•  Paul Roussenq, Vingt-cinq ans de bagne, La manufacture de livres, 2016

    La littérature de bagnards a produit des œuvres étonnantes qui sont sans cesse rééditées et qui semblent à l’épreuve du temps, alors même que le bagne est une institution qui est tombée en désuétude depuis des décennies. Parmi les bagnards célèbres qui ont publié, il y a Clément Duval et bien sûr Alexandre Jacob dont j’avais parlé sur ce blog[1]. Paul Roussenq est un peu moins connu. Ce sont tous des anarchistes épris de liberté, des fortes personnalités qui ont survécu à l’enfer du bagne. Pierre Fourniaud qui dirige La manufacture de livres aime bien les histoires de bandits, de bagnards, voire de tatoués, de ces marginaux qui ne se laissent pas réduire par l’appareil de normalisation sociale. Il s’est donc fait une spécialité de ce type de publications. Il a doublement raison, d’abord parce que ces destins exceptionnels racontent des histoires incroyables de lutte pour la survie et pour la liberté, de courage et de mort. Ce qui est bien plus intéressant tout compte fait que la littérature intimiste dont nous abreuvent les prix littéraires.

    Mais ensuite, il y a si on peut dire le style. N’oublions pas le style car très souvent cet aspect est négligé quand on parle de cette littérature. En effet tous ces voyous et bagnards sont à quelques exceptions près des individus autodidactes, venant le plus souvent de milieux défavorisés, ils utilisent la langue qu’ils connaissent souvent matinée d’argot et de formules populaire. En ce sens ils appartiennent à ce que Poulaille appelait la littérature prolétarienne. Dans cet ensemble on rencontrera des stylistes de première grandeur, Alphonse Boudard, Auguste le Breton, voire même Alexandre Jacob. Certes ils ne finiront jamais à l’Académie Française ni dans la Pléiade, et pourtant combien il est plus passionnant de les lire que de se taper une œuvrette de Jean d’Ormesson qui sent un peu l’antimites. Si tous n’ont pas forcément une conscience de classe très développée, ils sont pourtant l’antithèse de la bourgeoisie et les porte-paroles quelque part du peuple. C’est un aspect souvent négligé quand on fait la recension de ce type d’ouvrage, mais il est pourtant décisif. Car ce style direct, comme un coup de poing à l’estomac est très souvent efficace et rarement ennuyeux.

    La plupart de ces auteurs pratiquent un art de  l’invective, une écriture brutale qui se moque des fioritures. Et pourtant malgré cela on comprend pour peu qu’on s’y attarde que pour eux l’écriture est bien plus essentielle et sérieuse que pour les écrivains de salon ou du commerce. C’est une chose grave. Une question de vie ou de mort.

    Voilà comment écrit Roussenq :

    « Société bourgeoise, société pourrie dans sa morale, dans ses mœurs et dans ses lois. Son bagne et à son image. Les manitous de ces bagnes, ses garde-chiourmes voleurs, ivrognes et assassins, sont des déchets du régime – ou plutôt le gratin crapuleux de ce régime – au même titre que les forçats qui sont sous leur férule. Loin de les amender, ils les contaminent : c’est ça le relèvement des condamnés ! »

     Paul Roussenq, Vingt-cinq ans de bagne, La manufacture de livres, 2016 

    Paul Roussenq est un irréductible. Issu du prolétariat agricole du sud de la France, il est né en 1885, il quitte le domicile familial très jeune et va fréquenter les milieux anarchistes qui à l’époque sont encore politiquement très actifs. Condamné pour des faits mineurs, vol et vagabondage, il va se retrouver dans les bataillons disciplinaires. Sa haine de l’armée et sa révolte contre l’autorité imbécile le fera finalement condamner à 20 ans de travaux forcés pour avoir mis le feu à sa literie. Au bagne, en accumulant les peines et les punitions, il restera 24 ans, la moitié de ce temps il le passera au cachot et enchaîné. Les campagnes menées en métropole contre le bagne finiront par attirer l’attention sur son cas, il sera mis fin à sa peine. Mais dans un premier temps il devra rester à Saint-Laurent du Maroni, pour ensuite être autorisé à revenir en France. En 1934 il publie Vingt-cinq ans de bagne. Il continue à militer pour le socialisme dans les rangs anarchistes et se fâchera avec les communistes lors de son retour de l’URSS. Mais les anarchistes sont à cette époque en perte de vitesse dans les luttes prolétariennes. Pendant la guerre, pacifiste intransigeant, il sera une fois de plus  interné par le gouvernement de Vichy à Sisteron où il rédigera ses mémoires qui seront publiées en 1957 sous le titre de L’enfer du bagne. En 1949, usé par les maladies qu'il a contracté au bagne, il mettra fin à ses jours.

     Paul Roussenq, Vingt-cinq ans de bagne, La manufacture de livres, 2016 

    Une exécution au bagne de Saint-Joseph 

    En rappelant rapidement ce parcours, on voit le parallèle qu’il y avec Alexandre Jacob. Tous les deux rentreront en guerre avec l’institution corrompue et corruptrice du bagne. Tous les deux seront soutenus par Albert Londres et par leur mère pour obtenir leur élargissement, puis tous les deux se suicideront sans rien renier de leurs idées. Ce sont deux personnages emblématiques d’une révolte jusqu’au-boutiste. Paul Roussenq critiquera violemment Albert Londres, car si ce dernier a fait énormément pour discréditer le bagne dans l’opinion française, il a en tant que journaliste approximatif raconté un peu n’importe quoi, faisant passer notamment Roussenq pour une sorte de fou furieux.

    Revenons à l’ouvrage proprement dit. Roussenq a bien moins écrit que Jacob qui n’a pas publié grand-chose de son vivant[2], mais il a édité en 1934 ces Vingt-cinq ans de bagne qui ont contribué par la force de leur témoignage à la campagne pour la fermeture des bagnes. son ouvrage est rédigé comme une somme de petits articles, un peu comme un dictionnaire où sont développés tel ou tel aspect de la vie des bagnards. Il montre évidemment que ceux qui sont chargés de punir et de garder les criminels sont par leur nature et par leur fonction encore plus criminels que les bagnards.

     Paul Roussenq, Vingt-cinq ans de bagne, La manufacture de livres, 2016

    Roussenq critique le bagne à la fois parce qu’il est un reflet hypocrite du capitalisme, un système d’exploitation meurtrier, et aussi parce qu’il ne remplit pas sa mission de « régénération et d’amendement » des condamnés. En effet les bagnards sont traités comme des sous-hommes, et d’ailleurs peu en sont revenus, soit qu’ils meurent durant l’accomplissement de leur peine, soit que la relégation les empêche de revenir en France. Car Roussenq admet bien volontiers que « les bagnards ne sont pas des anges », mais le système vise d’abord à les broyer et à les éliminer comme des humains inutiles pour la machine à fabriquer du profit. Plusieurs fois sous sa plume reviendra l’idée de produire des peines adaptées aux délits, mais il ne croît pas à la réforme des bagnes et pense que le bagne ne disparaîtra pas qu’avec le capitalisme. Il oppose du reste le système pénitentiaire français au système qu’il croit en vigueur en Russie. Mais cette vision un peu idyllique  de la Russie communiste ne durera pas. Quelques temps après avoir fait publier sous forme de brochure Vingt-cinq ans de bagne, il effectuera un voyage en Russie et rompra avec les communistes. Il y a tout de même une note d’espoir dans cet ouvrage sombre : Roussenq rend hommage à tous ceux qui de loin l’on aidé à sortir de cet enfer en faisant des recours, en alertant l’opinion publique, aussi en soutenant sa pauvre mère.

    Le texte de Vingt-cinq ans de bagne  a été maintes fois réédité. L’édition présente est illustrée de documents et se termine par la reproduction d’une longue poésie en alexandrins, L’enfer du bagne. L’ensemble est à la fois le portrait d’un homme révolté contre l’institution, et celui d’un système coercitif et mortel. 

    Liens 

    Le lien suivant permettra de mieux connaitre la personnalité de Paul Roussenq http://www.bagnedeguyane.fr/archives/p80-20.html

     

    Et celui-ci mène à une interview de Frank sénateur qui a assuré la réédition du texte de Roussenq

    http://www.atelierdecreationlibertaire.com/alexandre-jacob/2015/03/dix-questions-a-franck-senateur/

     



    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/marius-jacob-heros-de-roman-selon-del-pappas-a114845188 et http://alexandreclement.eklablog.com/marius-jacob-heros-de-roman-selon-del-pappas-suite-a114845186

    [2] On trouve les écrits de Jacob réunis maintenant en un seul volume chez L’insomniaque dans une très belle édition.  

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  •  Kaput réédité dans l’édition originale

    C’est un événement littéraire d’importance pour tous ceux qui considèrent que Frédéric Dard est un des plus grands écrivains du XXème siècle. Le Fleuve vient de rééditer en un seul volume les quatre épisodes de la saga de Kaput, ce tueur mélancolique et violent que Frédéric Dard avait créé dans le milieu des années cinquante. C’est la huitième édition de ces aventures, mais la particularité de celle-ci est qu’elle respecte les éditions originales – seules quelques fautes d’orthographes élémentaires ont été corrigées. Certes on peut préférer les éditions originales illustrées par Gourdon, mais avec le temps elles sont devenues très fragiles, il vaut mieux les garder dans sa bibliothèque et relire Kaput dans cette nouvelle édition qui est solide et bien encollée

    En 1971 Frédéric Dard avait autorisé la réédition de ces textes qui pour l’occasion avaient été modernisés. Il l’avait autorisée, mais un peu du bout des lèvres, ne se rendant pas bien compte de leur importance littéraire. Sans doute cela venait-il aussi du fait qu’il avait produit ces ouvrages pour des raisons avant tout alimentaires, et que de voir exhumés ses textes anciens ne l’agréait pas forcément. J’avais donc lu les aventures de Kaput à cette époque. Depuis je les ai relus plusieurs fois, et ce dont je me rends compte c’est qu’à chaque fois l’image que j’en ai se bonifie. Il faut donc que les textes aient beaucoup de qualités pour franchir finalement les années avec autant de facilité.

      Kaput réédité dans l’édition originale

    Peu importe donc les circonstances dans lesquelles ces textes ont été écrits. Il suffit de savoir qu’ils interviennent dans la longue carrière de Frédéric Dard alors que les San-Antonio sont à peine en train de se faire connaître et que les « Spécial police » signés cette fois Frédéric Dard ne sont pas encore parus. Influencés par les romans noirs américains, les Kaput sont une étape décisive qui vont faire de Frédéric Dard un des maîtres incontestés du roman noir français, bien au-delà des San-Antonio.

      Kaput réédité dans l’édition originale

    En relisant les Kaput dans leur continuité, on est toujours assez surpris de l’inventivité de Frédéric Dard, cette façon de monter des histoires surprenantes, cette maîtrise dans la sobriété de la phrase et encore cette manière de camper des personnages étonnant. Pour ma part je préfère les deux premiers épisodes, je les trouve moins convenus que les deux derniers, même si dans ceux-ci il y a toujours des intrigues de qualité. si par exemple dans Mise à mort les démêlées de Kaput avec les boss du trafic de drogue sont assez prévisibles, cela est compensé par les relations que Kaput noue et développe avec Merveille. Il y a de la tendresse et de la violence mêlées ce qui sera une des marques de fabrique aussi bien des San-Antonio que des « Spécial police » signés Frédéric Dard.

      Kaput réédité dans l’édition originale

    Il faut souligner que Frédéric Dard qui recyclait beaucoup de ses histoires sous les différentes signatures qu’il utilisait – par exemple le thème des Salauds vont en enfer se retrouvera sous la signature de Frédéric Charles et sous le titre de Dernière mission – n’a pas utilisé ailleurs les thèmes développés par la saga des Kaput. C’est suffisamment rare pour être souligné. L’ensemble est donc parfaitement original et unique dans l’œuvre de Frédéric Dard. 

     Kaput réédité dans l’édition originale

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  • La ligne de démarcation, Claude Chabrol, 1966 

    La Résistance et l’Occupation ont été des sources presqu’intarissable de romans et de films de qualité plus ou moins discutable. L’intensité dramatique des situations peut donner de très grands films comme L’armée des ombres, ou les films de René Clément. Ça peut donner des œuvres d’une platitude incroyable comme cette Ligne de démarcation de Claude Chabrol. Quand on a su que Chabrol allait tourner ce film, on a été plus que dubitatif, lui qui avait plutôt l’habitude de filmer les tourments de la bourgeoisie grande ou petite, voilà qu’il se lançait dans le film d’action à prétention patriotique. Il faut dire que ce désastre, Chabrol n’en est pas tout seul responsable. Pour ce faire, il a adapté un ouvrage du Colonel Rémy, un authentique résistant qui sur le tard eu la curieuse idée de réhabiliter le Maréchal Pétain. On connait la chanson, « on a été injuste avec le Maréchal » qui a tout fait pour sauver ce qui pouvait l’être. Depuis que ce film a été tourné, de l’eau a passé sous les ponts et on a fait litière à ce genre de bêtises. Mais le fait que Rémy soit un homme de droite va rejaillir dans le film de Chabrol comme on va le voir.

      La ligne de démarcation, Claude Chabrol, 1966

    Avant la guerre le Colonel Rémy, de son vrai nom Gilbert Renault, il avait essayé de travailler dans le cinéma, et une fois la guerre finie, il se recycla dans la revente à la découpe de ses souvenirs, avec un grand succès d’ailleurs. Les témoignages qu’on a sur son activité le décrivent comme un homme très courageux, mais un peu farfelu et imprudent[1]. C’était un auteur aussi prolixe que controversé pour une œuvre désignée comme commerciale et facile, bien que par ailleurs ses mémoires d’agent secret soient considérées comme des sources fiables pour l’histoire de la résistance. Son succès l’a amené naturellement à travailler pour le cinéma. C’est à lui qu’on doit la triste série des monocles du non moins triste Lautner.

     La ligne de démarcation, Claude Chabrol, 1966 

    Les époux Lafaye font du marché noir 

    Le comte Damville revient de captivité après avoir été blessé à la guette. Habitant avec sa femme sur la ligne de démarcation, il est désabusé et ne veut plus s’occuper de politique, ni de la guerre, ni de la Résistance. Mais une grande partie du village se trouve pris dans cette tourmente. Sa femme d’ailleurs fait de la résistance, elle écoute la radio de Londres, elle aide les passeurs. Elle n’est pas la seule. Le médecin aussi, l’instituteur, bien sûr. La population est globalement acquise à l’idée de chasser le boche. Il y a bien des collaborateurs – le sinistre Loiseau qui essaie d’aider les Allemands à découvrir le radio parachuté – ou encore un des passeurs qui vend sans scrupules une famille juive, enfants compris, aux Allemands, mais l’ensemble est représentatif de cette France profonde qui trouve que les Allemands seraient bien mieux chez eux. Une fois ce décor posé, on va suivre les pérégrinations du radio Michel et de son mentor anglais qui vont être traqués par la Gestapo. Les sacrifices seront évidemment lourds, mais finalement le comte Damville retrouvera son honneur et tout le monde finira par chanter La Marseillaise, défiant l’occupant sur le pont qui enjambe la Loue.

     La ligne de démarcation, Claude Chabrol, 1966 

    Le comte Damville revient de captivité 

    Cette trame en vaut bien une autre. Mais la mollesse de la réalisation l’empêche d’être autre chose qu’un film décousu, fait de bric et de broc et sans charpente. Vous me direz que les bons films de Chabrol se comptent sans doute sur les doigts d’une main, mais celui-ci ne trouva même pas grâce aux yeux de son propre réalisateur qui le considérait comme une simple besogne alimentaire. Il faut dire qu’à cette époque Chabrol traversait une mauvaise passe : il avait peu de succès, tant sur le plan critique, que face à son public. C’est la période où il filmait des petits films d’espionnage sans forme ni saveur, la série du Tigre par exemple. Et puis il faut dire que les films sur la Résistance n’étaient plus très à la mode. L’époque semblait vouloir dire que ces histoires étaient bonnes pour nos parents, mais qu’elles ne nous touchaient plus vraiment. Tout tourne autour de cette nécessité de passer de la zone occupée (contrôlée par les Allemands) à la zone libre dites aussi zone nono pour zone non occupée. La ligne de démarcation coupait littéralement la France en deux, et comme la zone non occupée ne subissait pas le joug direct du pillage allemand, il était intéressant de passer de la ligne car même si le régime de Vichy était répressif autant que détesté, le laxisme de son organisation permettait beaucoup de chose[2].

      La ligne de démarcation, Claude Chabrol, 1966

    Le principal point sur lequel pèche le scénario est cette sorte de catalogue des postures. Un peu comme si on revisitait toute une galerie de portraits pris dans un ordre approximatif. Tour à tour on a droit au féroce allemand de la Gestapo, puis au soldat allemand plus honorable qui se rend compte qu’il fait un dur métier et qui s’efforce de respecter l’adversaire. Plus loin c’est l’instituteur athée qui se dispute avec le curé, mais ils se rabibochent dans la nécessaire lutte contre l’envahisseur. Et ça continue tout le long comme ça : on équilibre le passeur dévoué et désintéressé avec le portrait d’un salopard qui fait aussi traverser la ligne. Le film joue donc des oppositions un peu simplettes : voici le soldat de la guerre de 14 qui se met en colère contre l’assureur qui collabore. Ou encore l’aristocrate désenchanté et sa femme plus entreprenante et optimiste quant à l’issue de la lutte. La caricature n’en finit pas : l’anglais aux moustaches fleuries accepte avec flegme – c’est un anglais n’est-ce pas – le mauvais caractère du jeune français impétueux qui ne rêve que d’en découdre.

     La ligne de démarcation, Claude Chabrol, 1966 

    Michel va être parachuté 

    Pour faire tenir cette sauce-là, il faut une distribution diversifiée, mais en même temps pas trop chère pour des questions de budget. Les acteurs de La ligne de démarcation étaient à cette époque tous plus ou moins des anciennes gloires de l’écran. La plupart d’ailleurs ne retrouveront pas la place qui fut la leur dans le cinéma. Jean Seberg et Maurice Ronet travailleront à nouveau avec Chabrol dans La route de Corinthe, un autre film sans intérêt, tellement sans intérêt que je suis incapable de vous dire de quoi il s’agissait et pourtant je l’ai vu puisque je sais qu’il s’agit encore d’une histoire d’espionnage. Incarnant le couple des châtelains – eux aussi sont patriotes n’est-ce pas – ils sont assez insipides. Ronet est encore plus évanescent que d’ordinaire. Daniel Gélin est un peu mieux, mais guère plus, dans le rôle du médecin. Stéphane Audran sourit un peu bêtement. Les autres font des numéros. Noel Roquevert  est toujours égal à lui-même dans le rôle du vieux bougon au grand cœur. Jean Yanne ne fait que passer, il est l’instituteur. Et quand il attaque La Marseillaise, on se retient de rigoler. On reconnaitra aussi au passage Claude Berri dans le rôle du chef de famille juif.

     La ligne de démarcation, Claude Chabrol, 1966 

    Le passeur abuse d’une famille juive qui veut passer la ligne de démarcation 

    Quelques figures tirent un peu mieux leur épingle du jeu. Jacques Perrin dans le rôle de Michel, le jeune opérateur radio. Ou encore René Havard dans le rôle du cauteleux Loiseau, agent d’assurance et traître de circonstance. Mario David n’est pas mal non plus en garde-chasse patriote. Mais tout cela ne suffit pas. On sait que le film ne fut pas mal accueilli du tout. Sans doute cela provient du fait que les scènes de ce quotidien de la Résistance semblent très réalistes malgré tout, et aussi dans doute à la manière dont le film est immergé dans des décors naturels, les vieilles pierres respirent et sont magnifiquement photographiées par Jean Rabier. Les paysages de Franche-Comté sont très bien choisis et Chabrol a utilisé les habitants locaux de ce petit village sur la Loue. Il y a cet aspect très particulier de la France profonde des années soixante qui au fond n’étaient pas très éloignées de l’ambiance des années de guerre.

     La ligne de démarcation, Claude Chabrol, 1966 

    Loiseau essaie de tirer les vers du nez au bistrotier Ménétru 

    Mais bon l’ensemble manque singulièrement d’émotion hésitant parfois entre la comédie – genre Grande vadrouille – et le drame, sombrant dans l’ennui. Ce n’est pas parce que c’est une commande que le film doit être saboté. Il est tout de même remarquable que le drame que vit la famille juive traquée qui se fait donnée aux allemands ne nous touche pas. On ne peut s’en prendre qu’au manque de métier de Chabrol. Certes on comprend bien que le sujet ne l’ai pas intéressé, mais ce n’est pas une raison suffisante.

     La ligne de démarcation, Claude Chabrol, 1966 

    Après la mort de Damville, la population entame La marseillaise


    [1] On trouve un portrait de Rémy dans le volume 2 d’Histoire de la résistance en France de 1940 à 1945, Édition revue et complétée, Crémille et Famot, Genève, 1982 d’Henri Noguères,  

    [2] En novembre 1942, suite au débarquement allié en Afrique du Nord, les Allemands envahiront la zone sud de la France.

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  •  CINEMAS ET CINEPHILIE II. Cinémas de Marseille, la périphérie

    La première partie de cette revue pourrait laisser croire que ma pente naturelle me poussait à surconsommer des films très commerciaux, des gros succès, simplement en dévalant la Canebière. Rien n’est plus faux. Et cela pour deux raisons. La première est que mon père m’a emmené très jeune voir des vieux films, des films que lui-même avait aimés au temps de sa jeunesse. Et donc il recherchait les films un peu classiques si je puis dire, les films de répertoire qui vous permettent de reconstruire l’histoire du cinéma au-delà du plaisir immédiat que l’on prend à la vision d’un film. Sans doute est-ce pour cette raison que ni le muet, ni le noir et blanc ne me gênent. La seconde raison est que de mon côté je ne me contentais pas de lire les critiques de film dans le quotidien, et donc que très tôt je me suis procuré des revues cinématographiques.

    CINEMAS ET CINEPHILIE II. Cinémas de Marseille, la périphérie

    Evidemment je lisais les hebdomadaires comme Cinémonde ou Ciné-Revue. Soit je les achetais d’occasion chez ma petite bouquiniste, soit je les lisais chez le coiffeur. C’était un peu l’équivalent de Première ou de Studio, des revues axées d’abord sur la promotion. Evidemment pour celui qui veut explorer le cinéma d’une manière ordonnée et systématique, rapidement ce n’est plus suffisant. Ces deux hebdomadaires ne parlaient pratiquement que des films récents ou en train de se tourner. Pour une mise en perspective il fallait se tourner vers autre chose. Mais dans les années soixante, il y avait pléthore de revues plus ou moins intellectuelles et savantes. Il y a avait bien sûr Les cahiers du cinéma. Mais je les évitais autant que faire se peut parce que je n’ai jamais eu trop de goût pour la Nouvelle Vague, et ensuite parce qu’en devenant prochinois, leur théorisation qui frisait la débilité me rebutait. Plus sérieusement il y avait Jeune cinéma. Que je ne lisais pas systématiquement mais que je lisais selon les numéros. C’était une revue un peu prétentieuse qui se piquait d’analyse technique des films. Ma longueur d’onde c’était Positif que je lis toujours, même si c’est devenu une revue pour universitaires un peu prétentieux – quand on a fini une critique on ne sait souvent pas si le film est bon ou mauvais, si le spectateur s’ennuie ou s’instruit ou encore s’il peut y prendre du plaisir. Mais dans les années soixante, Positif défendait des auteurs un peu marginalisé par la critique, comme Jerry Lewis avec de beaux articles de Robert Benayoun, ou même Samuel Fuller. On pouvait y lire aussi des articles de Bertrand Tavernier. L’autre revue qui avait mon agrément, c’était Cinéma titre générique auquel on ajoutait le numéro de l’année. C’était une bonne revue, pas prétentieuse, avec des interviews et des analyses intéressantes. Ils y défendaient un certain cinéma populaire, et ils ont « été les premiers à défendre José Giovanni avec La loi du survivant.

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    Ces revues avaient le mérite de définir ce qu’il fallait voir. Les grandes références c’étaient Orson Welles et ses plans obliques, Ingmar Bergman ou encore John Huston et Joseph Losey. Fellini aussi, mais pour celui-là j’ai toujours eu moins de goût. On le voit à cette époque on valorisait les réalisateurs qui pôssédaient une vraie grammaire cinématographique. Cependant pour voir ces films ce n’était pas si simple, il fallait s’éloigner de la Canebière. Donc, à partir de la Canebière, on prenait la rue de Rome. Dans celle-ci il n’y avait qu’un seul cinéma, le Rex. Une très belle et immense salle avec deux entrées, dont une sur la rue Saint-Ferréol. C’était sans doute la salle la plus confortable de Marseille. Le Rex passait des premières exclusivités, le plus souvent en tandem avec le Pathé. Mais il avait aussi sa particularité par exemple il avait le quasi-monopole des Jerry Lewis. C’est cependant là que j’ai vu – hélas en version doublée en français – Le dernier nabab d’un Elia Kazan très vieillissant. Et c’est là aussi que j’ai vu le jour de sa sortie La horde sauvage – le film que j’ai sans doute vu le plus de fois en salle – une bonne cinquantaine de fois. Un peu plus haut dans la rue de Rome il y avait l’Ariel, voisin du Rex. Petite salle neuve, mais médiocre, sans intérêt, sans style. Le Rex a tout de même mal fini. Il devint par la Suite un Virgin Mégastore et puis il a fermé. Bien fait pour lui.

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    Mais laissons là le Rex et son voisin L’Ariel. Avant d’arriver à la grande poste de la rue de Rome, il y a la rue Francis Davso. Cette petite artère un peu chic à l’époque possédait un cinéma, Le Paris. C’était « le » cinéma d’art et essai avec Le Festival qui se trouvait sur le quai du port. Ce cinéma est aujourd’hui disparu, mais il avait fait des petits et trois autres Paris s’étaient ouverts un peu plus loin, rue Pavillon, preuve que dans le début des années soixante-dix il y avait un appel vers le cinéma de qualité comme on dit. En tous les cas c’est au Paris que j’ai d’abord vu les vieux films de Chaplin et de Buster Keaton, et qu’ensuite j’ai pu me familiariser avec Bergman, Persona, Le Septième sceau, L’heure du loup, et autres joyeusetés. L’avantage du Paris est qu’il projetait les films en VOSTFR. C’est là que j’ai vu aussi mes premiers Losey, Pour l’exemple, The servant. La salle était toute petiten l’écran assez médiocre et les fauteuils plutôt resserrés et inconfortables. Mais quand on voulait vraiment voir des bons films cet aspect ne nous arrêtait pas. Je faisais attention plutôt d’y aller l’après-midi pour ne pas me trouver trop confiné. Le mieux c’était encore la séance de 16 heures, là on était vraiment tranquille et on pouvait choisir sa place. 

    La rue Francis Davso qui porte le nom d’un résistant marseillais fusillé par les barbares allemands, débouche ensuite sur la rue Saint-Ferréol qui est en fait le pendant de la Canebière. Malgré son étroitesse, elle se débrouillait pour contenir de nombreux cinémas. Certes elle était moins attirante cette rue, ne serait-ce que parce que les façades étaient moins larges et donc qu’elles ne se prêtaient pas au jeu des belles affiches repeintes à la main.

    CINEMAS ET CINEPHILIE II. Cinémas de Marseille, la périphérie

    En partant de la Canebière, sur la droite, il y avait le Rialto. Salle étroite et médiocre qui fonctionnait en tandem avec Le Capitole. Je m’y suis rendu peu souvent, mais j’y ai vu quelques films qu’on ne projetait pas ailleurs. Par exemple La valse des truands de Paul Bogart, une adaptation de Chandler. Ou Le crime est notre affaire de Gordon Fleming. A quelque spas de là, toujours sur le même trottoir on trouvait un autre cinéma un peu miteux, Le Hollywood. Bien que déployant une distribution de première exclusivité, mais comme le plus souvent il marché en tandem pour la programmation avec Les Variétés, et qu’il était aussi cher, on n’y allait qu’exceptionnellement. C’est-à-dire en soirée, lorsque les queues étaient trop longues. 

    Juste un peu plus haut, mais sur le trottoir d’en face il y avait la belle salle du Majestic. Equipée du 70 mm, elle était assez spécialisée dans les grosses machines, Le docteur Jivago, ce genre là pour lequel je n’ai aucun goût.

    Mais redescendons vers le Vieux Port. Sur le quai du port plus précisément. Juste après la Samaritaine, bien avant la Mairie, il y avait un très bon cinéma. Complétement perdu parmi les restaurants à poisson où aucun Marseillais digne de ce nom ne se risquait. C’était Le Festival. Là on y passait que du premier choix, un peu exotique aussi, en VO. Par exemple L’île nue le magnifique film de Kaneto Shindo que franchement si celui-là tu ne l’as pas vu, tu n’as rien vu, toute ton éducation est à refaire.

      CINEMAS ET CINEPHILIE II. Cinémas de Marseille, la périphérie

     

    Mais c’est là aussi qu’on pouvait commencer à voir les films brésiliens complètement déjantés, du Glauber Rocha, Le dieu noir et le diable blond, ou Antonio das Mortes. Ou encore les films bizarres de Carmelo Bene. Mais ce cinéma faisait aussi du répertoire les grands classiques américains, Hitchcock, William Dieterlé, les Marx Brothers, de l’Humphrey Bogart. A cette époque nous n’avions pas la télévision, c’était des écrans d’ailleurs tellement moches qu’on n’avait pas d’autre choix que d’aller au cinéma. Donc vers la fin des années soixante, ou peut-être en 1970, le patron du Festival du Vieux Port racheta une autre salle aux Cinq Avenues. C’était l’ancien Artistic cinéma. Une salle fort intéressante, assez grande, tout en pente. Essentiellement des reprises ou des secondes exploitations. J’y avais vu lors d’une de mes écoles buissonnières La guerre des boutons par exemple. On le rebaptisa à la hâte Festival des Cinq Avenues. Cela permettait de voir les films dits d’art et essai au Festival du Vieux Port et les films dits de répertoire au Festival des Cinq Avenues. L’entrée était juste en face du Jardin Zoologique. Je ne sais pas si cela a une signification particulière, en tous les cas ont y croisait toute la crème de la contestation marseillaise.

     CINEMAS ET CINEPHILIE II. Cinémas de Marseille, la périphérie

    Ça marchait du tonnerre. Mais les deux Festival ont  fermé en 1973 je crois, non pas par manque de public, mais parce que leur patron est hélas décédé d’une crise cardiaque. Je ne me souviens plus de son nom, mais je le connaissais un peu. Je veux dire qu’il m’arrivait de lui parlait. J’ai le souvenir d’un bonhomme un peu sévère, pas très grand, avec des lunettes et la silhouette ronde. C’était juste un type qui s’était lancé dans cette activité uniquement par goût, il n’avait aucun bagage particulier, il aimait seulement le cinéma. 

    Comme on l’a compris les temples marseillais de la cinéphilie étaient excentrés. Il fallait faire de la marche à pied et mériter les films qu’on pouvait voir. En haut du boulevard Notre Dame, c’était ouvert un cinéma, Le Breteuil. Là encore son propriétaire était d’abord un homme de goût, je veux dire qu’il s’était lancé dans cette aventure – qui a durée tout de même plusieurs décennies – parce qu’il avait le goût pour le cinéma. Au départ c’était un cinéma pas très austère. Il faisait du répertoire en privilégiant les vieux films de qualité qui avait eu du succès populaire. On pouvait y voir du Douglas Sirk par exemple, à une époque où ce réalisateur n’était pas très connu. Mais il n’hésitait pas à y passer du Vadim, par exemple Et mourir de plaisir, scénarisé par Roger Vailland d’après Carmilla de Sheridan le Fanu. A cette époque il réactivait des réalisateurs de second plan comme Budd Boetticher par exemple avec La chute d’un caïd. Mais ce cinéma a du se transformer, parce qu’avec l’élévation du niveau de vie, l’amélioration de la qualité des postes de télévision, et l’accroissement du nombre de chaînes, le cinéma de répertoire n’avait plus d’avenir. Survivre en vendant des tickets de cinéma tout en visant la qualité, ce n’est pas très facile, surtout si le cinéma de répertoire s’étiole. Donc Le Breteuil s’est transformé, il s’est redécoupé en salles plus petites et a commencé à passer du tout-venant. Il y a perdu sa personnalité. Il a vivoté un peu de ci de là en se faisant subventionner par la Mairie, mais ce n’est pas une vie, et puis il a fini par fermer. 

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  • Les caïds, Robert Enrico, 1972 

    Robert Enrico a eu une curieuse carrière, faite de succès populaires énormes, mais aussi d’échecs retentissants. Il s’était fait remarqué dans un premier temps par des courts métrages, dont La rivière du hibou qui avait obtenu l’Oscar du meilleur court-métrage. Après un film sur un militaire démobilisé qui après une sorte de longue permission devra retourner au combat, La belle vie[1], les débuts de Robert Enrico dans le long métrage sont marqués par sa rencontre avec José Giovanni avec qui il va travailler aux scénarios des Grandes gueules et des Aventuriers. Deux immenses succès avec des  vedettes de premier plan comme Bourvil, Lino Ventura ou Alain Delon. Persistant dans ce registre à mi-chemin du film d’aventure et du film noir, porté sur le tragique, il persistera en adaptant Ho ! inspiré par un autre roman de José Giovanni. Mais le film n’aura pas le succès escompté malgré la participation de Jean-Paul Belmondo.

      Les caïds, Robert Enrico, 1972

    Enrico va pourtant persister dans cette veine-là, justement avec Les caïds.  Enrico avait un caractère plutôt difficile, et pour ce film il ne va plus travailler avec José Giovanni. Le film est produit par Michel Ardan, celui-là même qui avait réussi un coup de maître en produisant Les grandes gueules. Michel Ardan est un habitué de l’univers de José Giovanni. Acteur dans Classe tous risques, il réussira quelques succès cinématographiques assez hétéroclites. Il est probable que l’idée de faire Les caïds vienne de lui et non d’Enrico. Le film est librement adapté d’un roman de M.G. Braun, auteur prolifique et pilier du Fleuve Noir, il est aussi le créateur de Sam & Sally, série qui a été adaptée à la télévision avec succès. M.G. Braun travailla aussi bien dans le polar et le noir que dans le récit d’espionnage. Mais il n’est pas José Giovanni, même si manifestement il s’en inspire sur plusieurs points, et ses intrigues partent toujours un peu dans tous les sens. C’est encore le cas ici

     Les caïds, Robert Enrico, 1972 

    Jock tue sa femme et son amant sous l’emprise de la jalousie 

    Le jeune Jock a tué sa femme et son amant. Il est pris en charge par le généreux Thia qui le cache chez lui. Thia est un cascadeur qui fait équipe avec Murelli. Mais pour arrondir leurs fins de mois, ils se font aussi casseurs. Weiss va leur proposer un coup fumant, le casse d’une banque. Entre temps Jock va tomber amoureux de la fille de Murelli, ce qui ne va pas sans tension, puisque le père se méfie de quelqu’un qui a assassiné. Le casse va être exécuté, mais un incident inattendu va faire intervenir la police. Murelli est tué, Weiss et Thia arrivent à s’échapper avec l’argent par le souterrain de la banque. Mais piégé par l’obscurité, Weiss y laissera sa peau. Pendant ce temps, Jock s’est fait arrêter parce qu’il était venu auprès de banque pour voir s’il pouvait aider Murelli et Thia à se tirer d’affaire. Thia va organiser ensuite l’évasion de Jock avec Celia. Mais les choses ne vont pas se passer comme espérées, parce que René chez qui ils se sont réfugiés va les balancer à la police. Dès lors la police va traquer les deux jeunes gens.

     Les caïds, Robert Enrico, 1972 

    Weiss propose un coup juteux à Thia et Murelli 

    Comme on le voit au premier coup d’œil, le principal défaut du scénario est qu’il ne se fixe jamais sur un thème ou sur un personnage. Ainsi on passe du thème de l’amitié virile entre Thia et Murelli (comme dans Les aventuriers ou même Les grandes gueules) à celui de la fuite de très jeunes gens amoureux et épris de liberté. Le film ne se fixe pas plus sur cette cavale que sur le cambriolage proprement dit de la banque. La longue scène semi-burlesque de l’évasion de Jock apparaît aussi complètement décalée. Cette dispersion de la thématique est le résultat d’un scénario paresseux qui multiplie les scènes inutiles, par exemple ces rémanences du père de Celia ou de Thia qui sont sensées émouvoir. Par ailleurs cette paresse scénaristique amène souvent l’invraisemblance : non seulement sur le plan factuel – par exemple l’évasion massive de la prison – mais aussi sur le plan psychologique – on ne comprend pas pourquoi Thia protégerait un individu comme Jock. Les scènes inutiles sur les cascades plombent aussi le film. Certes on comprend bien qu’Enrico veuille célébrer une forme d’activité virile qui fonde l’amitié, mais c’est très long. Le film devient au fil des minutes un catalogue des clichés du film noir à la française. Les tenues vestimentaires et les chapeaux des voyous rajoutent à l’invraisemblance du récit. 

    Les caïds, Robert Enrico, 1972

    Jock et Celia tombent amoureux 

    Tout cela explique largement l’échec commercial et critique du film. Mais d’autres problèmes se font jour, l’interprétation n’est pas à la hauteur. Serge Reggiani et Michel Constantin jouent des figures plutôt convenues sans beaucoup d’entrain. Mais Patrick Bouchitey dans le rôle de Jock n’est pas du tout à sa place. Trop brouillon, les yeux papillotants, il n’est pas crédible une minute. Juliet Berto est plus intéressante. Plutôt abonnée à des films d’auteur, on se souvient d’elle surtout dans les films de Rivette, elle montre ici une autre forme de son talent. Malheureusement, elle ne persista pas dans ce sens. Jean Bouise est également très bien. Mais il est toujours très bon. Et puis il y a Michel Ardan dans le rôle de la balance – rôle qu’il avait déjà assumé dans Classe tous risques. Dans un tout petit rôle il est aussi très bon. Mais tout ceci ne compense pas la mollesse de la direction d’acteurs

    Les caïds, Robert Enrico, 1972  

    Le cambriolage de la banque demande du doigté 

    Il y a que peu d’inventivité dans la réalisation proprement dite. Sauf peut-être les scènes du souterrain qui donnent au film une dimension claustrophobique avec la lumière qui menace à tout instant de s’éteindre. Le film hésite beaucoup entre une forme d’intimisme qui voudrait approfondir les relations quasi familiale entre Thia, Murelli et Celia, et le film d’action, le casse, la cavale de Celia et de Jock. L’opposition entre les générations – d’un côté les vieux truands qui visent le dernier coup qui leur permettra de se retirer, de l’autre le jeune couple épris de liberté qui se moque de tout ce qui n’est pas leur amour un brin narcissique, n’est pas très approfondie non plus. On retiendra qu’Enrico se cite un peu lui-même dans les scènes où l’usage du chalumeau renvoient aux Aventuriers, mais il parodie aussi Melville dans la scène où finalement Jock et Celia sont traqués par la police.

     Les caïds, Robert Enrico, 1972 

    Pour fuir la police, Thia et Weiss s’enfuient par un souterrain 

    C’est donc un échec assez complet. Mais sans doute le film n’a pas bénéficié d’un gros budget et du temps nécessaire à une construction plus sérieuse. Par la suite Enrico va s’éloigner ce cette thématique, il retrouvera le succès critique et public avec Le secret puis avec Le vieux fusil. Mais il replongera ensuite dans de grandes difficultés. Ces aléas dans la carrière d’Enrico masquent l’intérêt de quelques films excellents de cet auteur. Par exemple en dehors des Aventuriers et des Grandes gueules, il y a au moins un film d’Enrico qu’il faut avoir vu, c’est Tante Zita, film méconnu, mais empreint d’une mélancolie capitale. Tout ça pour dire que si certains films d’Enrico sont ratés, nous ne l’abandonnons pas pour autant. 

    Les caïds, Robert Enrico, 1972 

    Celia et Thia braquent une prison

     Les caïds, Robert Enrico, 1972 

    René va à la police

    Les caïds, Robert Enrico, 1972 

    Thia annonce son départ

     Les caïds, Robert Enrico, 1972 

    Jock et Celia sont cernés par la police 

     


    [1] Le film pourtant présenté à la Mostra de Venise n’a eu aucun succès, il est encore aujourd’hui assez difficile de le voir. Il se situe un peu dans la veine de ces comédies douces-amères comme Tante Zita qu’Enrico tournera en 1967 avec Johanna Shimkus.  

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