encore quand l’infirmière se rend compte qu’il entend. Il y a déjà de l’aisance dans les mouvements de caméra et les changements d’angle de prises de vue. 

    Flesh and fury, Joseph Pevney, 1952

    Sonya enrage quand elle sent que Paul lui échappe 

    Ce n’est pas un film fauché, mais ce n’est pas non plus un film à gros budget. La vedette est le jeune Tony Curtis. Bien que durant un peu plus de la moitié du film il n’ait rien à dire, il a une présence qui compense l’absence de dialogue. C’est seulement son deuxième film en tant que personnage important. Il tournera encore avec Joseph Pevney, cette fois dans deux vrais films noirs. Il venait de signer un contrat qui le liait durablement avec Universal, et déjà il manifestait un grand talent. Derrière lui il y a d’abord Jan Sterling dans le rôle de Sonya qui, une fois encore, apporte énormément à l’intérêt du film. Elle crie, elle tempête, elle devient violente avec une vérité étonnante. Rien que pour elle on doit voir ce film. Ensuite, c’est Mona Freeman qui incarne la sage Ann. Elle n’a pas vraiment d’éclat, mais c’est aussi un peu le rôle qui veut ça puisqu’elle joue la jeune fille sage de bonne famille. Elle manque sans doute un peu d’émotion. Wallace Ford incarne Pop Richardson, c’est un rescapé de la chasse aux sorcières. Abonné aux rôles de père de famille compatissant – il jouait le rôle du père de Shelley Winters aux côtés de John Garfield dans He ran all the way – il est toujours très juste sans effort. 

    Flesh and fury, Joseph Pevney, 1952 

    Le docteur est content, l’opération a réussi 

    Ce film n’est pas disponible sur le marché français, c’est un grand tort, car à défaut d’être un chef d’œuvre il soutient bien l’intérêt du spectateur, c'est un bon film noir. Ce film n’est d’ailleurs jamais sorti en salle en France. Mais il est vrai que certains films de Joseph Pevney ne sont pas du tout visibles, comme par exemple Shakedown qui est son premier film. Un vrai film noir celui-là, mais impossible de le voir

    Flesh and fury, Joseph Pevney, 1952 

    Paul se retrouve dans une institution pour apprendre à parler 

    Flesh and fury, Joseph Pevney, 1952

    Voyant que Sonya lui a caché le télégramme, il la met à la porte 

    Flesh and fury, Joseph Pevney, 1952

    Paul a gagné son combat



    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/iron-man-joseph-pevney-1951-a117307348

    [2] http://alexandreclement.eklablog.com/sang-et-or-body-and-soul-robert-rossen-1949-a114844804

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