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    Malgré la présence de Guillaume Canet et de Catherine Deneuve, ce film est un lourd échec commercial et cinématographique. Le sujet est pourtant passionnant et il s’est inspiré de l’extraordinaire saga judiciaire d’Agnelet, accusé du meurtre d’Agnès Le Roux, acquitté, puis condamné définitivement après 17 ans de procédure. Pendant ces longues années de procédure Maurice Agnelet s’est réfugié derrière l’idée que sans cadavre retrouvé, il ne serait jamais condamné. Mais il s’est trompé. Il a été condamné une première fois parce qu’il n’avait pas de vrai alibi, ou plutôt l’alibi qu’il s’était concocté reposait sur le témoignage de sa maîtresse qui, lassée d’être maltraitée par lui, décida d’avouer le faux témoignage. Le procès fut rejugé cette année en appel, mais cette fois, au-delà des turpitudes financières d’Agnelet, c’est son propre fils qui révéla devant un auditoire interdit que son père lui avait avoué le meurtre d’Agnès.

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    Le cadre est la guerre des casinos qui sévit à la fin des années soixante-dix sur la Côte d’Azur

     

    Cette histoire plutôt sordide a révélé un Agnelet cupide et manipulateur. Il a tué Agnès Le Roux pour s’emparer de l’argent qu’ils avaient sur un compte commun. Cet argent provenait de la trahison d’Agnès dans la guerre des casinos qui opposa à Nice Jean-Dominique Fratoni, notoirement lié à la mafia sicilienne, à la mère d’Agnès, propriétaire du Palais de la Méditerranée que Fratoni voulait s’approprier. Dans cette salade, Fratoni avait trouvé des alliés, notamment l’ancien et sulfureux maire de Nice, Jacques Médecin qui dut plus tard prendre la fuite misérablement pour échapper à la prison. Agnelet quant à lui a longtemps pu échapper à la justice parce qu’il avait des relations directes au sein de la franc-maçonnerie niçoise qui était très présente dans la magistrature locale.

    Je rappelle ces quelques faits bien connus pour dire à quel point la matière de ce film était riche et pouvait donner naissance à un excellent film noir. Car l’âme d’Agnelet est noire, au plus profond.

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    Agnelet pique de l’argent à sa maîtresse

     

    Pour éviter les ennuis, les producteurs du film se sont assurés la collaboration de Jean-Charles Le Roux, le frère de la disparue. Pourtant les difficultés commencent dès le titre qui a été donné au film. Ce qu’il suggère est à la fois très peu clair, et pompeux. Mais en tous les cas il essaie laborieusement de s’éloigner du film noir, sans qu’on comprenne très bien le point de vue du réalisateur.

    Essayant d’éviter le film d’enquête en sabordant toute la partie qui tourne autour de la recherche d’Agnès, Téchiné simplifie les procès qui ont jalonné cette affaire en ne retenant que le procès où il a été acquitté, signalant seulement par inadvertance les deux procès où il a été condamné. Ce faisant, il fait aussi l’impasse sur les indices qui désignent Agnelet comme le coupable du meurtre. Or ces indices posent des problèmes très intéressants, parce qu’une partie d’entre eux semblent avoir été délibérément laisse là par Agnelet lui-même, pour mettre la justice sur sa piste. En outre tous ceux qui ont suivi l’affaire savent que lors du premier procès qui s’est déroulé à Nice n’a été qu’une mascarade, Agnelet étant protégé par la communauté franc-maçonne de la magistrature locale. On remarque d’ailleurs qu’au cœur de cette affaire il y a d’un côté la trahison d’Agnès vis-à-vis de sa mère, mais ensuite, la trahison du fils d’Agnelet qui dénoncera son père. Il y avait quelques chose à tirer me semble-t-il de ces sordides histoires de famille dans une bourgeoisie en décomposition si on voulait aller un peu au-delà du film noir

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    Agnelet amène Agnès à trahir sa mère

     

    Fratoni n’est représenté que comme un élément extérieur à l’affaire qui finit par se résumer à une histoire de passion amoureuse unilatérale. Or si on s’intéresse à Fratoni, on en vient au maire de Nice de l’époque, Jacques Médecin. Finalement seul le personnage d’Agnès est traité. Téchiné refuse de se prononcer sur la culpabilité d’Agnelet et ce faisant, il déforme complètement l’histoire. On ne sait rien d’Agnelet, de ces motivations. Il n’a aucune épaisseur. Est-il mauvais, est-il seulement indifférent ? On ne le dit pas. Or une dimension importante du personnage est qu’il adorait se donner l’image d’un libertin qui pouvait tout se permettre… jusqu’au meurtre.

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    Au moment du vote Agnelet encourage Agnès à voter contre sa mère

     

    Le caractère désastreux du scénario n’est pas atténué par une mise en scène forte et percutante. Au contraire, c’est très mollasson, on dirait un téléfilm. Platement filmé, les décors ne sont pas utilisés, que ce soit le casino, avec cette atmosphère très particulière, ou que ce soit la Côte d’Azur. Photographié le plus souvent avec des plans rapprochés, le film ne respire pas, il n’y a pas de profondeur de champ.

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    Le vieux Agnelet face à son fils

     

    La distribution est lamentable. La voix nasillarde et enfantine de Guillaume Canet ne donne pas la dimension tortueuse du personnage. Catherine Deneuve a l’air de s’en foutre, et les déboires de René Le Roux ne semblent guère l’angoisser. Adèle Haenel qui se donne bien du mal en roulant les yeux pour se montrer motivée et agressive, n’a ni l’énergie d’Agnès Le Roux, ni son côté marginal et déjanté. Ce qui fait qu’on ne comprend pas très bien comment elle se laisse appâtée par le couple infernal Fratoni-Agnelet. Les dialogues qui sont censés refléter l’état d’esprit très particulier des années soixante-dix, semble tout droit sorti d’une sitcom française des années 2000. On reconnaitra lors du procès Noël Simsolo qui interprète l’avocat d’Agnelet. Je passe sur le grimage ridicule de Guillaume Canet lorsqu’il interprète le vieux Agnelet.

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    Agnès Le Roux écoute l’avocat d’Agnelet réclamer l’acquittement de son client

     

     

    C’est un ratage terrible pour une histoire pourtant extraordinaire dans tous les sens du terme. Le public ne s’y est pas trompé qui a sanctionné cette entreprise au box-office.

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    Kazan et Losey sont deux cinéastes qui ont compté au moins dans les années soixante et soixante-dix. Ils représentaient une cinématographie de qualité au propos profond, à l’esthétique soignée. Michel Ciment réunit ici deux ouvrages qu’il avait publiés séparément, Kazan par Kazan et Le livre de Losey, auxquels il a apporté quelques ajouts. Michel Ciment est aujourd’hui le directeur de la revue Positif. C’est donc un critique respecté qui enseigne aussi un peu à l’Université. C’est un garçon qui s’y connait, même si on a souvent des difficultés à le suivre dans son éclectisme. Plus récemment il a pris des positions plutôt réactionnaires – il vieillit bien entendu – sur le statut des intermittents, ou sur la question du téléchargement gratuit. Ce qui quelque part s’accommode bien de son admiration pour Clint Eastwood qu’il prend pour un cinéaste original.

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    Quoiqu’il en soit, l’ouvrage est passionnant parce qu’il fait parler directement les réalisateurs. Les réunir paraît pourtant une gageure parce que si Elia Kazan a vendu tout le monde publiquement et devant l’HUAC au moment de la chasse aux sorcières, se mettant à tourner des films anti-communistes plutôt primaires, Joseph Losey ne se renia pas et préféra l’exil. Mais ce sont deux cinéastes qui sont de la même génération, ils étaient nés en 1909, et ils ont en commun d’avoir été membre du Parti communiste américain, de s’être impliqué dans un théâtre très engagé socialement et d’avoir mis en scène des sujets à la forte connotation sociale. Egalement ce sont des réalisateurs qui non seulement ont connu beaucoup d’échecs commerciaux, mais qui ont aussi connu de nombreux échecs critiques. De la même manière tous les deux ont fait avancer la technique cinématographique dans cette façon de filmer proprement même ce qui est sauvage ou « sale ».  Les deux cinéastes ont aussi des films maudits, un peu cachés, des films qu’il est intéressant de redécouvrir à côté de leurs grands succès.

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    Dans la mesure où Kazan a bel et bien trahi ses amis, sa carrière est bien plus problématique au-delà d’ailleurs de cette question politique. En effet, après avoir livré des noms, comme on le lui demandait, il s’est cru obligé de tourner des films ouvertement anticommunistes. Le lamentable The man on the tight rope  ou encore le très réactionnaire On the water front. C’était un peu le prix à payer pour que Kazan reste dans le système. Il portera cette tare toute sa vie, se cherchant des excuses. Pendant un moment il évitera justement les sujets sensibles, mais il y reviendra un peu comme un regret vers la fin des années soixante, avec le mouvement de contestation qui se développe un peu partout dans le monde. Cette trahison le hantera toute sa vie et d’ailleurs il lui accorde une importance très grande dans ses entretiens avec Michel Ciment, renvoyant peu courageusement d’ailleurs la faute sur le Parti communiste américain qui était, il faut bien le dire, stalinien. Mais la question n’est pas de critiquer le Parti communiste américain, c’est plutôt que Kazan n’était pas obligé de vendre ses anciens amis. Il aurait pu simplement dire qu’il avait été membre du Parti, puis qu’ensuite il s’en était éloigné. Cela lui aurait coûté quelques mois de prison et peut-être sa carrière, comme pour Dashiell Hammett, mais pas son honneur. Cet honneur qu’il ne retrouvera jamais, Martin Scorsese s’était efforcé de le lui redonner en lui donnant un Oscar pour l’ensemble de sa carrière, mais la moitié de la salle avait refusé d’applaudir et était restée ostensiblement assise. 

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    Que retenir de la carrière de Kazan ? Lui-même semble assez perplexe sur ses propres qualités et préférer ses derniers films tournés sans gros budgets et sans succès d’ailleurs. Mais en dehors de ses errements moraux, un certain nombre de films de Kazan passent le douloureux cap des années. Personnellement je rejetterais les films avec Brando qui sont toujours autant de caricatures, même si le talent de Brando n’y est pour rien. Cependant Baby Doll est très bon, comme A l’Est d’Eden ou encore La fièvre dans le sang et Le fleuve sauvage. Est-ce que cela suffit à compenser les ratages comme Le dernier nabab ?

    Quoi qu’il en soit Kazan se présente comme d’abord un directeur d’acteur, un homme de théâtre qui accessoirement aurait fait du cinéma et qui se serait un peu perdu dans les méandres du système hollywoodien. On retiendra quelques pointes de méchanceté envers Orson Welles ou même Kirk Douglas sans qui pourtant il n’aurait pu faire L’arrangement. Mais dans l’ensemble, c’est le regret qui domine, et il a beau se justifier, il n’a toujours pas digéré le fait qu’il avait trahi.

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    Si Losey a eu une grande gloire dans les années soixante, il le doit d’abord à ses films anglais. Ce n’est que tardivement, et après un long sommeil, qu’on a réévalué sa carrière américaine notamment dans le film noir. On pourrait dire d’ailleurs qu’il y a trois moments dans la cinématographie de Losey, le moment américain, assez bref, le moment anglais, le plus important et le plus divers aussi et le moment français avec deux films importants appuyés par Alain Delon, et un troisième, La truite,  inspiré de Roger Vailland et qui est sans doute son film le plus méconnu.

    Les entretiens avec Michel Ciment sont très détaillés, Losey semble avoir une bonne mémoire. Il retrace ses origines dans la haute bourgeoisie américaine et lettré, puis la déconfiture de sa famille, son déclassement, et son orientation vers le théâtre puis le cinéma. Plus techniques que les entretiens avec Kazan, ils sont aussi plus intéressants. Probablement parce que Losey a eu bien plus de difficultés que Kazan et qu’il dut se battre pour sa survie. Par rapport à Kazan tout de même, il est évident que Losey a dû accepter énormément d’œuvres de commande. Il a eu bien moins le choix de ses sujets, c’est sans doute pour ça que sa filmographie a eu une allure aussi éclectique.

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    Losey revendique d’ailleurs cet éclectisme, refusant l’idée d’avoir été un cinéaste œuvrant dans un genre particulier. S’il partage ce point de vue avec Kazan, il est pourtant évident que le plus grand nombre de ses films l’apparente au film noir. Il y a bien une douzaine de ses œuvres qui sont de toute évidence des films noirs. Et c’est d’ailleurs peut être dans ce genre tourmenté qu’il a donné le meilleur de lui- même. Même Mr Klein peut être considéré comme un film noir. Michel Ciment quand il l’interroge, ne semble pas avoir conscience de l’importance du film noir, il parle, à propos des Losey anglais avec Stanley Baker de thriller, alors que ce sont bien des films noirs.

    Bien évidemment enfermer Losey dans le « film noir » serait une erreur. Il a développé tout au long de sa carrière des thématiques qui dépassent ce cadre. Bien que Losey se soit éloigné du Parti communiste, il ne s’est jamais renié, et toute sa vie il conservera une vision de la société à travers le prisme de la lutte des classes, même L’assassinat de Trotski apparait relever de cette logique. Et ce n’est pas un hasard s’il s’est à un moment rapproché de Roger Vailland et qu’un de ses derniers films sera la mise en scène de La truite.

    L’autre thème qu’on retrouve le plus souvent dans ses œuvres est celui d’une déchéance volontaire, une aspiration à la cruauté et à la débauche. Il y a d’ailleurs dans ses films une tension sexuelle à la limite du supportable, une évidente cruauté.

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    Losey avait des côtés assez snob, et il n’est pas sûr qu’on approuve son propre jugement sur ses films. Il aimait bien The assassination of Trotsky, moi aussi. Mais pour lui il s’agissait d’une œuvre qui cherchait à comprendre pourquoi lui-même avait été stalinien, et pourquoi entre autres choses, il avait rejeté Trotsky. En vérité quand on voit ce film on se rend compte que Losey a toujours gardé un certain mépris pour Trotsky. Il suffit de voir la complaisance avec laquelle Ramon Mercadet est filmé entrain de fracasser le crâne de Trotsky, et de rapproche ces plans de la façon méprisante et glacée avec laquelle Trotsky corrige les fautes de l’article que lui présente Mercader. Il est évident que Trotsky est identifié à la classe bourgeoise et Mercader au prolétaire, et inconsciemment Losey filme ce meurtre comme une juste punition de l’Histoire.

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    C’est donc un ouvrage passionnant et réunir deux cinéastes ennemis n’est pas aussi incongru que ça. Bien que d’origine très différente, ils appartiennent tous les deux à une époque où non seulement on croyait à un changement social positif vers plus de justice et d’égalité, mais où on pensait qu’une réflexion sur la culture et ses médias pouvait aussi y aider.

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    C’est un vrai film noir, dans la tradition de Asphalt Jungle ou d’Ultime razzia. Tout démarre par un hold-up, quatre bandits dévalisent la recette du stade. Tout se passe à peu près bien sauf que dans leur fuite, poursuivis par la police, ils vont être obligés de se séparer. Guido et Alberto partent chacun de leur côté avec une valise pleine de monnaie – des lires, mais quand même ! A partir de ce moment-là tout va aller de mal en pis. En effet, ce sont des amateurs, et si dans un premier temps on ne les trouve pas, c’est justement pour ça. Mais leur amateurisme fait qu’ils n’ont guère de sang-froid.

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    La bande rafle plusieurs millions

     

    Ils vont donc multiplier les bêtises. Mais à travers celles-ci, c’est une lecture matérialiste de leurs conditions d’existence qui expliquent pourquoi ces quatres individus ont été amenés à voler. En effet, on n’est pas encore sorti de la période de reconstruction d’après-guerre. Les maisons sont dévastées, les logis insalubres, et le travail manque. Luigi est justement un chômeur qui en a assez de voir sa fille et sa femme manquer de presque tout. Guido est un peintre râté qui n’arrive même pas àpayer sa note de restaurants en vendant ses portraits. Alberto est aussi un jeune qui a manqué de tout, son père s’est tué à la tâche, sans résultat probant. Enfin, il y a Leandri, une ancienne gloire du football qui s’est cassé la jambe et qui a tout perdu, son argent et sa méaîtresse. Ce sont tous des déclassés, aucun n’est criminel par vocation, pourtant on en rencontrera de cette engeance.

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    Pendant le match, ils s’enfuient sans encombre

     

    Le film est une tragédie, et contrairement au Pietro Germi qu’on connait surtout à travers ses films des années soixante-dix, cela n’a rien de drôle. Il n’y a guère d’humour dans ces vies brisées et condamnées. Du reste ils finiront tous très mal. Leandri sera arrêté, Luigi se suicidera, Guido sera assassiné justement par des vraies canailles de vocation qui lui ont fait miroiter un passage vers la Corse où il pourrait se refaire une santé. Le contraste est évidemment renversant entre ces quatre apprenti-voleurs et la collection de brutes qui assassine sans réfléchir à autre chose qu’au gain immédiat que cela leur procurera.

    Le scénario est donc vraiment noir. S’il emprunte beaucoup aux films américains, le hold-up, le côté documentaire de la chasse aux voleurs, il reste pourtant très marqué par le néo-réalisme italien. Il y a une insistante, parfois un peu lourde, sur les aspects misérables de la vie de Guido et de Luigi. Cette approche particulière utilise des décors réels, et donc aussi une caméra très mobile qui s’adapte  aux accidents du terrain. Il y a un évident savoir-faire, même si les emprunts aux films noirs américains sont nombreux, comme ce long plan qui voit les malfrats chercher la sortie du stade.

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                    Après avoir récupéré une valise pleine de monnaie, Leandri va être dénoncé par son ancienne maîtresse

     

    Le scénario est dû à Germi lui-même, accompagné de Federico Fellini et de Luigi Comencini. On sait qu’au moins à cette époque les cinéastes italiens qui visaient aussi un public populaire, n’hésitaient pas à multiplier les collaboration, instaurant de fait un certain communisme artistique à Cinecitta.

    Il n’empêche que la réunion de ces plumes prestigieuses n’empêche pas toujours lemanque de rigueur. En effet, si l’histoire est sommes toutes banale, son traitement tient plus du film à sketches que d’une approche unanimiste. On épuise l’histoire de Leandri, avant de passer à celle de Luigi, puis on suit ensuite Guido et enfin Alberto. C’est le défaut le plus évident du film.

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    Lina est triste de voir que son mari a volé

     

    Il y a cependant de très belles scènes, assez inattendues dans ce genre de films. Notamment celle où la femme du portrait – on recycle un peu tous les clichés du film noir – se remémore sa rencontre avec Guido le peintre désargenté. Beaucoup de nostalgie et d’émotion chez cette femme riche qui s’ennuie et qui trouve quelque chose dans un simple regard. J’aime beaucoup aussi la scène de la fuite de Lina et Luigi dans le tramway. Lina est soulagée et heureuse quand elle présente à son mari les alliances qu’elle a pu retirer du Mont de piété et qu’elle a faites graver.

    Les acteurs sont très bons, souvent atypiques comme Paul Muller, acteur suisse au front immense qui joue le rôle du ténébreux Guido. Seule Gina Lollobrigida qui était encore à ses débuts, avait une surface. Elle n’a pourtant qu’un rôle assez bref, juste le temps de trahir son ancien amant. Renato Baldini qui joue Leandri était habitué à des romans photos, et sa carrière au cinéma n’aura pas grand-chose de remarquable. Plus intéressante est Cosetta Greco qui interprête Lina.

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    Luigi ne sait pas ce qu’il doit faire

     

    Si le film reste dans l’ensemble très dramatique, il y a tout de même une séquence assez grotesque avec cette famille de pêcheurs qui reçoivent Guido tout en mangeant des spaghetti dans une ambiance de crasse épouvantable. Toute la famille ricane en même temps, comme annonçant la mort prochaine de ce malheureux Guido. Ce passage semble tout droit sorti de l’univers de Fellini.

    Tout compte fait, ce Germi vaut beaucoup mieux que bien des films qu’il tournera après.

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    Elle se souvient de Guido qui lui avait fait son portrait dans un restaurant

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    Guido cherche à quitter la ville, mais la gare est cernée par la police

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    Alberto veut se jeter par la fenêtre 

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    C’est un scénario adapté d’une Série noire de Day Keene, auteur de romans noirs un peu sous-estimé à mon sens. Pierre Chenal est aussi le premier à avoir adapté de très belle façon d’ailleurs le roman de James M. Cain, le facteur sonne toujours deux fois. Quelques temps auparavant il avait tourné l’excellent Rafles sur la ville. Il a des lettres de noblesse donc en ce qui concerne le « noir ». La bête à l’affut est bien un roman noir, et le film qui en est tiré aussi.

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    C’est l’histoire d’un prisonnier, Daniel Morane, évadé qui va être recueilli et caché par une jeune veuve issue de la haute bourgeoisie, Elisabeth Vermont. Rapidement elle va en tomber amoureuse, et d’autant plus facilement que Daniel Morane a été victime des circonstances. Pris dans un règlement de compte entre le gardien de prison et son co-détenu, il est blessé, tandis que le gardien est mort. Entre temps, la recette de la vente de charité qu’Elisabeth avait réalisée a été volée alors qu’elle avait été confiée au notaire local. Comprenant que l’histoire de Daniel ne sera pas crédible aux yeux de la justice, la romantique Elisabeth aide Daniel à s’enfuir. Mais bien entendu, c’est le commencement des ennuis, car les choses ne se passent pas comme elles le devraient, Elisabeth s’aperçoit que Daniel n’est qu’une triste canaille qui lui a menti sur tout, que c’est lui qui a volé la recette de la vente de charité, et que sa blessure est le résultat d’une querelle pour le partage du butin. Cependant elle le défendra et le pleurera jusqu’au bout lorsque la police finira par lui mettre la main dessus et le tuer.

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    Elisabeth soigne Daniel qui est blessé 

    Cette trame aurait pu faire un excellent film, mais hélas ce n’est pas le cas. Cela ne s’anime que dans le dernier tiers du film. Cela tient d’abord à un déséquilibre évident dans le scénario. On perd du temps à mettre en scène les mondanités d’Elisabeth, la ronde des prétendants qui lui tournent autour comme ceux de Pénélope. Le commissaire qui enquête à la fois sur l’évasion et sur le vol de la recette est aussi amoureux de la très belle Elisabeth.

    L’action se passe en province, mais cela ne donne pas lieu à une ambiance un peu glauque pleine de sous-entendus et de sournoiseries. La seule chose qui transpire, c’est l’ennui. Mais c’est cet ennui qui justement déséquilibre le récit. On comprend bien la difficulté du scénario car si le film avait été réalisé du point de vue de Daniel, l’élément de surprise que constitue son mensonge n’aurait évidemment pas joué. Il est étonnant d’ailleurs qu’ils se soient mis à quatre, dont Michel Audiard qui n’était pourtant plus un débutant, pour écrire ce scénario. 

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    Daniel endosse l’uniforme du mari décédé pour mieux passer inaperçu 

    Du point de vue cinématographique, Pierre Chenal est d’ailleurs bien plus à l’aise dans la dernière partie du film, quand les masques tombent et que les protagonistes se révèlent pour ce qu’ils sont. Ils sont tous transformés : Daniel devient une brute sans aucun sentiment, le commissaire laisse parler sa jalousie, et Elisabeth regrette que Daniel ne dépende plus d’elle. Car c’est bien un des thèmes de Day Keene que de mettre en mouvement des femmes qui d’une manière ou d’une autre visent à garder le mâle enfermé et sous son emprise. On a vu ça dans Vive le marié, adapté magnifiquement par René Clément sous le titre Les félins. Dans toute cette partie le grand savoir-faire de Chenal joue à plein : il alterne parfaitement les scènes d’action – la visite de la police, la fuite de Daniel – avec les plans rapprochés qui cernent au plus près la transformation des âmes. 

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    La police va donner l’assaut 

    Les acteurs aident bien sûr à la mise en place de ce point de vue. Henri Vidal est extraordinaire dans ce passage de l’innocente victime à la canaille cynique. Il montre ici toute l’étendue de son registre. Et on se prend à regretter qu’il n’ait pas mieux su gérer sa carrière. Michel Piccoli joue encore un policier. Il est très bon, notamment quand il comprend qu’il a té joué et qu’Elisabeth lui échappe définitivement. Françoise Arnoul qui montre le bout de ses seins est très belle, mais elle est peut-être moins tranchante qu’à l’ordinaire. Probablement que les rôles d’ingénue ne lui convenait guère. Elle est un peu à contretemps. 

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    Elisabeth tremble pour Daniel

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    Positif est une revue intéressante et aussi irritante. Evidemment elle était bien meilleure quand elle n’était pas envahie par un jargon universitaire plus ou moins maîtrisé par de jeunes étudiants qui cherchent à faire carrière. Meilleure et plus enthousiasmante. D’ailleurs elle ressemble de plus en plus aux Cahiers du cinéma, c’est dire. Maintenant la revue est subventionnée, et on doit se farcir toutes les élucubrations réactionnaires de Michel Ciment comme quoi le téléchargement gratuit ruinerait la création.

    Cependant, si on met de côté les critiques de films récents – on ne sait jamais si le chroniqueur trouve le film intéressant ou non – qui débitent toujours un peu les mêmes lieux communs, et l’éditorial de Michel Ciment, cette revue est intéressante pour les cinéphiles.

     

    Films uniques

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    On y trouve souvent des dossiers originaux. Ce mois-ci le dossier est consacré à des films qui ont été les uniques productions pour leur réalisateur, La nuit du chasseur ou La vengeance aux deux visages. Souvent ce sont d’ailleurs des films tournés par des acteurs qui finalement trouveront ultérieurement plus facile et plus confortable de faire seulement l’acteur. Et bien sûr si ces films sont restés dans les mémoires, c’est aussi parce qu’ils avaient été portés par l’enthousiasme d’un acteur qui s’improvisa réalisateur pour voir achevé un projet qui leur tient à cœur. Les sujets sont divers, mais une dominante baroque semble régner. Tout se passe comme si l’extravagance du sujet avait vidé leur réalisateur de poursuivre plus loin l’aventure de la réalisation. En règle générale ce ne sont pas des sujets grand-public, et du reste ce sont des films, même s’ils sont devenus importants par la suite, qui n’ont guère eu de succès public.

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    L’économie du cinéma

     

    Le second intérêt de ce numéro de Positif est sans doute l’article de Steven Soderbergh sur le contexte matériel du cinéma américain. Même si on ne partage pas l’ensemble des analyses de ce réalisateur – situé en permanence entre la production de blockbusters et de films pour festivals – il y a incontestablement un changement : nous sommes à l’ère de la mondialisation, et le rendement des films américains est globalement plus fort à l’extérieur qu’à l’intérieur des Etats-Unis. Cela change tout, parce que maintenant les frais de lancement d’un film sont devenus tellement énormes – Soderbergh avance le chiffre moyen de 60 millions de dollars – qu’il est impossible de financer des films à faible budget. Donc pour ne pas perdre trop d’argent, il faut tourner des films consensuels, chercher le plus petit dénominateur commun qui ramènera le plus de monde dans les salles. Evidemment les conditions de production formatent les films eux-mêmes. Cependant Soderbergh ne va pas trop loin dans le questionnement, en effet, dans les années 40 et 50, le cinéma populaire qui rassemblait les foules étaient pourtant bien plus audacieux, bien plus pénétrant aussi. Comment se fait-il qu’aujourd’hui on s’extasie aussi facilement sur des faux auteurs comme Soderbergh justement ou comme Clint Eastwood ou Tarantino ? Plutôt que de gémir sur le piratage Soderbergh devrait reconnaître que le cinéma américain à l’âge de la mondialisation a perdu – à quelques exceptions près – non seulement une identité, mais aussi sa créativité. Et à force de céder inconsidérément aux sirènes du profit facile, il a vidé globalement le cinéma de son aspect artistique. A  la lecture de ce texte on se demande bien quel peut être l’avenir du cinéma, en tous les cas il ne semble plus passer par les formes habituelles de production et de distribution, et cela d’autant plus que la technologie moderne a abaissé radicalement les coûts de la production matérielle.

     

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